En cette journée où le printemps est annoncé pour 17 h 57, nous sommes 55 à nous retrouver dès le matin à l'entrée de Balazuc, sous un ciel bleu et un franc soleil qui sont printaniers avant l'heure. Mmes Claire Giraud, première adjointe, et Michèle Molière, trésorière de l'association patrimoniale locale La Roche Haute, nous accueillent et vont conduire notre visite. M. le maire, Bernard Constant, nous saluera en chemin.
Le rempart du xiiie siècle |
La tour carrée |
Remarquer la tige de fer qui servait à accrocher la balance pour peser les cocons |
Après être passés devant l'église nouvelle, construite en 1892 pour accueillir des fidèles de plus en plus nombreux – 905 habitants sont recensés en 1851 – nous franchissons le puissant rempart du xiiie siècle qui a conservé ici sa hauteur de huit mètres et arrivons sur la place du Portalas. Face à nous, la Tour carrée, donjon contemporain du rempart, construit avec des pierres à bossage, n'était jadis accessible que par une porte située à six mètres du sol. Aujourd'hui, une large ouverture, percée au xixe siècle, donne accès au rez-de-chaussée. Au-dessus d'elle, une tige de fer, fichée dans la muraille, servait naguère à accrocher la balance du peseur de cocons de vers à soie.
Tout près de là, sous la mairie, une grille protège le moulage d'un remarquable sarcophage de marbre,
découvert au xvie siècle au hameau des Salles, au nord-est
du village, sur le tracé de la voie romaine d'Alba à Nîmes.
Décoré de scènes en haut-relief, il a servi d'autel dans l'église de Saint-Maurice d'Ardèche
jusqu'à la Révolution. À une époque indéterminée, il a été mutilé,
les têtes des personnages étant martelées, puis finalement vendu, en 1847, au musée Saint-Pierre de Lyon. Il est
aujourd'hui conservé au musée de la civilisation gallo-romaine de cette même ville.
Il a longtemps été considéré comme païen ; ce serait même, selon certains, l'origine de sa mutilation, due au curé de Saint-Maurice à la fin du
xviiie siècle.
(Malartre (François), Carlat (Michel), Visites à travers la patrimoine ardéchois, Société de Sauvegarde des monuments anciens de l'Ardèche, 1985, p. 219. Selon d'autres, cette mutilation remonterait à l'époque des invasions ou encore à celle des guerres de Religion (Mazon))
C'est en fait une œuvre d'origine chrétienne, probablement issue des ateliers d'Arles à la fin du ive ou au
début du ve siècle. et sa décoration identifiée comme
représentant des scènes de l'Ancien et du Nouveau
Testaments. On a reconnu, de gauche à droite :
- le Christ ressuscitant le fils de la veuve de Naïm
- Daniel empoisonnant le dragon
- Jésus guérissant le paralytique
- le Christ prédisant à Pierre son triple reniement (remarquer le coq)
- Jésus guérissant l'aveugle-né
- deux soldats romains qui tournent vers Pierre leur regard, l'un d'eux le désignant du doigt à l'autre; c'est l'arrestation de l'apôtre
- Pierre, assis, enseignant, un volumen dans les mains.
De calades étroites en passages couverts et en escaliers...
De calades étroites en passages couverts et en escaliers, nous nous enfonçons dans le dédale du village médiéval. Des maisons nobles se distinguent par leurs murs en pierres soigneusement taillées et appareillées, leurs portes en arc en plein cintre ou ogival et leurs fenêtres à colonne ou trilobées. Quelques façades portent un anneau de basalte scellé dans la maçonnerie, jadis destiné à attacher monture ou bête de somme.
Vue prise du clocher de l'église romane. Remarquer, en haut à gauche, le château, au fond le clocher de la nouvelle église |
Bientôt, le château des seigneurs de Balazuc surplombe notre chemin, bâtisse massive adossée au rempart. La construction austère du xie siècle a été agrandie aux xiie et xiiie siècles et remaniée au xve siècle. C'est devenu aujourd'hui une maison d'hôtes, dont la « châtelaine » nous salue du haut de sa terrasse.
Nous devons baisser la tête pour franchir un étroit et
sombre passage couvert taillé dans la roche, le Trou de la
Fachinaïre (la jeteuse de sorts) avant de déboucher sur la
route vigoureusement ouverte en 1897 au coeur du vieux
village.
En contre-bas de celle-ci, nous
atteignons rapidement la place de
l'église romane, espace étroit
encaissé entre le rocher, où un
panneau d'affichage a jadis été
creusé, et de hautes
constructions, dont l'abside de la
vieille église qui nous apparaît
sous l'aspect d'une tour.
Laissons pour l'instant cet édifice
remarquable qui va faire plus loin
l'objet d'une présentation séparée
et regardons à sa gauche
l'intéressante maison du bailli. Édifiée au xiiie siècle – le mur de cette époque présente un
bel appareil, avec des pierres à bossage – elle a été
surélevée au xive ou au xve siècle, avec créneaux et
merlons, puis au xviiie siècle, avec des fenêtres au linteau
cintré, et enfin à une date postérieure, la qualité de la
construction baissant à chacune de ces étapes.
Le trou de la fachinaïre (cliché M. Rouvière) |
Un passage couvert, serré entre l'église et la maison du
bailli, permet d'atteindre le Chastel Vieilh, une des plus
anciennes constructions du village, perchée sur la falaise
surplombant l'Ardèche.
Depuis la place de l'église romane, une calade en pente, la
rue Publique, conduit à la porte de la Sablière, la mieux
conservée de l'enceinte médiévale, avec rainures et trous
dans la maçonnerie, où se bloquaient les éparts qui
maintenaient les battants fermés.
Ainsi parvenus à l'extérieur des remparts, nous terminons
notre descente au pont de pierre sur l'Ardèche, inauguré
en 1884, qui fut submergé lors de la terrible crue du 22
septembre 1890 mais sortit indemne de l'épreuve. Cet
ouvrage remplace l'ancien bac, situé quelques mètres en
aval, dont la rampe d'accès au débarcadère est encore bien
visible en rive droite, son bel empierrement ayant résisté
au rabot du temps et aux fureurs de la rivière.
Cliché M. Rouvière |
Du pont, une remarquable vue d'ensemble sur le village permet de retrouver d'un coup d'oeil tout ce que nous avons découvert pas à pas dans ce pittoresque labyrinthe médiéval, dont l'évocation qui précède est loin d'être exhaustive. On pourrait encore parler de la tour de la Reine Jeanne, poste de guet sur la route des Gras, du Portail d'été, de la chapelle Saint-Jean-Baptiste, portant un blason de la famille des Éperviers, seigneurs de Balazuc du xiiie au xvie siècles, et de bien d'autres curiosités. Ce n'est pas sans raison que Balazuc a été distingué comme l'un des « Plus beaux villages de France » et a obtenu la distinction de « Village de caractère ».
Chapelle Saint-Jean-Baptiste |
Blason de la famille des Éperviers |
L'Histoire aussi a contribué à la gloire de ce petit village de
350 habitants, héritier de l'antique Baladunum. La famille
de Balazuc (ou Baladun ou Balaün en occitan) a compté
des personnages illustres, au premier rang desquels Pons
de Balazuc, chevalier du comte Raymond IV de Toulouse.
Parti avec lui en 1096, pour la première croisade, il fut tué
en 1099, peu de temps avant la prise de Jérusalem. Il nous
a laissé un récit resté célèbre de cette grande expédition,écrit en collaboration avec le chanoine du Puy Raymond
d'Agiles (ou d'Aiguilhe).
On peut également citer son arrière-petit-fils, Guillaume
de Balazuc (Guilhem de Balaün), troubadour au xiiie siècle à la cour des comtes de Toulouse.
Et n'oublions pas Dame Vierne de Balazuc, la célèbre Dona
Vierna, dont la statue en marbre de Carrare orne la place
principale de Bourg-Saint-Andéol, en reconnaissance pour
le don des bois du Laoul, patrimoine dont l'exploitation se
révéla précieuse pour cette ville. Avec cette figure
populaire, dont le souvenir est encore vif de nos jours,
l'histoire a rejoint la légende.
Pierre Court
Depuis l'autre rive de la rivière, on aperçoit bien la silhouette caractéristique de son clocher-mur... |
L'ancienne église de Balazuc, remplacée depuis 1895 par
un nouvel édifice construit en haut du village, mais
désaffectée seulement depuis 2005, comporte deux
parties. En effet, à l'église romane, a été ajoutée
ultérieurement une deuxième nef qui en double
sensiblement la superficie.
Située au bas du village, c'est une solide construction établie sur un éperon rocheux qui domine l'Ardèche.
Depuis l'autre rive de la rivière, on aperçoit bien la
silhouette caractéristique de son clocher-mur percé de
trois arcades et surmonté d'un petit clocheton, qui domine
les toitures avoisinantes.
Extérieurement, on remarque d'abord l'abside qui se
présente sous la forme d'une haute tour semi-cylindrique,
construite en pierres soigneusement taillées et
parfaitement appareillées. Une légère différence
d'appareillage de la partie supérieure laisse penser qu'elle
a dû être surélevée ; la présence d'étroites meurtrières
conforte l'idée généralement admise que ce fut dans un
but défensif. Mais on remarque aussi l'existence d'une
autre ouverture dont la forme caractéristique montre
indubitablement qu'un pigeonnier a dû être installé là à
une certaine époque. Robert Saint-Jean n'avait pas manqué
de noter cet emploi inattendu d'un édifice religieux.
La façade occidentale qui surplombe l'Ardèche se présente
comme un mur nu percé d'une simple fenêtre, prolongé
par le clocher-arcade dont les trois baies sont dépourvues
de cloches depuis que celles-ci ont été transportées dans la
nouvelle église. Le petit clocheton supérieur abritait la
cloche de l'horloge.
L'abside |
La façade occidentale |
On pénètre dans l'édifice par le portail ouvert dans le mur méridional, comme cela était le plus souvent le cas pour les églises romanes de la région. Il ne faut pas manquer de remarquer à la fois la simplicité et la qualité de construction de ce portail.
Le portail ouvert dans le mur méridional |
La porte franchie, on se trouve dans la nef de l'église
romane à l'architecture aussi sobre qu'élégante. Formée de
trois travées, elle est assez étroite mais de grande hauteur,
ce qui lui confère une silhouette élancée ; elle est couverte
d'une voûte en plein cintre renforcée par des doubleaux
reposant sur des pilastres rectangulaires ou de simples
consoles. Des arcs de décharge peu profonds confortent
les murs latéraux. La nef se termine à l'est par une abside
semi-circulaire voûtée en cul-de-four, éclairée par trois
fenêtres récemment débouchées et pourvues de vitraux.
On remarque que la voûte de la nef est partiellement
construite en tuf, sans doute pour en réduire le poids et
peut-être aussi pour une meilleure acoustique.
Nous nous trouvons donc dans un édifice dont
l'architecture tout à fait classique est celle de nombre de
petites églises ou chapelles rurales édifiées, généralement
au xiie siècle, en Vivarais méridional. L'absence de toute
décoration ne fait que mieux mettre en valeur la qualité de
sa construction.
Une table d'autel rectangulaire en calcaire blanc, creusée
« en évier », a été trouvée dans le sol de l'abside vers 1950.
Son pourtour comporte une double rainure avec écoulement. Provenant peut-être d'une église antérieure,
elle ne semble pas avoir été précisément datée.
La deuxième nef, rajoutée au nord de l'église romane, est
bien loin de présenter la même qualité de construction
que celle-ci. Voûtée d'arêtes, l'appareillage en est grossier
et sa moindre élévation lui confère une silhouette plus
massive, alors que la nef romane, nous l'avons remarqué,
est très élancée. Albin Mazon a même écrit : « La vieille église de Balazuc est remarquable par la solidité de ses
assises et la sobriété de ses
ornements. […]. On y a ajouté
une nef qui l'a singulièrement
gâtée du point de vue
architectural. » - (Francus (Dr, alias Albin Mazon), Voyage le long de la rivière d'Ardèche, Privas, 1885, rééd. La Bouquinerie, Valence, 1992, p. 68.)
La nef romane |
La deuxième nef |
Comme d'habitude, lors de la construction de cette deuxième nef, le mur roman a été percé sous les arcs de décharge pour faire communiquer les deux parties de l'église. Ces ouvertures ont été ultérieurement rebouchées lorsque la deuxième nef a été utilisée comme salle de réunion ou de spectacle. (Goalec (Suzanne et Charles), Balazuc, l'église romane, 3e éd., Balazuc, 2006.)
Unanimement considérée jusque là comme une construction du xviie siècle, cette nef est depuis peu présentée comme datant du xiiie, voire de la fin du xiie siècle, à la suite de la découverte, lors de travaux de restauration, de lavabos ou « piscines » liturgiques. Seules les voûtes dateraient alors du xviie siècle.
Vierge de Balazuc |
Table d'autel retrouvée dans le sol de l'abside |
Notons encore que se trouvait autrefois
dans cette église une statue en pierre de la
Vierge, dite Notre-Dame de Balazuc, qui a été transportée dans la nouvelle église lors
de la mise en service de celle-ci, puis
retirée pour être mise en lieu sûr par la
municipalité. Haute de 66 cm, elle est en
partie détériorée car, du corps de l'enfant,
ne restent que les bras et les mains. Elle
présente encore des traces de
polychromie. Selon certains, elle serait d'époque romane,
pour d'autres plutôt de la Renaissance (Goalec, op. cit.). Nous
n'avons pas eu la chance de la voir.
Pour terminer, que savons-nous sur l'histoire de cette église ? Bien peu de choses.
Sa première mention connue se trouve, semble-t-il, dans la
sentence arbitrale par laquelle, en 1289, l'archevêque de
Vienne, légat du pape, répartissait entre l'évêque de
Viviers, le chapitre et l'université des prêtres de la
cathédrale, l'administration d'un certain nombre de
paroisses du diocèse et surtout les bénéfices afférents. Par
cette sentence, la paroisse de Balazuc revenait à
l'archidiacre de la cathédrale. (Mazon (Albin), Quelques notes sur l'origine des églises du Vivarais…, Privas, 1893, rééd. La Bouquinerie, Valence, 2000.)
En dehors de ce texte, nous
disposons des procès-verbaux de plusieurs visites
canoniques, mais ils ne nous apprennent rien d'essentiel.
Notons pour terminer que l'édifice est inscrit à l'inventaire
supplémentaire des monuments historiques depuis 1927.
Paul Bousquet