L'église vue du sud |
Au centre d'un plateau calcaire parsemé de champs de lavande, dans un paysage qui, pour beaucoup, évoque la Provence ou encore la Toscane, la petite église romane de Larnas aux lignes simples et à l'architecture bien proportionnée, est certainement un des plus beaux exemples de ces sanctuaires de plan dit en croix latine, ou bénédictin, qui furent très en faveur au xiie siècle en Vivarais méridional.
On n'est guère renseigné sur ses origines et son histoire. Elle est citée dès le xe siècle dans le Bref d'obédience des chanoines de Viviers : « Archimbaldus tenet [...] et in Larnatis ecclesiam Sancti Petri [...] ». Elle ne réapparaît qu'en 1255 à l'occasion d'un échange de possessions entre Arnaud de Vogüé et le chapitre de Viviers et enfin en 1289, date à laquelle, à la suite de dissensions, Guillaume, archevêque de Vienne, légat du pape, rendit une sentence arbitrale par laquelle notre église revint à l'Université, c'est-à-dire à l'ensemble du clergé de la cathédrale de Viviers.
L'édifice ne semble pas avoir souffert des guerres de Religion, mais il faillit disparaître au xixe siècle, lorsque deux curés infirmes, le trouvant trop éloigné du presbytère, demandèrent sa démolition et son remplacement par une nouvelle église plus proche de la cure. Sérieusement mis à l'étude par la municipalité, ce projet fut heureusement abandonné et l'église, classée Monument historique en 1907, a bénéficié depuis de plusieurs campagnes de restauration.
Le plan cruciforme de l'église, avec un transept largement débordant sur lequel se greffent trois absides basses, apparaît nettement lorsqu'on aborde le monument par l'est. Chaque abside est percée d'une fenêtre cintrée dépourvue de tout décor.
Seule la partie inférieure des murs, construite en petit appareil de calcaire blanc, est d'origine. Les parements des parties supérieures, faits de moellons irréguliers, sont une reprise moderne.
La croisée du transept se présente sous la forme d'un massif de plan carré, percé sur sa face orientale d'une petite fenêtre cintrée, sous un arc de décharge pris dans la maçonnerie. Au-dessus s'élève un tambour octogonal, disposition assez rare que l'on retrouve à Saint-Just d'Ardèche. Ce tambour est surmonté de l'amorce d'un lanternon qui est une restitution récente. L'ensemble abrite une coupole sur trompes.
La belle toiture de lauzes calcaires est une reconstitution datant de 2006.
L'église vue du sud-ouest |
La façade occidentale, contrebutée par deux larges contreforts, est encadrée d'un grand arc brisé qui retombe sur des pilastres faisant saillie sur le mur. Avec également son petit portail couronné par un arc en plein cintre et surmonté d'un fronton triangulaire, pour Yves Esquieu cette façade rappelle, en beaucoup plus simple, celle de la chapelle Saint-Gabriel de Tarascon. Claudiane Fabre-Martin, pour sa part, souligne son étonnante similitude avec la façade de l'église de Sainte-Croix-Vallée-Française en Lozère.
Mais on peut également penser, avec notamment Robert Saint-Jean, que cette façade n'est pas d'origine, mais a été élevée ultérieurement pour fermer une nef restée inachevée ou plutôt dont une troisième travée aurait disparu. La grande arcade serait alors la trace d'un ancien doubleau. Cette dernière hypothèse semble confortée par le procès-verbal de la visite canonique de 1598 qui nous dit : « La nef de ladite église est belle, ayant trois arcades de chaque costé, avec une belle voûte en fort bon estat... ». Les « trois arcades de chaque costé » désignant très vraisemblablement des arcs de décharge latéraux, la nef aurait donc comporté à l'époque trois travées.
La porte est surmontée d'un fronton triangulaire orné de palmettes de facture très voisine de celles du portail de l'église Saint-Polycarpe de Bourg-Saint-Andéol. Au-dessus est encastrée une croix également décorée de palmettes.
Le petit clocher arcade qui domine la façade n'est pas d'époque médiévale.
Façade occidentale |
Croix encastrée dans la façade |
Détail de la frise du portail |
Pierre de remploi encastrée dans l'embrasure d'une fenêtre à l'extérieur de l'église. |
Avant de pénétrer dans l'église, remarquons encore une belle pierre sculptée qui a été insérée dans l'embrasure d'une fenêtre. On y voit une tresse de deux rubans monobrins, terminés chacun par une feuille découpée et nervurée.
L'église de Larnas est formée d'une nef unique de deux travées et d'un transept fortement saillant sur lequel s'ouvrent trois absides de plan semi-circulaire voûtées en cul-de-four. C'est le type même des sanctuaires de style dit bénédictin, dont on trouve maints exemples dans la région, avec notamment la petite église Saint-Pierre de Sauveplantade, miraculeusement restée dans son état d'origine, ou d'autres qui ont connu des modifications ultérieures, telles les églises de Saint-Maurice d'Ardèche, Saint-Vincent de Gras, Saint-Just d'Ardèche ou Notre-Dame de Cousignac à Bourg-Saint-Andéol.
La nef est voûtée d'un berceau très légèrement brisé ; les deux travées sont séparées par un puissaht arc doubleau retombant sur des pilastres terminés par une imposte bisautée. Des arcs de décharge en plein cintre, reposant également sur des pilastres par l'intermédiaire d'impostes, sont appliqués sur les murs latéraux.
L'église est éclairée par des fenêtres à double ébrasement ouvertes dans les absides, dans les murs méridionaux de la nef et du transept et au-dessus du portail. Il n'existe aucune ouverture du côté nord.
La croisée du transept, marquée par quatre piliers à ressauts sur lesquels s'appuient quatre grands arcs à double rouleau, est coiffée d'une élégante coupole qui contribue beaucoup à la beauté de l'édifice. Allongée en hauteur pour ne pas paraître aplatie vue d'en-bas et parfaitement appareillée, elle reprend le modèle de celle de Bourg-Saint-Andéol. Les trompes se déploient en éventail à partir d'un motif en forme de coquille, tandis que les intervalles qui les séparent sont occupés par trois petits arcs reposant sur de courtes colonnettes aux chapiteaux ornés de motifs inattendus, difficilement visibles d'en-bas à l'œil nu, notamment des masques humains et animaux.
Colonnettes entre les trompes de la coupole |
Chapiteaux des colonnettes de la coupole |
Le décor sculpté de l'église est des plus réduits. Quelques impostes sont ornées de décors géométriques, tandis que celle du pilier sud-est de la croisée du transept présente un motif curieux, deux serpents peut-être... On trouve par ailleurs d'assez nombreux signes gravés dans la pierre : B, S, P et aussi des noms : SIANA, STEFANUS sur le pilier nord-ouest de la croisée du transept, et aussi RGNA.
Imposte du pilier sud-est de la croisée du transept |
Noms gravés sur le pilier nord-ouest de la croisée du transept |
Deux pierres ornées d'entrelacs de style carolingien sont insérées dans le mur nord de la nef, près de l'entrée du transept. S'agit-il de remplois provenant d'une église primitive d'époque carolingienne ? Yves Esquieu n'en est pas sûr estimant que « ces pierres sont trop bien adaptées aux assises du pilier et pourraient bien être contemporaines de la construction de l'église. »
Entrelacs de style carolingien encastrés dans un mur de l'église |
Paul Bousquet
(Texte et photographies)
Le remarquable travail de Paul et Marie Bousquet sur les églises romanes d’Ardèche a déjà reçu bien des hommages, mais il mérite une reconnaissance allant bien au-delà : car non seulement ils ont réussi à toucher un large public, mais aussi à faire découvrir à des Ardéchois (dont je fais partie) certains monuments dont ils ignoraient l’existence ou l’importance archéologique (faute parfois à la difficulté de se les faire ouvrir). Leur travail est une porte ouverte à d’autres chercheurs pour approfondir nos connaissances sur ces sites.
Dans cet immense édifice, je n’ai apporté « qu’un grain de sable » limité à l’église Saint-Pierre de Larnas, par la description d’un remploi extérieur et la fourniture de la photo d’une pierre de remploi à l’intérieur. Faute de place dans le temps limité du DVD, cette pierre n’y a pas été décrite. Elle fait donc l’objet de cet article, car ce motif a, je pense, un triple intérêt :
Pierre de remploi à l'intérieur de l'église de Larnas |
Il s’agit d’une pierre approximativement carrée (environ 25 x 20 cm). Elle est coupée en bas et une bordure est visible sur trois côtés (fragment de pilier de chancel ou bordure de plaque ?). Les joints d'encastrement de la pierre ne permettent pas d'analyser les cassures pour s'en faire une opinion plus précise. Elle est incluse dans le mur ouest du transept à environ quatre mètres de hauteur. Elle est sculptée dans un calcaire jaune différent de celui de l’église.
« Pilier wisigothique » à Rennes-le-Château |
Le motif : cercle lié au carré, appartient à la famille définie par Mme Buis de la « Torsade liée au losange » dans son traitement simple5. Plusieurs définitions avaient été données, depuis le début du XXe siècle, pour ce motif4. Mais pour Mme Buis ces définitions décrivaient des dessins dans lequel le cercle est indépendant (comme il semble que ce soit justement le cas à Larnas) alors qu’elles s’appliquaient à des descriptions de pierres où les cercles sont reliés entre eux par une torsade5. Mais il y a des variantes dans la même catégorie de motif et elle a finalement conservé la définition élargie précitée pour l’ensemble des motifs de cette famille, dont Larnas fait partie.
À Larnas le cercle est perlé, de perles ovales, le départ du motif de la frise au carré est en étrier et le ruban est à trois brins (ou trois fils). On retrouve ce motif en remploi à Rennes-le-Château (Aude) sur le bien connu « pilier wisigothique » et à Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault).
Il est à préciser que le motif du pilier de Rennes-le-Château a été remployé à l’envers (retourné) tout comme la croix à volutes faussement potencée, qui orne l’autre face du pilier.
Le motif de Larnas semble se singulariser dans sa catégorie par le fait que le cercle est indépendant (comme à Donzère, dans la Drôme) et non relié par la torsade comme sur les deux sites précités. Malgré la cassure de la pierre on ne distingue pas d’amorce de la continuité du ruban de la torsade. Mme Buis émet l’hypothèse que le motif avec cercle indépendant soit plus tardif que celui avec cercles reliés entre eux. Cela reste à démontrer par une étude plus étendue et approfondie de ces motifs en divers lieux.
Les fragments de Rennes-le-Château et Saint-Guilhem-le-Désert sont datés de la deuxième moitié du IXe siècle2.
Saint-Guilhem-le-Désert |
Si ce fragment, ainsi que les autres de Saint-Pierre de Larnas étudiés par Mme Buis ne peuvent être en toute certitude attribués comme appartenant à l’église existant en 950, il est toutefois à peu près certain que ces fragments témoignent de l’existence d’un édifice antérieur à l’église romane du XIIe siècle visible actuellement2 construite sur l’emplacement d’un sanctuaire gallo-romain où d’autres sanctuaires ont pu se succéder comme en d’autres lieux en Ardèche6.
Sous forme de remploi (obéissant à la tradition préromane qui préconise de réemployer des vestiges d’édifices cultuels antérieurs pour construire de nouveaux bâtiments sacrés), on rencontre ce motif en d’autres lieux dans toute l’Europe. Un grand nombre en Italie datés à partir du tout début du IXe siècle comme à Turin (806), en Istrie, etc.
Mais il semble que ce motif que l’on trouve déjà au VIIIe siècle (Pavie première moitié du VIIIe siècle et Albenga fin VIIIe siècle) et qui peut avoir une origine antérieure, ait été ensuite reproduit après la fin de la période carolingienne, sur des édifices romans jusqu’au début du XIIe siècle5.
Texte et photographies : Christiane Bernard