Le village de Chambonas, l'église et le château |
Si nous quittons Les Vans par la route descendant vers le Chassezac, d’un tournant dominant la rivière, nous découvrons un tableau dont on ne se lasse jamais : le petit village de Chambonas avec son église, son château et son pont gothique qui permettait de franchir le Chassezac à l’une des voies de communication qui reliaient la vallée du Rhône au massif Central, celle qui escaladait les pentes cévenoles par Peyre, puis Loubaresse, pour atteindre le col de la Chavade, chemin déjà emprunté par les Romains.
Au Moyen Âge, Saint-Martin de Chambonas faisait partie du diocèse d’Uzès. En 1096, cette église fut confiée par l’évêque de ce diocèse à l’ordre des chanoines de Saint-Ruf, implantés en Avignon depuis 1039. Mais, en 1200, l’abbé de Saint-Ruf rétrocéda l’église à l’évêché d’Uzès qui donna alors la paroisse à l’abbaye bénédictine de Saint-Gilles du Gard ; celle-ci avait déjà installé des prieurés sur la voie Régordane et dans ses environs. En 1208, dans une bulle, le pape Innocent III confirma à l’abbé de Saint-Gilles tous les droits, privilèges et possessions de ce monastère sur de nombreuses paroisses en Vivarais, dont Chambonas. « Désormais, l’abbaye de Saint-Gilles était solidement en place sur un chemin qui unissait les régions méditerranéennes au Massif Central […] Elle pouvait entreprendre, à l’orée du XIIIe siècle, la réalisation d’œuvres à la fois fonctionnelles et symboliques, à savoir la reconstruction de l’église Saint-Martin de Chambonas et l’édification d’un pont sur le Chassezac. » (B. Nougier , cf bibliographie)
L'église vue du nord-est |
L'église côté sud |
Initialement, au début du XIIIe siècle, l’église, orientée, était seulement formée d’une nef de deux travées prolongée par une abside semi-circulaire et d’un porche ouvert au midi, protégeant le portail ébrasé ; deux chapelles latérales légèrement plus tardives, formant un faux transept, furent greffées sur la construction, peut-être avant la fin du premier chantier. Tout l’ensemble est construit en grès fin, soigneusement appareillé et couvert de lauzes.
Le portail s’ébrase grâce à trois voussures en arc légèrement brisé ; la voûte de l’auvent forme un cintre surbaissé ; sur les murs court le bandeau d’une litre funéraire bien dégradée. |
Au XVe siècle vinrent s’ajouter une autre travée et probablement le clocher actuel, ayant sans doute succédé à un clocher mur. Plus tard furent construits le presbytère s’appuyant sur la façade occidentale et, au XIXe siècle, une sacristie masquant une partie de l’abside au sud, heureusement supprimée il y a quelques années. Ce n’est qu’au XXe siècle que le cimetière fut déplacé.
Ce bel édifice, très sobre dans son architecture, s’agrémente d’une profusion de motifs sculptés d’une étonnante variété qui ornent en frise la corniche courant tout au long de la toiture ainsi que les modillons qui, en général, la supportent : plantes, fleurs, fruits, outils d’artisans et de paysans, instruments de musique, animaux sauvages et domestiques, croix, poteries, têtes humaines très expressives.
Nous remarquerons tout particulièrement le décor du chevet. Sur sa corniche s’alignent notamment un lapin, un épi entouré de deux oiseaux, une genette et surtout un amphisbène, reptile légendaire possédant une tête à chaque extrémité du corps ; les anciens croyaient à la réalité de cet animal réversible.
Les modillons de l’abside figurent des têtes d’animaux domestiques : chèvre avec collier et clochette, cochon, chien, ainsi que de nombreuses têtes humaines aux expressions diverses. Opposition intéressante : côté sud, côté lumière, se trouvent les quatre évangélistes Matthieu (homme), Jean (aigle), Marc (lion), Luc (taureau), tandis que, côté nord, côté cimetière, deux modillons attirent l’attention : l’un représente une magnifique paire de fesses, l’autre un personnage tirant la langue…
On trouvera dans l’article déjà cité de Bernard Nougier une étude exhaustive et détaillée de cet ensemble.
Les modillons représentent les symboles des quatre évangélistes. |
Sur la corniche, le fameux amphisbène. Parmi les modillons, on remarque une chèvre avec collier et clochette. |
L'appareillage de l'abside est particulièrement remarquable. |
À l’intérieur, la nef voûtée en berceau brisé renforcée par des doubleaux confirme la construction de l’église à l’époque romane tardive ; son appareillage, tout comme celui de l’abside, est remarquable par la qualité de la pierre et celle de son ordonnancement.
La structure de l’abside rappelle celle de la priorale de Thines dont le cordon mouluré s’orne de motifs variés : masques, rosaces, feuilles, vases, croix… Ce cordon mouluré et sculpté fait également le tour de la nef, à la hauteur des chapiteaux coiffant les colonnes engagées ; il marque la naissance de la voûte. Des éléments végétaux constituent l’essentiel de cette frise. Les chapiteaux de la nef et du chœur, surmontés de tailloirs volumineux, sont ornés de têtes, de pommes de pin, de feuilles variées (trèfle, feuilles allongées assimilées par certains à celles des primevères, par d’autres à celles des châtaigniers.) De petits écus en relief ornent le haut du fût de certaines colonnes ; ainsi, bien lisibles sur les colonnes de l’arc triomphal, sont encore trois fleurs de lis sur l’un, une seule sur l’autre. D’après B. Nougier, ces fleurs de lis ne représenteraient pas le pouvoir royal, mais seraient un symbole marial en vogue au XIIIe siècle.
Paul Bousquet
Chapiteau orné de feuilles |
Un cordon mouluré, orné de motifs sculptés fait le tour de l'abside. |
Un blason sculpté encastré dans le mur nord, au niveau de la troisième travée, représente une nef fortifiée ; ce seraient les armes parlantes de la famille de Naves, qui était à la tête du mandement dont dépendait Chambonas et dont un membre fut prieur dans la deuxième moitié du XVe siècle. |