Nous sommes accueillis à Retourtour, au pied du rocher supportant les vestiges du château, par M. Chosson, premier adjoint au maire de Lamastre. Celui-ci nous fait part du regret de M. Jean-Paul Vallon, maire et conseiller général, de ne pouvoir nous accueillir lui-même, du fait de la tenue le même jour du congrès des maires de l'Ardèche.
M. Chosson nous présente d'abord un résumé de l'histoire de Retourtour, en s'appuyant sur des documents dus à Jean-Claude Bouvier, adhérent de très longue date de la Sauvegarde, bien connu de la plupart d'entre nous, qui a beaucoup travaillé et publié sur le patrimoine de Lamastre et de sa région.
Retourtour |
La capella de Retortorio faisait déjà partie de la donation faite en 961 à l'abbaye Saint-Chaffre du Monastier par Geilin, comte de Valentinois, confirmée par la bulle du pape Alexandre III de 1179. Ceci montre l'ancienneté du site de Retourtour. Les seigneurs de Retourtour, qui sont également seigneurs de Beauchastel, apparaissent dans les textes à la fin du xie siècle. Le castrum de Retourtour figure dans le partage effectué en 1247 par Armand de Retourtour entre ses deux fils. Plusieurs actes à la fin du xiiie siècle mentionnent le castrum et le burgus de Retourtour qui était alors chef-lieu de mandement. Au début du xive siècle, les Retourtour héritent des biens de la famille Pagan de Mahun, Odon de Retourtour ayant épousé Raimbaude, la fille du dernier seigneur de Mahun. Ce sont ensuite les Tournon qui deviennent seigneurs de Retourtour par le mariage d'Alix de Retourtour avec Jacques de Tournon en 1376.
Le château de Retourtour fut occupé plusieurs fois par les protestants au cours des guerres civiles. On raconte qu'au xviiie siècle, alors qu'il était déjà en ruine, il fut occupé par un « brigand » qui rançonnait toute la région.
Le château est établi dans un ancien méandre du Doux, sur une petite éminence rocheuse. Il n'occupe donc pas une situation dominante, mais un fond de vallée qui lui permettait de contrôler l'itinéraire reliant la vallée du Rhône au Puy par la vallée du Doux.
Vestiges du château de Retourtour |
Parmi ses vestiges, on remarque un grand mur percé de trois fenêtres qui est la face méridionale d'un grand bâtiment quadrangulaire que l'on date de la fin du Moyen-âge. Celui-ci était protégé par de hautes courtines et l'on pénétrait dans cette enceinte par une tour porche quadrangulaire dont subsiste la face extérieure sous la forme d'un mur haut et étroit. Retourtour est aussi un hameau de Lamastre qui a succédé au bourg castral, développé autour de la basse-cour du château et dont les maisons formaient une deuxième enceinte, protégeant celui-ci au nord et à l'est. Au centre de la basse-cour s'élevait la chapelle Saint-André appartenant toujours aux moines de Saint-Chaffre.
M. Chosson évoque ensuite les projets de la municipalité pour l'aménagement des bords du Doux et du site de Retourtour. Les ruines sont aujourd'hui en piteux état et envahies par la végétation. Elles posent par ailleurs un problème de sécurité car elles surplombent certaines maisons du hameau, au point que certains évoquent même la nécessité de leur démolition. Leur restauration devient donc une priorité. Des projets avaient été élaborés il y a déjà huit ans. Mais aucune suite ne leur a été donnée. Plus récemment, en 2004, les ruines de Retourtour ont été incluses avec trois autres sites dans un ambitieux projet de réhabilitation patrimoniale. Piloté par le Plan local d'insertion par l'emploi (PLIE) du Valentinois, il prévoyait la réalisation de travaux par des chantiers d'insertion. Mais, après une période d'euphorie, l'affaire est tombée en sommeil. M. Chosson nous a dit qu'il était envisagé de remettre ce projet en route. La Société de Sauvegarde, qui suit l'affaire depuis le début, ne peut que s'en réjouir.
Nous nous rendons ensuite à Macheville pour la visite de l'église. Sur un promontoire séparant les vallées du Doux et du Grozon, celle-ci domine un quartier correspondant à l'une des trois communautés qui, avec celles de Retourtour et de Savel, sont à l'origine de l'actuelle commune de Lamastre. Dans le cartulaire de l'abbaye Saint-Chaffre du Monastier, Macheville apparaît sous le nom de mansus cavillanus, c'est-à-dire « la propriété de Cavillanus », ceci certainement du nom d'un colon gallo-romain. La découverte de sarcophages ainsi que de divers autres objets (vases, lampes en terre cuite) lors du creusement des fondations de la nouvelle façade et du clocher au xixe siècle confirme que ce lieu était déjà habité à l'époque gallo-romaine.
L'église de Macheville en 1860. |
Le cartulaire de Saint-Chaffre nous apprend qu'une église existait déjà ici au xe siècle puisqu'en 961 Geilin, comte de Valentinois, « très noble et très puissant homme, de concert avec sa femme Raimote » avait donné à ladite abbaye : « l'église située au lieu dit Macheville, laquelle est consacrée à notre Sauveur, avec la paroisse elle-même et le clos de vignes et le verger... et toutes ses dépendances. » Nous avons vu que la chapelle de Retourtour figurait parmi ces dépendances.
Les bénédictins de Saint-Chaffre fondèrent là un prieuré où ils demeurèrent
plus de 600 ans. Ils mirent l'église sous le patronage de saint Domnin.1
C'était un prieuré important, dont dépendaient plusieurs autres églises, notamment celle de Monteil que nous avons aussi visitée. Les prieurs de Macheville avaient rang de seigneurs ; en tant que tels, ils eurent le droit de fortifier leur demeure et leur pouvoir temporel s'étendait sur un vaste territoire dans lequel ils avaient le droit de basse, moyenne et haute justice.
Au xiie siècle, les bénédictins entreprirent la construction d'une nouvelle église. Celle-ci était en forme de croix grecque, formée d'une nef d'une seule travée, et d'un transept largement débordant sur lequel s'ouvraient trois absides. Une deuxième travée a été ajoutée au xve siècle, avec construction d'une nouvelle façade dans laquelle s'ouvrait un portail de forme ogivale et qui était surmontée d'un clocher carré.
Les moines de Saint-Chaffre quittèrent Macheville à la fin du xvie siècle, à la suite semble-t-il des exactions subies pendant les guerres de Religion. Toujours est-il qu'ils cédèrent le prieuré en 1593 au collège des jésuites
du Puy. Ceux-ci entreprirent des travaux de restauration de l'église et des bâtiments conventuels. Les voûtes furent reconstruites et c'est de cette époque que date la couverture ogivale de la croisée du transept (1625). Il est très probable qu'elle a remplacé une coupole sur trompes, dispositif habituel pour ce type d'édifices.
Mais le 1er mai 1653, un incendie ravagea le prieuré et endommagea certainement l'église, dont la nef fut à nouveau reconstruite. Enfin, au XIXe siècle, entre 1870 et 1875 plus précisément, on agrandit l'édifice en ajoutant deux nouvelles travées et en créant des collatéraux. On construisit également le clocher porche, œuvre de l'architecte Ernest Tracol de Valence.
église de Macheville - Fenêtre polylobée de l'abside |
Nous nous regroupons d'abord sur l'esplanade séparant le chevet de l'église du cimetière. L'abside centrale à cinq pans, parfaitement conservée, est une superbe construction romane en granit clair soigneusement appareillé. Elle est percée d'une fenêtre en plein cintre surmontée d'un très bel arc polylobé, ainsi que d'une archivolte délicatement sculptée et qui est encadrée par deux colonnettes aux chapiteaux décorés de feuillage. Une corniche moulurée supportée par des modillons sculptés court autour de l'abside.
Nous observons aussi le large transept qui fait partie des éléments romans conservés. En revanche les deux absidioles s'ouvrant sur ses bras ne sont guère reconnaissables de l'extérieur ; c'est surtout le cas du côté sud, du fait de l'édification ultérieure de plusieurs constructions. Au xviie siècle d'abord, on éleva une chapelle dite « des Saints Os » destinée à recevoir les dépouilles de sept prêtres, dont le prieur et plusieurs moines de Macheville ; la tradition rapporte qu'ils ont été massacrés par une troupe protestante en 1587. Au xixe siècle, la chapelle fut agrandie et reliée à l'église par un nouveau bâtiment à usage de sacristie.
L'abside principale et les deux absidioles |
Avant de pénétrer dans l'église, nous admirons le clocher porche, que R. Tartary
présente ainsi : « la nouvelle église restaurée avec son clocher en saillie,
sa flèche blanche en pierre de Chabeuil, son porche à trois baies où le granit
noir se marie au granit porphyroïde rose, est incontestablement un des plus
beaux édifices de la contrée ».2
À l'intérieur, l'église actuelle comporte une nef de quatre travées et deux collatéraux, résultat d'agrandissements successifs réalisés au xve, puis au xixe siècle.
Mais le plan de l'église du xiie siècle apparaît encore clairement, mieux d'ailleurs qu'à l'extérieur, car les deux absidioles semi-circulaires, voûtées en cul-de-four s'ouvrant sur les bras du transept existent toujours. Comme c'est souvent le cas, l'abside principale, dont nous avons remarqué à l'extérieur la forme polygonale, est ici de plan semi-circulaire. Rappelons qu'à l'origine, la nef ne comportait qu'une seule travée, d'où l'appellation de « croix grecque » que l'on donne quelquefois à son plan, de préférence à « croix latine » qui est réservé aux édifices de même structure, mais dont la nef comporte au moins deux travées.
L'église de Macheville conserve un intéressant ensemble de dix chapiteaux,
dont huit couronnent les colonnes engagées qui reçoivent les arcs de la croisée
du transept. Selon Jean-Claude Bouvier , ils pourraient provenir de l'église
primitive du Xe siècle et avoir été donc placés là en
remploi.3
Les deux chapiteaux de l'arc triomphal présentent chacun un personnage en majesté, les bras levés, les mains ouvertes dans l'attitude de l'orant. Les angles sont ornés de belles palmes.
La médisance |
Quatre autres chapiteaux sont décorés de rinceaux et de bottes d'acanthe, au milieu desquelles apparaissent, sous les tailloirs, des têtes humaines ou des roses.
Un autre, assez dégradé, montre encore, en partie basse, une palissade dans laquelle s'ouvre une porte avec fronton. Au-dessus, une haute colonnade et, sous le tailloir, une rose.
Le dernier des huit présente aussi une palissade devant laquelle passent des animaux et, en partie haute, un couronnement d'oves surmontant une ligne de godrons.
Enfin, deux chapiteaux se situent de part et d'autre de la nef. Très différents des précédents, car traités en méplat, on peut penser qu'ils sont plus récents. Sur l'un on peut reconnaître des feuilles de châtaignier, des animaux, des rouleaux de dépiquage évoquant les grains, le tout symbolisant la terre nourricière, nous dit J.-C. Bouvier.
Le dernier présente deux motifs que l'on pense symboliser la médisance et
la calomnie. à l'angle droit de la corbeille, un visage. De sa bouche s'échappe
un serpent, qui après de multiples contorsions atteint l'oreille. On se souvient
que le même motif se retrouve sur un des deux chapiteaux placés en remploi
aux angles de la façade de l'église de Saint-Félicien.4 Sur la partie gauche
c'est un renard qui susurre à l'oreille d'un autre personnage.
La paroisse de Monteil est installée à deux pas du village du Crestet, sur un petit mamelon, dans une boucle du Doux. Le hameau est charmant avec ses habitations regroupées autour de la petite église. à noter que les fenêtres sont principalement ouvertes sur l'intérieur du bourg ; il y a peu d'ouvertures côtés nord et ouest. Certains bâtiments, anciennes maisons fortes, sont remarquables. Nous avons eu la chance inopinée qu'un des propriétaires, Monsieur Gibert, nous ouvre la sienne. Voici donc un petit compte rendu de ces deux visites : l'église de Monteil et la maison forte des Boissières autrement nommée « le petit château » de Guillaume d'Allier.
L'église de Monteil |
L'église de Monteil suit le même historique que celle de Macheville, citée comme possession de l'abbaye Saint-Chaffre dans une bulle du pape Alexandre III en 1179. Dans un premier temps, ce sont les Bénédictins de Macheville qui en assurent le service. En 1593, les Jésuites du collège du Puy succèdent aux Bénédictins et restaurent l'église. Entre 1842 et 1846, menaçant ruine depuis plusieurs décennies, elle est enfin l'objet d'une importante restauration. En 1846 une visite pastorale donne un descriptif précis de l'état du gros oeuvre, du mobilier et du clocher supportant une cloche d'environ neuf quintaux, fondue en 1768, aujourd'hui fêlée et doublée depuis 1974 par une seconde cloche, « Augustine ».
Le plan de cette petite église est simple : la nef étroite, voûtée en berceau, à deux travées, est séparée de l'abside en cul-de-four par un arc triomphal à double tore ; sur l'extérieur, le chevet présente trois pans coupés. Le chevet, comme l'abside, sont probablement ceux de l'édifice roman.
Côtés nord et sud, plusieurs chapelles ont été rajoutées aux XIVe (voûtées sur croisées d’ogives), XVIe et XVIIe siècles (chapelles des familles d’Allier, des Boscs, de Saint-Didier), ainsi qu’une sacristie.
L'intérêt majeur de cette petite église réside dans son porche. Celui-ci est constitué d'un arc reposant sur deux colonnes engagées dont le fût n'est pas monolithique, mais construit de pierres taillées en demi-cercle, régulièrement superposées et alignées avec les moellons des murs. Les chapiteaux historiés de ces colonnes sont probablement antérieurs au XIIe siècle. Ils pourraient provenir de la première église du Xe ou XIe siècle ; c'est ce qu'induisent plusieurs éléments comme les astragales qui sont solidaires des fûts et non des corbeilles, ainsi que le style des sculptures, assez primitif.
La pierre est relativement érodée, mais on peut voir sur le chapiteau de gauche :
- de face, une femme, jupe courte, enlaçant un serpent dont la tête repose sur sa poitrine ; une petite sphère, une volute et des feuilles placées sous ses pieds symbolisent probablement le jardin et le pommier, pour une ève prise en flagrant délit...
La tentation d'ève ? |
Le Christ et Ssaint Pierre ? |
- sur les faces latérales, on peut découvrir deux personnages dans des jardins, l'un, une épée à la main droite, l'autre se tient bras croisés : probablement une représentation du bien et du mal. Ce thème du péché originel, du bien et du mal, se retrouve également sur des chapiteaux de l'église de Veyrines.
Sur le chapiteau de droite :
- de face : le Christ, reconnaissable à la croix, donne sa bénédiction de la main droite tandis qu'il tend une clef de la main gauche à un personnage agenouillé, probablement saint Pierre (patron de l'église), qui saisit cette clef de sa main gauche.
- sur les faces latérales, on distingue encore deux personnages, l'un assis dans une niche tient un livre sur les genoux, l'autre écrit un livre sous la dictée d'un oiseau (le Saint-Esprit ?)
En face du portail de l'église, de l'autre côté du chemin, un grand terre-plein qui était autrefois le premier cimetière, permet d'admirer tout à loisir la beauté du lieu.
Maison forte des Boissières |
À proximité de l'église, côté sud du hameau, de superbes bâtiments ne manquent pas d'attirer l'attention. Il s'agit du « petit château » habité au xvie siècle par Guillaume d'Allier explicitement désigné (en 1532) comme seigneur de Monteil et coseigneur de Saint-Agrève et la Bâtie d'Andaure.
Cette maison forte se présente aujourd'hui avec une cour fermée, au nord, par un mur avec portail d'accès, à l'est, par des dépendances, au sud, par des bâtiments agricoles et à l'ouest, par l'habitation avec tour (hélas arasée). Au premier étage, de magnifiques fenêtres du xve siècle subsistent, ainsi qu'une partie de bretèche au-dessus de la belle porte d'entrée à accolade.
Armoiries au-dessus d'une porte à l'intérieur de la maison forte |
Monsieur Gibert, propriétaire actuel et restaurateur de cette belle demeure nous a accueilli avec une immense gentillesse pour nous faire partager sa passion de la pierre et du bois. Tout, des ouvertures (fenêtres, portes, grilles), jusqu'aux passes de toit, a été restauré avec soin et respect des matières et techniques anciennes.
Nous avons pu admirer les magnifiques et lourdes portes extérieures, cloutées, en châtaignier, ainsi que les portes internes, en noyer, à décor en plis de serviette, que le propriétaire a lui même exécutées et sculptées. Pour toutes les ouvertures, des serrures d'époque, aux mécanismes complexes et aux clés énormes, ont été chinées au gré des brocantes et patiemment remises en état par ses soins. La cuisine a conservé son imposante cheminée ardéchoise, typique des maisons fortes de la fin du Moyen-âge, ainsi que son potager. De cette pièce, une belle porte surmontée d'armoiries (peut-être celles de la branche catholique de la famille d'Allier ?) ouvre sur la tour où l'escalier à vis conduit à une élégante salle de réception avec cheminée monumentale en pierre.
Un grand savoir-faire, beaucoup de patience et de passion, une belle maîtrise des techniques, ont abouti à une restauration magnifiquement réussie menée durant de longues années par Monsieur Gibert. Nous le remercions encore de nous avoir si aimablement ouvert les portes de ce très joli et ancien édifice ardéchois.
Paul Bousquet(Retourtour, Macheville), Guy Delubac (Retourtour), Jocelyne Fournet-Fayard (Monteil)
(Visite de la Sté de Sauvegarde, octobre 2008)