Le récit de cette restauration aidée par la Sauvegarde
était prévu depuis plusieurs mois, mais le décès de
Claude-Pierre Chavanon, âme et cheville ouvrière de
l’opération, marque la publication qui en est faite
aujourd’hui d’un supplément d’émotion. Comme écrit dans
l’hommage qui lui était rendu dans le précédent bulletin, le
propriétaire de Campustelle, décédé peu après la fin du
chantier, en avait suivi le déroulement avec une attention
méticuleuse et une passion émerveillée. Ses comptes rendus
réguliers, précis, illustrés et pleins de flamme avaient créé
entre nous des liens de plus en plus étroits.
Voici le récit succinct de cette restauration vraiment peu
ordinaire.
Colette Véron, qui avait découvert les moulins de
Campustelle dans le cadre de son étude très approfondie
des moulins d’Ardèche, avait suggéré de les inclure dans le
programme de notre journée de visite du 27 mai 2016 à
Antraygues et Genestelle.
Accueillis très cordialement sur
place par Agnès et Claude-Pierre Chavanon, nous avions
alors découvert ce site riche de trois moulins, dont l’un en
ruine, de part et d’autre du Sandron, modeste ruisseau à ce
niveau. Lors de l’acquisition du domaine, en 1993, la famille
Chavanon s’était trouvée en face de bâtiments à l’abandon et
fort délabrés qu’elle avait entrepris de relever avec savoir-faire
et détermination.
Un bref historique permet de saisir
l’ampleur de l’entreprise.
Le moulin en rive gauche du ruisseau de Soleyrol,
mentionné en ruine dans un texte de 1407 et déclaré
« pauvre moulin » en 1464, avait été agrandi en 1895 pour
recevoir un équipement moderne : le remplacement de la
roue horizontale par une roue verticale avait donné une
puissance permettant, avec l’installation de rouages en fonte « à l’anglaise », la mise en jeu simultanée de plusieurs
mécanismes et la production de farine et d’huile. Après une
nouvelle période d’abandon, la réhabilitation complète
réalisée par les actuels propriétaires l’a remis en état de
fonctionner.
En face, en rive droite, un bâtiment plus important abritait
un moulin à farine, huile et drap, ainsi qu’une grande
maison d’habitation figurée sur le cadastre napoléonien. La
famille Chavanon a confirmé sa fonction d’habitation et l’a
restauré, avec le souci de préserver les éléments médiévaux
(vestiges d’une tour, voûte à quatre pans).
C’est ce bâtiment qui porte la monumentale cheminée
médiévale d’un type assez rare en Vivarais, abusivement
appelé « cheminée sarrasine », qui serait, d’après Michel
Rouvière, la seule restée intacte des quatorze répertoriées
en Ardèche. Mais elle a beaucoup souffert du temps et des
travaux effectués sur la maison en 1880.
La lanterne et la mitre conique avant restauration |
Il était important et urgent de remettre en état cette pièce exceptionnelle, joyau d’un ensemble présentant aussi un grand intérêt patrimonial L’aide de la Sauvegarde a dès lors été décidée sans tarder.
Une brève description permettra de mieux apprécier le défi que représentait une telle opération et la qualité du travail des artisans qui l’ont effectuée.
La partie extérieure de la cheminée,
haute de 4,35 mètres, comprend
successivement une base carrée de
91 centimètres de côté, ornée de trois
masques, un fût cylindrique de
71 centimètres de diamètre, dont
l’extrémité supérieure, ornée d’un
bourrelet, soutient la lanterne évacuant la fumée, formée
initialement de neuf potelets et
coiffée d’une mitre conique portant
une boule à son sommet.
Le tailleur de pierre, après avoir
choisi en carrière le grès approprié, a
effectué les opérations suivantes :
- Réfection de la boule sommitale ;
- Réfection du quart manquant de
la mitre conique, qui avait été
remplacé par des débris de briques et
de pierres ;
- Changement du disque supportant
la mitre ;
- Fabrication des neuf potelets
constituant la lanterne, dont cinq
avaient disparu et les quatre restants étaient fissurés ;
- Remplacement d’une pierre à bourrelet au sommet du
fût.
Nouvelle lanterne préassemblée au sol |
La nouvelle mitre |
La cheminée restaurée |
Après avoir été taillées avec précision, toutes les pièces de la
lanterne et de la mitre ont été assemblées au sol, pour
vérification, avant d’être installées de façon définitive sur le
fût, avec des joints très fins. Après quoi l’ensemble du fût a été rejointoyé à la chaux.
Un supplément imprévu fit l’objet d’un devis complémentaire.
En effet, au cours des travaux, des trous avaient été découverts
dans la souche de la
cheminée, au niveau
des combles, ainsi
que quelques réparations
anciennes effectuées
au ciment. Tous
ces désordres furent
scrupuleusement corrigés.
Le coût des travaux a été de 10 000 €. Le
Département a accordé
une subvention de
2 400 €, dans le cadre
du FIPA, suite à la souscription lancée par le propriétaire.
Cette souscription a bénéficié d’un versement de 2 000 € à
partir des fonds propres de la Sauvegarde. Si l’on ajoute à ce
versement les contributions personnelles
de plusieurs adhérents, l’on
atteint, pour notre association, un
montant supérieur à la subvention
départementale. Coup de cœur rendant
hommage à un projet exceptionnel.
Et maintenant ? Les travaux sont
terminés mais Claude-Pierre Chavanon, récemment décédé,
n’a pas eu le temps d’effectuer les
formalités consécutives à la clôture du
chantier, ni de réaliser certaines
opérations qu’il avait annoncées aux
souscripteurs, notamment la rédaction
d’un « petit fascicule » relatant
l’aventure de cette restauration.
Bien malgré lui, il a laissé à son épouse
un certain nombre de tâches qui
s’ajoutent aux projets personnels de
celle-ci, à qui nous témoignons
aujourd’hui notre sincère sympathie et
notre vive reconnaissance pour la part
qu’elle a prise dans les opérations déjà
effectuées. Avec l’assurance, pour les
jours à venir, de notre amical soutien
et de nos souhaits les plus cordiaux.
Pierre Court
Article publié dans Patrimoine d'Ardèche, n° 54, avril 2020.