Burzet |
C’est un village plus modeste que Thueyts. Il se trouve à
l’écart des grandes voies de circulation et, au XIXe siècle,
le vicomte de Montravel écrivait : « Burzet est pour ainsi
dire le bout du monde ». Aujourd’hui, il donne accès au
plateau ardéchois par deux routes difficiles qui ont fait sa
renommée puisque l’une conduit à la célèbre cascade du
Ray Pic* et l’autre a été longtemps régulièrement
empruntée par le Rallye de Monte-Carlo et l’est encore
occasionnellement. Une autre manifestation y attire la
foule chaque Vendredi Saint. Il s’agit d’une grande
procession costumée, avec plus de soixante figurants, qui
remonte le calvaire de 32
stations daté du XIIIe siècle.
Burzet est également connu
pour être le pays natal de
saint Bénézet, le
constructeur du célèbre
pont d’Avignon dont le
Rhône emporta une partie
un jour de colère.
*« Qui n'a vu ni Paris, ni le Ray Pic, n'a jamais rien vu », dit un dicton
La tour de l’horloge domine
le village. Construite en
1906, on dit qu’elle fut
l’oeuvre d’un dévot qui,
après les évènements de
1905, ne voulait plus
regarder l’église et son
horloge devenues propriété
de la municipalité.
Le château féodal était bâti
au sommet de la falaise
basaltique surplombant la rivière. Il est difficile d’en
déterminer plan et dimensions, car il n’en reste plus que
des vestiges et seules sont encore visibles les assises
d’une large tour rectangulaire (donjon ?) et un trou de
boulin percé dans le rocher. Le premier village de Burzet était vraisemblablement une « ville close » dont
les maisons se trouvaient enfermées dans l’enceinte. Le
château aurait été rasé par Richelieu, pour cause de
protestantisme de ses propriétaires. Mais d’autres, dont
Montravel, disent qu’il le fut à la Révolution (?).
Le Fau |
On ne trouve trace, dans les actes, des seigneurs de Burzet qu’à partir du XIIe siècle. Ils étaient peut-être des Montaigu venus des Boutières. Par manque d’héritier mâle, l’héritage d’Imbert de Burzet, décédé en 1384, fait l’objet de multiples contestations. Finalement, en 1400, une transaction démembre la seigneurie et le fief de Burzet, amputé d’un certain nombre de ses possessions, échoit à Alasie de Burzet, petite-fille d’Imbert, qui a épousé Pierre Cornilhan, seigneur de La Baume en Dauphiné. Même s’ils n’y résident qu’épisodiquement, les Cornilhan resteront seigneurs de Burzet pendant près de deux siècles, puisque la dernière de la lignée, qui avait épousé Tiers d’Urre, exige de ses descendants, son fils Charles et sa petite-fille Catherine, qu’ils conservent le nom. Cette dernière a épousé en 1591 Jean Grolée de Viriville, comte de Peyre. La seigneurie de Burzet passe donc aux Grolée, puis, après une nouvelle succession conflictuelle, aux Moret qui conservent le titre de comtes de Peyre.
D’autres familles nobles, « tenues de rendre hommage au seigneur de Burzet », y possédaient « castelets ou maisons fortes ». Montravel en dénombre au moins quatre. Le Fau, qui domine la vallée de la Bourges sur sa rive droite, fut d’abord propriété des Pignons, seigneurs de Colanges. Il passa, par mariage en 1513 de la dernière représentante de la famille, aux Veyrier. Portaient-ils ce nom parce qu’ils avaient eu la charge de la verrerie installée par les moines d’Aiguebelle au lieu-dit encore connu de nos jours ? Le Fau appartint ensuite aux d’Audoyer, puis aux Bernardi. Pendant la Révolution, y résidait le sieur Alexandre Bernard, dit Labatie, qui fut un des lieutenants du Grand Chanéac1, le chouan du Plateau.
Château de Gallimard |
Les Bochard de
Pervéranges possédaient ce
domaine situé en amont du
village. On trouve trace de
cette famille dès le XIIIe siècle avec un Guillaume
Bochard, baile* du
seigneur de Burzet.
Le château de Méseyrac,
qui fait face au Fau sur la
rive gauche de la rivière, fut bâti au XIIIe siècle
par la famille du même nom venue de Présailles en Velay. Il est
maintenant connu sous le nom de château de Gallimard,
car, à partir du premier édifice, il fut entièrement
reconstruit au XVIIIe siècle par la famille Chalabreysse de
Gallimard qui l’avait acquis en 1662.
*ou bailli, « officier qui rendait la justice au nom d'un seigneur » (dictionnaire Robert)
Enfin, la famille Monteil, issue des Mayne de Monteil,
seigneurs de la paroisse de Saint-Front en Velay, avait
quelques possessions à Burzet, peut-être à l’origine du
hameau du même nom.
Du vieux village, il ne reste plus grand chose. La place de
la Confrérie pourrait encore témoigner de l’existence de
confréries de pénitents. Mais l’on n’y trouve plus trace
d’une chapelle. Par son nom, la place du Temple rappelle
l’emplacement de l’ancien temple protestant qui fut détruit
jusqu’aux fondations par les catholiques pendant les
guerres de Religion. On couvrit même le cimetière
adjacent de terre, afin de pouvoir « danser sur les tombes ».
Le seul bâtiment ayant un réel
intérêt est l’église. C’est une des
rares églises gothiques de
l’Ardèche,* avec, entre autres,
celle de Chassiers.
* Cette affirmation est à prendre avec précaution. En effet,elles présentent souvent des restes d'une église primitive romane. De leur côté, la plupart des églises dites « romanes » ont été, au fil des siècles, profondément modifiées par l'édification de chapelles latérales ou à la suite de reconstructions consécutives aux dégâts causés par les guerres de Religion ou la Révolution.
Classée Monument Historique,
bâtie sur une petite éminence
au-dessus de la rive droite de la
Bourges, elle a été construite,
dans son état actuel, au XVe siècle. La date précise
du début
des travaux est controversée,
bien qu’elle apparaisse sur une
inscription en caractères
gothiques au milieu du tympan
du portail, car elle est difficile à déchiffrer
(vraisemblablement 1451). Elle ne fut pas achevée avant
1457. La même inscription porte le nom des constructeurs :
Pierre Oculi Bovis (ou Huelh de Buou), Barthélemy Mégan
(Méjean) et Claude Ayraut. Il semble qu’il y avait alors à
Burzet des dynasties de maçons réputés, particulièrement
de bâtisseurs d’églises, à qui on doit également, entre
autres, celles de Saint-Laurent-les-Bains et d’Usclades.
L’existence de la famille Oculi Bovis est attestée dès le XIVe siècle.
Ils portaient le surnom de La Gleyza, ou de Ecclesia dans les actes notariés, c'est-à-dire « de l'église ». Etait-ce parce
qu’ils étaient constructeurs d’églises ou, plus simplement,
parce qu’ils habitaient à proximité de l’église ? Toujours
est-il que, dès la fin du XVe siècle, le surnom prit le
dessus et on pense les retrouver dans les estimes de 1464 sous le
nom de Gleyze.
L’existence d’une église antérieure, probablement située au
même emplacement, est attestée par des documents des
XIIe et XIIIe siècles. (Bulles des papes Alexandre III de 1164 et Alexandre IV du 25/06/1258). Burzet a en effet été le siège d’un
prieuré dépendant au XIIe siècle du chapitre du
Puy et, à
partir du XIIIe siècle, du monastère du Charay. (Communauté établie sur le mont Charay, au-dessus de Privas, sous la dépendance du chapitre de la cathédrale du Puy.)
De style gothique flamboyant, l’église comporte une nef centrale et deux nefs latérales. Des anomalies de construction ont amené à penser que celle-ci comportait un symbolisme. Elle figurerait le Christ au tombeau. La voûte du chœur, de facture classique avec ses arcs doubleaux et sa croisée d’ogives, est inclinée vers la droite, comme la tête d’une personne endormie ou d’un cadavre. On trouve cette disposition du chœur dans d'autres églises, celle de Saint-Paulien en Haute-Loire par exemple, pour laquelle les spécialistes pensent qu'elle aurait été imposée par l'instabilité du terrain. De façon générale Daniel Rops en contestait le symbolisme.(in Comment on bâtissait les cathédrales). Mais, c’est toute l’église qui offre cette curieuse disposition, comme celle d’un corps couché sur le côté. Les voûtes des deux nefs latérales penchent, elles aussi, vers le nord et elles n’ont pas la même largeur. Celle au nord est plus étroite et va en se resserrant, alors que celle du sud s’élargit. Leurs baies sont différentes, largement ouvertes au sud et très étroites au nord. La position différente des épaules serait figurée par la différence que l’on peut constater entre les deux arcs de la première travée, dont l’un porte une forte saillie. Enfin, la nef était initialement en contrebas de cinq ou six marches par rapport au parvis, sous lequel se trouvaient des tombes, donnant l’impression de descendre dans une crypte. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que le parvis fut abaissé pour le mettre de plain-pied avec la nef.
Le clocher est un clocher mur (ou peigne). Il porte cinq
ouvertures pour les cloches, quatre dans la partie
rectangulaire et une, où se trouve la grosse cloche, dans la
partie triangulaire sommitale. On dit que, lorsqu’elle
sonnait à toute volée, la cime branlait avec un
balancement pouvant aller jusqu’à vingt centimètres,
excepté lorsque la terre était gelée. Un seigneur protestant
d’Annonay s’étant étonné, un jour d’hiver, de le voir
immobile, il lui fut répondu que le clocher ne branlait pas
pour les huguenots. Giraud Soulavie2 atteste avoir été le
témoin3 de ce balancement. Il mentionne que le même
phénomène se produit, beaucoup plus faiblement, au
clocher des Pénitents de Largentière et qu’il a fait « tomber en ruine
une partie des édifices de l’église de Reims ». En
ce qui concerne Burzet, il l’attribue au fort déséquilibre
pondéral entre la cloche et son joug qui fait que la cloche
entraîne dans son mouvement le haut du mur. Il
recommande d’augmenter le poids du joug, mais, écrit-il, « les gens de
Burzet sont trop jaloux de posséder
un clocher mobile, ils en parlent avec enthousiasme… ils entrent ou sortent de la porte
inférieure avec sécurité…
mais ce clocher… doit un jour nécessairement tomber en
pièces ». À vrai dire, il est encore debout. Une autre
explication, avancée par certains, serait la convexité
donnée par les constructeurs aux pierres de la base. Qu’en
est-il aujourd’hui ? Nul ne nous l’a dit.
Comme beaucoup d’autres, l’église subit quelques
dégradations dans les siècles qui ont suivi. Détruite par les
Huguenots en 1617, la voûte de la nef centrale fut rebâtie
quelques années plus tard (1621). Il semble qu’elle aurait été elle
aussi penchée à l’origine, mais reconstruite droite. À la Révolution,
l’intérieur de l’église fut ravagé sur
ordre
du Comité révolutionnaire et les cinq cloches furent
fondues. Les cloches actuelles datent du XIXe siècle, ainsi
que le maître-autel et le retable. Le
précédent avait été sculpté au XVIIe
siècle par Jean Lafaye de Sainte-
Eulalie. En 1906, la très vieille porte
fut incendiée par des inconnus
(conséquence de la tentative
d’inventaire avortée qui avait eu
lieu au début de cette année-là ?)
et fut remplacée par la porte
actuelle. Enfin, en 1956, fut
entamée une restauration qui
conduisit à la disparition de la
chaire, des lustres en verre, des
retables des chapelles latérales et
du baldaquin du maître-autel, ainsi
qu’au changement des vitraux,
réalisés par l’atelier Balayn.
Aujourd’hui, au milieu d’une
abondante iconographie saint-sulpicienne, ne restent plus
que quatre éléments présentant un certain intérêt. Ce sont
le retable de 1809 qui porte des statues de saint Régis et
de saint Bénézet et le maître-autel de 1860, en marbre,
tous deux classés, ainsi que les autels de la Vierge et de
saint Joseph dans les nefs latérales. Une statue
monumentale de saint Bénézet, de facture récente,
rappelle la vie et l’œuvre de cette personnalité locale.
Saint Bénézet - Vitrail de la chapelle du Villard |
Le hameau du Villard se trouve en bordure de la route qui mène à Labastide-sur-Besorgues. C’est là que naquit vers 1165, « de parents pauvres et pieux », un jeune berger nommé Bénézet (ou Bénezet : Benoît) Chautard. À l’âge de 12 ans, alors qu’il gardait ses brebis, il entendit une voix, celle de Jésus-Christ, qui lui commandait d’aller bâtir un pont sur le Rhône à Avignon. Il se rendit alors dans cette ville où, malgré moqueries et menaces des autorités ecclésiastiques, il mena à bien son œuvre, un pont qui, avec ses 22 arches, était long de 900 mètres. La légende dit que ce fut grâce à l’intervention divine. Plus prosaïquement, certains pensent que c’était avec l’aide de bâtisseurs qualifiés qu’il fit venir de Burzet (Jean Charay, Petite histoire de l'église de Viviers.) Son âge, qui semble bien jeune, est également mis en doute. On parle parfois de 18 ans.
Ayant acheté une maison à côté du pont, il y fonde une
communauté, Les Frères de l’Œuvre du Pont, qui avait
pour mission d’assurer la construction et l’entretien de
l’ouvrage. Elle avait aussi en charge un hospice pour
l’accueil des voyageurs et des malades. Elle disparaîtra au
XVe siècle.
Bénézet décède en 1184. On construit sur le pont une
chapelle pour lui servir de sépulture. Il sera canonisé au
XIIIe siècle. Mais le Rhône a de terribles caprices qui
menacent la survie du pont et finiront par le détruire en
partie, lui donnant son aspect inachevé actuel. Au milieu
du XVIIe siècle, par mesure de précaution, on transfère le
corps de saint Bénézet, que l’on trouve dans un
remarquable état de conservation, au couvent des
Célestins en ville.
Au hameau du Villard, on peut encore voir ce qu’on pense être la maison natale
de Bénézet,
avec une belle porte en ogive. En 1727-1728, on construisit à côté, en contrebas,
une chapelle en l’honneur du saint, qui fut remaniée au
début du XIXe siècle. Avec son clocher arcade et le grand
arc ogival qui encadre la porte, elle présente un indéniable
attrait. On y jouit en outre d’un spectaculaire panorama sur
la vallée.
Chapelle du Villard |
Maison natale de saint Bénézet |
Guy Delubac
Photographies : Simone Delubac