La ville d'Annonay vue de la chapelle Sainte-Marie |
Le 19 novembre 2016, la Société de Sauvegarde avait donné rendez-vous à ses adhérents à Annonay pour une visite essentiellement centrée sur les activités dans le domaine de la peau et du cuir : parcheminerie, mégisserie, tannerie... S'y sont ajoutées les visites de la chapelle Sainte-Marie et de l'ancienne pharmacie de l'hôpital.
Frédéric Dumas |
M. Frédéric Dumas nous accueille à l’intérieur de la
dernière parcheminerie d’Annonay – il n’en reste que
trois en France. C’est devant un film sur les métiers du
cuir et plus précisément la parcheminerie que commence
la visite. Puis Frédéric
Dumas répond aux très
nombreuses questions.
Passionné, il sait captiver
son auditoire et répondre
de façon très précise. La
visite continue par la
découverte de l'espace
musée lui-même qui recèle
de nombreux objets liés à
la matière animale (peau,
os, corne, laine, soies).
Nous apercevons l’atelier où sont préparées les peaux ainsi que le dernier séchoir à peaux d’Annonay.
Ensuite Mathieu Gounon nous rejoint pour nous présenter son livre qui fera référence « Tanneries et mégisseries d'Annonay, 1815-2015, Excellence, innovation, savoir-faire », prix Maurice Boulle, édité par Mémoire d'Ardèche et Temps Présent. Enfin, Frédéric Dumas et Josiane Aubert-Dumas nous accueillent dans la partie boutique où chacun peut faire des emplettes parmi un choix très vaste et de grande qualité.
Atelier de parcheminerie |
La parcheminerie Dumas est créée par le grand-père de
Frédéric, Marcel Dumas, en 1926. Son fils André devient
le seul fournisseur des tambours de la Garde républicaine
et invente la peau de décoration dans les années 1950.
Frédéric prend la suite en 1986, développe d'abord la
branche décoration de la société, puis met l'accent sur la
fabrication de parchemins de qualité destinée aux métiers
d'art (calligraphie, enluminure, reliure ou gainerie). Mais
il souhaite aussi expliquer la fabrication de cette matière
issue des métiers du cuir et ses usages, en faisant visiter
son atelier, au travers d’un musée. Les travaux débutent
en 2008 et l’Espace du Parchemin et du Cuir ouvre en
2010. Depuis décembre 2011, la tannerie parcheminerie
Dumas est inscrite à l'inventaire des métiers d'art rares et,
en décembre 2013, elle reçoit le label « Entreprise du
Patrimoine Vivant ».
Le parchemin est un matériau vivant obtenu à partir de peaux brutes d’animaux, en particulier celles d’ovins, de caprins et de bovins. Il est constitué du derme entier, débarrassé du pelage. Après dégraissage et écharnage, la peau est trempée dans un bain de chaux, raclée à l'aide d'un couteau pour ôter les poils et les restes de chair et enfin amincie, polie et blanchie pour obtenir un parchemin qui a un aspect lisse, plus ou moins blanc, plus ou moins translucide, d’épaisseur de 0,1 à 3,5 mm suivant l’espèce et l’âge de l’animal, et d’une solidité à toute épreuve.
Séchage des peaux |
Le cuir est de la peau animale rendue
imputrescible (tannée) par la transformation
effectuée par les tanneries et les mégisseries. La
mégisserie traite des peaux de chèvres,
chevreaux, moutons et agneaux destinées à
l'industrie de la chaussure, de la ganterie ou de
l'habillement ; la tannerie transforme toutes les
autres peaux. Le mot « mégisserie » vient de « mégis », une préparation d’alun et de cendres
utilisée pour transformer ces peaux.
Le tannage consiste à transformer la peau en cuir
grâce à des tanins, substances de différentes
natures (végétale, minérale, combinée) qui
permettent de passer d’une peau putrescible à
une matière imputrescible, résistante à l’eau
chaude et peu hydratée.
Pour Mathieu Gounon1, « Il est nécessaire de
distinguer les activités liées au travail de la peau
et celles liées au travail du cuir, car ce sont deux
processus de fabrication différents. En effet, pour les
entreprises qui transforment les peaux en cuir, tanneries,
corroieries et mégisseries, le cuir est le produit fini qui
est commercialisé. En revanche pour les entreprises du
cuir, principalement les ganteries, maroquineries et
fabriques de chaussures, le cuir est la matière première
achetée aux mégisseries et tanneries, dans le but de le
transformer en un produit fini qui est commercialisé. »
Ainsi, mégisseries, parchemineries et tanneries sont
placées dans les « activités de la peau », alors que les
ganteries, maroquineries et fabriques de chaussures sont
classées dans les « activités du cuir ».
« Aujourd'hui, pour de nombreux Annonéens, les
souvenirs liés aux activités des peaux et cuirs se résument
essentiellement à la tannerie. Un escalier et une place évoquent ces ouvriers au quartier de Cance, un foulon est
exposé sur le rond-point, route de Quintenas. Quelques
noms de rues et de places portent le nom de patrons
tanneurs et d'un fabricant de chaussures. Ces deux
activités ont également laissé une empreinte visible à
travers d'anciens bâtiments aujourd'hui reconvertis ou
abandonnés. » Pourtant, « Annonay a connu un
développement et une concentration, uniques en France,
des quatre activités principales des peaux et cuirs, à
savoir la mégisserie, la ganterie, la tannerie et la
chaussure, auxquelles on peut ajouter dans une moindre
mesure la maroquinerie et la parcheminerie, sur un même
territoire et ce depuis 1815. »2
La légende raconte qu'en l'an 400 des parcheminiers
s’installent sur le bord de la Deûme et de la Cance, attirés
par la pureté des eaux de ces rivières, et fondent
Annonay. Emmanuel Nicod3 mentionne un artisan de la
peau à Annonay en 1246, un certain Alamanus, pelliparus. À la fin du xvie siècle, le cadastre d'Annonay mentionne
onze tanneurs et quatre blanchers ou mégissiers. En 1780,
il y avait à Annonay 20 blanchers et 13 tanneurs. En 1785-1786, Annonay est le premier
centre de tannerie du Vivarais
avec quinze ateliers
produisant 73 tonnes de cuirs
par an ; en mégisserie, c'est également Annonay qui
occupe le premier rang, avec
20 ateliers produisant 25 tonnes de
peau mégies. En 1787, à la
veille de la Révolution, il y a
80 mégissiers à Annonay dont
la production s'est spécialisée
depuis une dizaine d'années
dans l'agneau et le chevreau.
En 1789, il y en a 19. « À Annonay, le développement
spectaculaire de la
mégisserie au début du xixe siècle fit passer la population
annonéenne de 5 811
habitants en 1791 à 8 735 en
1836 et 18 445 en 1866. Cet essor fut suivi, en parallèle,
de tentatives d'implantation de la ganterie, du
développement de la tannerie et de la maroquinerie à
partir de la fin du xixe siècle, puis de la chaussure en cuir à partir des années 1930. De ces activités des peaux et
cuirs, seules une tannerie, une parcheminerie et deux
maroquineries sont encore en activité de nos jours : il
s'agit des Nouvelles Tanneries d'Annonay, de la
parcheminerie Dumas, de la MAVICA (Manufacture
vivaroise des activités du cuir et de ses accessoires) et de
Maroquinor. »4
Le quartier dans lequel se situe l’espace musée du
parchemin et du cuir sera bouleversé dans les années à
venir. La Maison des Jeunes et de la Culture toute proche
va déménager au château de Déomas, le bâtiment étant
trop vétuste sera démoli et cédera la place à un cinéma
multiplex. L’ancienne usine Canson, du quartier de Faya,
sera démolie en 2017 pour créer en 2018 un espace
commercial et une surface de stationnement, tout en
conservant certains éléments emblématiques de
l’architecture de l’usine. Le projet municipal prévoit aussi
la création de la Via Fluvia, l’extension de la gare routière
et du parking de la Valette.
Celle-ci, située dans le centre historique
d’Annonay, appartenait à un
couvent du même nom à
l'architecture grandiose qui
s'ordonne autour d'un
bâtiment central et deux ailes
dont les angles extrêmes sont
constitués de tours rondes.
La cour ainsi formée était
autrefois le cloître qui était
ouvert sur les jardins
conventuels situés en
contrebas et la vallée de la
Deûme, rivière aujourd’hui
couverte par l’avenue de
l’Europe.
La congrégation des
religieuses de Notre-Dame
est fondée en 1603 à
Bordeaux, la maison
d’Annonay en 1630 à
l’initiative de Marguerite
du Port, épouse de François de Sauzéa, lieutenant au
baillage d’Annonay. En 1633, leur couvent est établi sur
les ruines du château Maleton ou de Malatour.
L’établissement est destiné à l’instruction des jeunes filles
pauvres de la ville.
En plus des bâtiments conventuels et
des pensionnats, le couvent est doté
d’une grande chapelle ouverte au
public sur la rue du Tra (aujourd’hui
Sainte-Marie). Dans sa version
primitive, elle semble être destinée à
recevoir les fidèles du quartier, d’où
les dimensions de sa nef et la
présence d’une vaste tribune destinée
aux religieuses à laquelle on pouvait
accéder directement depuis le
couvent. Sa décoration première est
probablement modeste. Mais
cinquante ans plus tard, la Mère
Marianne Mayol, supérieure de la
communauté, fait effectuer
d’importantes transformations, la
chapelle est dotée en 1686 d’un
plafond peint richement décoré et de
hautes boiseries peintes.
Lors de la Révolution, les religieuses,
alors au nombre de 31, doivent quitter la ville et
abandonnent leurs bâtiments qui sont vendus comme bien
national au citoyen Jean-François-Xavier Frachon auquel la
ville les rachète. Des prisonniers autrichiens et italiens
brûlent planchers, portes et boiseries de la chapelle pour
pouvoir se chauffer.
Le 4 mai 1805, les Ursulines, dirigées par Mme de
Lhermuzière, prennent possession des
bâtiments, sollicitées par la ville pour
qu’elles viennent à leur tour s’occuper
des jeunes filles pauvres. La chapelle
est rendue au culte. En 1865, la
construction d’une nouvelle aile
contre le mur nord de la nef aveugle
les baies vitrées qui l’éclairaient.
En 1905, la loi de séparation de
l’Église et de l’État refuse aux
religieuses le droit d’enseigner, les
Ursulines sont expulsées. Pendant la
Première Guerre mondiale y sont
accueillis des réfugiés du Nord et de
l’Est de la France. Par la suite, les
bâtiments connaissent différentes
destinations : local de gymnastique,
musée, salle de réunion, dépôt
municipal, logements… Des
restaurations ont lieu dans les années
1970, la chapelle accueille alors des
manifestations culturelles telles que
concerts, lectures et expositions. En 1993, des
appartements sont aménagés dans les bâtiments de
l’ancien couvent.
Deux éléments de la chapelle, le portail d’entrée et le
plafond, sont inscrits en 1954 et 1955 à l’Inventaire
Supplémentaire des Monuments Historiques et l’ensemble
de l’édifice est classé en 1981.
Le portail qui donne accès à la chapelle est remarquable,
la lourde porte à deux vantaux surmontés d’un tympan de
bois inscrit son plein-cintre entre les deux jambages de
pierre blanche que surmonte un fronton triangulaire. Au
centre de ce fronton, une niche abritait sans doute une
statue de la Vierge, patronne de la Congrégation.
Plafond de la chapelle Sainte-Marie |
L’immense plafond en châtaignier peint de plus de 200 m² de surface s’étale à huit mètres au-dessus du sol. Une composition de feuilles d’acanthe liées en gerbes occupe les fonds sur lesquels se détachent en relief des médaillons historiés. Ces médaillons se présentent sous forme de carrés dont chacun des côtés est lobé. Ils sont délimités par des moulures de bois. Dans certains de ces médaillons apparaît une figure allégorique peinte en couleurs pastel. Le quadrillage de moulures guide le regard vers des médaillons plus petits également peints.
Dans le chœur, légèrement surélevé, a été déposé l’ancien retable de la chapelle Sainte-Claire d’Annonay. Ses quatre colonnes torses, en bois peint, entourent des niches destinées à recevoir des statues et, au centre, une descente de croix (copie d’un tableau de Carrache donné à la ville par la paroisse Notre-Dame) a remplacé le tableau d’origine. Au long des colonnes grimpent des pampres dorés portant des grappes et des angelots. Les fonds du retable sont traités en faux marbre sur panneaux de bois.
La nef était éclairée à l’origine par six vastes fenêtres dont
quatre ont été condamnées par la construction ou la surélévation de bâtiments
adjacents. Un grand
oculus l’éclaire également
vers le couchant
et s’intègre, à l’extérieur, à la façade de la
rue du Tra. Chaque
fenêtre est entourée
d’un décor peint répétant
les motifs de volutes
de feuillages de la
moulure et de son bandeau.
Au-dessus de l’entrée,
on peut voir les restes
mutilés de la tribune
monastique qui se prolongeait, à l’origine, au
long des murs latéraux
jusqu’au niveau de l’entrée du chœur.
Daniel Misery nous fait part d’un projet de restauration et
du fait que la chapelle sera utilisée par une compagnie de
danse, la Baraka, dirigée par le chorégraphe de réputation
internationale, Abou Lagraa, qui souhaite rendre à sa ville
natale ce qu’elle a pu lui apporter. Ceci implique des
aménagements spécifiques et qui puissent être enlevés
aisément. Des expositions du GAC (Groupement d’Art
Contemporain) sont aussi prévues.
Chapelle Sainte-Marie - Le retable |
Descente de croix |
La journée se termine par la visite de l’ancienne pharmacie de l'hôpital. René Peyrieux, ancien pharmacien, mais jeune homme de 86 ans, plein d’enthousiasme, nous emmène à la découverte de l’histoire des soins et de la pharmacopée à travers les âges, au milieu d’une profusion d’objets divers et variés ayant contribué à soigner des générations d’Ardéchois, pots, mortiers, fauteuils... Quelques tableaux mériteraient restauration.
Philippe Duclaux
Photos Bernard Nougier (sauf mention contraire)
Un mortier