Une petite église toute basse symbolisant l’humilité. Sans clocher. Juste orientée vers l’ouest, une arcade abritant la cloche au-dessus du porche d’entrée. Et encore est-elle comme hésitante à vouloir s’élancer vers les cieux. Plaqués à la construction, il y a : d’un coté, au sud, le presbytère aujourd’hui loué à des particuliers ; de l’autre, au nord, un cimetière désaffecté dont le sol est en surélévation par rapport à celui de l’église. Ce cimetière, autrefois, se prolongeait jusque devant l’église et il fallait le traverser pour pénétrer dans cette dernière. Une disposition classique pour beaucoup de vieilles églises de campagne : le Christ célébré dans l’église est, au milieu des morts, le premier ressuscité d’entre eux. Un symbole peut-être ? ou une commodité ?
L'église vue du nord |
L’église de Pranles a une très longue
histoire. Au xiie siècle - pense-t-on -
et peut-être à l’emplacement
d’un premier oratoire, se crée un prieuré dépendant
de l’abbaye de la Chaise Dieu. C’est en 1043 que Robert de Turlande,
chanoine de l’église Saint-Julien de Brioude et devenu en 1070
saint Robert, fonde à une quarantaine de kilomètres au nord
du Puy une abbaye bénédictine ; c’était
pour lui la Casa Dei (Maison de Dieu) traduit ultérieurement
et très improprement en Chaise Dieu.
Au prieuré de Pranles, dédié dès les
origines à Notre-Dame et bien plus tard à Notre-Dame de l’Assomption,
résideront donc pendant pas mal de siècles des moines. Ils habitèrent
finalement dans la partie du presbytère adossée directement au
sud-ouest de l’église. C’est une construction du xive ou
du xve siècle abritant encore des trésors
architecturaux.
Malgré de nombreux avatars - particulièrement au xvie siècle
au moment des guerres de Religion – des prieurs se sont succédé à Pranles,
presque sans discontinuer, jusqu’à la Révolution.
La façade de l’église, très typiquement du xviie siècle, est toute simple : un mur et au-dessus l’arcade évoquée plus haut. En-dessous de celle-ci, un œil de bœuf et le porche d’entrée en plein cintre. Façade qui surprend un peu ceux qui viennent dans l’intention d’admirer une architecture romane. Mais, sitôt la porte franchie, ils ne sont pas déçus. En effet apparaît alors une merveilleuse nef romane du xiie siècle prolongée par une abside semi-circulaire ; abside nettement déportée sur la gauche par rapport à l’axe de la nef. C’est une disposition peu fréquente, mais rencontrée malgré tout ailleurs, parfois même dans des édifices très célèbres (cathédrale de Quimper, une église romane de Senlis et, dans une moindre mesure, Notre-Dame de Paris…). S’agit-il du symbole du Christ mourant en croix tête inclinée ou d’impératifs divers qu’il a fallu contourner ? La discussion reste ouverte ; les avis divergent. Ce qu’il y a de certain, c’est que le chœur est comme dans la plupart des églises romanes dirigé vers l’est, là où le soleil se lève, symbole de la lumière du Ressuscité se manifestant après la nuit du tombeau.
Du xiie siècle, la nef est, quant à elle, « toute menue, assez basse, mais fort harmonieuse ». Elle comprend trois travées. Sa voûte est en berceau et supportée par des arcs doubleaux légèrement brisés. L’ensemble, très chatoyant, est en pierres de grès soigneusement équarries et toutes de teintes différentes. Les doubleaux retombent sur quatre piliers carrés et quatre colonnes rondes adossées à ces derniers.
Entre doubleaux et colonnes, quatre chapiteaux sculptés sont tout à fait remarquables et méritent à eux seuls le détour. Sur les murs nord et sud, on peut aussi observer des arcs de décharge. Trois chapiteaux sur les quatre comprennent des personnages (chapiteaux historiés). Le dernier est sans personnage. Faut-il voir dans ces personnages des moines, ce que suggère leur coiffure de cheveux ? Y a-t-il eu, au moins pour un des quatre, une volonté de représenter une scène religieuse ? ou, au contraire, ne s’agit-il que d’éléments décoratifs ? Là aussi la discussion reste ouverte. Curieusement cependant, sur chacun des trois chapiteaux historiés, le nombre de personnages est de sept, chiffre éminemment biblique (chandelier à sept branches, sept sacrements…). De savants spécialistes reconnaissent dans les deux chapiteaux de la nef les plus proches du chœur une imitation assagie de la collerette berrichonne. Bref ce sont des sculptures toutes fort bien venues et nul ne peut se passer de les observer.
Chapiteaux de la nef |
Sur deux autres colonnes plus rustiques et de part et d’autre de l’entrée du chœur, on peut aussi admirer deux autres chapiteaux plus anciens que ceux de la nef et donc probablement du xie siècle. Malheureusement, ils ont été très abîmés à la fin du xixe siècle. Chacun comporte trois faces. Sur trois d’entre elles on peut distinguer plus ou moins bien des personnages levant les bras au ciel. Sur la face centrale de celui qui est à gauche en regardant le fond du chœur, on reconnaît aisément le torse et la tête de quelqu’un implorant Dieu, les deux bras et les deux mains s’élevant vers le ciel. Il prie. C’est un orant, rencontré ailleurs, ici ou là, spécialement dans la crypte de l’abbatiale de Cruas, mais en entier et plus finement sculpté. Ces deux colonnes et chapiteaux sont-ils les restes de l’ancienne église, antérieure à celle du xiie siècle ou, plus vraisemblablement, des réemplois ? Le mystère reste entier.
Chapiteaux du chœur |
À reconstituer l’hypothétique histoire de l’église de Pranles, on peut mieux s’expliquer certaines anomalies, des différences criantes de style qui pourtant s’harmonisent parfaitement et les volontés différentes des bâtisseurs et rebâtisseurs à travers les âges.
Une église, un oratoire – on ne sait – existait sans doute antérieurement au xiie siècle. Ce premier édifice se serait éboulé et on l’aurait reconstruit au xiie siècle, mais plus bas pour s’assurer davantage de sa solidité. Le bâtiment dont la nef actuelle reste le témoin comprenait, peut-on supposer, comme beaucoup d’églises romanes de l’époque, une nef, une tour lanterneau au-dessus de ce qui tenait lieu de transept et enfin le chœur ou abside.
Au xive ou xve siècle sont rajoutées,
en style gothique et de part et d’autre du transept, deux chapelles latérales.
C’est à cette époque également qu’est édifiée
la partie prieurale du presbytère jouxtant l’église au sud-ouest.
Puis aux environs de 1578, les guerres de religion faisant rage,
l’église est en grande partie détruite. Sont gravement endommagées :
la voûte du chœur (en cul de four elliptique), la tour lanterne,
les deux chapelles latérales et la façade à l’ouest,
ainsi probablement qu’une partie de la première travée de
la nef romane. Ce n’est qu’à la fin du xviie siècle,
et même au début du xviiie, qu’on entreprend la
reconstruction. Mais celle-ci est quasiment bâclée. On veut aller
vite. La voûte du chœur est refaite avec de petites et très
vilaines pierres rendant indispensable son crépissage, ne serait-ce que
pour sa solidité. La tour lanterne n’est pas reconstruite. Elle
est remplacée par une voûte surbaissée de pénétration.
Les deux chapelles latérales sont rebâties, mais le plus simplement
possible : voûte en berceau et ouverture en plein cintre, leur moulure
n’étant même pas reconstituée jusqu’en haut.
La nef détruite reste identique à elle-même. Mais les chapiteaux
romans, peu appréciés à cette époque, sont recouverts
de plâtre. Enfin la façade, telle un plaquage, est complètement
conçue en style du moment.
Vers le milieu du xviiie siècle (1759 ?)
une sacristie inexistante jusque là est rajoutée derrière
le chœur avec des pierres beaucoup plus petites que le reste de l’église,
un appareil beaucoup moins beau. Ce faisant, on bouche la fenêtre du milieu
du chœur, lequel est entièrement crépi et ne comporte plus
que deux fenêtres au lieu de trois. Un peu plus tard, trouvant le chœur
trop sombre, on agrandit les fenêtres latérales, leur donnant la
forme observable maintenant. Rappelons que les trois fenêtres du chœur
des églises romanes symbolisaient les trois personnes de la Sainte Trinité.
Primitivement elles étaient, pense-t-on, analogues à celle du centre
retrouvée en 1999 lors de la restauration du chœur et habillée
très vite par un petit vitrail très simple.
Vers la fin du xixe et au xxe siècle, à diverses
reprises des travaux sont entrepris, parmi lesquels la remise à jour des
chapiteaux de la nef sous le plâtre depuis environ deux siècles. À signaler également
lors du remplacement d’un plancher en bois par les dalles actuelles la
découverte de tombes au sein même de l’église.
Les derniers travaux se sont étagés entre 1995
et 2001. Et c’est le chœur qui a été alors l’objet
de la restauration la plus importante avec la découverte de sa fenêtre
centrale. L’amélioration de l’éclairage reste encore à entreprendre.
Ainsi se présente la vieille église campagnarde de Pranles, si attachante par sa beauté et sa grande simplicité. On y respire calme, paix et sérénité. En témoignent les très nombreuses réflexions laissées par les visiteurs qui s’y rendent en toutes saisons, la porte restant ouverte chaque jour de 10 à 18 h.
Texte :Paul de Lagarde
Photographies : Paul Bousquet