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LA RÉVOLTE DU ROURE (1670)

Qui était Anthoine du Roure?

La famille Roure habitait Chasternac. Paysans aisés, les aïeux achetèrent des terres et des charges. Le petit fief noble de la Rande, à Saint-Sernin, les anoblit. Ils firent des mariages flatteurs : le grand-père d'Anthoine, Olivier, épousa Marguerite Tardieu. Celle-ci était la sœur du juge de Villeneuve, qui rendait la justice au nom du roi et la fille ou la petite fille, je ne sais pas, de Jean Tardieu qui, au début du XVIIe siècle, rendait la justice à La Chapelle pour le seigneur. Il habitait la maison au fond de la place, vers la porte, actuellement occupée par le docteur Jourdan. Son père, Guillaume, épousa Anne Mollier de Gran Val de Balazuc et lui-même se maria, en 1664, avec Isabeau Gout de Vissac de Jaujac.
On constate donc, contrairement à ce que certains historiens ont voulu faire croire, que c'était un notable riche (il disposait de 10 000 écus de biens) et bien apparenté. Il avait trois enfants : deux filles, dont la dernière était née en 1669 (un an avant la révolte) et un fils qui étudiait chez les jésuites à Aubenas.
Jeune, Anthoine du Roure avait servi dans l'armée du roi, en Flandres et en Roussillon, comme capitaine des milices. C'était un homme bon, généreux, instruit, bon catholique, touché par la misère des paysans.
Je ne sais pas quel était son âge au moment de la révolte, en 1670, mais, sa femme étant née aux environs de 1627, on peut penser qu'il avait entre quarante et cinquante ans.

Lachapelle-sous-Aubenas

Lachapelle-sous-Aubenas

Pourquoi cette révolte ?

Depuis dix ans le pays n'était plus en guerre, mais il n'était pas pour autant prospère. Le roi avait toujours de pressants besoins d'argent, les impôts étaient de plus en plus lourds et les collecteurs sans pitié.
L'hiver 1669-70 fut des plus rigoureux, il détruisit tous les oliviers depuis Montpellier jusqu' à Aubenas. Le printemps fut froid avec de violents orages de grêle. L'impôt augmentait, mais les prix du vin et du blé baissaient. Les paysans étaient dans une misère effroyable.

C'est dans ce contexte que, fin avril 1670, une rumeur circula : un nouvel édit allait paraître, écrasant pour le peuple. Une taxe frapperait les familles nombreuses, par exemple, elles devraient payer dix livres pour la naissance d'un garçon (l'équivalent de trois semaines de salaire pour un manœuvre), cinq pour celle d'une fille, cinq pour un habit...

Les paysans étaient exaspérés et, sur ces entrefaites, arriva à Aubenas, le 30 avril 1670, Barthélemy Casse qui venait de Béziers. Il placarda des affiches concernant la levée de l'impôt sur les auberges, sans rapport avec ce qui était propagé par la rumeur.
Les albenassiens pensèrent qu’il s'agissait de l'édit en question. Ce furent les femmes du quartier Saint-Antoine qui réagirent en premier en prenant à partie ce pauvre M. Casse. Celui-ci fut secouru par les soldats du château. L'agitation continua.
Le tocsin sonna à Ailhon, Mercuer, Prades, Jaujac, Meyras, Vals, Saint-Julien-du-Serre, Vesseaux, Saint-Privat, Saint-Étienne-de-Fontbellon, Saint-Sernin, La Chapelle, Lavilledieu, Vogüé, Saint-Germain.
Des bandes de paysans armés de faux, de fourches, de quelques mousquets, menacèrent les notables, notaires, prêteurs, nobles. Une bande venue de la région de Valgorge vint jusqu'à Vinezac. À Joyeuse, ce furent trois à quatre mille paysans qui dévalisèrent les commerçants, mille personnes saccagèrent des maisons à Largentière.
Ces bandes se regroupèrent, il leur fallait un chef. Anthoine du Roure fut choisi car c'était un ancien capitaine. Le 14 mai 1670, on l'invita à prendre la tête de la rébellion, mais il hésita. Un berger, nommé Laroze, l'accusa de lâcheté et l'aurait même giflé. Il finit par accepter et mit à son chapeau un ruban bleu, signe de reconnaissance des mutins. Il devint Jacques Roure.

Lachapelle-sous-Aubenas - Intérieur de la porte d'entrée des fortifications

Pendant ce temps, le gouverneur du Languedoc, prévenu par les notables d'Aubenas, envoya des troupes en Vivarais. Le 15 mai elles étaient à Bourg-Saint-Andéol. Roure, à la tête de six mille hommes, marcha sur Villeneuve par l'Échelette. (La route actuelle n'existait pas.) Il faut savoir qu'à cette époque Villeneuve était plus importante qu'Aubenas car elle était le siège du pouvoir royal.
Le 23 mai, Roure, avec son armée qui comptait maintenant sept à huit mille hommes, s'installa, par force, aux portes de Villeneuve, à Tournon. Roure et ses soldats qui avaient toute confiance dans les nobles de la région et dans le roi pensaient que si ce dernier était au courant de leur misère, il réagirait en faveur du peuple.
La médiation du comte de Vogüé amena une trêve de quinze jours et redonna l'espoir, mais Louis XIV refusa son pardon et exigea que ses édits fussent respectés.
Les partisans de Roure reprirent leurs armes (fourches, faux, bâtons). Roure avec 12 000 hommes prit Aubcnas et fit le siège du château, puis, avec deux mille hommes, repartit sur Villeneuve. Il prit position à Lavilledieu, entre l'Auzon et le village.
Pendant ce temps l'armée royale, composée de troupes d'élite - mousquetaires, Maison du roi, gardes françaises, six régiments de dragons et de cavaliers, quatre cents Suisses- en tout mille cinq cents à mille six cents cavaliers et trois mille hommes à pied, arrivait au Pradel à Villeneuve. Elle attaqua l'armée de Roure.
Ce fut une véritable boucherie, les cavaliers poursuivaient les insurgés qui essayaient de se cacher derrière les rochers et les broussailles. Les paysans n'avaient aucune chance devant un tel déploiement de force. Après la bataille, ceux qui n'avaient pas été tués étaient tellement terrorisés que, quelques temps après, on les retrouvait cachés dans les bois.
Roure s'échappa et se rendit à La Chapelle où il tua de trois coups de baïonnette son voisin, Pierre Lissignol, notaire, âgé de soixante-quinze ans. Ce notaire ne devait pas être en odeur de sainteté car il avait déjà été attaqué avant la révolte et il ne fut enterré qu'un an plus tard au cimetière de La Chapelle, par le curé. Le lendemain l'armée royale entra à Aubenas.

La répression

La répression fut effroyable. Les soldats quadrillèrent la région et pillèrent des villages entiers. Bestiaux, foin, denrées, meubles, tout était enlevé, les hameaux brûlés et tous les gens qu'on trouvait armés étaient passés par l'épée. Les murailles de La Chapelle et de Lavilledieu furent ouvertes en divers endroits. Les prisons d'Aubenas et de Villeneuve s'emplirent. Les condamnés furent exécutés tout de suite : pendus, roués, fouettés, bannis, condamnés aux galères.
Le 25 juillet 1670, six cents personnes perdirent la vie et quatre cents furent envoyées aux galères. À Villeneuve, les procès se poursuivaient, des condamnés étaient roués, attachés aux solives en forme de X, ils étaient frappés à coups de barres de fer jusqu'à ce que tous leurs os soient brisés, puis, suspendus à une roue horizontale, les talons touchant la tête, ils étaient exposés au public, en guise d'exemples.

Anthoine Du Roure, toujours en fuite, se dirigea d'abord vers Versailles pour expliquer au roi ce qui s'était passé, on l'en dissuada. Il fuit alors vers l'Espagne. Dénoncé, il fut arrêté à Saint-Jean-Pied-de-Port dans les Pyrénées.
Jugé à Montpellier, il fut condamné à être roué vif en octobre 1670. Sa tête fut exposée pendant quatre jours à Aubenas, au-dessus du portail Saint-Antoine. Sa maison devait être détruite, ses terres vendues et sa famille bannie. La sentence ne fut (semble-il) pas entièrement exécutée.

Le 30 août 1670, une lettre de Louis XIV apporta son pardon. En étaient exclus les meneurs et les cinq communautés accusées d'avoir aidé les révoltés : La Chapelle, Aubenas, Ailhon, Vogüé, Lavilledieu.

Outre le paiement des frais de procès, les communautés paieront des amendes. Elles ne sont pas proportionnelles au nombre d'habitants. C'est La Chapelle qui paiera le plus, à proportion sept fois et demie plus qu'Aubenas et Ailhon, quatre fois plus que Lavilledieu, trois fois plus que Vogüé.
Les clochers de La Chapelle, Vogüé et Ailhon furent écimés. Lavilledieu et Aubenas furent épargnés par une grâce particulière du Roi.

Que devint la famille Roure après la Révolte ?

Lachapelle-sous-Aubenas : Ancienne
              maison de Jean Balazuc, gendre d'Anthoine du Roure

Ancienne maison de Jean Balazuc, gendre d'Anthoine du Roure, actuellement mairie de Lachapelle

Il semble qu'au bout de vingt ans, les esprits s'étant apaisés, la famille Roure put reprendre sa vie comme avant la Révolte. Marie Roure redevint Marie du Roure et Isabeau de Vissac redevint Isabeau de Vissac Roure. En 1682, elle acheta des terres et des maisons à La Chapelle. Elle mourut à l'âge de quatre-vingts ans ; on l'enterra dans l'église, dans sa chapelle, sous le vocable de Saint-Joseph.
Louis, le fils de Marie Roure et de Jean-Louis Balazuc eut douze enfants dont trois se marièrent dans le village et eurent à leur tour beaucoup d'enfants qui eux-mêmes se marieront principalement dans le village et auront des enfants...Ce qui fait que la plupart, pour ne pas dire la totalité, des gens originaires de longue date de La Chapelle ont un peu du sang d'Anthoine du Roure dans les veines.

Michelle Pouzache

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