Les précisions et surtout les certitudes
nous font défaut sur l’origine
de cette église que l’on peut cependant
supposer remonter haut dans
le temps. Ce qui ne fait aucun
doute, c’est qu’elle dépendit de
l’abbaye Saint-Chaffre du Monastier depuis le xie ou le
début du xiie siècle et certainement jusqu’à la Révolution.
Selon P. Charrié1, sa première mention connue se trouverait
précisément dans le cartulaire de Saint-Chaffre, sous le nom
de capella grailosa et remonterait à 937, indication reprise
ensuite par divers auteurs. Mais P. Charrié ne précise pas à
quel titre cette chapelle figure dans le cartulaire et ne donne
pas de référence précise.
Albin Mazon2, qui a soigneusement relevé dans le cartulaire
de Saint-Chaffre tout ce qui concernait les églises du
Vivarais, a trouvé que Lachapelle-Graillouse y apparaissait
plusieurs fois, mais jamais dans un document datant du xe siècle. L’édition du cartulaire publiée en 1891 par le chanoine Ulysse Chevalier3 comporte un
index alphabétique très complet dans
lequel on trouve notre église à quatre
reprises, sous les formes Sancta Maria de
Graculosa, capella graculosa. ecclesiam de
Gralioso, ecclesiam de Gralhosa, toutes mentions
déjà relevées par Mazon. La première
se trouve dans une liste des lieux
de culte confiés par l’évêque de Viviers à
l’abbaye du Monastier, la deuxième est
relative à la redevance annuelle que le
prieur devait acquitter auprès de l’abbaye
mère, qui était de cinq sols, ce qui était
peu par rapport à d’autres prieurés ;
celui-ci n’était pas riche... Les deux autres
mentions figurent dans les bulles des
papes Alexandre III et Clément IV qui,
en 1179 et 1259 respectivement, confirmaient à l’abbé du Monastier ses diverses
possessions. Enfin, dans l’introduction du cartulaire, il est fait
mention d’une convention passée en 1255 entre l’abbé de
Mazan et le prieur de Graillouse.
On ne connaît donc pas exactement la date du rattachement de notre église à Saint-Chaffre. Mazon cite deux dates, 1053 ou autour
de 1090, tandis que plus récemment, pour Pierre-Yves
Laffont4, ceci aurait eu lieu, suivant les sources consultées, soit
entre 1033 et 1050, soit entre 1096 et 1124. Donc une incertitude
de près d’un siècle...
Plusieurs bulles pontificales ont donc confirmé aux abbés de
Saint-Chaffre la possession de ce prieuré. Ceci a dû durer jusqu’à
la Révolution puisque, vers 1760, le curé du lieu, interrogé
par les auteurs de
l’Histoire générale du
Languedoc, confirme
que son église
dépend toujours de
l’abbaye vellave5.
Entre temps, comme
bien d’autres églises
du diocèse de Viviers,
Lachapelle-Graillouse
avait reçu en
1583 la visite de
Nicolas de Vesc,
envoyé par l’évêque
se rendre compte de
l’état dans lequel se
trouvaient ses paroisses
du fait des guerres
de Religion. Le procès-verbal de cette visite mentionne « après avoir veu et visité l’église et icelle trouvée en bon et deu
estat avec les cloches au clocher, avons examiné Messire Jean
Arsis, presbtre, vicaire dudict La Chapelle, trouvé au lit malade
blessé de XXXI coups d’espé, qui estoit le prieur du dict lieu... »
Le procès-verbal ne dit pas pourquoi le malheureux prieur a
reçu 31 coups d’épée, mais il se termine en disant encore que « le prieuré de la Chapelle Graillouse
dépend de l’abbaye des bénédictins de St
Chaffre en Velay. »
À remarquer surtout la très belle façade
en moellons de granit bien appareillés,
prolongée par un clocher en peigne à
quatre baies et percée d’un porche ogival
aux multiples voussures. Ce type de clocher-mur est très fréquent sur le plateau
vivaro-vellave et également en Cévenne ;
nous en avons déjà vu plusieurs lors de
précédentes visites, à Coucouron,
Lespéron, Lavillatte, Arlempdes, Saint-
Paul-de-Tartas pour le Plateau, à Saint-Jean-de-Pourcharesse pour la Cévenne.
Ce sont des constructions qui sont
presque toujours postérieures au xiie siècle et il est ici bien évident
qu’elle ne fit pas partie de la même campagne de travaux
que la partie romane de l’église. Selon le compte rendu de la
visite de la Sauvegarde de 1967,
Robert Saint-Jean datait cette façade du xvie siècle. C. Fabre-Martin6 se contente de dire que seuls la nef et le choeur datent
de l’époque romane. Le clocher est encore pourvu de ses quatre
cloches. La plus grande, à gauche, est la plus récente ; elle date
de 1920, la précédente s’étant fêlée pendant la guerre de 1914-
1918. Les autres dateraient du xviiie siècle.
On notera que l’abside est polygonale à l’extérieur. C’est là aussi
une disposition architecturale fréquente sur le Plateau et en
Cévenne, tandis qu’elle est plus rare en Vivarais méridional.
On dit souvent que les églises de montagne dégagent une impression de robustesse. C’est bien le cas de cette nef voûtée en berceau brisé, renforcée par des arcs doubleaux impressionnants.
L’édifice primitif, que l’on date du xiie siècle, était formé
de cette nef de trois travées et de l’abside dont on remarque
qu’elle est ici à base semi-circulaire et non polygonale comme à
l’extérieur. Elle est voûtée en cul-de-four et décorée de cinq
arcatures reposant sur des colonnettes aux chapiteaux sommairement
sculptés. Nous avons déjà rencontré une telle disposition,
notamment à Aubignas et, plus récemment, à Saint-
Maurice-d’Ardèche. Comme c’était toujours le cas pour des églises à nef unique, les murs de la nef étaient renforcés par des
arcs de décharge pour supporter la poussée de la voûte.
Lorsque, plus tard, on a voulu ajouter des chapelles latérales, on
a percé des ouvertures sous ces arcs. Nous avons ici quatre
chapelles qui, comme souvent, ont été réunies au début du
xxe siècle pour former deux collatéraux.
À remarquer encore une belle cuve baptismale.
Nous terminerons en regrettant que cet édifice ne soit pas
protégé au titre des monuments historiques ; il n’est en effet ni
classé, ni inscrit. Il nous semble pourtant qu’il le mériterait.
Paul Bousquet