Le château de Rochebonne dominant la vallée de l'Eyrieux. Au fond, la chaîne des sucs avec notamment le Mont Gerbier de Jonc |
La race des meuniers est-elle éteinte ?
Vous vous rappelez, dans les Lettres de mon moulin : « Ce
sont les lapins qui ont été étonnés !... Depuis si longtemps
qu'ils voyaient la porte du moulin fermée... ils avaient fini
par croire que la race des meuniers était éteinte... »
Hameau de Rimande |
Eh bien, ces meuniers dont parlait Alphonse Daudet, nous les avons trouvés à côté de Saint-Martin-de-Valamas, au hameau de Rimande, où Adrien Fraysse et son fils entretiennent toujours le moulin familial blotti au fond de la vallée.
On accède à Rimande par une route étroite et pentue qui descend vers le hameau dont les maisons anciennes ont gardé en partie leurs toits de lauzes. Nous sommes sur la rivière Rimande, à la limite de deux départements (la Haute-Loire est toute proche) et de trois communes ardéchoises : la Chapelle-sous-Chanéac, Saint-Julien-Boutières et Saint- Clément. De l'autre côté du pont nous découvrons le petit bâtiment du moulin et son bassin d'alimentation où barbote un canard.
Nous avons été reçus par les propriétaires et par M. Dugua, président des Amis de Rochebonne, un très bon connaisseur de l'histoire de cette partie des Boutières. Les adhérents de la Sauvegarde, familiers des moulins, ont retrouvé là un ensemble très complet, encore en état de marche ; le moulin a en effet fonctionné jusqu'en 1952 avec la famille Fraysse, qui le fait visiter aujourd'hui à la demande. Le rez-de-chaussée du bâtiment est occupé par l'installation de meunerie ; on y voit les deux meules en silex formées de plusieurs morceaux collés entre eux, avec leur trémie d'alimentation en grain, le système qui permet de soulever la meule supérieure quand il faut retravailler les meules usées, les engrenages et bandes transporteuses à godets, le trieur à farine (un cylindre en légère pente où la taille des mailles du tissu augmente du début à la fin : la farine fine passe en premier, les qualités plus grossières ensuite), etc.
Moulin de Rimande - Les meules |
Moulin de Rimande - Le musée |
À côté de cette installation ont été rassemblés les outils très divers qui jalonnaient la vie des paysans d'autrefois : besse (la hotte du paysan), outils de sabotier (eyssou, croque), rabots divers, machines à faire les cordes, à remplir les saucissons, araire, etc. Au sous-sol se trouve la turbine hydraulique de marque Canson1 qui fournit l'énergie aux diverses installations. Elle est originale en ce sens qu'il s'agit d'une roue horizontale avec des ailettes sur lesquelles arrive latéralement l'eau sous pression ; l'axe de transmission est donc vertical et peut actionner directement les meules pour le grain situées au-dessus ou, par un jeu de courroies, le moulin à huile. Pendant la dernière guerre, le moulin a même fourni de l'électricité grâce à une génératrice actionnée par le mécanisme hydraulique. M. Fraysse nous explique la fabrication de l'huile de noix : broyage dans le moulatou, un petit moulin en pierre, par une meule verticale, mélange avec de l'eau, chauffage sur un brasero, pressage dans un sac en toile avec une presse trés simple mais efficace où l'effort de pression est exercé par des coins en bois enfoncés à coup de maillets. Dans ce petit moulin en pierre, on pouvait aussi écraser des pommes, faire de l'orge perlé, etc. La création de l'association des Amis de Rimande a permis de remettre en état la digue endommagée par une grosse crue dans les années 1990 ; le four banal a été restauré en 1993. Nous pouvons aussi admirer les maisons typiques de ce vieux hameau encore habité en permanence par deux ou trois familles. Avant de quitter Rimande, M. Dugua nous retrace l’histoire du moulin depuis le xviie siècle. La famille Du Gua, puis Dugua, était établie là depuis 1445 et M. Adrien Fraysse est le neveu du dernier meunier Dugua.
Le moulin de Rimande remonte au
moins au xvie siècle puisque nous
avons retrouvé des documents qui
mentionnent divers évènements comme la sècheresse de 1504 qui
commença au mois de mars et qui
causa une grande disette de grains.
En 1498, Jean Dugua habite Rimande.
Son fils, autre Jean, qualifié de prêtre
en 1545, reçoit la cure de Saint-Martin-de-Valamas en 1566. Il est sans
doute le fils aîné, puisqu’il hérite du
moulin et le transmet presque
aussitôt à l’un de ses neveux, autre
Jean Dugua. Une transaction rappelle
la donation en indiquant que les
frères et sœurs pourront venir « mouldre gratuitement leurs grains
au mollin ». En 1559, nouvelle
transaction, mais tout en soulignant la
gratuité pour les frères et sœurs pour
le « droit de mollée », ceux-ci devront
dorénavant participer aux frais de
réparation du moulin. Douze
générations de meuniers se sont
succédé à Rimande. La famille Dugua
avait aussi la gestion du four qui se trouve au milieu du
village. Cette famille, soutenue par les seigneurs de
Châteauneuf-en-Boutières, eut de nombreux démêlés
avec les seigneurs suzerains de Chanéac, le moulin étant
sur leur juridiction. Ils furent aussi souvent en procès
avec les prêtres et prieurs de Saint-Julien-Boutières,
refusant de régler les legs de leurs prédécesseurs en
faveur de cette église.
En 1629, Jacques Dugua s’entêta et refusa de régler 14
livres 10 sols pour une fondation de messes demandée
par son grand-père Jean. Un procès fut intenté et un
arrangement eut lieu le 4 février 1672 en la Cour du Puy.
À Saint-Martin-de-Valamas, nous retrouvons M. Le Bon, maire et M. Champelovier, président de l’Office de Tourisme, autour d’un apéritif offert par la municipalité dans la salle des voûtes. La commune de Saint-Martin-de-Valamas s’attache à restaurer son patrimoine communal et le bâtiment de l’ancienne école où nous sommes en est la meilleure preuve ; de même elle soutient l’action des Amis de Rochebonne...
...et nous partons vers les ruines du château de Rochebonne, objet de tous les soins de cette association et de son président Roger Dugua ; créée en 1980, elle a mené plusieurs campagnes de restauration, en particulier avec des aides de la Sauvegarde.
Rochebonne : vestiges du donjon et de la tour sud |
L'histoire du château est assez bien connue. Il est mentionné en 1078, date à laquelle Guillaume de Châteauneuf fit une obligation de 5 500 sols à Artaude de Châteauneuf, épouse de Pons de Brion. On en retrouve mention en 1248 ; et en 1273 Pons de Brion vendit à Guillaume de Châteauneuf tout ce qu'il possédait dans le château, la seigneurie et le bourg de Rochebonne. La famille de Châteauneuf se retrouva alors unique héritère. Pendant les guerres de Religion les seigneurs de Rochebonne furent d'ardents défenseurs des catholiques. Mais le château fut pris plusieurs fois par les protestants entre 1577 et 1595. La famille de Châteauneuf avait acquis au xviie siècle des possessions dans le Lyonnais et le Beaujolais, entre autres à Theizé prés du Bois d'Oingt dans le département du Rhône. Et nous aurions pu il y a quelques années entendre parler ici de la marquise de Sévigné, laquelle a écrit dans ses lettres : « il a vu la belle Rochebonne dans le plus triste château de France... ». En fait il s'agit de l'autre Rochebonne, et le nôtre, bien qu'en ruines, ne nous a pas paru si triste sous le beau soleil automnal !
Le château passa en 1725 à un Châteauneuf, évêque de Carcassonne et fut vendu avant la Révolution à la famille Blanc de Molines. Mais il était décrit depuis longtemps comme menaçant ruine... Les propriétaires actuels sont nombreux, avec un parcellaire cadastral très morcelé qui complique beaucoup le travail de l'association.
Rochebonne - Grande tour sud |
Depuis la route de
Saint-Jean-Roure,
nous voyons en
contrebas à quelques
centaines de mètres
le donjon dressé sur
son piton.
Le paysage est
magnifique, comme il
y en a tant dans les
Boutières : genêts et
landes autour des
ruines et, de l'autre
côté de la vallée, les
sommets du Champ
de Mars au Gerbier
dominant le versant
abrupt qui descend
vers l'Eyrieux que l'on aperçoit 300 mètres plus bas.
Le donjon de forme carrée est la seule partie visible de la
route. Son mur nord qui nous fait face est la partie la
mieux conservée. Complètement ouvert au sud,
considérablement dégradé à l'est, il fera l'objet dans les
prochaines années de travaux toujours difficiles à mettre
en œuvre à cause de l'abrupt du rocher. Son accès est
pratiquement impossible et nous ne ferons que le
contourner.
En descendant par un sentier de chèvres, nous découvrons petit à petit l'ensemble important situé en contrebas du piton sur un replat dominant le vide. Ce sont d'abord, vers l'ouest, des annexes au château : chazal nord et chazal sud, qui fermaient l'enceinte de ce côté, il n'en reste que quelques pans de murs, repris en 1995 et 2007.
Vestiges des bâtiments de la partie occidentale
Avec ces communs, la façade sud s'étendait sur plus de
50 mètres de long. Elle correspondait à trois logis
flanqués au centre d'une grande tour. Le logis 2, logis
central, avait 13 mètres de long sur 5 mètres de large, le
grand mur au nord a été rejointé en 2003. La grande tour
comportait trois niveaux, dont il reste le mur sud avec
deux fenètres superposées ; des vestiges de cheminées
témoignent d'aménagements au xvie siècle. L'entrée se
situait à l'est dans une partie entièrement disparue. Une
pierre portant les armes des Rochebonne a été scellée
dans un angle du logis 3.
La chapelle Sainte-Agathe était extérieure au château, à
l'est. Ses fondations sont encore visibles et elle n'a pas
encore fait l'objet de restaurations.
Nous avons pu ainsi nous rendre compte des gros travaux
réalisés grâce au dynamisme de l'association et de ses
présidents successifs, travaux en partie soutenus par la
Société de Sauvegarde qui continue à avoir sur ce site
emblématique des Boutières un œil bienveillant (par
exemple celui de Louis de Chazotte, un de nos vice-présidents).
D'autres détails sur le château de Rochebonne, notamment sur les travaux menés pour sa restauration en cliquant ici.
La région de Saint-Martin - Le Cheylard est maintenant appelée « la vallée des bijoux » ; tous les deux ans le festival du bijou organisé dans ces deux communes connaît un grand succès. La Sauvegarde s'intéresse aussi au patrimoine industriel et nous avons donc rendez-vous à l'entrée ouest de Saint-Martin-de-Valamas pour la visite des anciens ateliers Murat, actuellement Ardilor, où nous serons reçus par le gérant, M. Munier.
Atelier de bijoux Ardilor (Cliché D. de Brion) |
C'est vers 1850 que M. Murat, bijoutier parisien, poussé
en partie par le désir de faire une carrière politique, vint
créer une entreprise dans les locaux actuels d'Ardilor. Le
premier directeur en fut Georges Legros qui décida assez
vite de prendre son indépendance et créa alors à Saint-Martin et au Cheylard sa
propre entreprise, devenue le groupe GL, après l'absorption en 1998 des bijoux « Altesse » (créés
en 1905).
Nous pouvons voir ce qu'était une entreprise de ce style
avant les modernisations récentes. Ardilor a maintenant
une activité de sous-traitance très réduite ; ses locaux et
son matériel vont être repris par la communauté de
communes pour en faire un musée du bijou.
Toutes les maquettes des modèles anciens sont
conservées, ainsi que les machines qui travaillaient l'or et
l'argent, matières de base. Les machines servaient à étirer
les fils à la dimension voulue, à confectionner les mailles,
puis les chaînettes, à les graver de motifs variés par
pression dans des filières, à cintrer les petites pièces
métalliques pour en faire des bracelets, etc.
Tout cet équipement encore en état de marche est un
témoin des débuts d'une aventure industrielle encore
vivante dans la région à travers les bijoux GL.
Bernard de Brion
Roger Dugua pour la note historique sur le moulin de Rimande
(Visite de la Sauvegarde octobre 2011)