Les « jardins suspendus » du lieu dit Le Récatadou à Labeaume sont des terrasses aménagées dans les parties verticales d'un promontoire calcaire dominant, en rive gauche, les gorges de la rivière Baume. Ces aménagements, à l'abandon depuis un demi-siècle, dépendaient d'une ferme du même nom
Les jardins sont aménagés sur la falaise aux limites extrêmes du vide. Ils se profilent et sont intégrés au relief rocheux ruiniforme caractéristique.
Les falaises dominant la rivière Baume |
Les jardins sont aménagés sur la falaise aux limites extrêmes du vide |
Construction fonctionnelle |
Cet ensemble architectural, totalement
réalisé en
pierre sèche, à l’apparence de cabane,
constitue un ouvrage particulièrement fonctionnel.
Il est conçu pour retenir la terrasse supérieure.
Il capuchonne un rocher qui a été taillé pour
former un passage qui permet d’accéder à la
terrasse inférieure (photo ci-contre). Des marches d’escalier
complètent l’accès. La couverture
du passage est constituée d’une série
de dalles juxtaposées. |
À proximité du mas, le champ proche
a fait l’objet de travaux de dérochement de manière à créer
une surface cultivable relativement plane. La roche extraite a servi à construire
le mas et des murs bordant les parcelles et le chemin.
Sur la dalle rocheuse affleurante on peut voir deux bassins ou « gourgues » taillés
directement dans la roche, ainsi que des traces de caniveaux, les « gandoles »,
ces aménagements à fonction hydraulique confirment la présence
d’un premier jardin proche du mas.
C’est à partir de ce champ proche du mas d’où son
nom de : « champmas ou camas » que partent les
différents accès permettant d’atteindre les terrasses
aménagées dans les parties verticales de la falaise. On distingue
plusieurs types d’accès : des escaliers, des rampes, des
passages couverts incorporés dans les rochers.
Les terrasses sont adaptées en fonction des vides existant entre les
reliefs verticaux de la falaise. Ces vides, en parties inférieures,
sont fermés par des murs de soutènement qui partent du plus bas
et remontent pour être arasés au niveau plan de la terrasse.
Ces murs sont solidement construits et appareillés,
parfois avec des blocs très importants, en particulier
au sommet. D’autres murs reposent sur la dalle réservée
aux limites du vide, ils sont constitués de gros blocs
posés, à sec, verticalement formant garde-corps.
Ce principe est renforcé au niveau périphérique
de la grande terrasse supérieure par un mur en maçonnerie,
avec couronnement.
Des blocs portent les traces d’extraction par barre à mines.
En général, la morphologie des moellons utilisés, tirés
du rocher dur en place, se caractérise par des formes polyédriques,
très angulaires.
Outre les ouvrages décrits précédemment, plusieurs systèmes de types inventoriés à Labeaume ou ailleurs sont encore en place.
De gros blocs de roche calcaire ont été déplacés par ripage. Une fissure importante à été comblée à partir du bas pour retenir les terres de la terrasse. |
Il ne s’agit là que d’une partie des jardins suspendus de Labeaume. D’autres inventaires sont à poursuivre, autant sur le terrain qu’en recherche d’informations orales ou en archives.
La situation de ces jardins que l’on peut classer dans les paysages extrêmes conduit à se poser bien des questions. En relation avec d’autres aménagements exceptionnels que j’étudie dans l’Ardèche, ils sont comparables par le remarquable travail de dérochement effectué. À Labeaume, l’intervention s’est faite aux limites du vide ce qui en fait son intérêt majeur. À ma connaissance, je n’ai rien à proposer de vraiment comparable.
Cela conduit à trouver les raisons et les motivations qui peuvent conduire à de telles limites quant à la création d’un paysage vital de ce type. La confrontation de l’homme et de la roche a donné des jardins exceptionnels tant sur leurs caractères écologiques que sur leur aspect esthétique. Il s’agit bien là d’un ensemble majeur sous le thème qui m’est cher : « Paysages de Pierre - Paysages de Vie ».
Les vides existant entre les reliefs verticaux de la falaise sont fermés par des murs de soutènement qui partent du plus bas et remontent pour ê tre arasés au niveau plan de la terrasse. |
D’autres murs reposent sur la dalle réservée aux limites du vide, ils sont constitués de gros blocs, posés à sec verticalement, formant garde-corps. |
Seules des pratiques d’autosubsistance conditionnées par l’accès à la propriété individuelle et une forte densité de population occupant un espace limité peuvent justifier une conquête de cette importance. À partir des observations et de l’analyse des détails architecturaux et en les comparant à ceux relevés et sérieusement datés sur des terroirs proches, je propose une intervention estimée au XIXe siècle.
Selon Pierre Bozon, en Bas-Vivarais, l’accroissement de population
passe de 1801 à 1861 de 29 561 habitants à 51 521. À Labeaume
en 1857 on dénombre 1 216 habitants !
J’insiste encore sur l’aspect exceptionnel de
ce patrimoine ce qui semble fort bien compris par toutes les personnes qui ont
pris en charge son dégagement, sa sauvegarde et sa mise en valeur.
Escalier. Cet escalier est construit avec les blocs de roche extraits sur place. Les personnages donnent une idée de l’importance des éléments utilisés. Ces blocs sont placés à l’aplomb extrême de la falaise. Cet ouvrage est un des mieux conservés parmi une dizaine d’autres construits de la même manière. Ici, il permet d’accéder d’un jardin à l’autre. |
Lors d’un Conseil d’administration de fin d’année
2006, l’association « Dolmens et patrimoine de Labeaume » avait
envisagé de nettoyer les anciens jardins suspendus situés
au lieu-dit « le Récatadou » à l’occasion
de la journée de débroussaillage qu’elle organise
chaque printemps avec le renfort d’autres associations. Aussi prenait-elle
contact avec la municipalité, propriétaire des lieux, pour
obtenir son accord qui fut immédiatement donné, celle-ci
estimant que l’opération projetée présentait
beaucoup d’intérêt pour la sauvegarde du patrimoine
labeaumois.
Ces jardins, envahis par une épaisse végétation, étaient à l’abandon
depuis plusieurs décennies et la tâche s’annonçait
difficile en raison de la configuration des lieux particulièrement accidentés.
Néanmoins, le dimanche 25 mars 2007, une trentaine de volontaires enthousiastes
conscients de l’importance de l’enjeu, se mettaient à l’ouvrage.
Ce premier débroussaillage permettait de dégager une succession
de terrasses accrochées à la falaise au-dessus de la rivière
Beaume dans un site rocheux exceptionnel, et le spectacle offert forçait
l’admiration des participants stupéfaits par l’audace et l’ingéniosité des
paysans-bâtisseurs d’autrefois.
Ce n’était qu’un début et, depuis, une équipe
de bénévoles s’efforce de poursuivre le nettoyage. Mais pour
redonner à ces jardins leur aspect d’antan, un énorme travail
de restauration des murs et des escaliers effondrés devra être entrepris
en tenant compte, pensons-nous, des conseils d’historiens de l’architecture
paysanne. Il faudra aussi réfléchir aux espèces végétales
pouvant être replantées.
Déjà, les lieux attirent de nombreux visiteurs et, par mesure de
sécurité, une clôture a été installée
par la commune afin d’en interdire l’accès tout en permettant
une vue d’ensemble du site dans son état actuel en attendant les
aménagements futurs.
Précisons que « Récatadou » signifie :
lieu bien rangé…
Texte et photographies : Michel Rouvière
(sauf : Travaux de restauration et projet de mise en valeur : Jean-Pierre Huyon)