Avant de découvrir le hameau du Bouschet de
Pranles où est nichée la maison de Pierre et Marie
Durand, vous traverserez une forêt de châtaigniers
centenaires, témoins de l'histoire de ce pays des
Boutières. Les vieux troncs noueux se dressent fièrement
face à un panorama grandiose. Par temps clair, le ciel
vous fera peut-être la grâce de découvrir les lignes
sinueuses du Vercors jusqu'aux Alpes !
Les quelques maisons
du hameau, accolées les
unes aux autres comme
si elles voulaient résister
ensemble aux marques
du temps, enserrent la
maison des Durand qui
se dresse au bout d'un
chemin de terre.
À l'entrée de cette maison
datant du xve siècle
et classée monument
historique, vous découvrirez
l'antique four à
pain noirci par les ans.
Maison de Pierre et Marie Durand |
L'architecture des bâtiments,
de type purement
ardéchois des Boutières, a épousé parfaitement les
dénivelés, donnant ainsi naissance à des escaliers et des
cours intérieures.
Les grandes portes au sud et à l’est lorsqu'elles se
refermaient à la tombée du jour assuraient la sécurité des
hommes et des bêtes, d'où l'appellation de « maison
forte ».
Le corps d'habitation de la maison est resté pratiquement
tel qu'il était au xviiie siècle.
On y retrouve la cuisine, avec son magnifique vaisselier taillé dans la pierre, et son imposante cheminée abritant
une cachette destinée à protéger l'éventuel prédicateur
poursuivi par les soldats du Roi.
C'est qu'en ce temps là, la liberté religieuse était interdite
dans le royaume de France ! Le Roi n'accepte pas qu'il
existe deux religions dans le pays, c'est l'unité du
royaume qui est compromise. Au nom du principe : « Un
roi, une loi, une foi, (celle du monarque) », les protestants
qui s'obstinent à garder leur liberté de conscience vont
devenir des hors la loi et plus particulièrement après la
révocation de l'Édit de Nantes par Louis XIV, en 1685.
En cette année 1711, Marie Durand vient de voir le jour
dans cette maison du Bouschet de Pranles. Étienne, le
père, greffier consulaire, mais aussi la mère Claudine
Gamonnet sont tous deux de « nouveaux convertis ». Ils
appartiennent à la « Religion
Prétendue Réformée » et
sont appelés communément
les « R.P.R ». Cependant, afin
d'assurer une existence
légale à leurs enfants, ils
feront baptiser leur fils aîné
Pierre, né en 1700, et la
petite Marie à l'église
catholique de Pranles (seul
le baptême catholique
donnait un « État Civil »).
Étienne Durand, en plus de
son train de campagne, était
expert foncier. Il possédait
quelque instruction et était
considéré comme un
homme intègre, digne de confiance. C'est pourquoi, bien
que « nouveau converti », il fut chargé par les notables de
la paroisse, sur recommandation du curé de Pranles, de
la fonction de greffier consulaire.
Cependant, Étienne Durand n'a pas craint d'affirmer
ouvertement sa foi. En 1694, il grava sur l'arceau de la
porte de sa maison, en latin, le début du psaume 51 : « Miserere mei Domine Deus » (aie pitié de moi Seigneur
Dieu), et sur le fronton de la grande cheminée, en
français, avec l'orthographe de l'époque : « Loue soy
Dieu 1696 E.D. ».
Dans la famille Durand, on est, comme beaucoup d'autres
familles, en apparence catholique comme la loi l'exige,
mais à la maison on lit le livre interdit : la Bible.
On se rend aussi aux assemblées tenues la nuit, dans les
maisons ou dans les ravins des alentours.
Ces assemblées nocturnes étaient parfois encerclées par
les dragons du roi... c'était alors les arrestations, les
galères, les prisons !
Bible imprimée à Bienne en 1660 |
Marie avait huit ans, lorsque sa maman fut arrêtée et
conduite vers Pont-Saint-Esprit, où il y avait une prison
pour femmes. On n'entendit plus jamais parler d'elle.
Pierre fut envoyé à l'école à Privas, puis fera en Suisse des études dans le but d'être pasteur. Étienne reste donc seul avec Marie. La fillette va grandir
auprès de son père qui va l'éduquer. Il va lui apprendre à lire, à écrire et va lui transmettre ses convictions.
Pierre revient en France et réorganise, en Vivarais, les Églises Réformées du Désert, affirmant un loyalisme
envers le pouvoir, mais revendiquant la liberté de
conscience ! Il est dès lors clandestin et par conséquent
recherché. Au sein de cette existence qui le met
constamment en danger, il trouvera un peu de réconfort
en liant sa vie par le mariage avec Anne Rouvier en 1727.
Il leur naquit trois enfants dont un seul survivra.
La clandestinité du fils va conduire le père, Étienne, en
prison au Fort Brescou, au large d'Agde, il va y rester 14
ans.
Marie reste seule au Bouschet... elle va, quelques mois
plus tard, se fiancer à Matthieu Serre de Saint-Pierreville.
Les deux fiancés passent un contrat de mariage chez le
notaire, le 26 avril 1730 ; mais le jeune couple sera arrêté
en juillet 1730, sur lettre de cachet, donc sans jugement.
Matthieu Serre est condamné à la réclusion perpétuelle et
va rejoindre son beau-père au fort Bréscou ; il y restera
20 ans. Quant à Marie, après quelques jours à la prison
de Beauregard à Saint-Péray, elle est conduite à la tour de
Constance à Aigues-Mortes, elle y restera 38 ans (1730-
1768).
Il semble que très tôt, elle devint la prisonnière la plus éminente et la plus représentative. Elle écrivit de
nombreuses lettres, dont la première que nous
connaissons date de 1740. On reconnaît dans sa
correspondance une personne calme et réfléchie, non
portée à l'exaltation, vivant sa foi tout intérieurement,
sans manifestation spectaculaire, mais avec une fidélité à
toute épreuve. Elle accepta sa captivité avec soumission
et espérance. Mûrie par l'existence de son enfance
douloureuse, elle va devenir dans cette tour, auprès de
ses compagnes d'infortune, un soutien mais aussi un élément de stabilité et de fermeté, bien qu'elle ne pût pas
toujours empêcher les défaillances de certaines ou leurs
abjurations.
Mme Cook, présidente du musée |
Pierre exerçant toujours son ministère dans la
clandestinité, subit le sort réservé aux pasteurs.
Conformément aux ordres du roi, il sera arrêté puis
transféré à Montpellier où il aura un bref jugement et sera
pendu le 22 avril 1732.
Marie Durand revint donc dans son pays natal après
trente huit années d'absence. Elle avait retrouvé sa liberté
de mouvement, mais sa vie était entravée par d'autres
liens douloureux : sa santé était ruinée par les dures
privations, elle retrouvait l'héritage paternel mais n'avait
plus la force de cultiver les terres, la vieille maison
familiale était délabrée, ce n'était plus la maison cossue
d'autrefois.
Marie fut donc contrainte de s'endetter. Après avoir payé
sa fidélité au prix de trente huit années d'emprisonnement,
elle payait maintenant
par une vie d'indigence ! Elle s'éteignit
dans sa maison natale en
juillet 1776, sans qu'on
puisse préciser le jour.
Sa dépouille fut déposée
dans un terrain jouxtant
la maison, mais on ne
sait pas exactement où.
Une année auparavant,
elle avait légué ses propriétés
à son débiteur,
Jacques Blache de
Privas, marchand tanneur,
homme intelligent
et charitable.
Celui-ci recueillit le domaine dans un état lamentable,
mais il sut le faire valoir.
Par la suite, ce domaine passa à différents propriétaires.
Le dernier, M. Aimé Lacour, en fit don en 1931 à la Société
de l'Histoire du Protestantisme Français.
La résistance de Marie Durand, de ses compagnes et de
ce peuple vivarois dépasse de beaucoup le
protestantisme : c'est l'annonce de la marche non violente
vers la liberté religieuse et plus largement vers la liberté
d'opinion, vers la séparation entre les Églises et l'État.
Les murs de cette maison du Bouschet de Pranles ont
gardé en mémoire les événements dramatiques du passé
et, pour mieux les conter, ils ont laissé place à un musée :
le Musée du Vivarais Protestant.
Les différentes pièces de la maison, tout en gardant
farouchement leur caractère originel, proposent un
parcours permettant de remonter le temps. Un film
d'introduction à la visite place le visiteur au coeur de
l'histoire, les salles sonorisées permettent l'accès aux
commentaires en différentes langues, les cachettes et les
inscriptions gravées dans la pierre rappellent
l'authenticité des faits.
Aujourd'hui la maison est gérée par le conseil
d'administration d'une association créée en 1966. Une équipe de bénévoles assure la maintenance et l'ouverture
du musée.
La visite du musée délivre un message perceptible mais
non imposé. Le témoignage de la famille Durand
interpelle. C'est pourquoi le musée est bien plus qu'un
lieu culturel, il est un espace d'accueil, un carrefour
d'échanges et de réflexion, une porte ouverte vers la
tolérance au sein d'un monde où règne souvent
l'incertitude et l'incrédulité.
Jacqueline Cook
Présidente du musée