Le patrimoine religieux, essentiellement catholique, est en France un élément important du patrimoine bâti. Il inclut aussi de nombreux objets d’art, ce qui a permis de le qualifier de plus grand musée d’art de France. Or, pour diverses raisons, il est actuellement en grand péril. En novembre 2015, un colloque, Patrimoine cultuel, patrimoine culturel – Conserver, restaurer, valoriser… reconvertir ?, s’était tenu à Lyon, organisé par plusieurs associations consacrées au patrimoine avec le support technique de Patrimoine rhônalpin (devenu, depuis la fusion des régions, Patrimoine aurhalpin). Il faisait le point sur les différents problèmes qui se posaient, comme l’indique son titre. Un compte rendu, signé par Pierre Court, en a paru dans Patrimoine d’Ardèche n° 38 d’avril 2016. Et, il y a peu, un autre colloque organisé par la Conférence des évêques de France s’est penché sur le devenir des édifices catholiques en déshérence. Trois articles parus récemment dans Le Figaro tirent la sonnette d’alarme1.
Parmi les problèmes rencontrés, on pointe d’abord un
phénomène assez récent, le vandalisme. Pendant
longtemps, les édifices religieux étaient à l’abri de ces
excès. Un attachement religieux les en protégeait. Tel
n’est plus le cas. On en voit régulièrement de tristes
exemples. Il n’y a guère, un autel classé du xvie siècle était détruit par le feu dans l’église Saint-Louis de
Fontainebleau. Beaucoup plus récemment, pendant la
période de Noël, une crèche était incendiée.
Les vols sont une autre cause de souci. La valeur
commerciale de nombreux objets d’art, statues, tableaux,
mobilier, contenus dans les lieux de culte attire bien évidemment les voleurs. Il se trouve que, dans bien des
cas, ils ne sont aucunement protégés et laissés facilement
accessibles à des mains malhonnêtes. Je me souviens
d’une visite que j’ai faite il y a quelques années avec le
Conservateur des Antiquités et Objets d’Art de l’Ardèche
dans plusieurs églises que je ne nommerai pas et de sa
stupeur de voir des objets parfois de grande valeur aussi
faciles à emporter.
Vandalisme et vols font que l’on trouve maintenant porte
close à beaucoup d’églises. Je me souviens de ma
jeunesse, ce temps est loin, où l’on pouvait pénétrer
dans toutes les églises, de jour comme de nuit. Ces temps
sont révolus et ces lieux de prière qui devraient être
ouverts à tous, sont assez souvent aussi fermés que des
prisons. Pour les visiter, il faut user de patience pour
trouver la secrétaire de mairie ou le paroissien, souvent âgé, qui en détient la clé. Encore faut-il parfois
parlementer pour prouver sa bonne foi. La question se
pose également pour les temples de la communauté
protestante.
Pendant quelques années, il y eut aussi parfois, par souci
d’un plus grand dépouillement du décor des églises,
l’élimination d’éléments du patrimoine mobilier, à vrai
dire pas toujours en très bon état. Dans mon village, une
belle chaire ancienne en noyer sculpté disparut. Elle
aurait été brûlée parce que vermoulue, m’a-t-on dit. Il est
vrai qu’elle avait perdu de son utilité puisque le curé n’y
montait plus pour ses prêches.
Mais le problème le plus sérieux est une conséquence de
la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État,
qui donnait la propriété des biens paroissiaux aux
communes. Celles-ci, en tant que propriétaires, sont
tenues d’assurer l’entretien et la conservation des lieux
de culte. Or, cela a un coût, parfois très important,
pouvant dans certains cas représenter une année du
budget municipal. Naguère, la majorité de la population,
restée pratiquante, pesait sur les décisions des édiles et
la communauté catholique pouvait se féliciter de n’avoir
plus cette charge. Tel n’est plus le cas de nos jours avec
la désaffection des lieux de culte qui sont souvent dans
un triste état de délabrement. À Paris, à l’église de La
Trinité, des pierres de la façade se détachent au point
qu’il a fallu y poser un panneau d’alerte. À Saint-Philippe-du-Roule, des infiltrations de pluie ont amené à
installer un toit artificiel depuis 4 ans. (cf. article de
Claire Bommelaer). « La nef de Saint-Roch est devenue
dangereuse, les fresques de Sainte-Clotilde s’effritent. »
(A. Goetz)
Les mairies sont tentées de se débarrasser de ces édifices
coûteux, souvent désertés. Comme l’écrit A. Goetz dans
son article : « Une église sans prêtres ni fidèles est une église qu’on va pouvoir démolir sans bruit. »
Les exemples sont nombreux. On cite l’église Saint-Jacques d’Abbeville, celle de Gesté dans le Maine-et-Loire.
Parfois, l’alibi pour ces destructions est d’ordre économique. Un cloître a été abattu à Caen pour
permettre une opération immobilière. Ailleurs, ce sera
pour aménager un parking.
L'abbaye de Mazan à la fin du xixe siècle, avant même le dynamitage de sa voûte (1905), avait déjà largement servi de carrière de pierres. |
Ces problèmes ne sont pas récents. Nous avons tous en
mémoire le dynamitage de l’église de l’abbaye cistercienne
de Mazan dont une partie des pierres a servi entre autres à l’édification de l’église paroissiale. Plus près de nous, la
ferme monastique de Clastre à Sainte-Eulalie a été à deux
doigts d’être abattue pour céder la place à divers aménagements
au cœur du village
et n’a été sauvée que
par une vigoureuse action,
fortement soutenue par
notre Société, qui a
conduit à son classement
comme monument historique.
Les bâtiments protégés,
comme leur nom l’indique,
sont en effet, en
théorie, à l’abri de ces
dégradations. En outre,
lorsque des travaux sont
nécessaires, ils peuvent
bénéficier d’aides de l’État
et des départements.
Qu’en est-il des autres ?
Les communes peuvent voir leurs dépenses allégées grâce à diverses associations, Société de Sauvegarde des
Monuments anciens, Fondation du Patrimoine, Vieilles
Maisons Françaises, Maisons paysannes de France,
Patrimoine aurhalpin, Fondation du Crédit Agricole…, qui
leur apportent des subventions, les aident à lancer des
souscriptions ou leur donnent des prix.
Et en Ardèche ? Je crois que nous pouvons être fiers de
l’action menée par notre Société de Sauvegarde grâce à
nos fonds propres (vos cotisations) et au soutien du
Conseil départemental. Un bilan établi à l’occasion de
notre soixantième anniversaire montre que, à la date du
31 décembre 2014, sur les 216 édifices sur lesquels nous
sommes intervenus au cours de ces 60 années et parfois
pour certains à plusieurs reprises au fil des ans, 134 étaient des édifices religieux : 57 églises, 38 chapelles,
6 temples réformés, 5 monastères et dépendances,
11 édifices divers (séminaire, presbytères, calvaires,
oratoires, sanctuaires, campo santo) et 17 étaient des
objets de patrimoine mobilier.
Des décisions récentes complètent le dispositif existant
sans s'y substituer. Le Conseil départemental vient en effet
de créer un Fonds innovant en faveur des Patrimoines
ardéchois.
Les domaines qui en seront prioritairement bénéficiaires
sont les constructions en pierre sèche, le patrimoine
hydraulique, les fermes traditionnelles et le patrimoine
industriel. Ces thèmes sont certes d'un grand intérêt et la
Société de Sauvegarde y a toujours été sensible. Nombre
de nos actions en portent témoignage. Mais le patrimoine
religieux n'en est pas exclu. « Ainsi les chapelles pourront
tout à fait être examinées au titre de ce fonds », comme
nous le confirme par écrit le président du conseil
départemental Hervé Saulignac.
La question qui se pose alors est de savoir quel peut être
le devenir des édifices cultuels. Il est bien connu que restaurer
pour restaurer,
sans projection dans l’avenir
est illusoire et
qu’un monument laissé à
l’abandon après restauration
est condamné à
terme.
Pour ceux encore
affectés au culte, la
question ne devrait pas
se poser. Cependant, la
désaffection que j’ai
mentionnée plus haut
peut néanmoins
présenter un danger.
Comme beaucoup d'édifices cultuels, l'ancienne église San Samonta à Saint-Montan sert de cadre à des expositions. |
Aussi, beaucoup
d’églises accueillent
maintenant, sous réserve
d’avoir l’accord du
prêtre affectataire, des manifestations culturelles,
essentiellement des concerts, mais aussi des expositions
ou des conférences.
Il en est de même pour les autres. Cependant, cela ne peut être fait que dans certaines limites. En effet, comme l’a dit
un architecte du Patrimoine, « un lieu de culte, même
désacralisé, est profondément marqué par sa fonction
initiale, par son histoire, sa symbolique dans le village. »
Mais beaucoup de ces édifices n’échapperont à la démolition
qu’en subissant une reconversion totale. Ce fut l’objet
du colloque mentionné en avant-propos. Dans son article,
Stéphane Kovacs écrit : « En moyenne, selon
l’Observatoire du patrimoine religieux, 20 églises sont
vendues, puis transformées chaque année en France. »
Elle décrit ensuite ce qu’a fait un compagnon couvreur qui
a racheté pour une somme modique l’église Saint-Louis à
Tourcoing. Elle était en ruine, les voûtes effondrées depuis
2001. Il en a fait son logement et son atelier. Il a créé une « entreprise sociale et solidaire » et ses projets, actuellement
en cours, comportent, outre concerts, spectacles et
expositions, une micro-brasserie, un « café culturel », des
ateliers de métiers d’art et même des chambres d’hôte. Il
s’est engagé dans un autre sauvetage, celui de l’église
Saint-Gérard à Wattrelos qui abriterait « une cité artisanale
des métiers de rénovation du patrimoine ».
Un autre exemple récent est celui de l’abbaye de
Penthemont à Paris. Déjà affectée depuis 1915 au
ministère des Anciens Combattants, elle va être réhabilitée
en hôtel de luxe pour partie
et en bureaux à l’exception
de l’ancienne chapelle
transformée en temple
protestant.
D’autres sont devenues des
mosquées. Ceci pose la
question de savoir jusqu’où
on peut aller dans ces
projets de reconversion.
Stéphane Kovacs cite Peter
Maenhout, adjoint à la
culture à Tourcoing :
« Dans un quartier, une église c’est un phare, un
repère. Tout ce qui permet
de conserver l’enveloppe
architecturale est bienvenu. »
Cela justifie-t-il l’installation de friterie ou de fast-food ?
On a connu de tels projets qui ont été heureusement
abandonnés.
L'ancienne église N.-D. de Prévenchères à Montpezat est l'objet de travaux de restauration avec notamment le concours de la Sauvegarde |
Que faut-il retenir de tout cela ? Que, chez nous en
Ardèche, nous n’en sommes pas à ces extrémités. Toutes
nos églises sont encore préservées, même celles qui ne
sont plus affectées au culte
comme Notre-Dame de
Prévenchères à Montpezat
ou l’ancienne église romane
de Balazuc. Je pense que le
crédit doit en revenir, au
moins en partie, à l’action
de notre Société de
Sauvegarde.
Je crois que nous pouvons
en tirer une juste fierté. Mais
beaucoup reste à faire. Il est
indispensable de continuer à
mener une vigoureuse action
auprès des élus et des
communautés de fidèles
pour leur faire prendre
conscience de la valeur
patrimoniale des biens
cultuels et ceci quelles que soient nos croyances ou nos
opinions. Il en va de la préservation de ce qui fut la vie de
nos ancêtres. C’est à quoi nous continuerons à nous attacher avec votre soutien.
1- Les églises de France en danger, article de Adrien Goetz, Le Figaro,
18 janvier 2016.
- Délaissées par les fidèles, les églises se métamorphosent, article de
Stéphane Kovacs, Le Figaro, 10 mars 2017.
- À l’extérieur, chutes de pierres, bâches et échafaudages, article de
Claire Bommelaer, Le Figaro, 3 avril 2017.
Guy Delubac
Article paru dans Patrimoine d'Ardèche, n° 43, juillet 2017