Les horaires sont respectés ! Le restaurant de Satillieu, « La Gentilhommière » a fait diligence, nous atteignons Saint-Félicien à 15 heures. M. Jean-Claude Chauvin, conseiller général et maire nous accueille ainsi que Jean-Claude Nicolas, président de l’association « Histoire et Patrimoine ». Il sera notre conférencier pour la visite de l’église.
L’église de Saint-Félicien est le seul vestige du prieuré fondé au Xe siècle par les moines de l’abbaye Saint-Pierre de Romans (la future collégiale Saint-Barnard). Il eut à subir très tôt les convoitises des seigneurs voisins. Dépouillé de tous ses biens par Adhémar, abbé de Saint-Jean et de Saint-Irénée à Lyon, l’église fut définitivement restituée en 1052. Léger, archevêque de Vienne et les chanoines de Saint-Barnard portant les reliques des saints Félicien, Exupère et Séverin ainsi que le corps de saint Barnard vinrent alors en cortège pour solenniser cette nouvelle prise de possession . Les chanoines percevront les revenus de cette « seigneurie ecclésiastique » jusqu’à la Révolution.
Saint Félicien, fils d’un citoyen illustre de Vienne (iie siècle) est légionnaire. Il se convertit au christianisme au cours d’un voyage à Rome et prêche l’évangile aux païens à son retour. Condamné à mort, il est décapité avec ses deux amis Exupère et Séverin.
L’église romane de Saint-Félicien, construite au xie siècle a été très remaniée, ce qui lui donne un certain déséquilibre et lui confère un charme évident. Il reste de l’époque de la construction le transept, le chœur et le chevet. Ils sont caractéristiques du premier art roman.
La croisée du transept est surmontée d’une
tour lanterne massive qui donne à l’église des allures
de forteresse.
La nef et le collatéral nord sont du xiie siècle,
les arcs brisés des travées s’appuient sur des supports carrés,
flanqués de colonnes engagées, surmontées de beaux chapiteaux
au décor végétal varié. Le côté sud
de la nef, le collatéral correspondant ainsi que les voûtes ont
probablement été reconstruits à la fin du Moyen Âge.
(Vandalisme des routiers pendant la guerre de Cent Ans ?).
La façade ouest a été remaniée au début du xviie siècle (destruction partielle due aux guerres de Religion ?).
Deux curieux chapiteaux très primitifs ont alors été encastrés aux deux extrémités de cette façade. Chacun est formé de deux têtes opposées en forme de Janus latin. L’un est en grès clair, l’autre en pierre volcanique noire. Sur ce dernier s’échappent de chaque bouche de petits animaux qui rampent jusqu’aux oreilles. On pense à l’évocation de l’éloquence à gauche et de la médisance à droite.
Fin xviie, de nouvelles transformations, pas toujours très
heureuses, sont entreprises (clocher roman surélevé, ouverture
d’arcs dans le chœur ou le transept par exemple).
En 1970-1971, l’association « Les amis de Saint-Félicien »,
présidée par Mlle Suzanne Tardy, entreprend une
restauration qui sera financée par des subventions, des dons et des concerts.
M. l’abbé Charay, conservateur des antiquités et objets d’art
du département de l’Ardèche, sera le conseiller de ce projet.
La partie la plus ancienne de l’édifice, du XIe siècle, était formée du chevet à trois absides semi-circulaires s’ouvrant sur un large transept voûté en berceau. Malheureusement les deux absidioles ont disparu, il n’en reste que les arcs de tête à double rouleau ; on remarque que ceux-ci sont surhaussés et légèrement outrepassés. |
Quatre puissants arcs en plein cintre à double rouleau qui prennent appui sur des piliers massifs encadrent la croisée du transept ; celle-ci est coiffée d’une coupole sur trompes. |
Les principales réalisations sont les suivantes :
Aucune trace de peintures anciennes n’a été découverte au cours de la restauration ; c’est une équipe de maçons locale qui a réalisé le travail sous la direction de l’architecte des monuments historiques, l’église étant inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 1982.
Du côté nord de la nef, les quatre arcs brisés s'appuyant sur des piliers carrés flanqués de colonnes engagées surmontées de beaux chapiteaux sont du XIIe siècle. |
En revanche, le côté sud a été refait, sans doute à la fin du Moyen-Âge, sans tenir compte de l'ordonnancement initial ;on y trouve seulement trois grandes arcades reposant sur des piliers prismatiques. |
Il s’agissait de faire revivre l’aventure de la première moitié du siècle dernier initiée par le poète Charles Forot. Le projet est soutenu par la municipalité, un groupe de travail se constitue. L’équipe composée de Jean-Claude Nicolas, président de l’association « Histoire et Patrimoine », de Dominique Dupraz, directeur des archives départementales de l’Ardèche, de Juliette Thiébaud, ancien conservateur du musée de Tournon, de Christian Caillet, restaurateur et collectionneur d’objets d’art, se met au travail avec enthousiasme.
Nous sommes accueillis à la Maison Clavière, propriété de la commune, où trois salles sont mises à notre disposition. Dominique Dupraz, auteur du livre « Archives de Charles Forot et du Pigeonnier » (Privas 1998) présente Charles Forot, l’homme et son œuvre ; un diaporama accompagne sa conférence.
Né à Saint-Félicien le 20 mai 1890, mort le 21 janvier 1973, Charles Forot aime son Vivarais natal. L’internat à Valence, puis à Annonay ne lui convient pas ; il écrit :
« Ô solitude ! un jour tu
vins
m’emprisonner dans un collège
m’arracher à monts et ravins
pour un destin que rien n’allège »
Il est atteint par le mal de Pott en 1907
et rechute en 1913. Il passe alors de longs moments dans sa maison du Pigeonnier,
construite par son arrière grand-père. Cela ne l’empêche
pas d’effectuer un séjour dans le Midi et un séjour de
neuf mois à Paris. Il s’inscrit à la Sorbonne, il s’ouvre à la
vie, aux idées, croise les premiers personnages qui le façonneront :
Ferdinand Albert, Moréas… Il s’intéresse à la
politique, rencontre Jourdan, député radical de la Lozère,
beau-frère de Mgr Battandier, ecclésiastique très
romain de tradition royaliste. Il écoute Marc Sangnier et Jean Jaurès,
suit les réunions de l’Action Française. Il devient à la
fin de la guerre de 14 - 18 un fidèle de Maurras.
En 1918, il rencontre Joseph Parnin, Gabriel Faure et Louis Pize,
René Fernandat, prêtre et poète, Jos, médecin et le
poète Jacques Reynaud. Il entre au comité de la « Revue
fédéraliste » dont l’objectif est la décentralisation.
C’est alors qu’il s’entend avec Marcel
Bechetoille, banquier à Annonay, pour lancer les « éditions
du Pigeonnier ». Le Pigeonnier s’épanouit entre les
deux guerres et devient lieu d’édition, de théâtre
et d’exposition.
Paul Valéry écrit : « Rien
ne me semble plus sympathique, plus sage, en somme plus digne d’envie que
le mode de vivre et de produire que s’est fait dans son Vivarais Charles
Forot. Il y compose à loisir de beaux vers ; il y ordonne des éditions
toutes pures, simples, aimables, et les destine aux amants de ces qualités.
Il imprime ce qu’il aime, il aime ce qu’il imprime. Il serait doux
d’être lui ».
Pour l’édition, il choisit les papiers, les caractères, la mise en page, les imprimeurs, les artistes.
Il crée « le théâtre du Pigeonnier ».
Jusqu’en 1939, des représentations seront données l’été dans
le jardin de la maison les deuxièmes samedis et dimanches d’août.
Il s’entoure de Jacques Reynaud et d’Henri Ghéon ; Jean
Chièze dessine les costumes, Guy de Lioncourt crée les décors
et la musique. On joue une pièce classique et une pièce à thème
local écrite par les amis du Pigeonnier (H. Ghéon, R. de Pampelonne).
« Ce que l’on aime au théâtre du
Pigeonnier, c’est, comme l’a dit Jacques Reynaud, qu’il
n’est pas un théâtre comme les autres, ni par son décor
naturel, ni par l’esprit qui anime la troupe. Il y a incontestablement
un « esprit pigeonnier » fait de simplicité et cordialité.
Et c’est parce que tous y mettent du cœur, de la jeunesse même,
que l’adhésion du public est acquise ».
Ses amis graveurs (Jean Chièze…) sculpteurs (Marcel Gimond…), peintres (Pierre Boncompain...), exposent. Il relance la poterie traditionnelle en faisant réaliser des maquettes par J. Chièze, A. Colonna ou Rose Seguin Bechetoille. Philippe Burnot et Jean Chièze se révèlent maîtres dans l’art de l’ex-libris.
La musique n’est pas oubliée avec Vincent d’Indy et Guy de Lioncourt. Pour être complet, la gastronomie est prétexte à l’édition de menus pour banquets, repas familiaux ou de restaurants.
Pendant une heure, Dominique Dupraz exposera toute la richesse culturelle
et intellectuelle de cette expérience hors du commun, nous donnant l’envie
d’en savoir plus. Il répondra aux questions des uns et des autres.
Le fond Forot est conservé aux archives départementales à Privas.
Tout ceci n’est qu’un résumé et on ne peut que renvoyer le lecteur aux deux livres déjà mentionnés : « Le Pigeonnier » de Michel Fromentoux et « Archives de Charles Forot et du Pigeonnier » de Dominique Dupraz.
Dans la salle d’exposition un travail
minutieux avait été accompli pour rassembler et exposer avec
goût des productions du Pigeonnier, coupures de journaux, plaquettes,
photos, almanachs, poteries, gravures, livrets, pièces de théâtre… et
le buste de Charles Forot, prêté par le musée de Tournon.
Les gens s’y attarderont longtemps, regrettant que l’exposition
ne puisse pas se prolonger davantage. Dans la dernière salle, la municipalité offrait un pot de départ avec les excellents
produits de la région, jus de pomme, vin, saucissons, fromages.
Le pot dit « de départ » n’était
en fait qu’une
remise en forme pour se rendre au « Pigeonnier » et
sur sa célèbre terrasse :
« La première maison à gauche
en venant de Saint-Victor. Une maison discrète, tournant le dos à la
route pour regarder en direction de la riante vallée… » (Michel
Fromentoux : Le Pigeonnier p. 38), mais ce n’est plus Charles
Forot avec « son sourire franc qu’illuminent des yeux pétillants, ardents,
une figure joviale » qui nous accueille. En janvier 1954, il vend
sa maison à son ami Henri Bernet, il se réserve la maison du fermier
et la magnanerie dont la propriétaire actuelle est madame Pézilla-Leydier,
nièce de Charles Forot.
Le Pigeonnier |
M. et Mme Henri Bernet, arrivés en début d’après
midi de Paris, nous accueillent avec beaucoup d’amitié sur la
terrasse, la maison est ouverte et permet d’entrer dans les pièces
du bas. Il n’est pas raisonnable de monter voir les fresques ; la
visite serait dangereuse en raison de la vétusté des parquets
et de l’escalier.
Mme Yves Pézilla-Leydier, arrivée elle
aussi depuis peu de temps, nous parle de son oncle, montre des photos et annonce
son intention d’ouvrir un site sur Internet.
La Société de Sauvegarde remercie tout particulièrement les nouveaux propriétaires, amis ou parente de Charles Forot d’être venus spécialement de Paris pour nous recevoir et compléter de façon exceptionnelle cette belle journée. Chacun est conscient du défi à relever. Comment sauvegarder un tel patrimoine, comment le faire découvrir ? Ce trésor unique mérite d’être connu d’un plus grand nombre et de se prolonger dans le temps !
Mireille d’Augustin
(Visite de la Sauvegare, mai 2008)