Un très beau petit village de Haute-Loire, classé parmi « les plus beaux villages de France », faisant autrefois partie du Vivarais, dominé par les ruines imposantes de son château et occupant surtout une position exceptionnelle, tel se présente Arlempdes, objet cette année de la visite par laquelle commence toujours notre traditionnelle « journée champêtre ».
Nous sommes dans une boucle de la jeune Loire ; elle a parcouru une quarantaine de kilomètres depuis sa source et vient se heurter ici à un énorme massif basaltique aux formes tourmentées, aux parois verticales de près de 80 mètres de hauteur, qu’elle doit contourner avant de poursuivre son chemin vers le nord.
Une enceinte extérieure au château délimitait un bourg castral comprenant notamment l’église paroissiale Saint-Pierre. Cette enceinte, que Pierre-Yves Laffont date de la fin du XIVe siècle, mais qui pour certains auteurs est plus ancienne, est conservée sur trois côtés, englobant, outre l’église, quelques maisons au sud-ouest du village. On pénètre dans celui-ci par une porte voûtée en arc brisé, percée dans une tour en tuf volcanique rouge soigneusement appareillé. Au XVe siècle, cette tour-porte a été encadrée par deux maisons percées d’étroites fenêtres à meneaux.
C’est un édifice typiquement roman, daté du XIIe siècle ; il est construit en pierres volcaniques, tuf et brèche, aux couleurs variées (rouge, brun violacé, noir, crème). Le clocher, plus récent, est en granit, ainsi que le contrefort qui a été construit en même temps pour assurer la solidité de l'édifice. À l'extérieur de la nef, on remarque la décoration d'arcatures en plein cintre. Des maisons étant adossées à l'église, on ne peut en faire le tour. Le très beau portail est orné de quatre voussures, dont deux sont polylobées, décor de style vellave bien connu. Deux des colonnes qui reçoivent ces voussures sont décorées d’hélices. Mais tandis que pour celle de droite, il s’agit d’une seule hélice qui court sur toute la hauteur du fût, celle de gauche, qui est bien monolithe aussi, est divisée en deux parties, avec deux hélices tournant en sens contraire. Ce décor très particulier a-t-il un sens symbolique ? On ne le saura certainement jamais.
L'intérieur de l'église est très simple, formé d'une nef unique, dont la voûte en berceau est renforcée par des arcs doubleaux et repose sur des arcs de décharge latéraux de grande hauteur, disposition architecturale que nous connaissons bien pour la rencontrer souvent dans nos petites églises ou chapelles vivaroises. Mais contrairement à nos édifices ardéchois où l’abside est presque toujours de plan semi-circulaire et voûtée en cul-de-four, nous trouvons ici un chevet à fond plat, voûté en berceau ; il est précédé d’un arc triomphal.
Au XVe siècle, les seigneurs de l'époque, qui étaient les Poitiers-Valentinois, ont ouvert une chapelle latérale, percée d'une belle fenêtre gothique et placé leur blason à la clef de voûte. À la tribune, qui a été réaménagée, on peut voir les instruments de la Passion que portaient les Pénitents lors des processions.
Près de l'église se dresse une belle croix en pierre du XVe siècle ornée de personnages sur ses deux faces. D'un côté, c'est une pietà encadrée de saint Pierre et d'un abbé mitré, de l'autre le calvaire avec saint Jean et la Vierge ; les bras de la croix sont fleuronnés. On remarque que les pieds du Christ sont croisés, alors qu'ils seraient placés côte à côte dans une œuvre de l'époque romane. (Voir album)
« Premier château de la Loire », comme on aime désigner cette forteresse, le château d’Arlempdes, s’il n’a jamais prétendu atteindre la notoriété des plus illustres, eut cependant un rôle important à jouer comme bastion avancé du Vivarais face au Velay. On ne s’étonnera donc pas de le trouver au Moyen Âge parmi les possessions des seigneurs de Montlaur, dont on sait qu’ils contrôlaient toutes les grandes voies de communication de la région. P.-Y. Laffont cite une douzaine de documents attestant la présence des Montlaur à Arlempdes entre 1188 et 1332. En 1269 par exemple, Héracle de Montlaur rend hommage à l’évêque du Puy pour le château et le mandement d’Arlempdes, hommage qui sera renouvelé à plusieurs reprises par lui-même et ses successeurs jusqu’en 1328.
En 1429, la seigneurie d’Arlempdes servit à doter Anne de Montlaur lors de son mariage avec Charles III de Poitiers, comte de Valentinois. Le château passa donc aux Poitiers-Valentinois, ce qui eut pour lui d'importantes conséquences, car les nouveaux propriétaires entreprirent une grande campagne de reconstruction, tant du point de vue défensif que de celui des aménagements résidentiels. La petite-fille de Charles III ne fut autre que Diane de Poitiers, la fameuse favorite du roi Henri II. Née en 1499, elle fut « dame d'Arlempdes » de 1550 à 1566, date de son décès ; elle était alors seule propriétaire du château. On a beaucoup brodé à son sujet. Est-elle venue ici ? C’est bien possible, mais rien ne le prouve de façon certaine. Sa fille Françoise fut à l’origine d’un nouveau lignage pour Arlempdes par son mariage avec Robert IV de La Marck, duc de Bouillon, seigneur de Sedan et maréchal de France.
La rampe d'accès au château dominée par le rempart nord-ouest |
À cette époque, les propriétaires d’Arlempdes sont de grands personnages qui ne résident guère dans leur fief des confins du Vivarais et ils l’afferment à une famille de petite noblesse locale, les de Goys. En 1585, pendant les guerres de Religion, le château, pourtant réputé inexpugnable, fut pris par le capitaine huguenot Antoine de La Garde-Chambonas. On dit que la porte lui avait été ouverte par le gardien, qui s’éclipsa ensuite rapidement contre des espèces sonnantes et trébuchantes… Louis de Goys fut fait prisonnier par les huguenots qui occupèrent le château durant trois ans, jusqu’au jour où Antoine de La Garde fut assassiné, sans doute par la population locale.
À partir du XVIIe siècle, le château connaît différents propriétaires de la région, donc plus soucieux d’y résider. La famille de Serres l'utilise, en particulier Pierre, dont le frère Jules est évêque du Puy. Puis ce sont les Scipion de Beauvoir et enfin, à partir de 1720, les Laval, qui prendront le nom de Laval d'Arlempdes ; ils possédaient les trois seigneuries voisines d'Arlempdes, de Beaufort et de Goudet. Probablement entretenu durant le XVIIIe siècle, le château fut ensuite abandonné, mais on ne sait ni dans quelles circonstances, ni à quelle date. Il servira alors de carrière, comme malheureusement beaucoup de monuments.
En 1936, la dernière propriétaire, descendante des Laval, Mlle Emmanuelle-Marie de Laval, légua ses biens à une œuvre religieuse, la communauté du Prado de Lyon ; celle-ci resta propriétaire des vestiges du château jusqu’en 1963, date à laquelle, à l’initiative de Louis Bourbon, allié à la famille d’Arlempdes de Goys, se créa une association en vue de racheter, protéger et mettre en valeur le site. Celle-ci, dénommée à l’origine « Association des descendants des familles d’Arlempdes-Goys » est devenue l’ « Association pour la sauvegarde et l’animation du château d’Arlempdes » ; elle continue, dans la mesure de ses moyens, à restaurer le château.
L'avant-porte du XVe siècle |
L’unique accès au château se fait par une rampe qui part entre les maisons du village, juste après l’église et que l’on ne pouvait donc atteindre qu’après avoir franchi la porte d’entrée du bourg castral. Sur sa droite, ce chemin longe le rocher couronné par une imposante courtine. On atteint d’abord une porte dont l’encadrement de granit gris à moulures toriques forme un arc en anse de panier ; c’est le reste d’une première ligne de défense rajoutée par les Poitiers-Valentinois au début du XVe siècle. Tout de suite après, le chemin fait un virage à 180 degrés formant une chicane qui protégeait la porte d’entrée du château, encadrée également de granit gris et portant les armoiries des Poitiers-Valentinois (d’azur à six besants d’argent au chef d’or). Comme pour l’entrée du bourg castral, cette porte est percée dans une tour carrée et s’ouvre sur un passage voûté en berceau brisé. Dominée par une bretèche, elle était également protégée par une canonnière datant du XVe siècle et pouvait être barrée par des madriers coulissant dans des ouvertures encore bien visibles.
Le plan du château, qui s’étend sur une surface d’environ un hectare, est tout à fait irrégulier, car il a été conditionné par la forme du rocher sur lequel il est bâti. L’ensemble est divisé en deux parties, séparées par un léger dénivelé et autrefois par un mur.
Au milieu de ce mur s’élevait une tour circulaire partiellement conservée, dont seule la partie inférieure, sur quelques mètres, est d’origine, le reste ayant été détruit, puis reconstruit à une époque récente. Les parties conservées comprennent une basse-fosse, aveugle à l’origine et un étage au niveau duquel se faisait l’accès par une porte surmontée d’un arc en plein cintre, dont le seuil et les piédroits en scories volcaniques rouges sont encore en place. Les deux niveaux étaient couverts d’une voûte d’arêtes. L’architecture de cette tour était donc typiquement celle d’un donjon, mais elle étonne par ses petites dimensions. Son diamètre extérieur n’est que de 5,60 m, ce qui, avec des murs de un mètre d’épaisseur, laisse un espace intérieur de seulement 15,90 m² par niveau (P.-Y. Laffont), donc absolument pas logeable. Quel était donc le rôle de cette tour ? Tour de guet peut-être ? Ou marque de prestige pour les seigneurs du lieu ? On se perd en conjectures à son sujet.
Tour-porche d'entrée du château (intérieur) |
Terre-plein sud |
Toute la partie sud-ouest de l’ensemble castral est occupée par un vaste terre-plein rectangulaire, bien aplani, légèrement surélevé et libre de toute construction. Toutefois, on remarque, dans l’angle sud-ouest, une fenêtre romane à large ébrasement percée dans le rempart. Des sondages ont montré qu’il existait là un bâtiment rectangulaire dont le mur pignon aurait été intégré dans la tour semi-circulaire de l’angle sud-ouest lors de la construction des courtines.
Les courtines et tours constituant l’enveloppe de la plateforme sud ont un rôle de muraille de soutènement pour les remblais donnant la planéité au sol. Le front sud terminant l’éperon au-dessus de l’église, encadré de deux tours semi-circulaires, a conservé son élévation médiévale. Le crénelage a été refait, puis retouché par des réparations récentes, mais ce n’est pas une reconstitution fantaisiste, car il apparaît sur des gravures du XIXe siècle et encore, bien que dégradé, sur des photographies du début du XXe siècle. Ce front très exposé au-dessus du village a été qualifié de « mur-bouclier ». Les tours constituent des massifs pleins. Pour C. Corvisier, cette enceinte pourrait être datée des environs de 1200, tandis que P.-Y. Laffont la considère comme nettement plus tardive, estimant que « ce type de grande basse-cour refuge évoque plutôt la fin du XIVe siècle et les travaux de la guerre de Cent Ans. »
Quelle était effectivement le rôle de cette grande esplanade qui était la partie la plus fortifiée du château ? On pense bien sûr à un enclos refuge pour hommes et bêtes en cas de danger et très probablement aussi à une cour d’armes.
La deuxième partie de l’ensemble castral, au nord et à l’est de la tour centrale, était à usage résidentiel. Maintes fois remaniée et reconstruite, ses vestiges forment un ensemble complexe, difficile à déchiffrer. Nous commencerons leur visite par la petite chapelle Saint-Jacques-le-Majeur.
La chapelle |
Accrochée à l’extrême bord du socle rocheux, en son point le plus élevé, la chapelle castrale occupe une position privilégiée pour surveiller ce qui se passe sur le fleuve. Pouvant être datée du xiie siècle, c’est certainement une des plus anciennes parties du château. Construite en tuf volcanique rouge soigneusement appareillé, elle a été récemment restaurée. C’est un petit édifice typiquement roman, très simple, ne présentant aucun décor sculpté. La nef, dont la voûte en berceau brisé s’appuie sur des arcs de décharge latéraux, se termine par une abside de plan semi-circulaire à la base de laquelle court un mur bahut et qui est voûtée en cul-de-four.
On remarque, percée dans le mur nord, une porte haute qui, à l’intérieur, ne pouvait déboucher que sur une tribune accolée à la façade occidentale. Comment pouvait-on y accéder de l’extérieur ? C. Corvisier pense qu’il existait peut-être une galerie qui conduisait à cette porte depuis le logis seigneurial.
Réaménagés ou reconstruits dans la deuxième partie du xve et au début du xvie siècle par les Poitiers-Valentinois, ils comprenaient trois ensembles ordonnés sur trois côtés d’une « cour noble ».
La galerie |
La cuisine. On voit au fond la cheminée dans laquelle s'ouvre le four à pain |
Commençons notre visite par les vestiges situés au sud-est de cette cour, qui sont adossés à l’éminence rocheuse portant la chapelle. On y accède par un perron semi-circulaire taillé dans le roc et on pénètre dans une grande salle, toute en longueur, habituellement désignée « galerie ». Elle est couverte d’une voûte en berceau très rustique et s’ouvre sur la cour par une porte et trois fenêtres cintrées ; les encadrements en sont très soignés, ainsi que les chaînages d’angles. On y voit la margelle de la citerne ornée d’un décor en dents de scie. À l’extrémité de cette galerie s’ouvre une salle voûtée d’arêtes qui était la cuisine. Deux grandes cheminées s’y font face sur deux murs opposés ; dans l’une s’ouvre la porte du four à pain qui formait à l’extérieur un saillant semi-circulaire encore visible. L’étage situé au-dessus de la galerie abritait sans doute un complément des appartements seigneuriaux situés au-dessus de la cuisine ; il en subsiste une fenêtre à meneaux restaurée.
C. Corvisier pense que c’est à l’emplacement de la cuisine que se situait le noyau résidentiel initial du château, essentiellement constitué d’un donjon quadrangulaire qui aurait pu être relié à la chapelle voisine. P.-Y. Laffont, bien que plus prudent, ne contredit pas ce point de vue, estimant que « Ce bâtiment ayant été extrêmement remanié, il n’est pas possible d’être très affirmatif quant à son ancienneté et à sa fonction première, bien que sa situation topographique, sur l’un des points les plus hauts du site et à proximité de la chapelle romane, plaide en faveur d’une telle hypothèse. »
Pour en revenir aux constructions du xvie siècle, on pense que la galerie était raccordée à la grande salle du nord-est dont nous allons maintenant examiner les vestiges et qu’elle permettait la communication entre celle-ci et la cuisine.
Du grand bâtiment nord-est ne reste que la face arrière, sous la forme d’une très haute et longue muraille avec, au centre, les restes d’une imposante cheminée. À droite de celle-ci, on remarque une petite porte donnant sur l’arrière du bâtiment. Cet édifice devait comporter au rez-de-cour une très grande et belle salle de réception. De la façade avant du bâtiment, il ne reste rien ; peut-être a-t-elle été pillée, dépecée en premier après l'abandon du château, car elle devait avoir de très belles fenêtres et des portes élégantes.
Mur du fond du corps de logis nord-est. À gauche, la tour des latrines |
Pour des raisons de sécurité, un grillage empêche de s’approcher du mur restant et donc de franchir la porte qui le traverse. Mais il est possible d’en voir la face arrière en montant, sur notre droite, jusqu’à la base d’une tour flanquant l’enceinte du château. De là, outre une très belle vue sur la vallée de la Loire, on découvre qu’un mur de défense crénelé de faible élévation doublait celui de la grande salle, en ménageant entre les deux un espace de circulation. L’extrémité de cette muraille se raccorde, à l’angle nord-ouest de l’ensemble castral, à une tour carrée ; celle-ci, outre son rôle défensif, abritait deux étages de latrines. Une poterne s’ouvre dans le mur crénelé ce qui, avec celle percée dans le mur du logis, autorisait un passage dérobé vers l’extérieur.
Le troisième côté de la cour noble, au nord-ouest, était occupé par un important bâtiment fondé en contrebas de la cour et reposant en partie sur une cave voûtée. C. Corvisier le nomme « grand logis neuf » et le date, au plus tôt, de la deuxième moitié du XVIe siècle. Il comportait trois niveaux percés de grandes fenêtres à meneaux, dont certaines à deux traverses, notamment sur la façade extérieure regardant la vallée, dont il reste un pan de mur attenant à la tour-porte. Il s’agissait donc d’une construction somptuaire, avec des salles d’apparat, réalisée à une époque où les soucis de défense commençaient à devenir moins primordiaux.
Mur d'enceinte du bourg castral appareillé en prismes de basalte |
Ainsi se termine notre visite des vestiges de l’ensemble castral ; le temps est venu de rejoindre le Chaussadis où, comme chaque année, va se poursuivre notre journée champêtre avec notamment une conférence de Michel Rouvière, illustrée de nombreuses projections, sur l’architecture rurale.
Mais, si vous revenez à Arlempdes, nous vous conseillons vivement d’effectuer une petite promenade qui conduit au bord de la Loire en longeant extérieurement l’enceinte du bourg castral. On suit cette enceinte, à main droite, à partir de la porte du village, d’abord entre des maisons, puis bientôt sur un chemin qui, rapidement, tourne à droite pour continuer à suivre le mur dont on remarquera l’appareillage en prismes de basalte remarquables de régularité. Et, parvenu sur la plage, on se rend bien compte combien le château, accroché à son rocher abrupt, domine le fleuve. En revanche, la baignade est désormais interdite…
Paul et Marie Bousquet
Les vues aériennes sont d'Olivier Bousquet
(« Journée champêtre » de la Sauvegarde - 5 juillet 2009)
Cliché aimablement communiqué par Claude Delmas |