Vue de la rive gauche du Rhône |
Saint-Pierre de Champagne |
Bien que situé sur la rive droite du fleuve, le « Locus
Champaniae », fief des sires d’Albon, était
une enclave du Dauphiné en Vivarais jusqu’en 1790 et dépendait
de l’archevêché de Vienne.
Les circonstances de la fondation, comme de la construction, de l'église Saint-Pierre de Champagne restent obscures.
Le plus ancien document connu la concernant est une bulle du pape Urbain II datée de 1088 qui enjoint à l'archevêque de Vienne de maintenir sous son autorité les églises Saint-Barnard de Romans et Saint-Pierre de Champagne. Cette dépendance directe de l'archevêché de Vienne devait être confirmée par d'autres bulles pontificales en 1119, 1120 et 1157. On peut supposer que l'église était alors desservie par des chanoines réguliers, sans doute de l'abbaye Saint-Barnard de Romans. L'insistance des papes à rappeler la juridiction de l'archevêque sur les églises Saint-Pierre de Champagne et Saint-Barnard de Romans semble répondre aux menaces d'usurpation qui pouvaient peser sur elles de la part des féodaux voisins. On pense, bien sûr, aux puissants comtes d'Albon, dauphins du Viennois ; Champagne qui faisait partie de leur mandement représentait pour eux une position stratégique comme tête de pont sur la rive droite du Rhône.
On retrouve ensuite mention de Saint-Pierre de Champagne dans un acte de 1254 en tant que prieuré de l'abbaye bénédictine de Saint-Chef (Isère). Mais au début du xive siècle, le prieuré de Champagne allait revenir sous la dépendance directe de la manse archiépiscopale de Vienne par deux bulles du pape Jean XXII (1320 et 1328).
Une nouvelle congrégation apparaît alors, celle des Célestins, installés en 1359 dans le Haut-Vivarais par le cardinal Pierre du Colombier. Le prieuré de Champagne leur est attribué en 1361 ; ils le conserveront jusqu'en 1773, se contentant bien souvent d'en percevoir les revenus, tandis que le service paroissial était assuré par un curé à portion congrue. Après le départ des Celestins, Saint-Pierre restera simple église paroissiale jusqu'en 1968, année où elle renouera avec la tradition monastique, grâce à l'installation à la fin de cette année là de trois chanoines réguliers venus de l'abbaye Saint-Maurice d'Agaune, dans le Valais, dans le but de faire revivre l'héritage spirituel des chanoines de Saint-Victor au sein de la confédération des chanoines réguliers de Saint-Augustin. La nouvelle communauté se développera rapidement et essaima en plusieurs autres lieux, jusqu'en Tanzanie. Élevée en 1976 au rang d'abbaye, Saint-Pierre de Champagne se trouve maintenant être la maison-mère de la congrégation des chanoines de Saint-Victor. La communauté a la charge de la paroisse Sainte-Croix du Rhône.
Selon Robert Saint-Jean, l'édifice actuel daterait du milieu du xiie siècle, ayant succédé probablementà une construction du xie siècle, mais on ne dispose d'aucune donnée certaine à ce sujet. Malgré des dégradations subies au cours des guerres de Religion, suivies de réparations au xviie siècle, l'édifice a connu relativement peu de transformations depuis l'époque de sa construction. Toutefois, en 1848, l’élargissement de la route royale n° 86 amena la destruction du porche voûté, vestige de la tour qui était accolée à la façade occidentale, mutilation dont les cicatrices restent visibles malgré les campagnes de travaux qui ont suivi. De la fin du xviiie siècle à la fin des années 1880, seuls des travaux d'entretien furent réalisés. Ce n'est qu'en 1888 qu'une restauration générale de l'édifice, qui avait été classé monument historique en 1854, fut entreprise. On supprima toutes les adjonctions postérieures à l'époque romane et on reprit tous les parements extérieurs fort dégradés, ce qui contribua à sauver le monument et à lui donner sa physionomie actuelle. Le chevet notamment fut ramené à son niveau d'origine et dégagé de constructions annexes, retrouvant ainsi sa disposition primitive. Par la suite, l'église ne fut plus l'objet que de travaux d'entretien.
Cette façade maintenant plate et unie, surmontée d'un fronton triangulaire et percée de nombreuses ouvertures, était autrefois précédée d'une haute tour-porche dont on voit encore la trace. La grande baie centrale moderne ouvrant sur le vide a remplacé lors des restaurations une grande arcade donnant accès à une chapelle haute située dans cette tour. Au-dessous du fronton court une corniche supportée par des modillons ornés de masques, d'animaux et de feuillages, le tout ayant été fortement restauré au xixe siècle.
À remarquer la discrète polychromie des arcs formés de claveaux de grès.
Sur le tympan, très mutilé, du portail central, on peut quand même reconnaître : à droite, l’arrestation du Christ au Jardin des Oliviers, à gauche, sa comparution devant Pilate ; au pied de la croix, on voit deux soldats, la Vierge et saint Jean, tandis que deux anges au-dessus sont prêts à recevoir l’âme de Jésus. Sur le linteau en bâtière, une représentation de la Cène.
Sur le linteau de la porte sud, l’agneau pascal dans une gloire circulaire est présenté par les archanges Michel et Gabriel.
À la porte nord, le Christ couronne deux personnages prosternés. On y a vu quelquefois l’empereur Frédéric Barberousse et le roi de France Louis VII, mais on pense plus généralement aux saints patrons de l’église, Pierre et Paul.
Sur la façade ont été encastrées au hasard des pierres de remploi.
Tympan de la porte centrale |
Linteau de la porte nord |
Linteau de la porte sud |
« Sur la façade ont été encastrées au hasard des pierres de remploi. » |
Le transept se présente comme un puissant massif terminé par deux tours. La tour sud a été démantelée au xvie siècle, tandis que la tour nord a conservé son étage ajouré de baies romanes à pilastres et à colonnettes, ensemble restauré au xixe siècle. Entre les deux tours s'étend un imposant massif barlong pratiquement aveugle.
L'église vue de l'est |
Cet ensemble présente un caractère défensif certain et a, effectivement, servi de refuge à la population lors des troubles causés par le passage de bandes armées pendant la guerre de Cent Ans.
L'imposant chevet à trois pans est renforcé aux angles par de gros contreforts. Chacune de ses faces est percé d'une grande fenêtre dont la clef d'archivolte est ornée d'une tête sculptée en haut relief.
Chevet à trois pans renforcé aux angles par de gros contreforts |
Comme la façade occidentale, tous les murs de l’église sont constellés de remplois très divers. Au nord, près de la base du clocher, deux énigmatiques animaux vus de face et un animal, la queue nouée autour des pattes, dont la langue s’épanouit en feuillages. Une représentation que l’on retrouve dans l’église de Vesseaux.
Mais c’est sur le mur sud du transept qu’il y a une profusion de motifs encastrés, dont la provenance prête à discussion. Notamment David portant sa fronde (on peut lire son nom). On pense qu’autrefois il faisait face au personnage voisin, malencontreusement disposé horizontalement par le maçon du xiie siècle, qui, malgré sa tenue de chevalier du xie, avec écu et cotte de mailles, devait représenter Goliath. Et à droite David achève Goliath avec l’épée de son adversaire (remarquez le fourreau vide).
À une dizaine de mètres de hauteur sur la face occidentale de la tour sud, on voit un visage dont la bouche ouverte est entourée d’une barbe en forme de coquille ; cette tête énigmatique qui évoque un masque de théâtre antique, est entourée d’un ensemble de spirales dans la meilleure tradition de l’art celte.
Puis encore des masques joufflus aux yeux perçants…
Pour Robert Saint-Jean, la quasi totalité de ces remplois dateraient du xie siècle et non de l'Antiquité ou de l'époque carolingienne, comme l'ont pensé d'autres auteurs.
Les arcs en plein cintre séparant la nef centrale des bas côtés prennent appui sur de robustes piliers carrés cantonnés de quatre demi-colonnes |
Les six puissantes colonnes qui entourent le chœur sont ornées de superbes chapiteaux sculptés |
Chapiteau de l'entrée de l'abside |
Intérieurement, Saint-Pierre de Champagne présente une homogénéité parfaite, qui prouve que sa construction a certainement été réalisée d’un seul jet. C'est une construction puissante formée de trois nefs, la nef centrale longue de cinq travées communiquant avec les collatéraux, plus étroits, par de grands arcs en plein cintre. Les deux collatéraux se prolongent autour du chœur par un déambulatoire sans chapelles rayonnantes. Leur voûte, plus basse que celle de la nef centrale, supporte deux tribunes s’ouvrant sur cette nef par des fenêtres géminées trilobées.
Le transept, long de près de 20 mètres, est une construction à deux niveaux dont les croisillons sont profonds de deux travées ; leurs travées extrêmes sont divisées à mi-hauteur par une voûte en berceau qui supporte chacune une chapelle haute.
La
croisée du transept est couverte d'une coupole sur trompes.
Un ensemble de 83 chapiteaux dérivés du corinthien décorent l'église. Ceux qui couronnent les six colonnes de l'hémicycle sont particulièrement intéressants. Les quatre du centre sont ornés des mêmes feuilles grasses qui composent le décor de tous les chapiteaux de la nef. Les deux extrêmes, à l'entrée de l'abside, sont bien différents et beaucoup plus richement décorés.
Une coupole couvrant deux travées de la nef |
Mais la grande originalité de cette église réside dans la couverture de sa nef centrale, formée d’une file de coupoles sur trompes, type de couverture extrêmement rare et qui fait tout de suite penser à la cathédrale du Puy. Ici, la dimension des coupoles est irrégulière. Les deux premières, à partir de l’ouest, très larges, couvrent chacune deux travées et sont partagées par un arc doubleau. La troisième, couvrant seulement la cinquième travée est beaucoup plus étroite. Les coupoles sont séparées par des murs diaphragmes dont l’un est percé de fenêtres géminées trilobées.
Les six puissantes colonnes qui entourent le chœur sont ornées de superbes chapiteaux sculptés ; tandis que les quatre du centre présentent des feuilles lisses et charnues, les deux extrêmes, de style corinthien sont beaucoup plus richement décorés.
On atteint les tribunes par deux petits escaliers en vis de Saint-Gilles établis dans l’épaisseur des murs des collatéraux.
C'est à l’extrémité orientale de chaque tribune que l'on trouve les petits oratoires établis à l'extrémité des bras du transept ; chacun est pourvu d’une minuscule abside semi-circulaire voûtée en cul de four. Leur arc de tête repose sur deux colonnettes monolithes décorées d’un chapiteau sculpté taillé dans le même bloc. Côté sud, ces chapiteaux représentent quatre petits personnages nus qui, au vu de leurs visages, doivent symboliser les quatre âges de la vie.
Tribune méridionale |
À leur extrémité occidentale, les deux tribunes sont reliées par une étroite galerie voûtée prise dans l’épaisseur de la façade, ouvrant sur la nef par trois larges baies. Cette galerie est doublée par un étroit balcon surplombant la nef. Il est constitué de grandes dalles de pierre dont le bord mouluré s’orne d’un tore autour duquel s’enroule un ruban et il est soutenu par six consoles sculptées.
En décembre 2000, l'artiste bien connu Goudji a installé à Champagne tout un ensemble de mobilier liturgique : l’autel, l’ambon, la croix et la colombe suspendues, le tabernacle, le chandelier pascal et le baptistère, le siège du père abbé, un ciboire et la crosse du père abbé.
L'ambon, le tabernacle et l'autel |
La couverture de la nef centrale de l'église de Champagne par une file de coupoles sur trompes, disposition particulièrement originale qui ne se retrouve que sur deux autres édifices en France1, a toujours été considérée comme inspirée par celle de la cathédrale Notre-Dame du Puy. La question de son authenticité ne s'était jamais posée jusqu'à ce que Marcel Durliat publie, en 1975, une étude très détaillée de la cathédrale du Puy2 et notamment de son voûtement par une file de six coupoles. À la suite de cette publication, plusieurs auteurs, au premier rang desquels Robert Saint-Jean3, remirent en question l'origine médiévale des coupoles de Champagne, se basant notamment sur le fait que, selon Marcel Durliat, la file de coupoles qui couvre la nef de Notre-Dame du Puy serait « une création des xviie et xixe siècles ». Mais une lecture attentive du texte de Michel Durliat montre que ce n'est pas le cas, comme l'a bien précisé Laurence Cabrero-Ravel4. Les quatre premières coupoles du vaisseau central de la cathédrale du Puy sont bien d'origine romane, celles des troisième et quatrième travées ayant été seulement restaurées au xixe siècle, tandis que celles de la première et deuxième travées étaient reconstruites. Seules les coupoles des cinquième et sixième travées ont remplacé, entre la fin du Moyen-Âge et le xviie siècle, une voûte en berceau, ceci, sans doute, afin de donner à l'ensemble de la nef une apparente unité de style.
Qu'en est-il alors des coupoles de Champagne ? L'idée qu'elles ne dateraient que de l'époque moderne est maintenant abandonnée et leur origine médiévale de nouveau admise par plusieurs auteurs. C'est le cas de Laurence Cabrero-Ravel (loc. cit.) selon laquelle : « Il nous paraît donc possible d'attribuer les maladresses d'implantation des coupoles à un changement de parti du couvrement intervenu en cours de construction alors que les parties basses de la nef étaient déjà élevées ; l'adoption d'une file de coupoles sur le haut vaisseau pourrait correspondre à un souci de modernisation à l'instar des travées occidentales de la prestigieuse cathédrale du Puy. » C'est à la même conclusion qu'aboutit René Arnaud qui a réalisé de très nombreuses études sur cette église et qui notamment, dans un article de la Revue du Vivarais5 consacré à l'étude des combles de l'église écrit : « le fait que ce mur [le mur ouest du transept] s'appuie sur l'extrados des deux coupoles met à mal l'hypothèse de certains auteurs qui prétendent que les coupoles de la nef de Champagne ne sont pas romanes, mais le fruit d'une restauration ultérieure. »