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Visite de Joyeuse et son histoire

Le monument aux morts

Le monument aux morts (Photo Simone Delubac)

 

Comme de coutume, nous avons participé en août, cette année encore, à la sortie estivale de nos amis parisiens, emmenés par leur nouveau président Pierre de Lafarge, auxquels s’étaient joints quelques représentants de l’Union fraternelle de la Drôme à Paris. Nous nous retrouvions donc une centaine pour visiter, sous un soleil estival, Joyeuse, cœur du pays Beaume-Drobie. Nous y avons été accueillis par le maire, Bernard Saison, le conseiller général du canton, Raoul L’Herminier, et Jean-Claude Flory, le député de la circonscription.

Le traditionnel dépôt de gerbe s’est fait au Monument aux Morts. Ce dernier mérite d’être mentionné, car il a la particularité assez rare d’être ce que l’on pourrait qualifier de « pacifiste ». En effet, contrairement à ce que l’on voit d’habitude sur ce type de monument : guerrier victorieux brandissant le drapeau tricolore ou mourant dans les bras de la Mère-Patrie, il figure un couple de paysans pleurant leur fils mort. Il fit scandale à l’époque.

La journée a été consacrée à parcourir la ville haute, encore partiellement enserrée dans ses remparts, qui, avec ses rues étroites, ses passages voûtés (les « goulajous »), a su conserver de nombreux témoins de son riche passé. Aussi, on ne peut décrire la ville de Joyeuse sans évoquer d’abord son histoire.

La riche histoire de Joyeuse : un bourg – une seigneurie – une famille qui a connu son apogée au xvie siècle

C’est à l’épée de Charlemagne, dénommée Joyeuse comme chacun sait, que la ville devrait son nom. L’empereur, l’ayant perdue alors qu’il combattait les Sarrasins dans nos montagnes, aurait récompensé le soldat qui l’avait retrouvée en lui accordant un fief en ce lieu. Pure légende, vraisemblablement ! Faut-il y voir, comme certains, référence à l’aspect riant de sa vallée ? Albin Mazon mentionne qu’on retrouverait le nom de Gaudiosa dans des textes anciens.

La ville de Joyeuse succède à la cité gallo-romaine de Lavérune et s’est établie au Moyen-Âge le long d’une arête rocheuse propice à la défense. Possession des comtes de Toulouse, puis des Châteauneuf qui prirent le nom de Joyeuse, elle obtient en 1235 une charte de franchise. En 1381, au moment de la révolte des Tuchins, bandes armées qui ravagèrent le Languedoc, Joyeuse, ville libre, obtient de son seigneur le droit de bâtir une enceinte distincte de celle du château. Celle-ci comportait six tours où s’ouvraient six portes.

Les seigneurs de Joyeuse avaient au xive siècle le titre de barons. Un Louis de Joyeuse s’étant valeureusement battu contre les Anglo-Normands à la bataille de Crevant (1423) reçut de Charles VII le titre de vicomte. Un autre Louis de Joyeuse périt à la bataille de Pavie. Son petit-neveu, Guillaume, mérite mention, non seulement par ses titres de lieutenant général du Languedoc et de maréchal de France, mais surtout parce qu’il eut avec son épouse Marie de Batarnay, comtesse du Bouchage, parmi ses nombreux enfants, trois fils qui connurent les faveurs des rois de France et marquèrent leur époque à la fin du xvie et au début du xviie siècles.

Anne de Joyeuse

Anne de Joyeuse

Anne de Joyeuse, né en 1560, fut, comme son père, un « chasseur de huguenots ». Il fut remarqué par Henri III dont il devint un des favoris. Honni soit qui mal y pense ! Comme disent nos amis britanniques. Toujours est-il que le roi érigea le vicomté de Joyeuse en duché. Époux de la belle-sœur du roi, une brillante carrière s’ouvrait devant Anne : gouverneur du Mont Saint-Michel à 19 ans, puis grand-amiral de France et gouverneur de Normandie. Elle s’interrompit brutalement à l’age de 27 ans lorsqu’il fut abattu à Coutras en Gironde lors d’une bataille contre Henri de Navarre, futur Henri IV, en représailles du massacre de 800 huguenots commis par ses troupes peu auparavant.

Son frère, François, né en 1562, fit, lui, une carrière ecclésiastique. Archevêque de Narbonne à 19 ans, puis de Toulouse à 21 et cardinal à 22, il se rallia à Henri IV quand celui-ci eut abjuré le protestantisme et obtint du pape Clément VIII la levée de l’excommunication du nouveau roi. C’est lui qui fit annuler le mariage d’Henri avec Marguerite de Valois et qui sacra à Saint-Denis la nouvelle reine, Marie de Médicis.

Le cardinal François de Joyeuse

Le cardinal
François de Joyeuse

Frère d’Anne et de François, Henri, connu sous le nom de « père Ange », mena une vie partagée entre les honneurs de la Cour et le mysticisme monacal, un condensé en quelque sorte de ce que furent ses deux frères. Attiré par eux auprès d’Henri III, il se maria à dix-huit ans. Devenu veuf quelques années plus tard, il se fit capucin et se tailla une réputation de grand prédicateur. Mais il quitta le monastère à la demande du roi pour devenir lieutenant général du Languedoc, puis maréchal de France sous Henri IV. Il reprit enfin la vie monastique avant de mourir à l’âge de 45 ans. Sa fille, Henriette-Catherine, est connue à double titre. Sur le plan local, c’est elle qui, avec l’aide du cardinal de Bérulle qui avait établi en France l’ordre des Oratoriens, obtint du pape Paul V en 1618 l’érection en paroisse de Joyeuse, qui dépendait jusqu’alors de Notre-Dame de Rosières, et l’établissement des Oratoriens à Joyeuse en remplacement du collège de chanoines qui desservait depuis près d’un siècle la chapelle ducale. En ce qui concerne le royaume, elle fut la grand-mère d’Anne-Marie-Louise d’Orléans, la célèbre Grande Mademoiselle sous le règne de Louis XIV.

La seigneurie de Joyeuse passa ensuite par des mariages successifs aux Rohan-Soubise. Leur dernière représentante la vendit en 1787.

Au xviiie siècle, période de relative prospérité, d’autres familles, de petite noblesse locale, Pellier de Sampzon, Dalamel de Bournet…, se firent construire de beaux hôtels particuliers.

Henri de Joyeuse

Henri de Joyeuse
(le père Ange)

C’est à la fin de ce siècle, pendant la Révolution, et sous l’Empire que deux Joyeusains se distinguèrent. Le colonel Chabert, futur maréchal de camp et baron d’Empire, serait aujourd’hui bien oublié si sa vie, fort romancée, n’avait pas été immortalisée par Balzac. Le citoyen Boissel, révolutionnaire avant l’heure, né à Joyeuse en 1728, était, lui, bien tombé dans l’oubli quand un historien local le redécouvrit récemment. Il fut avocat au Châtelet et au Parlement de Paris et est considéré comme un précurseur des idées communistes avant Babeuf. La période révolutionnaire ne connut guère d’évènements marquants à Joyeuse, si ce n’est le massacre en 1792, sur la place Saint-Georges aujourd’hui disparue, du chevalier d’Entremaux et de l’abbé de la Molette.

Au xixe siècle, le développement de la sériciculture apporte un regain de prospérité à la ville qui devient un grand centre de commerce de la soie. En 1831, le conseil municipal décide d’agrandir à peu près du double la place de la Peyre et d’y construire une salle de pesage des soies en encorbellement au-dessus du ruisseau du Bourdary. Le déclin de cette activité portera à Joyeuse, comme à de nombreuses autres agglomérations ardéchoises, un coup fatal.

Visite de la ville

La visite commence par l’église Saint-Pierre, sous la conduite du président de l’Association pour la Restauration de l’Église de Joyeuse (AREJ). Cet important édifice domine un petit square tranquille qui porte le nom de François André, fondateur du groupe Barrière et mécène de l’hôpital, qui le créa au milieu du XXe siècle à l’emplacement de l’ancien marché couvert. Il s’élève sur le site d’une chapelle connue dès le XIe siècle, déjà dédiée à Saint-Pierre. L’évêque de Viviers en fit don au début du XIIe siècle à l’abbaye de Cluny qui y fonda un prieuré annexé jusqu’en 1617 au prieuré de Rosières, dépendant lui-même du prieuré bénédictin de Ruoms.

église de Joyeuse : Le maître-autel en marbre du XIXe siècle

Le maître-autel en marbre du XIXe siècle (Photo Simone Delubac)

Le XIIIe siècle vit la construction de la croisée de chœur avec sa voûte en ogive. Au début du XVIe siècle, Guillaume de Joyeuse, évêque d’Alet, fait construire la chapelle ducale située à gauche du chœur et fonde un collège de chanoines pour la desservir. Son tombeau s’y trouve avec une dalle gravée le représentant. Cette chapelle de style gothique flamboyant, dite de Notre-Dame-de-Pitié, est ornée d’un autel en marbre blanc du XIXe siècle surmonté d’un tableau représentant L’Annonciation classé Monument Historique. Attribué à l’école de Raphaël, il fut rapporté de Rome par le cardinal François de Joyeuse. L’église, devenue trop petite pour les besoins des fidèles, fut partiellement reconstruite, et agrandie, en 1669 selon les plans du père Freyssinand. Le maître maçon en fut Georges Pitiot. C’est de là que datent la nef à quatre travées voûtées en ogive et les quatre chapelles latérales de droite. De l’édifice antérieur, ne furent alors conservés que le chœur et les trois chapelles latérales de gauche, datant des XIVe et XVe siècles, ainsi que la chapelle ducale. La chapelle Saint-Régis, à droite du chœur, ne fut construite qu’au XIXe siècle. Le clocher, achevé en 1676, était à l’origine surmonté d’une flèche qui fut par la suite remplacée par un toit en tuiles qui laissa, lui-même, la place au clocher actuel en 1912. Enfin, une rénovation intérieure fut faite en 1953. Actuellement, l’AREJ travaille, en concertation avec la mairie, à la réhabilitation de l’église.

Les chapelles offrent un grand intérêt. Elles furent pour la plupart construites pour servir de sépulture aux familles fondatrices. La chapelle ducale contient, outre le tombeau de l’évêque d’Alet, ceux des seigneurs de Joyeuse jusqu’au XVIIe siècle. La chapelle du Sacré-Cœur, anciennement chapelle Saint-Louis, contient le caveau des seigneurs de Montravel. On peut y voir un tableau du XVIIe siècle représentant Saint-Louis en prière devant la couronne d’épines. La chapelle Saint-Jacques, dite aussi Sainte Philomène, a été fondée par les comtes de la Saumée. Elle est aujourd’hui dédiée à Sainte Thérèse Couderc, fondatrice des Communautés du Cénacle. La chapelle Notre-Dame des Sept Douleurs, ou des Morts des trois guerres car elle contient trois plaques consacrées à ces morts, portait le nom de Saint-André. Elle renferme les sépultures du prieur d’Alamagne et de familles consulaires. On y voit une pietà offerte par la reine Marie-Amélie après la mort de son fils le duc d’Orléans. La chapelle de Saint-Joseph et Saint-Antoine est celle des seigneurs de Tauriers.

Outre les nombreuses œuvres d’art déjà citées, il faut remarquer parmi l’important mobilier qui orne l’église le maître-autel en marbre du XIXe siècle qui n’est de fait plus conforme à la liturgie de Vatican II. Le retable en marbre et bois doré d’époque Louis XIV, classé Monument Historique, qui occupait précédemment le chœur, se trouve aujourd’hui dans la chapelle Saint-Régis où se trouve également un autel en marbre du XVIIe siècle représentant le saint.

Au nord de l’église, s’élève un imposant édifice construit dans les années 1620, le collège des Oratoriens, lesquels étaient venus, rappelons-le, remplacer les chanoines lorsque Joyeuse fut érigé en paroisse. Il eut, sans doute, parmi ses élèves, le maintenant célèbre citoyen Boissel. Le philosophe Nicolas Malebranche y avait enseigné au XVIIe siècle. Il est aujourd’hui occupé par l’intéressant Musée de la Châtaigneraie. La culture du châtaignier y est évoquée grâce à une exposition d’objets anciens. Nous n’avons malheureusement pas pu y pénétrer car sa visite n’était pas programmée.

Le colonel Chabert devant l'autel de Montravel

Le colonel Chabert devant l'autel de Montravel (Photo Simone Delubac)

De l’église, en quelques pas, nous nous dirigeons vers l’hôtel de Montravel, inscrit au répertoire des cent plus beaux hôtels particuliers de Rhône-Alpes, qui s’ouvre sur le même petit square. En 1775, Antoine Pellier de Sampzon fait faire d’importants travaux sur deux maisons qu’il possédait, dont la précédente propriétaire était la princesse de Marsan, duchesse de Joyeuse. L’essentiel en est la construction d’une belle façade XVIIIe siècle en pierres de taille, de cinq travées sur trois niveaux, couronnée par une corniche et ornée de grandes fenêtres rectangulaires à clés harpées. Le reste du gros œuvre et les caves sont datés des XIIIe et XIVe siècles. À l’intérieur, on peut admirer un escalier monumental avec rampe en ferronnerie, ainsi qu’une peinture murale représentant une vue de Joyeuse au XVe siècle. Au rez-de-chaussée, est installé le Musée de la Caricature et du dessin d’humour qui retrace l’histoire de la caricature des origines à nos jours. Il présente une très riche collection où trois auteurs, Urs, Hours et Dubouillon sont particulièrement mis à l’honneur.

De là, nous nous rendons, par la Grand’rue, à la place de la Peyre. Là se trouve dans le bâtiment de l’ancienne salle de pesage des soies l’Espace historique et légendaire. Composé de quatre salles thématiques, il est consacré au patrimoine historique de Joyeuse, de la Préhistoire à la Révolution.

On peut y admirer en particulier une impressionnante maquette de la cité fortifiée.


Le château de Joyeuse

Le château (Photo Michel Rouvière)

La deuxième partie de la journée, consacrée à une visite théatralisée de la ville sous l’égide de l’association Culture et Patrimoine en Pays joyeusain, nous permettra de monter jusqu’au château dans lequel est installée la mairie et qui ne se visite pas. Dominant la ville, il est établi sur une esplanade d’où l’on jouit d’une vue magnifique sur la vallée de la Beaume et les monts des Cévennes et du Tanargue à l’horizon. Rebâti au XVIe siècle, de style Renaissance, il comportait deux ailes et un grand corps de logis. La partie occidentale et le corps de logis ont été détruits au XVIIIe siècle. Il fut encore réduit au XIXe siècle pour édifier une halle aux grains. C’était la résidence des seigneurs de Joyeuse. Plus tard, il servit de casernement pendant la Révolution, de prison, de centre des impôts, d’école de jeunes filles et enfin de remise pour les sapeurs-pompiers.

Nous partons de la place de la Recluse, au pied de la tour, vestige des remparts, dont elle a pris le nom. Sous la place, se trouve un très grand réservoir d’eau potable construit au milieu du XIXe siècle alimenté par la source du Fada pour fournir les fontaines publiques.

Joyeuse : la tour de la Recluse

La tour de la Recluse (Photo Simone Delubac)

Cette visite nous mènera à travers la ville où nous pourrons voir les goulajous, ces étroits passages voûtés qui relient la Grand’rue à la ville basse, ainsi que les trois portes de l’enceinte qui ont été conservées. Ici et là, nous accueilleront quelques hommes illustres. Nous rencontrerons ainsi, outre un consul gallo-romain et un poilu de la guerre de 14-18, Charlemagne et son épée au pied des remparts, le duc Anne dans son château, le colonel Chabert devant l’hôtel de Montravel qu’il fréquenta beaucoup dit-on et, sur la place de la Peyre, François Boissel, le citoyen Boissel dont il fut question plus haut.


Que dire de plus ? Conseiller aux usagers pressés de la route Aubenas-Alès qui passent sans un regard, ignorant superbement cette belle ville de Joyeuse, de prendre un jour le temps de faire le détour et d’aller la découvrir. J’espère que ce court texte les y incitera. Ils ne le regretteront pas.

Guy Delubac
(Visite de la Sté de Sauvegarde, en commun avec l'Amicale des Ardéchois à Paris, août 2008)

Quelques références :