La Sauvegarde s'est rendue à Cruas
notamment en 1965, en 1976 et en 2005.
Nous laisserons de côté le compte rendu de la visite de 1965, trop
ancien, car antérieur aux fouilles et déblaiements réalisés
dans les années 1970, qui ont permis des découvertes spectaculaires,
notamment celle de la tribune monastique. Auparavant, on ne parlait que d'une « seconde
crypte ».
La dernière manifestation de l'année nous a rassemblés, nombreux, autour de l'église abbatiale de Cruas qui avait déjà fait, en Avril 1965, l'objet d'une visite de la Sauvegarde, antérieurement aux fouilles qui ont grandement fait progresser la connaissance de la structure du vénérable monument.
L'abbatiale vue du vieux village |
En l'absence de Robert Saint-Jean, souffrant, c'est son ami et disciple Pierre Peylhard qui voulut bien diriger et commenter la visite. Les plus anciens documents font remonter la fondation de cette abbaye à l'an 804, lorsque Éribert, le premier comte du Vivarais dont le nom nous soit connu, y appela les moines Bénédictins de Saint-Benoît d'Aniane. En 970, l'archevêque d'Arles vint consacrer une chapelle, sous l'invocation de Saint-Michel, que venait de faire construire une dame Gotolinde sur l'emplacement d'une église primitive. Mais il faut attendre 1095 pour voir consacrer l'église actuelle par le pape Urbain II.
Elle comportait à l'origine trois nefs, longues de quatre travées, voûtées en berceau, un vaste transept avec coupole sur trompes à la croisée et trois absides semi-circulaires, le sol du chœur et du transept dominant de plus de trois mètres celui des nefs et recouvrant une vaste crypte transversale s'étendant sous l'ensemble du chevet et du transept dont elle épousait le plan.
La coupole de la croisée du transept |
Cette crypte abritait les reliques de saint Torquat et de saint Josserand
que les fidèles pouvaient venir vénérer sans troubler
l'office des moines siégeant au dessus, dans le chœur. Au
XIIe siècle, l'église, devenue
trop petite, est augmentée d'une cinquième travée
plus longue que les autres, mais la déclivité du terrain à l'ouest
contraint d'édifier au revers de la façade un escalier permettant
de descendre dans l'église : le portail d'entrée se
trouve ainsi à peu près au niveau du chœur surélevé.
Mais de graves avatars vont bientôt considérablement
altérer l'aspect intérieur et extérieur de l'édifice.
Encore récemment (Nota : N'oublions pas que ce texte date de 1976), le visiteur pénétrant dans l'église était étonné de
se trouver à la hauteur de gros chapiteaux romans surmontant les piliers
courts et massifs. Le sol dallé des trois nefs se raccordait à celui
du chœur. S'il en éprouvait la curiosité, on lui faisait
visiter les deux cryptes : celle d'origine, sous le chœur et une autre
dite «crypte de correction» sous une partie de la nef centrale. Il
faut savoir que dès le XIIe siècle les
débordements
du torrent voisin Crûle (Crula Vallis = Cruas) ont causé de
graves soucis aux moines, ruinant les bâtiments abbatiaux tandis que des
torrents de boue et de graviers envahissent régulièrement l'église. À la
fin du XVIe siècle, les troubles de la guerre civile les incitent à se
retirer au château abbatial sur la colline.
À leur retour dans le monastère dévasté,
ils renoncent à déblayer en totalité les nefs qu'ils
assainissent tant bien que mal et comblent par des apports de chaux et
de décombres, si bien que dès la fin du XVIIIe siècle
le sol est partout uniformisé au niveau de celui du sanctuaire.
Mais il reste à lever l'énigme de la seconde
crypte que l'on a cru longtemps avoir été creusée après
coup dans le sol remblayé de la nef.
La tribune monastique est supportée par des voûtes en croisées d'ogives reposant sur quinze fines colonnes monolithes par l'intermédiaire de chapiteaux délicatement sculptés. |
Vue prise du haut de l'escalier qui, depuis le portail occidental, permet de descendre dans la nef. |
Quinze frêles colonnettes surmontées de chapiteaux admirablement
fouillés supportent une voûte à nervures. Les anomalies
architecturales de cette prétendue « crypte » ont conduit
Robert Saint-Jean à soupçonner que l'on devait plutôt
se trouver en présence d'une rare et authentique tribune monastique,
construite vers le milieu du XIIe siècle,
et à proposer
que des fouilles systématiques soient entreprises qui élucideraient
la structure primitive du monument tout en renseignant sur les étapes
successives des altérations subies ; il appert qu'au
cours des âges les moines, las d'avoir toujours à déblayer
les nefs, ont édifié entre les piliers des murs de refend
pour isoler le dessous de la tribune, comblé les bas côtés
et construit sous les troisième et quatrième travées
une lourde voûte basse déterminant un prolongement de la tribune à usage
de nécropole et enfin comblé la cinquième travée
enfouissant ainsi l'ancien escalier d'accès au sol primitif des
nefs.
Assisté de Pierre et Jean-Paul Peylhard et d'un groupe
d'étudiants bénévoles, Robert Saint-Jean a entrepris, sous
le contrôle du service des Monuments Historiques, le déblaiement
des parties enfouies. On reste confondu devant l'énormité du travail
accompli dans ces conditions. Suivant une rigoureuse méthode stratigraphique,
ils ont remué, tamisé et évacué près de douze
cents mètres cubes de déblais, notant l'emplacement et la nature
de tous les indices rencontrés : éléments architecturaux
cachés, monnaies, fragments de mosaïques ou d'éléments
sculptés, tombeaux, etc. Il faut avoir vu ces travaux pour apprécier
la ferveur des participants qui, de temps à autre, prenaient une détente
en écoutant, recueillis, de la belle musique classique exécutée
par quelques-uns d'entre eux.
Les fouilles sont actuellement suspendues, mais il faut espérer que l'administration des Monuments Historiques les poursuive jusqu'à l’achèvement du programme conçu il y a plus d'un siècle par Prosper Mérimée.
Chapiteaux de la tribune monastique
La crypte du XIe siècle située sous le «chœur monastique», c'est-à-dire l'ensemble des trois absides et du transept. |
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Chapiteaux de la crypte, dont le célèbre orant. |
Nous ne reproduirons pas l'intégralité du compte rendu de cette récente visite, car une grande partie des informations qu'il contient au sujet de l'abbatiale recoupent celles figurant dans le texte ci-dessus. En revanche, on y trouvera la partie concernant le château des moines et le vieux village, qui n'ont pas été visités en 1976.
Jean Bouvier, assisté des
frères Peylhard, enfants du pays, deux des trois acteurs avec M.
Robert Saint-Jean de la campagne de fouilles déterminante de 1972 à 1976,
nous présentent en détail l'édifice.
Fondée en 804 par des moines bénédictins envoyés
par l'abbaye de Saint-Benoît d'Aniane, l'abbaye, ruinée une première
fois et reconstruite au Xe siècle, prend son
essor après
une nouvelle reconstruction à la fin du XIe siècle.
Elle sera honorée en 1095 par la visite du pape Urbain II qui procédera
en grande pompe à sa consécration. Le monastère prend une
grande dimension au XIIe siècle et se trouve à la
tète
d'une quarantaine de prieurés répartis sur quelque huit diocèses.
Les guerres de religion lui portent un coup fatal. Le cloître
et les bâtiments conventuels sont ruinés, l'abbatiale saccagée.
Les moines se réfugient à l'ouest sur le coteau dans leur château-abbaye
où ils demeureront de 1580 à 1628.
[...] L'abbatiale est une des plus élégantes
réalisations du premier art roman méridional fortement inspiré des
constructions lombardes. Elle se compose de trois nefs en berceau s'achevant à l'est
par des absides cintrées. Au passage, transept avec coupole sur
trompes surmontée d'une élégante tour lanterne, quatre
travées du XIe siècle et une cinquième
du XIIe, plus grande, qui supporte le clocher et abrita, pour
un temps, la chapelle haute Saint-Michel.
L'art lombard se manifeste par la superposition de l'ensemble transept,
chœur, absides et d'une crypte enterrée seulement de 0,80 m, mettant
ainsi le sanctuaire à 3,30 m au-dessus de la nef, ceci pour séparer
les moines des paroissiens ou pèlerins. Mais, au Xlle siècle,
les moines devenus plus nombreux décident d'agrandir le niveau supérieur
par une tribune monastique.
[...] L'architecture extérieure nous confirme avec ses «bandes
lombardes», largement employées en haut des murs, l'inspiration
venue du lac de Côme.
Le portail ouest en plein cintre sous sa profonde arcature et ses
colonnettes jumelles était-il ou non protégé par un
porche dont on voit les amorces ?
Qu'y a-t-il sous nos pieds dans le terre-plein sud où se
trouvait le cloître ? Des merveilles certainement que les trois mètres
de remblai ne nous permettront pas de découvrir de sitôt.
Jean BOUVIER
s'attarde quelque peu sur les six
milliaires romains présents sur la commune de Cruas, dont
cinq sont encore visibles, le sixième ayant été transporté à Alba.
P. et J.P. Peylhard nous captivent par leurs connaissances et la
qualité de
leur expression. Qu'ils soient chaleureusement remerciés !
Château où il n'y eut jamais ni châtelain
ni châtelaine, mais simplement des moines, l'appellation faisant
simplement référence à son caractère fortifié.
Par le portail, et non la poterne, Jean BOUVIER regroupe dans la
chapelle ce qui reste de participants, car certains, vaincus par la chaleur,
nous ont quittés.
Très tôt, vraisemblablement au Xle siècle,
les dégâts provoqués par les inondations du torrent Crûle
incitent les moines à construire sur le coteau une chapelle annexe, mais
elle servira aussi de refuge lors des époques troublées. Au XIIe siècle,
elle sera flanquée au sud d'un petit oratoire. Au XIVe siècle,
ses murs furent surélevés et elle deviendra chapelle-donjon avec
trois tours rondes équipées de créneaux, mâchicoulis
et archères cruciformes. Le logis des moines sera construit à cette époque.
La quatrième tour N-O le sera au siècle suivant.
Le château des moines
C'est ainsi que le Château des Moines sera fin prêt pour affronter
les guerres de religion. En 1574, 1585, 1628, 1683, les moines repoussèrent
avec succès les assauts menés par les huguenots qui détenaient
cependant toutes les places voisines. L'épisode de 1585 amena la
peste et, parmi tant d'autres, l'abbé de Cruas, Étienne Deodel,
en mourut. C'est au Xlle siècle, semble-t-il,
que commence à se
développer le village. Les habitants sont directement liés
au service temporel de l'abbaye. Six maisons de cette époque sont
connues. Leur appareillage est soigné et le décor travaillé,
en particulier les ouvertures. Au Xllle siècle,
le village se développe et une enceinte est construite pour en assurer
la protection. Au cours des siècles suivants, nouvelles extensions,
les remparts sont déplacés. Au XVIe siècle,
le caractère
résidentiel du village va se perdre, il sera habité par
une population plus pauvre et la qualité de l'habitat en souffrira.
Après les guerres de religion, il ne reste plus que six moines
qui vont se fondre dans la population. En 1741 l'évêque de Viviers
prend une ordonnance visant à la suppression du monastère.
Le village continuera à vivre jusqu'au milieu du XXe siècle.
Il renaît aujourd'hui grâce aux efforts de la commune, propriétaire
de l'ensemble du site, habitations et "Château".
Il est 17 h, la visite se termine. Merci Monsieur Bouvier.
Michel Robert