À Valvignères, seulement une placette, entre l'ancien presbytère, l'église et la mairie, une modeste tombe au centre du cimetière, rappellent le souvenir de l'abbé Arnaud disparu le 7 janvier 1971, il y a bientôt 47 ans. Et pourtant... son œuvre d'historien, d'archéologue, de restaurateur de chapelles, pérennise sa mémoire bien au-delà du petit village helvien.
Pierre Arnaud est né le 11 août 1905 à Saint-Félicien où
son père était médecin. Après ses études au séminaire de
Viviers, il fut ordonné prêtre en 1931. D'abord vicaire à
La Voulte et au Cheylard, il fut nommé en 1935 curé de
Valvignères où il demeura toute sa vie. Son profond
attachement à sa paroisse et à ses paroissiens explique
qu'il dût, à plusieurs reprises, supplier son évêque de ne
pas l'éloigner de Valvignères.
C'était un personnage familier, emblématique, devenu
légendaire. Les Valvignérois (les moins de 60 ans ne
peuvent pas connaître !) n'oublient pas sa silhouette
avançant d'un bon pas sur les chemins, en soutane, avec
son chapeau à large bord légèrement relevé sur les côtés
et la canne à la main. Infatigable marcheur, il connaissait
le moindre sentier, cherchant ici et là une trace d'un
lointain passé, un morceau de tegula, une vieille pierre,
une inscription…
Il vivait très modestement dans le presbytère jouxtant l'église
avec pour tout chauffage une vieille cheminée où crépitaient
en hiver quelques souches de vigne, quelques
branches de mûrier. On se souvient encore de son bureau
aux murs tapissés de gravures et de photos. Les deux fenêtres
donnant sur la place laissaient deviner, tard le soir, à
la lumière de la lampe, le savant penché sur les documents
qui envahissaient sa table. Dans sa bibliothèque, pièce à
côté du bureau, régnait un désordre que seul lui-même
comprenait, capable de trouver très rapidement le livre
recherché. Les étagères débordaient, et l'on circulait difficilement
entre les piles de livres posées au sol. Il
possédait sans doute à l'époque une des plus riches
bibliothèques d'histoire locale et d'histoire romaine.
Il nourrissait, en
effet, une fervente
passion pour
l'histoire ancienne
et organisait
chaque année un
voyage en Italie,
de préférence à
Rome où il
emmenait, avec
d'autres
Ardéchois, les
jeunes de
Valvignères. Sur
les sites antiques,
nul besoin de
guide, nous suivions
ses explications
avec un
grand intérêt... et
la passion se communiquait...
« Terrarum dea gentiumque, Roma,
Qui par est nihil et nihil secundum. »
Combien de fois avons-nous entendu cette citation du
poète latin Martial1 ?
L'abbé Arnaud partagea très vite l'amour de la terre avec
les vignerons. À la période des vendanges, il prenait
souvent le chemin de la cave coopérative qu'il avait vu
construire en 1952, d'abord parce qu'il aimait le parfum
qui s'en dégageait, mais aussi pour s'informer sur la
qualité de la récolte. Enfin, c'est entouré de la jeunesse
qu'on le voyait le plus heureux. Il aimait leur gaieté, leur
spontanéité et riait de leurs plaisanteries. Le prêtre historien
sollicitait souvent l'un ou l'autre d'entre-eux,
muni récemment de son permis de conduire, pour le
véhiculer jusqu'aux Archives départementales.
C'est de ce territoire au cœur de l'Helvie qu'est née son
œuvre d'historien. Après plus de 25 ans penché sur l'étude
de documents d'archives et d'observation sur le terrain, le
chercheur scrupuleux publia en 1963 Valvignères en
Helvie, une monographie monumentale qui a fait l'objet
d'un reprint en 1989. La même année, était édité Mélas et
ses alentours. 1966 fut l'année de publication du
remarquable ouvrage Les voies romaines en Helvie, fruit
de longues et minutieuses investigations. Enfin, en ce rude
hiver 1971 où la maladie l'a emporté, son Armorial du
château d'Alba était en
projet d'édition ; préfacé par
Yves et Nicole Esquieu, le
magnifique livre verra le
jour en 1974. Par contre, sa
disparition laissa inachevée
une monographie sur le
village de Saint-Thomé. Le
manuscrit ne fut jamais édité. À son travail
d'historien s'ajoutent de
nombreux articles écrits
pour la Revue du Vivarais.
Même à table, l'abbé Arnaud continuait ses exposés... |
Sa passion pour les
antiquités gallo-romaines
l'amena à joindre ses
compétences à celles de Franck Delarbre, l'archéologue historien
d'Alba-la-Romaine, pour persuader les autorités
de l'importance des vestiges sous les vignes. En 1964
débutèrent les premières fouilles organisées, avec le
professeur Leglay et sa joyeuse équipe d'étudiants lyonnais
qui allaient devenir les amis de l'abbé Arnaud, en
particulier Roger Lauxerois et Yves Esquieu. Son dernier
ouvrage leur fut dédié :« Aux fouilleurs d'Alba,
maîtres et élèves,
cadres et apprentis.
Après avoir fait revivre
parmi les ronces et la
poussière le passé de
notre antique Alba des
Helviens, dans
l'enthousiasme de l'été,
vous avez pris maintes
fois le chemin de ma
volontaire solitude.
Aussi dans le calme de
Valvignères et la brume
de l'hiver, l'oubli
n'altère pas votre
souvenir. »
En ces années glorieuses d'Alba, on le voyait parcourir,
toujours la canne à la main, les huit kilomètres qui
séparaient Valvignères du chantier des fouilles. Et, après le
décès accidentel de Franck Delarbre en 1965, il fut le seul
guide auprès des visiteurs du site archéologique.
Clocher de Valvignères |
Membre du bureau de la Société de Sauvegarde des
Monuments anciens de l'Ardèche, il s'intéressa
particulièrement aux vieilles chapelles abandonnées qui
menaçaient ruine. Il se fit l'instigateur de leur restauration,
réussissant, grâce à de nombreux mécènes, à recueillir en de
courts délais les crédits nécessaires aux travaux. La chapelle
Saint-Blaise de Gras, la chapelle de La Roche d'Alba et Saint-André de Mitroys à Saint-Montan doivent leur survie et leur
beauté à son dynamisme et à sa ténacité.
La chapelle Saint-Blaise,
dont la restauration fut
inaugurée en 1964,
monument plein de charme
avec ses lignes
harmonieuses et sa
couverture de dalles
calcaires, était sa préférée.
Chaque année en septembre
il invitait toute la jeunesse
de Valvignères à
l'accompagner à Gras pour
célébrer dans la chapelle
une messe qui était suivie
d'un repas au restaurant
dans les Gorges de
l'Ardèche.
Sa « volontaire solitude » dans un petit village ne fut ni un
isolement ni un repli, bien au contraire, sa vie fut riche de
relations et son œuvre eut un rayonnement bien au-delà
du département, lui valant de nombreux prix littéraires
ainsi qu'une distinction dont il était particulièrement fier :
les insignes de chevalier des Arts et des Lettres qu'il reçut
des mains de M. André Chamson sur le chantier des
fouilles d'Alba, le 29 mai 1967.
Selon ses vœux, sa riche documentation et sa bibliothèque
ont été versées aux Archives départementales de l'Ardèche
où elles constituent le « Fonds Arnaud ». Fonds qui
mériterait une étude exhaustive, mais cela reste à faire !
Marie-Jo Volle
Vice-présidente déléguée
de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent
1- Valerius Martialis (40-104 après JC) poète épigrammiste. Les vers
sont extraits de Éloge à Trajan :
« Déesse des continents et des nations, Ô Rome que rien n'égale et
dont rien n'approche. »
Cette citation que l'Abbé Arnaud aimait proclamer sur le forum,
exprimait son amour pour Rome. Y avait-il aussi un côté spirituel dans
cette déclaration ? C'est fort possible !
Chapelle Saint-Blaise |
Le reprint de Valvignères en Helvie est en vente auprès de
l'Association Valvignères en Helvie, mairie de Valvignères
07210. Prix: 35 € + 5 € de frais de port.
Quelques ouvrages de Franck Delarbre sont encore en vente au prix de 50 € chez Marie-Jo Volle, BP 15, 07210 Chomérac,
chèque à l'ordre de Jean-François Delarbre.