Aubignas : le « fort » (château et église) dominant le village |
Nous sommes accueillis à Aubignas par le maire, M. Christian Bosquet et par M. Yontchev, président de l’association « La Pie sur l’Amandier ».
M. Yontchev nous présente en quelques mots l’association qu’il préside et dont plusieurs membres vont se mobiliser toute la matinée pour nous guider à travers leur village. Celle-ci « a pour but de contribuer au développement touristique et culturel d’Aubignas, ainsi qu’à la protection de son patrimoine et de son environnement ».
C’est ensuite au tour du maire de brosser succinctement le tableau de sa commune, qui compte actuellement 400 habitants, dont une cinquantaine intra muros. Aubignas était très connu et beaucoup plus peuplé à l’époque de l’exploitation du basalte. De nos jours, l’activité agricole est à dominante viticole, mais comporte aussi une part d’élevage. Il existe également une zone artisanale. L’école compte 25 élèves. Pour encourager le tourisme, la municipalité a installé une douzaine de gîtes, dont deux dans l’ancien château. Le tissu associatif est très présent, en particulier grâce à l’action de « La Pie sur l’Amandier ».
Pris par d’autres obligations, M. Bosquet nous quitte, non sans nous souhaiter une excellente visite de son village, et M. Yontchev reprend la parole pour nous situer plus précisément Aubignas. Le village est installé à 307 mètres d’altitude dans une dépression marneuse ouverte vers le sud, au pied du plateau basaltique du Coiron qui le protège du froid apporté par les vents dominants venus du nord. Remarque qui suscite les exclamations de l’assistance, car aujourd’hui, c’est un vent glacial venu du sud qui balaie le parking sur lequel nous sommes rassemblés ! Se tournant vers le Coiron, M. Yontchev nous fait remarquer que l’on aperçoit bien la ligne qui sépare la coulée basaltique de son soubassement marno-calcaire. De nombreuses sources alimentent plusieurs ruisseaux, dont le Frayol.
La municipalité d’Aubignas a pris l’heureuse initiative de créer à l’entrée du village un espace qui, à l’aide de panneaux explicatifs détaillés et illustrés de photos d’époque, ainsi que d’échantillons des produits fabriqués à partir du basalte, montre ce que fut cette industrie, source d’une activité importante pour cette petite commune. Et, ce qui ne gâte rien, cet espace est aménagé de manière très plaisante, avec un sol gravillonné, plusieurs arbres, dont un vieux mûrier au tronc noueux, témoin de l’époque de la sériciculture, des bordures fleuries de plantes méditerranéennes et des bancs.
L'Espace Basalte |
Avant que nous ne visitions cet espace, M. Alain Floribert, ancien maire d’Aubignas, dont l’activité professionnelle s’est exercée au sein de l’usine de basalte, évoque pour nous cette période florissante de l’histoire de son village.
L’extraction du basalte du Coiron a commencé, après la première guerre mondiale, à Rochemaure. On faisait alors « du caillou », c’est-à-dire que le matériau extrait était concassé en vue de son utilisation pour des revêtements routiers et comme ballast pour le chemin de fer. Un wagonnet rempli de ce « caillou » trône au milieu de l’espace muséal sous le vieux mûrier. Mais le gisement de Rochemaure s’est trouvé rapidement épuisé et une nouvelle carrière a été ouverte à Aubignas. Dès la mise en service de celle-ci, on a cherché des usages pour la partie du basalte extrait dont la qualité était insuffisante pour les routes ou le chemin de fer, ce que l’on appelait le troisième ou quatrième choix. La solution fut d’en faire du béton par addition de ciment provenant des usines Lafarge de Viviers et de Cruas. L’usine de la Société des Basaltes Français, devenue ensuite Société Nouvelle des Basaltes, puis Basaltine en 1975, était installée au bord de la route nationale, près de la gare qui existait à l’époque. L’exploitation de la carrière d’Aubignas dura de 1929 à 1936 ; elle cessa lorsque l’extraction fut rendue trop difficile par l’importance de la couche de terre qui recouvrait le basalte. Une nouvelle carrière fut alors ouverte à Saint-Jean-le-Centenier, dont l’exploitation dura jusqu’en 1982.
Exemples de bordures en béton de basalte et de moule destiné à leur fabrication manuelle |
Un des panneaux de « l’espace basalte » nous
renseigne de façon détaillée sur les différents
produits réalisés et la diversité de
leurs usages, un peu partout dans le monde. Ils trouvèrent
leur emploi aussi bien dans le domaine de l’urbanisme que
dans l’industrie, la marine, l’aviation… Dans
le premier cas, il s’agissait notamment de bordures de trottoirs,
de dallages divers qui se retrouvèrent à Paris, sur
les Champs-Élysées, à Bordeaux, Lyon et quantité d’autres
villes de France. Pour l’industrie, on cite notamment l’utilisation
du béton de basalte d’Aubignas dans de nombreuses
fonderies d’aluminium en France, mais aussi en Espagne, en
Grèce, en Norvège, en Pologne et jusqu’en Amérique
du sud. Il servit à faire des bordures de quai au Canada,
on le retrouve dans les digues du Nil en Égypte, au barrage
de Serre-Ponçon, sur le tarmac de l’aéroport
de Lyon-Saint-Exupéry…
Ce fut donc une industrie florissante et l’on ne s’étonne
pas en apprenant que l’usine d’Aubignas employait près
de 200 personnes entre 1960 et 1967.
Comme partout, la mécanisation
des procédés
de fabrication entraîna d’abord une réduction
importante du personnel, puis l’épuisement du gisement
de basalte conduisit à une cessation définitive d’activité.
Après d’importants licenciements en 1995, l’usine
de « la Basaltine » fut fermée le
1er janvier 2005.
Devant les chartes |
Nous nous dirigeons maintenant vers la mairie où va nous être
présenté un remarquable ensemble de documents conservés
dans les archives communales ; il s’agit d’une
dizaine de manuscrits sur parchemin, qui s’échelonnent
du début du xive à la
fin du xvie siècle.
Selon Michel Noir, certains de ces rouleaux sont formés
de plusieurs peaux reliées par des lanières et, déroulés,
atteignent plusieurs mètres pour deux d’entre eux.
(ref. NOIR Michel, « Les chartes d’Aubignas (1303- 1455) », Rev. de la Société des Enfants et Amis de Villeneuve-de-Berg, 41, 1985, p. 48-57)
Beaucoup de ces documents sont malheureusement en très mauvais état et déjà en 1985 cet auteur écrivait : « On peut souhaiter qu’une action de restauration et de conservation soit au plus tôt entreprise »… Leur extrême fragilité n’a évidemment pas permis de nous présenter ces parchemins déroulés. Parmi ces manuscrits, presque tous rédigés en latin, on trouve des chartes par lesquelles le seigneur du lieu accorde certaines franchises aux habitants, un compoix de 1614, un acte du xive siècle relatif aux réparations à faire au fort, etc.
C’est en deux groupes, pilotés par des membres de « La Pie sur l’Amandier » que nous visitons ensuite ce pittoresque village qui « est resté de nos jours un exemple typique de castrum avec un bourg castral bien conservé, enserré dans une enceinte encore bien visible avec une tour d’angle et une porte. » (DELUBAC Guy, « De châteaux en églises sur le Coiron », Pays d’Ardèche, Le Coiron, terre d’Histoire, territoire de projets…, Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, Privas, 2008 et www.patrimoine-ardeche.com)
Le village est dominé par un imposant bâtiment, communément appelé « le fort », qui comprend un château flanqué de deux tours et l’église qui lui est accolée. Entièrement construit en basalte, comme tout le reste du village, il a connu de très nombreux remaniements au cours des siècles.
L’église, qui dépendit de l'abbaye de Cruas
jusqu'en 1741, est probablement contemporaine du château
(xiie siècle)
et a connu, elle aussi, de nombreuses évolutions ;
en particulier au xive siècle
l’abside a été englobée
dans une épaisse construction en forme de tour à l’occasion
du renforcement des remparts du village. Au cours des siècles,
l'édifice a connu de nombreux remaniements dont les causes
sont multiples : manque d'entretien, modification des remparts
au xive siècle,
abandon après les guerres de Religion ; l'exposition
aux vents violents du Coiron a nécessité l'abaissement
du clocher et l'édification de murs plus élevés
que la toiture au nord et à l'ouest. On a également
ajouté à différentes
époques des chapelles latérales et deux sacristies.
La dernière
modification importante date du début du xxe
siècle avec le percement d'une porte dans la façade occidentale.
Mais
toutes ces transformations n’ont guère affecté l’intérieur
de l’édifice qui présente toutes les caractéristiques
habituelles des petites églises romanes du Vivarais méridional
: nef haute et étroite voûtée en berceau, renforcée
par des doubleaux s’appuyant sur des piliers engagés,
murs latéraux avec arcs de décharge. Le chœur
est formé d’une abside semi-circulaire et d’une
courte travée. En pénétrant dans cette église,
on est surpris par l’emploi exclusif du calcaire et non plus
du basalte et par l’élégance de cette construction
que ne laisse guère présager l'aspect massif
de l’édifice. L’abside est animée d’arcatures
en plein cintre dont trois reposent sur un mur bahut.
Sous la conduite de nos guides, nous allons maintenant parcourir les rues du village. Mais avant de pénétrer dans l’ancien bourg castral, nous apercevons le « second château », avec sa tour carrée et son logis construit sur un étage de soubassement. Construit à la fin du xvie siècle par le seigneur Alexandre du Cheylard à la suite de la destruction du château primitif lors des guerres de Religion, il a, lui aussi, été très remanié au xixe siècle.
Le « second château » |
Nous franchissons ensuite la porte occidentale du bourg castral,
conservée, mais qui a été élargie ;
d’un côté, on y voit encore un gond et les cavités
où venaient se loger les barres de fermeture. La première
impression qui se dégage en visitant ce village est celle
d’une parfaite homogénéité due à l’emploi
exclusif du basalte pour les constructions, toutes couvertes de
tuiles rondes.
Comme nous l’avons déjà remarqué pour
le second château, la forte déclivité du terrain
a conduit à construire les étages des maisons sur
des soubassements plaqués contre la pente, étages
que l’on atteint par des marches extérieures irrégulières.
Les rues fort étroites, elles aussi pavées de basalte
et presque exclusivement piétonnes, se faufilent entre ces
maisons en suivant généralement les lignes de niveau
et elles sont reliées par des venelles très pentues,
enjambées par des arcs de soutien ou des passages couverts.
Il ne subsiste que peu de vestiges du rempart, en dehors de la
porte que nous venons de franchir et d’une tour d’angle
au sud-ouest ; son tracé se suit néanmoins facilement,
ne serait-ce que par l’existence de nombreuses ruelles en
impasse qui, à l’origine, butaient contre lui. Dans
la « rue longue », nous sommes surpris par
un four à pain en encorbellement qui déborde sur
la moitié de la largeur de la rue ; il en existe un
autre à l’intérieur de l’enceinte. On
remarque aussi une belle fenêtre décorée d’un
arc en accolade, signalant une maison de la fin du xve siècle.
Avant que ne se termine cette visite au parcours sinueux et accidenté, nous voyons l’abside de l’église, fortifiée au xive siècle, qui se présente comme un énorme bloc de maçonnerie de forme tronconique.
Il est temps maintenant de rejoindre, à l’entrée du village, dans le bâtiment mairie-école de la fin du xixe siècle, la salle de la cantine scolaire que M. le maire à bien voulu mettre à notre disposition pour notre repas « tiré du panier ».
Nous tenons à lui renouveler ici les remerciements de la Sauvegarde pour son accueil chaleureux, remerciements à partager avec les membres de « La Pie sur l’Amandier », M. Nicolas Yontchev, Mme Annick Hugon et M. Alain Rivier, qui ont consacré leur matinée à nous faire découvrir leur beau village.
Marie et Paul Bousquet
Visite du 12 mars 2011
Abside de l'église fortifiée au xive siècle |
Contre le mur de l'abside, arcatures reposant sur un mur bahut |
Four à pain en encorbellement |