Ce matin-là, nous sommes une vingtaine de courageux à nous retrouver dans le paisible village de Vagnas balayé par un vent glacial. Nous sommes accueillis par MM. André Malignon, maire de la commune, et Paul Chauvel, secrétaire de l’association Vagnas, patrimoine et découverte. Notre équipe est renforcée par Mesdames Joëlle Tardieu et Joëlle Dupraz, archéologues qui ont dirigé de nombreux chantiers de fouilles en Ardèche, et œuvré, en particulier, sur le site du Monastier. Mais avant de rejoindre ce dernier, nous dégustons un bon café bien chaud.
Un premier arrêt au bord de la D579 au lieu-dit la
Pierre plantée au nord de Vagnas nous permet de découvrir
l’une des nombreuses bornes milliaires qui jalonnaient la voie romaine
dite voie des Helviens. Un nombre relativement important de ces milliaires
est parvenu jusqu’à nous et se trouve, soit sur le terrain,
soit dans des musées. Certains ont dû leur préservation
au fait qu’ils ont été ‘’christianisés’’ par
l’adjonction d’une croix.
C’est le cas de celui de Vagnas, inscrit à l’inventaire
supplémentaire des monuments historiques, numéroté XXXI
Sud et surmonté d’une croix depuis 1717. Il devait porter une
dédicace à Antonin le Pieux, empereur romain qui régna
de 138 à 161 et dont la famille était originaire de Nîmes.
L’inscription est devenue illisible. Cet arrêt est l’occasion
pour Joëlle Dupraz de nous rappeler l’importance de cette voie qui
reliait, à travers l’Helvie, les cités de Valence et de
Nîmes par le Teil, Alba, Saint-Jean-le-Centenier, St-Germain, Sauveplantade,
Saint-Maurice-d’Ardèche, Pradons, Ruoms, Salavas, Vagnas, Barjac,
pour ne citer que les principaux points. Trois kilomètres plus au sud
de l’endroit où nous nous trouvons, elle quittait l’Helvie
et pénétrait dans le pays des Volques arécomiques, au
lieu où a été trouvé le milliaire XXXIII Sud maintenant
au musée archéologique de Nîmes.
Reprenant nos voitures, nous empruntons un chemin quelque peu chaotique à travers bois et parvenons en quelques minutes à proximité du site du prieuré dont les ruines, en partie envahies par la végétation, ne sont pas très spectaculaires pour un œil non averti. Le site est isolé, en contrebas du chemin, mais il n’en a pas toujours été ainsi puisqu’une voie ancienne passait par là. Propriété privée jusqu’à ces dernières années, le terrain qui porte les vestiges a été acquis par la municipalité qui y attache beaucoup d’intérêt.
Dans les vestiges du Monastier avec Joëlle Dupraz, Joëlle Tardieu et Paul Chauvel |
On a toujours su qu’il y avait un prieuré en ce lieu dont la
mémoire était demeurée grâce à son toponyme « Le
Monastier ». Les premiers sondages réalisés
en 1941 par Urbain Thévenon, instituteur à Vagnas, révélèrent
l’existence d’une nécropole médiévale. Mais
les fouilles sérieuses ne débutèrent qu’en 1962
sous sa direction avec l’aide d’une association qu’il avait
créée, la SERAHV (Société d’Études
et de Recherches Archéologiques et Historiques de Vagnas.)
À son décès, elles furent poursuivies par le Dr Maurice
Laforgue. La dernière fouille eut lieu en 1979 et les vestiges furent
alors abandonnés. Ce travail avait permis de mettre au jour les restes
d’une église romane orientée qui était celle du prieuré,
dépendance de l’abbaye de Cruas, dont la fondation semble remonter
au xe siècle. Il révéla
aussi que le chevet roman reposait sur les murs d’un petit édifice
carolingien dont le sol se trouvait à 70 ou 80 cm au-dessous du sol roman.
De très nombreux éléments recueillis et placés dans le musée du village ont permis de formuler cette conclusion : éléments carolingiens semblant provenir d’un chancel, table d’autel dans la tradition carolingienne avec des signatures de certains abbés, de prieurs de Vagnas et des prieurés voisins qui étaient de passage, noms de moines, de personnages divers et variés, ce qui prouve la fréquentation du lieu à cette époque.
Il y a une dizaine d’années, Joëlle Tardieu, aidée par l’association Vagnas, Patrimoine et Découverte, a repris l’étude du Monastier. Dans une longue et intéressante introduction, elle aborde d’abord pour nous de nombreux domaines, ce dont nous ne pouvons malheureusement pas rendre compte dans le cadre de ce compte rendu (limites des cités antiques qui ont perduré dans celles des diocèses, puis des départements, rôle politique et économique des grandes abbayes, réforme grégorienne…)
La première mention de Vagnas dans les textes se situe vers 1100,
mais évidemment le prieuré existait déjà.
L'épitaphe du vicomte Maubert |
Joëlle Tardieu nous aide à nous repérer dans ces vestiges difficilement lisibles pour le profane, car les murs, à quelques exceptions près, sont complètement arasés. On y reconnaît une petite nef étroite de deux travées, un grand transept saillant, dont le bras nord a totalement disparu et le sanctuaire, ou chevet, pentagonal, très long, dont on remarque l’épaisseur inhabituelle des murs et qui reposait donc sur une construction antérieure.
C’est là qu’on a trouvé une pierre gravée portant l’épitaphe d’un certain vicomte Maubert sur laquelle on lit « j’ai fait construire en ce lieu vénérable un monastère en l’honneur du Christ et de la règle de saint Benoît […] j’ai fait tondre la chevelure de ma tête dans le monastère de Cruas […] » Lors de la découverte, l’étude de ces lignes et de leur graphie a fait attribuer ce texte au xe siècle. Mais J. Tardieu pense différemment. Tant par la manière dont il est rédigé que par l’emploi de certains termes, elle pense qu’il s’agit d’un faux du xie ou XIIe siècle réalisé par les moines de Cruas pour justifier de l’ancienneté de leurs attaches dans ce secteur stratégique. Elle s’appuie pour cela sur les travaux du père Amargier, dominicain, relatifs à l’abbaye Saint-Victor de Marseille.
Poursuivant l’examen du bâtiment, on observe, de part et d’autre du chevet, la trace de deux petites annexes latérales rectangulaires, formant absidioles, qui faisaient partie de la construction romane. Celle du sud est rehaussée et il y a trace à l’intérieur d’un escalier en colimaçon, ce qui laisse supposer qu’elle aurait pu servir de base à un clocher. M. Laforgue avait trouvé dans la nef un moule pour la coulée d’une cloche, un second a été trouvé par la suite. Pour J. Tardieu, l’existence d’un véritable clocher indique le développement d’une vie paroissiale, ce que confirme l’existence de fonts baptismaux dont on pense avoir reconnu l’emplacement, la cuve baptismale ayant été retrouvée et déposée au musée.
Une autre question se pose. Pourquoi les bâtiments conventuels étaient-ils au nord de l’église, et non au sud comme d’habitude ? En remarquant que l’église se trouve en bas de pente, sous le chemin, et que des portes de l’édifice roman ouvrant au sud ont été obturées, on peut imaginer qu’à l’époque dite « petit âge glaciaire » à la fin du Moyen-Âge, au cours de laquelle il y eut de nombreux éboulements et coulées de boue, la partie sud du monastère a pu être ensevelie. Seule l’église, partie sacrée, aurait été protégée, donc conservée. Par la suite, les bâtiments se sont redéployés au nord.
Les vestiges de l'église en regardant vers l'est |
Vestiges du mur sud de la nef qui, d'après les études de J. Tardieu, pourraient être ceux d'un mausolée antique |
Mmes Dupraz et Tardieu nous expliquent qu’elles ont repris l’étude du Monastier, sans procéder à de nouvelles fouilles, mais en reprenant l’étude des structures déjà mises au jour par de nouvelles techniques. Il s’agit d’un relevé très précis des dimensions des pierres, de leur forme, de l’épaisseur des joints, d’une étude des enduits, des mortiers. Cette étude a été réalisée en particulier sur le mur sud de la nef, dont la hauteur est encore de deux ou trois mètres. Il est formé, contrairement au reste de l’édifice, de très grands blocs de calcaire, aux joints très fins, parfois montés à la scie et qui, visiblement, sont dans leur état d’origine, n’ont jamais été déplacés.
Il s’agit d’une technique de construction très ancienne,
ce qui a conduit nos archéologues à se demander si l’on
ne se trouvait pas devant un monument antique. Ce pourrait avoir été un
mausolée, monument funéraire abandonné qui aurait
pu servir de noyau à l’édifice roman. Le fait qu’il
y ait eu ici un tel monument corroborerait l’hypothèse déjà formulée
que le prieuré de Vagnas se serait installé sur le site
d’une ancienne villa romaine. Mais celle-ci n’a pas été localisée.
Peut-être sous la vigne ?
Le lavoir des moines |
Maintenant nous suivons Paul Chauvel sur un sentier
s’enfonçant dans la végétation, nous découvrons
bientôt un joli lavoir alimenté par une source d’où jaillit
une eau limpide, la source près de laquelle des hommes se sont
installés dès l’antiquité.
Longtemps délaissé, ce lavoir a été superbement restauré il
y a quelques années. De là, toujours guidés par Paul Chauvel,
nous parcourons sur plusieurs centaines de mètres une portion de la voie
romaine des Helviens qui, venant de Salavas, gagnait Vagnas par le Gour d’Estelle
et le Monastier. Un autre embranchement situé plus à l’est,
rejoignait Vagnas par Champagnac.
Mais l’heure du repas étant venue, nous regagnons le village et nous nous installons dans la Maison pour Tous, aimablement mise à notre disposition. C’est, en fait, l’ancienne église de Vagnas construite entre le xiie et le xive siècle, désaffectée en 1882 et amputée de son clocher.
Au cœur du village, dans une maison ancienne se trouve le petit musée agréablement aménagé, selon l’expression de Robert Saint-Jean, qui retrace la vie du village depuis la Préhistoire. Là sont exposés les nombreux vestiges trouvés sur le site du prieuré, ainsi que des outils et objets de parement préhistoriques. Écoutant les explications de Paul Chauvel qui répond patiemment à nos nombreuses questions, nous pouvons voir des poteries de la nécropole, la cuve baptismale, la cruchette d’un pèlerin, une table d’autel brisée et gravée de graffiti de dévotion, le sarcophage supposé être celui du vicomte Maubert ainsi que sa pierre épitaphe, deux chapiteaux sculptés, une curieuse pierre gravée d’un étrange dessin, le lion sculpté symétrique de celui inséré dans le portail d’une maison de Vagnas, le moule de la cloche reconstitué, des monnaies, de nombreux autres objets, on ne peut les citer tous. Une vitrine est consacrée à la sériciculture qui fit vivre le pays en son temps, une autre à la mine de lignite et de schiste bitumineux épisodiquement exploitée au xixe et au xxe siècle et fermée définitivement depuis soixante ans.
Fragments de chancel |
Paul Chauvel nous guide ensuite dans le village aux maisons caractéristiques de l’époque de la sériciculture ; autour de la place, certaines constructions dateraient du xiiie siècle. Il nous fait remarquer, remployées dans les murs de l’ancienne église et du château, des pierres provenant du Monastier. Le château, construit au xive siècle, a été profondément remanié au cours des siècles suivants par l’ouverture de nouvelles fenêtres et la construction d’un étage supplémentaire au xixe siècle, d’où son aspect hétéroclite. La journée se termine par la visite de la nouvelle église construite en 1882.
Nous devons remercier M. le Maire et Paul Chauvel d’avoir bien voulu nous accompagner et nous servir de guides pendant cette journée enrichissante. Merci également à Mesdames Tardieu et Dupraz d’avoir bien voulu consacrer une partie de leur temps à cette sortie.
Nous recommandons au lecteur qui n’aurait pu se joindre à nous, la visite de Vagnas et de son musée où il sera chaleureusement reçu par Paul Chauvel, et de faire l’acquisition de la très intéressante et très documentée brochure Le temps de Vagnas dont il est l’auteur.
J.-P. Huyon, M. et P. Bousquet
(Visite de la Sauvegarde février 2007)