On ne peut dissocier Charles Forot et le Pigeonnier. Charles Forot s'est ouvert à la vie et à l'amour de son pays en s'enracinant dans cette propriété familiale qui lui venait du côté de son arrière-grand-mère maternelle. Il y est né, il s'y est réfugié tout jeune avec sa mère après la mort de son père. Il y passa une enfance sauvage et heureuse entre sa mère, sa grand-mère et ses deux sœurs. Atteint de la maladie de Pott, à 16 ans puis à 23 ans, il doit rester couché chaque fois pendant trois ans (1906-1909, 1913-1916). Il forme son esprit et se cultive, travaille à partir de son lit, fait venir le monde à lui puisqu'il ne peut y aller. C. Forot et le Pigeonnier représentent une des plus authentiques réussites de décentralisation littéraire et artistique qu'ait connues la France de 1920 à 1960. Il en fut l'animateur et le mécène quand il le fallait. Cette aventure s'inscrit dans un courant plus vaste qui a marqué l'histoire culturelle de la France entre les deux guerres, le régionalisme : un régionalisme ouvert aux autres, aux autres régions et qui, à partir d'un territoire et de son histoire, tend vers l'universalité de l'homme.
Le Pigeonnier - la ferme magnanerie |
Le fleuron de cette décentralisation fut la maison
d'édition. Charles Forot s'occupait de tout, il soignait
l'esthétique du livre autant que son contenu. « Une édition
du Pigeonnier est une chose rare entre toutes [...] on la
hume, on s'en délecte par les yeux, par le toucher presque
pourrait-on dire par les cinq sens, en attendant que
l'esprit s'en enchante. » (François-Paul Alibert*, 1927)
* NDLR : poète et journaliste français, né et mort à Carcassonne
(1873-1953).
Il y crée un théâtre. La maison accueille des expositions de
peintures, gravures, sculptures. Il développe avec Mlle Bouvier un groupe de folklore « Empi et Riaume ».
Il relance la poterie traditionnelle dans une édition de « terrailles ». Certains lui font des maquettes de plats (bois
tournés) ou santons. La musique n'est pas oubliée. Il
s'inscrit dans son temps en participant à l'exposition
universelle de 1937, étant responsable de la partie Vivarais
du pavillon Forez-Vivarais. Pour témoigner de l'aventure du
Pigeonnier, pouvait-on le faire ailleurs que dans le bâtiment
de l'ancienne magnanerie, base historique de la propriété
et lieu où il passa pendant 20 ans ses étés avec son épouse,
avant et pendant sa « retraite » ?
Notre tâche fut de replacer des meubles in situ ;
l'association a pu redisposer les objets, assiettes, gravures,
livres, en fonction de nos souvenirs, de gravures, de photos
de l'époque et de témoignages que nous avons rassemblés.
Le repositionnement dans la magnanerie du plafond peint par Jean Chièze qui ornait la chambre de Charles Forot dans le bâtiment principal |
Le but de cette maison est de restituer un « lieu de vie » et
son « esprit », en espérant susciter chez les générations
suivantes le désir d'oser à leur tour.
L'association du Pigeonnier existe depuis cinq ans,
soutenue par de nombreux particuliers et institutions, en
particulier la Société de Sauvegarde des Monuments
anciens de l'Ardèche. En 2013 elle a accueilli ses premiers
visiteurs et cette année-là correspondait au quarantième
anniversaire de la mort de Charles Forot. Juliette Thiébaud était parmi nous lors de l'inauguration des expositions ;
ancienne conservatrice du musée de Tournon, amie du « Pigeonnier » et de Charles Forot, elle fut pour nous d'un
grand conseil. Elle possédait de nombreuses œuvres de
Charles Forot. À sa mort, grâce à la générosité de ses
enfants et d'un engagement de subvention de la Société de
Sauvegarde, l'association a pu acquérir une collection
presque complête des éditions du Pigeonnier.
Deux des motifs du plafond de Jean Chièze |
Outre les visites guidées du lieu, l'association présente, durant la saison d'été essentiellement, des lectures, des expositions et diverses autres animations afin que ce lieu de mémoire soit vivant et apporte une dimension culturelle spécifique localement.
Hélène Pezilla-Leydier
(Article paru dans le n° 39, juillet 2016, de « Patrimoine d'Ardèche »)