Après le casse-croûte ardéchois pris dans la salle communale de
Pranles mise à notre disposition par la commune, nous voilà en route
vers Ajoux où la Sauvegarde était passée en 1968 pour une courte
visite, guidée par l’abbé Arnaud.
Parmi la quarantaine de participants à la sortie du 17 octobre, un
petit nombre seulement connaissait Ajoux, commune d’Ardèche de 96
habitants, située dans les Boutières à quelques kilomètres de
Pranles et du col de l’Escrinet. Pour tous ce fut l’occasion de se
retrouver devant des paysages magnifiques, et pour le seul jour
ensoleillé de la semaine !
Déjà, de Pranles à Ajoux par le col des Croix de Cresseylles, on
découvre les serres et les vallées abruptes, où se nichent quelques
hameaux éparpillés au milieu des landes ou châtaigneraies, car les
hommes sont encore présents dans cette nature, pourtant pas toujours
accueillante pour les urbains que nous sommes souvent devenus...
Le premier rendez-vous se situait au hameau du Rocher d’Ajoux, face
au pointement basaltique, et ce fut l’occasion de situer un peu
mieux cette commune dans son environnement rural : comme à Pranles,
la commune est dispersée entre de nombreux hameaux, sans centre
préférentiel : le Rocher d’Ajoux, puis le long d’une petite route
longeant la vallée de l’Auzenet, Lavastret (la mairie), Greytus
(l’église), et sur l’autre versant en face, Le Bouchet... Blaizac
enfin, cul-de-sac après une quinzaine de kilomètres.
Le Rocher d’Ajoux est un élément important du paysage. À 750 m
d’altitude, c’est un témoin des éruptions volcaniques de l’ère
tertiaire, il y a 6 millions d’années ; il ne reste ici qu’un mur
basaltique (un dyke) décapé par l'érosion et dominant sur le versant
ouest un magnifique éboulis visible de très loin.
L’escalade, que nous ne ferons pas, en est déconseillée aux gens peu
entraînés, mais du sommet on a un magnifique panorama à 360°...
Le rocher d'Ajoux |
Localement, des silex taillés ont été trouvés et attestent d’une
présence humaine déjà au néolithique 5 000 ans avant J-C ;
l’occupation romaine est plus discrète, mais l’existence de lieux de
culte gallo-romains, aux ier et iie siècles
de notre ère, a été prouvée par les fouilles réalisées au sommet du
roc de Gourdon, en limite de la commune actuelle d’Ajoux.
Au Moyen Âge, Ajoux était le chef-lieu d’un des quatre mandements
des Boutières, il couvrait aussi Pourchères, Saint-Julien-du-Gua et
une partie des autres communes voisines. Les comtes de Valentinois
rendaient l’hommage pour Ajoux au comte de Toulouse (1239) et plus
tard au roi de France (1280) ; les droits seigneuriaux passèrent en
1287 à Géraud Adhémar, comte d’Aps et Grignan, et en 1538 à Louis
d’Anduze, seigneur de La Voulte.
Il y avait sur le rocher d’Ajoux le château seigneurial dont il ne
reste pratiquement rien, sinon un contrefort appuyé sur le rocher à
l’est. Le bourg castral est encore représenté par les quelques
maisons anciennes que nous voyons devant nous. Notre groupe
déambulera jusqu’au pied du rocher et entre les maisons du hameau
dont certaines présentant des qualités architecturales
intéressantes. La maison du notaire retiendra un peu notre
attention, elle appartenait à Alexandre Charrier, notaire royal, et
plus tard à la famille Estéoule, elle est figurée sur un plan de M.
Estéoule joint à sa notice historique distribuée aux participants de
la Sauvegarde en 1968.
Que de questions posées sur le rôle joué autrefois par
l’agriculture, l’élevage, la culture du ver à soie (y avait-il des
mûriers à cette altitude...700/800 m ?), la récolte des
châtaignes... ! Rôle qui avait permis un développement démographique
important, puisque Ajoux comptait plus de 500 habitants entre 1800
et 1886 pour décliner très rapidement à partir de 1900-1910, mais le
creux de 1990 (71 h) semble précéder une lente reprise, et la
population est plus jeune que la moyenne départementale. Certes il
n’y a à Ajoux ni industrie ni commerces, tout juste quelques
agriculteurs pour qui la châtaigne représente encore une source de
revenus, plusieurs gîtes ruraux, un élevage de chevaux Halfinger,
des roulottes en location, une passerelle en bois de châtaignier
local construite il y a une vingtaine d’années sur l’Auzéne... et du
travail à Privas à 15 km.
Après le Rocher, nous partons vers Greytus, à 4 ou 5 km, pour
visiter l’église et parler un peu plus des personnalités locales
civiles ou religieuses qui ont marqué leur époque.
L’église actuelle date de 1856 ; elle est d’une grande simplicité,
sans décors superflus ; à l’intérieur, une statue en bois de la
Vierge attire l’attention, son origine est inconnue car
malheureusement on ne connaît pas l’inventaire de l'église
précédente qui était située au Rocher, et eut une histoire
mouvementée, puisque elle fut plusieurs fois démolie au moment des
luttes religieuses. En 1583, lors de la visite canonique du vicaire
général, « l’église est en ruine, depuis 20 ans aucun office
catholique n’a été célébré, on ignore même s’il y a encore des
catholiques dans ce pays ». Reconstruite plus tard grâce aux
libéralités de Mgr de Suze, elle fut encore
(partiellement ?) détruite en 1704.
Depuis la Réforme, les protestants étaient majoritaires, leur temple
démoli en 1684 sera reconstruit en 1821 à La Pervenche avec les
pierres de celui d’Ajoux.
Parmi les protestants les plus connus, on peut en citer deux : Louis
Ranc, né en 1716 à Ajoux, qui fut pasteur en Dauphiné, arrêté et
condamné à mort à Die en 1745, et Jean Rouvière né en 1689 à
Blaizac, prédicateur en Vivarais au côté d’Antoine Court et de
Pierre Durand.
Il y avait aussi des catholiques à Ajoux, tel Antoine de Rochefort.
Rochefort était officier des gardes du corps du roi de 1770 à la
Révolution et à ce titre il fit de longs séjours à Versailles sous
les règnes de Louis XV et de Louis XVI. En 1793, quand son régiment
fut dissous, il se réfugia à Blaizac, devint agriculteur, et fut
maire d’Ajoux de 1808 à 1830. Pourquoi à Blaizac ? Parce que sa
femme était justement originaire de ce lieu où sa famille avait des
terres, une maison et des amis aussi bien dans le Vivarais qu’à
Étoile et Valence. Passer de la cour de Versailles à un hameau des
Boutières à cette époque troublée, quel changement pour cet homme
sans fortune ! Et cela avec deux jeunes enfants... dont une fille
qui épousa en 1819 Jean-Philippe de Brion, mon ancêtre il y a quatre
générations.
Jean-Antoine écrivait beaucoup, sa correspondance pleine d’intérêt
fait revivre à la fois la vie locale et les événements politiques,
comme les journées de juillet 1830 où disparut la dynastie des
Bourbons qui lui était chère, évènement qui provoqua son retrait de
la vie municipale à cette date, peu avant sa mort en 1839.
Sur ces souvenirs se termina notre visite, occasion d’une découverte
de paysages ardéchois insolites et des hommes qui les ont habités et
façonnés.
Je tiens à remercier Claude de Seauve, René Féougier, ancien maire,
et André Monteil, tous trois habitants d’Ajoux, grâce auxquels j’ai
pu compléter mes connaissances sur leur village, et y retrouver la
trace de mes lointains ancêtres.
Bernard de Brion