C’est à juste titre que l’on qualifie souvent l’église Saint-
Pierre de Sauveplantade de « bijou de l’art roman ».
En effet, malgré ses très petites dimensions, elle présente
un exemple achevé d’édifice de style bénédictin ou en
croix latine. La qualité de sa construction et son
exceptionnel état de conservation sont également
remarquables.
Nous y sommes accueillis par M. Jacques Plantier, adjoint,
représentant Mme Monique Labrot, maire de
Rochecolombe, empêchée, ainsi que par Mmes Plantier et
Dubois.
Église Saint-Pierre de Sauveplantade - Le chevet |
Silva plantata, c’est ainsi qu’apparaît Sauveplantade dans
les textes anciens, notamment dans la fameuse charta vetus. La « forêt plantée », c’est la forêt qui a été défrichée
pour céder la place à des cultures et ceci remonte
certainement très haut dans le temps. En tous cas, il est
certain que ce lieu était habité à l’époque gallo-romaine,
comme en témoigne notamment le petit autel en calcaire
blanc déposé au fond de l’église qui a été trouvé en 1905
par le marquis de Vogüé « au cours d’une
excursion dans la vallée de l’Ardèche ».
Il porte une inscription qui se traduit
ainsi :
« À Jupiter très bon et très grand ce lieu,
Lucius Valerius [- - -]rtius l’a fondé et
consacré ».
On pense que « ce lieu » désignait un
enclos sacré plutôt qu’un petit
sanctuaire.1
La nature du support date le texte au
moins du iie siècle.
On a également trouvé une colonne à
astragale portant une dédicace posthume à l’empereur Aurélien : « Divo Aureliano ».
On a pu penser qu’elle aurait servi de borne milliaire,
mais cette hypothèse n’est plus admise aujourd’hui.
Avec la christianisation, le culte de Jupiter fut, comme
souvent, remplacé par celui de saint Pierre.
À l’époque carolingienne, Sauveplantade devint le chef-lieu
d’une des 14 vigueries du comté de Vivarais. Son territoire était vaste, couvrant, pense-t-on, entre 5 000 et
10 000 hectares. Avec
ensuite l’émergence de
la féodalité, c’est la
famille de Vogüé, installée
à Rochecolombe, qui
régna sur la contrée.
Cippe gallo-romain dédié à Jupiter |
Colonne portant une dédicace à l'empereur Aurélien |
La fondation de l’église
Saint-Pierre est fort
ancienne, remontant
sans doute au viie siècle. Dans le pouillé de l’Église de
Viviers figure en effet l’acte de la donation faite « à Dieu
et à saint Vincent » par un certain Aginus et son épouse
Pétronille « dans un lieu dit silva plantata » d’une église
en l’honneur de saint Pierre, avec 15 colonies2.
Sauveplantade dépendit ainsi des évêques de Viviers
jusque vers le milieu du xie siècle. Nous arrivons là à
l’époque où les évêques confient souvent la gestion des
paroisses à des moines et c’est aux bénédictins de Cruas
que l’on fit appel dans le cas de Sauveplantade. Ceux-ci
y implantèrent un petit prieuré qui perdura jusqu’à la
Révolution.
Cependant, à partir
du xve siècle, le prieur de Sauveplantade
devint « commendataire »,
c'est-à-dire titulaire du bénéfice ; il en touchait
les revenus, mais n'était plus tenu à résidence, vivait à Cruas
et déléguait ses pouvoirs ecclésiastiques à un
desservant, un « vicaire perpétuel », dont
la nomination relevait de l'évêque.
On le sait par le procès-verbal de la visite canonique
de 1501 qui mentionne l'existence sur place d'un vicaire perpétuel assisté de
deux prêtres, ce qui implique un prieuré de quelque importance.
Elle nous est parvenue pratiquement intacte depuis sa
construction que l’on situe vers la fin du xie ou le début
du xiie siècle ; c’est l’œuvre des bénédictins de Cruas.
Seul le portail, ouvert dans le mur sud, a été agrandi,
ainsi que certaines fenêtres, tandis que le clocher a été
surélevé d’un étage.
Église de Sauveplantade - Les trois absides |
Il est remarquable que, malgré sa très petite taille, l’édifice respecte parfaitement le plan en croix latine - dit encore « plan bénédictin » - avec une nef de deux travées, un transept largement débordant et trois absides semi-circulaires voûtées en cul-de-four. On peut remarquer que les absides latérales sont pratiquement aussi grandes que l’abside centrale. La croisée du transept est coiffée d’une minuscule coupole sur trompes parfaitement appareillées. La construction est en petit appareil de calcaire sommairement taillé au marteau, signe d’ancienneté. Seuls les claveaux des arcs ont une forme soignée. La nef est voûtée en plein cintre, les murs latéraux sont renforcés par des arcs de décharge profonds. Le passage entre la nef et le transept se fait sous un puissant arc en plein cintre à deux rangs de claveaux retombant sur des piliers à ressauts surmontés d’impostes finement moulurées.
La nef |
La petite coupole sur trompes |
Chapiteau orné de rosaces carolingiennes |
À mi-hauteur, les deux pilastres intérieurs
sont soutenus par de courtes colonnes de grès fin, pourvues
d’un astragale ; ces colonnes sont certainement des
remplois, peut-être d’origine antique.
Les chapiteaux plats qui les coiffent, de forme
trapézoïdale très évasée, proviennent sans doute de
l’église primitive d’Aginus. Ils portent en effet un décor
qui est dit de rosaces ou de marguerites carolingiennes,
car son emploi le plus
fréquent se situe vers la
fin du viiie ou le début
du ixe siècle, mais qui est
apparu en réalité à partir
du vie siècle.3 Il s’agit de
cercles tangents dans
lesquels s’inscrivent des
rosaces stylisées à six
rayons.
Un tel décor se retrouve à plusieurs reprises en
Ardèche, notamment en
remploi dans l’église de
Saint-Gineys-en-Coiron, à
Viviers, sur un fragment
de chancel conservé dans
les collections du CICP (Centre international Construction
et Patrimoine) et sur une table d’autel au musée de
Soyons.
Dans l’absidiole sud se trouve une très belle table d’autel
romane en calcaire blanc. Creusée en évier, sa tranche est
ornée d’un rinceau de demi-palmettes taillées en biseau.
Extérieurement, la croisée du transept porte un clocher
carré ; son premier niveau, ajouré de baies géminées
dont les arcs reposent sur de fines colonnettes, n’est autre
que la tour lanterne romane, tandis que le deuxième étage, aux côtés percés d’une seule fenêtre, est une
surélévation moderne.
Table d'autel du XIIe siècle |
Pour terminer, nous reprendrons les dernières lignes du compte rendu de la visite que fit la Sauvegarde à Sauveplantade le 13 avril 1975.4
« Deux détails pour terminer : la petite cloche de Sauveplantade est certainement une des plus anciennes cloches gothiques subsistant en Vivarais, elle date du xve siècle et porte des médaillons aux effigies du Christ et de la Vierge, ainsi qu'une inscription qu'on retrouve fréquemment : « CHRISTUS REX VENIT IN PACE, CHRISTUS REGNAT, CHRISTUS IMPERAT ».
Enfin, il n'est pas surprenant de retrouver ici une très vieille tradition liée au culte de saint Pierre : l'église possède une clef, dite « Clef de la Rage », que l'on appliquait, après l'avoir rougie au feu, sur les chiens ou le bétail contaminé. Elle aurait acquis une vertu miraculeuse du fait de l'incorporation, au moment du forgeage, de quelques fragments de limaille prélevés sur les chaînes de saint Pierre. »
Paul Bousquet
(Visite du 14 mars 2013)