Sur les plateaux calcaires du Bas-Vivarais, près des Gorges de l'Ardèche et de la Dent de Rez, entre Vallon-Pont-d'Arc, Ruoms et Vogüé, Lagorce s'étend sur près de 7 000 hectares. Des panoramas uniques sur une nature d’une grande richesse entourent les hameaux et le village de la plus vaste commune d'Ardèche. Plusieurs mesures de protection de la nature sont ici appliquées1. Lagorce offre aussi un panorama sur l'ensemble des périodes préhistoriques et historiques. De la présence humaine 40 000 ans avant notre ère aux changements agricoles des xixe et xxe siècles, les sujets d'intérêt sont nombreux.
Lagorce (Cliché Michel Rouvière) |
Aujourd'hui, la municipalité de Lagorce souhaite mettre en valeur ces patrimoines. Elle est une des rares en Ardèche à avoir engagé une chargée de mission patrimoines. Les habitants sont aussi invités à participer aux projets. Ainsi, des groupes de travail consacrés à des thématiques comme « Culture/Patrimoines », « Espaces naturels », « Développement durable », « Agriculture » sont forces de propositions auprès des élus.
Nous vous proposons ici une visite guidée des sites patrimoniaux et des projets de Lagorce.
Tout d'abord, une marche sur le sentier botanique est utile pour se « mettre en jambes ». Vous y apercevrez peut-être la pivoine (Paeonia officinalis) qui a rendu Lagorce célèbre au xvie siècle. Exploitée pour ses vertus médicinales, elle était alors exportée dans la France entière. C’est aujourd'hui une plante protégée. En continuant sur le chemin, vous pouvez passer devant la chapelle Notre-Dame d'Ajude. Cette chapelle mariale, évoquée dans les documents dès le xive siècle, a peut-être été détruite durant les guerres de Religion qui ont marqué l'histoire de Lagorce. La date 1776 indiquée sur le fronton correspondrait ainsi à une reconstruction ou à une restauration. La façade principale sera rénovée en septembre 2009. Des volontaires lagorçois décroûteront l'enduit et referont les joints. Encadrés par les Chantiers de l'Argadem2, ils pourront ainsi acquérir les techniques adaptées au bâti vernaculaire. Les employés techniques de la commune, qui entretiennent au quotidien les patrimoines, participeront à ce chantier-école. La Société de Sauvegarde nous accompagne dans ce projet qui touche un bâtiment non protégé.
Lagorce - Chapelle N.-D. d'Ajude (Cliché Marine Roux) |
Sur ce même sentier, des groupes de travail ont entrepris de reconstituer une charbonnière afin de présenter aux visiteurs et marcheurs cette importante activité, aujourd'hui disparue, réalisée dans les bois de chênes de cette région des gorges de l’Ardèche.
Après le circuit du sentier botanique, vous pourrez remonter vers le village médiéval : les ruelles et les calades vous emmèneront du temple aux ruines du château. Vous pourrez repérer l'histoire architecturale sur les façades des maisons et admirer les setiers de la place de la Dîme. Ou serait-ce la place de l'Horloge ? Il existe un débat entre les habitants. Sans noms officiels, les places et rues de Lagorce vont devoir en adopter bientôt. Les historiens locaux et les habitants sont associés à cette recherche.
Les calades, après avoir reçu un nom, devront être rénovées. Cette entreprise de plusieurs années passera par la formation des employés techniques de Lagorce. Ensuite, sur ces passages communaux et sous forme de panneaux, des informations sur l'histoire des lieux seront présentées. Des circuits de visite pourront ainsi être proposés. L'association des « Amis de l'histoire de la région de Vallon » sera sollicitée pour être partenaire du projet. Il sera entre autres possible de présenter le sentier des ailantes qui nous rappelle que l'activité séricicole était ici importante ; cet arbre avait été introduit en Ardèche pour tenter d’acclimater, durant l’épidémie de la pébrine, une race de vers à soie différente du Bombyx du mûrier.
Le musée « Ma Magnanerie » expose les épisodes les plus marquants de l’histoire de la sériciculture. Dans une authentique magnanerie aménagée, la visite guidée permet de suivre l'évolution de vers à soie vivants, de l'œuf au papillon. Ce musée est la mémoire d'une activité qui a profondément marqué l’Ardèche et ses habitants, essentiellement au xixe siècle. À Lagorce, la sériciculture a perduré jusqu’en 1968. Un projet de rénovation est aujourd'hui en cours afin que le musée conserve la dynamique qui le caractérise.
église de Lagorce - Côté nord |
À proximité du musée, vous pouvez découvrir les « trois églises » de Lagorce. Trois constructions, mais une seule est visible dans le village. Il faut préciser qu'il ne reste que les ruines de la première église. Celle-ci existait au tout début du xvie siècle et fut détruite pendant les « seconds troubles » des guerres de Religion. À la fin du xviie siècle et au même emplacement fut construite une nouvelle église. Mais, située en contrebas de la route, elle était inondée à chaque averse. En 1860, la construction d'une nouvelle église à côté de l'existante est envisagée. Finalement, le nouveau lieu de culte sera érigé au dessus de l'église du xviie siècle, s'appuyant sur ses fondations. Lors des travaux, un procès entre le curé de la paroisse et l'entrepreneur retarda l'achèvement de l'ouvrage. Le manque d'argent et l'impatience des fidèles empêchèrent l'édification du clocher tel que prévu dans les plans. Long et pointu dans le projet, c'est un clocher court et se terminant en « chapeau d'évêque » qui s'élève aujourd'hui sur l'église de Lagorce. C'est ce bâtiment qui est accessible depuis la route principale et qui accueille aujourd'hui les offices.
Située sous cet édifice du xixe siècle, l'église
du xviie siècle avait été un peu oubliée des
habitants. Pourtant, l'espace offert par cet ancien lieu de culte
est remarquable. La commune souhaiterait le transformer en salle
culturelle et y accueillir des expositions, des résidences d'artistes,
des spectacles etc. La Société de Sauvegarde est ici également
associée au projet de rénovation ainsi
que, bien évidemment, les « Amis de l'histoire de la région
de Vallon ».
(Cette opération a depuis été réalisée. Voir ci-dessous « Visite du 20 mars 2014 »)
De nombreuses actions alliant les patrimoines et nos pratiques contemporaines sont possibles. Tous ces projets d'envergure très différente ne verront pas le jour simultanément, tous n'ont pas été ici évoqués et beaucoup de richesses restent à être exploitées. Les passionnés en seront ravis.
Marine Roux
Chargée de mission patrimoines à la mairie de Lagorce.
Après la matinée consacrée à Balazuc, une route pittoresque à travers la garrigue nous amène à Lagorce, village perché
chargé d'histoire, auquel nous consacrerons notre après-midi.
Nous y sommes attendus par M. Pierre Leroux, qui sera notre
guide, et M. Hervé Ozil, maire, qui, malgré un emploi du
temps chargé en cette veille d'élection, a tenu à nous
accueillir personnellement et, non content de nous ouvrir
une salle confortable pour déjeuner, a enrichi l'en-cas tiré de
nos paniers de quelques bouteilles de vin de son terroir
ensoleillé.
Ainsi réconfortés, nous voilà bientôt prêts à suivre notre
guide à la découverte du vieux village. À lui la parole.
La commune de Lagorce a une population de plus d'un
millier d'habitants pour une superficie d'environ 7 000
hectares, dont les bois occupent 65%, le reste étant
essentiellement consacré à la vigne et, depuis peu, à des
plantations d'oliviers.
Le nom de Lagorce (La Gorce dans les estimes de 1464,
Gorcia au xiiie siècle) viendrait du gaulois gortia, signifiant
buisson épais, haie puis enclos. À travers le vieux village,
la visite commence par le temple.
Intérieur du temple |
L'édifice primitif, construit vers 1577-1580, fut démoli en 1685, à la révocation de l'Édit de Nantes. En 1806, le terrain fut rendu à la communauté protestante qui lança une souscription pour construire le temple actuel, inauguré en 1821. En 1838, un campanile fut ajouté, dont la cloche porte cette inscription : « acquise aux frais des protestants de Lagorce, sous le pastorat de Dardre ; fondeurs : Montet et Brunet à Lyon ; le 6/02/1877 achèvement de la cloche ». Une nouvelle souscription permit l'achat, en 1856, d'un orgue de facture parisienne, qui fut transporté d'abord par bateau, puis par chemin de fer et enfin en charrette. Il a été restauré en 1970.
Nous continuons la visite par ce qui était la grande rue, d'après le compoix de 1598. Quelques belles maisons bourgeoises datent du xvie siècle ; la plus importante, sous le passage voûté, appartenait à la famille Panisse, puis au notaire Sabatier qui deviendra Sabatier de la Chadenède. Plus tard, cette maison restera l'étude de divers notaires, notamment les Villard et Peschier. Plus loin, nous découvrons les mesures à grain qui servaient au paiement de la dîme. Elles sont situées sur la place appelée, suivant les périodes et les écrits, « place de l'horloge », « le queyret » ou « place de la dîme ». La tour de l'horloge, ou beffroi, construite en plusieurs étapes, servait de porte d'accès au castrum. La cloche placée au sommet date de 1641 et porte l'inscription : « IHS Fili David miserere nobis » (Jésus fils de David aie pitié de nous). Sur la face sud de la tour, un cadran solaire, restauré en 1975, surmonte le blason de la famille de Lagorce, de gueules en trois rocs d'échiquier d'or.
Mesures à grains |
Tour de l'horloge |
Nous progressons vers l'emplacement de ce qui fut le
château du baron de Lagorce. Dans son enceinte se
trouvait une chapelle dont ne restent que quelques pans
de murs et une piscine liturgique. Peu d'autres vestiges
visibles de ce château, à part un escalier partant de la
poterne, une croix et de rares pierres sculptées.
La rue principale montre de très beaux témoins de portes
médiévales, quelque peu altérées par des travaux de
modernisation, et des devantures de boutiques de la
même période. On y voit aussi des fenêtres à meneaux,
géminées ou trilobées, des portes piétonnes précédées
d'une ou plusieurs marches et souvent surmontées d'un
jour, comme celle du notaire Sabatier de la Chadenède.
Une façade porte un blason à cinq besants sur la partie
centrale d'une fenêtre trilobée.
Façade portant un blason à cinq besants |
Linteau de porte |
Voir également l'article précédent « Projet de restauration et de mise en valeur du patrimoine communal »
Vue perspective « éclatée » des trois églises superposées de Lagorce |
Sortant du vieux village, nous arrivons sur la route qui
longe son enceinte. Au-delà de cette route, devenue
aujourd'hui l'artère principale de Lagorce, il n'y avait
aucune habitation au début du xixe siècle, comme en
témoigne le cadastre de 1825. C'est là, hors les murs, que
nous trouvons l'église actuelle. Sa façade occidentale, côté
route, surmontée d'un clocher carré, est de hauteur
habituelle pour un tel édifice, mais son chevet est deux
fois plus élevé, car le terrain est en forte pente. Nous
allons voir que cette disproportion originale résulte en
fait de la superposition de deux églises présentant
aujourd'hui l'aspect extérieur d'un bâtiment unique, d'une
hauteur impressionnante côté est.
Entrant dans l'église haute, inaugurée en 1878, qui est
actuellement dédiée au culte, nous découvrons une nef
unique, lumineuse et sobre, décorée de quelques
peintures murales. Dans le chœur, derrière l'autel, une
toile retient notre attention. Classée au titre d'objet en
1968, c'est une réplique de l'Annonciation du peintre
flamand Louis Finsonius (1580-1652), dont l'original se trouve au
musée du Prado.
Par un escalier extérieur, côté
nord, nous atteignons ensuite le
niveau de l'église basse, en
traversant l'emplacement en
pente du cimetière médiéval. De
celui-ci aucune trace n'est plus
visible, mais les récentes fouilles,
menées dans l'urgence par
l'archéologue Joëlle Dupraz, ont
retrouvé des sépultures, dont
celle d'une jeune femme avec des
boucles d'oreilles en or. Ces
fouilles ont également rencontré
les vestiges du bras septentrional
du transept de l'église médiévale,
qu'une visite canonique de 1599 déclarait entièrement
ruinée. C'est sur les bases de cette église en ruine que fut élevé, en 1686, un nouvel édifice de culte à nef unique, sur
lequel l'église haute a été posée à la fin du xixe siècle.
De l'église médiévale, l'édifice du xviie siècle a conservé
deux contreforts extérieurs et la base des murs jusqu'à mi-hauteur
des fenêtres, comme en témoigne la différence
d'appareil visible aujourd'hui. Lors de sa construction, les
bras du transept ont été fermés, leur emplacement restant
marqué par deux
niches dans lesquelles
des autels
avaient été installés,
l'un au nord,
l'autre au sud. Des
fouilles effectuées
dans le chœur ont
retrouvé des ossements,
probablement
ceux du
notaire Sabatier de
la Chadenède,
inhumé en 1760
sous les marches
de l'autel central.
Cette église du
xviie siècle, inutilisée
depuis longtemps,
vient d'être aménagée par la municipalité en salle
culturelle, localement connue sous le nom de « la crypte »,
opération soutenue par un important mécénat et par une
aide de la Sauvegarde. La scène de cet espace culturel est
installée à l'emplacement du chœur et les gradins du
public s'élèvent jusqu'au niveau de l'ancienne tribune de
l'église, suivant la pente du terrain. Les concerts qui y sont
donnés bénéficient d'une acoustique de qualité.
Après ce riche parcours, le temps nous a manqué pour
aller jusqu'à la chapelle de Notre-Dame d'Ajude, située sur
la colline boisée en face du village. Ce sera pour un
prochain rendez-vous à Lagorce.
Pierre Leroux
Amis de l’histoire de la région de Vallon,
avec la collaboration de Pierre Court
Photos de Michel Rouvière