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VISITE DE LARGENTIÈRE

La ville ancienne - L'église - Le château - Le moulinage de Sigalière - Le tribunal et les prisons

Largentière : vue générale

Largentière, avant restauration du château

armoiries

Largentière est à ce jour la petite sous-préfecture de l’Ardèche méridionale. Son nom de « l’Argentière » indique qu’elle est née de l’exploitation ancienne de mines d’argent, prospères et disputées au Moyen Âge depuis probablement le xe siècle jusqu’au xive. Cette origine explique sa situation à la fois excentrée par rapport aux grands axes de circulation et contrainte dans le fond de l’étroite vallée de la Ligne. Cette petite cité en piémont des pentes cévenoles joua par la suite un rôle substantiel, d’abord durant les guerres de Religion où elle fut un des piliers du pouvoir royal en Vivarais, puis à nouveau durant la Révolution à laquelle elle prit une part active. Cité animée et industrieuse, notamment pourvue de filatures et moulinages, siège aussi d’un tribunal, son activité fut relancée en 1960 et jusqu’en 1982 par l’exploitation d’une importante mine de plomb argentifère et de zinc, portant sa population à plus de 3 000 habitants. Elle en compte à peine 2 000 aujourd’hui, mais son riche patrimoine témoigne de ses activités anciennes.
Nous sommes accueillis sous les platanes de la place des Récollets, face au pont et à la porte fortifiée du même nom qui protégeait sur la rive opposée l’accès nord de la ville, par Francis Vidal, président de l’association de la Sauvegarde du patrimoine largentièrois. Il nous précise que ce rendez-vous sera l’occasion de parcourir une partie ancienne de la ville, avant de visiter l’église, et au moins une partie du château. Nous consacrerons l’après-midi à un moulinage, avant de terminer par l’ancien tribunal et ses prisons.

La ville ancienne

pont des Recollets

Pont des Récollets

porte des Recollets

Porte des Récollets

La place des Récollets a pris le nom des religieux qui avaient sous l’Ancien Régime bâti un couvent à cet emplacement. Depuis le pont, on peut voir le départ du canal en rive droite et la marque du niveau atteint par la Ligne lors de la crue de 1878 qui en arracha le parapet, détruisit des ponts en aval, emporta plusieurs personnes et ravagea la basse ville.
La porte des Récollets a d’abord été dite porte du Mazaud (ou marché, celui-ci se tenant en face sur la rive gauche) : dotée d’une herse et d‘un pont-levis, elle constituait l’une des deux entrées principales, l’autre étant la porte de Sigalière en face de ce qui est aujourd’hui le pont le plus en aval. La ville, bâtie dans un méandre de la Ligne, était ceinte de remparts dont une partie subsiste entre église et château ; avant l’ouverture au xviiisiècle du « chemin neuf » en rive gauche, toute la circulation passait par ces deux portes et l’étroite rue Soulavie (anciennement rue de la Ligne) qui les relie.

rue Soulavie

Rue Soulavie

Etoile de David

Étoile de David

batteurs d'argent

Bas-relief des batteurs d'argent

À l’entrèe de la rue Soulavie, une maison à droite portait un bas-relief figurant les « batteurs d’argent », aujourd’hui placé à l’abri des intempéries dans une salle de la mairie. En face, la première maison fut habitée au xviiie siècle par Henri Marcha, seigneur de Rocher. La maison suivante porte en haut de son linteau une étoile de David, vestige probable de la colonie juive qu’abritait Largentière au Moyen Âge.
Nous descendons par la rue puis par la place Maréchal Suchet ; les maisons qui les bordent à gauche ont été remaniées au xixe siècle ; elles étaient alors habitées par des artisans (ferblantiers, couteliers, tanneurs), tirant parti pour leur activité du canal qui passe sous les maisons.
Plus loin, nous trouvons à gauche la place de la Poste, celle-ci installée en rez-de-chaussée de l’ancien hôtel de Rochier, qui fut ensuite hôtel de ville jusqu’en 1903.

place couverte

Place Paul Mercier

Nous passons ensuite place Paul Mercier, ancienne place de la Halle ; une halle couverte y était installée depuis le Moyen Âge jusqu’en 1848. La place est souvent encore appelée place Couverte, du fait des arcades qui la bordent à droite au bas d’une maison en mauvais état. La première maison à droite (angle nord-ouest de la place) s’ordonne autour d’une petite cour intérieure accessible par une porte cochère, c’est l’ancien hôtel des Jossoin de Valgorge, établis ici de 1600 au xixe siècle.
Les États du Vivarais s’y tinrent en 1761 et 1785, l’écrivain Ovide de Valgorge y mourut en 1856. Les deux maisons qui se trouvent au sud-est de la place, à droite de la rue Chantereine qui mène au pont, constituaient sous l’Ancien Régime l’hôtel des Julien de Vinezac, seigneurs de Vinezac et de Montréal ; l’un d’entre eux fut massacré en 1793 au cours du siège de Lyon, tandis que la maison était vendue comme « bien national » pour émigration.
La maison située à l’angle gauche de la place, au coin de la rue Chantereine, appartint sous la Restauration et jusqu’en 1847 aux Fontaine de Logère, anciens seigneurs de Joannas.
Le pont Barante qui fait suite à la rue Chantereine, construit en 1848, succéda à une passerelle basse maintes fois détruite par les crues.
Revenant sur la place, nous prenons à gauche l’ancienne rue du Moulin, aujourd’hui rue Jean-Jaurès. Le canal alimentant le moulin passait autrefois à ciel ouvert dans cette rue, il ne fut couvert qu’au xixe siècle. En 1772, les consuls de la ville s’étaient opposés au projet de Jean-Pierre Suchet, le père du futur maréchal, d’y installer une roue pour une fabrique à soie.
La rue Jean-Jaurès a été élargie en 1937, amputant des maisons dont la façade est plutôt sur la jolie rue de la Halle, parallèle, notamment une maison ayant appartenu à Guillaume Perbost, juge de paix puis moulinier, et sa voisine dont la tour d’escalier a été dégagée par ces démolitions. D’autres mouliniers, notamment Sautel, aussi propriétaire du moulinage du Prat à Montréal, dont la maison s’orne d’une belle porte cochère, habitaient aussi rue de la Halle.
Le moulin de la Caritat (des sœurs de la Charité) ou Ferradié (de la rue des ferronniers) qui se trouvait au bout de la rue Jean-Jaurès, à gauche, est très ancien : un acte de 1361 stipule qu’il est légué à l’aumône de la « caritat », sous condition d’une aumône faite chaque année aux pauvres de la ville pour la fête de l’Ascension. Il a tourné jusqu’avant 1950 sous le nom de moulin Pascal.

maison Bastide

Maison Bastide

Montée Mazon

Montée Mazon

Presqu’en face du moulin, à l’angle de la place Mazan, se trouve l’arrière de la maison Bastide (classée Monument historique), qui constitue avec l’hôtel des Fages de Rochemure qui lui fait immédiatement suite à gauche, l’ensemble de l’actuel hôtel de ville. Ces deux maisons paraissent dater du xvie siècle, l’hôtel de Rochemure étant mieux connu, la tradition rapportant qu’il aurait été construit par Guillaume de Fages avec les pierres du couvent des Cordeliers, au pillage et à la destruction duquel il avait participé en 1562. C’est dans la salle de réception de l’hôtel de Rochemure que furent élus en 1788 les représentants de Largentière aux trois États qui devaient aboutir à la constitution de l’Assemblée nationale. Cette salle fut détruite en 1930, remplacée par un théâtre, puis un cinéma, disparu dans les années 1950. L’histoire de la maison Bastide est moins documentée ; elle appartenait en 1807 à André Lapierre, négociant et moulinier, avant de passer à son gendre Bastide.
Traversant devant la mairie la récente rue Félicien Blanc, nous longeons l’imposante maison qui abritait aux xviie et xviiie siècles la chapelle des Pénitents, appartenant à la confrérie des Pénitents blancs, instituée à Largentière en 1581. Nous apercevons en montant l’élégante fenêtre en ogive de cette chapelle, constituée de la partie supérieure d’une fenêtre de l’ancien couvent des Cordeliers qui se trouvait hors les murs, sur l’emplacement de l’actuel cimetière, et fut pillé et ruiné en 1562 par les protestants menés par Bermond de Combas, seigneur de Versas.
Les moines franciscains (Cordeliers) se replièrent après la destruction de l’ancien couvent dans la maison située entre la chapelle des Pénitents et la sous-préfecture. Cette maison, rachetée en 1832 par Marie Rivier, a été par la suite profondément modifiée.
Nous passons enfin, dans la rue Vielfaure, devant la sous-préfecture qui occupe les locaux d’un ancien couvent des sœurs de la Présentation, et arrivons sur la place de l’église, en dessous de laquelle dévalent vers le pont, à l’emplacement de l’ancien rempart, les escaliers de la montée Mazon.

L’église

Les toits de Largentière et le clocher

La flèche de pierre ouvragée de son clocher la signale de loin. Nous sommes accueillis sous le portail sud par le père Bernard Nougier qui a accepté de nous présenter brièvement cette église dont il fut longtemps le curé.

ND des Pommiers

N.-D. des Pommiers

L’église est dédiée à Notre-Dame des Pommiers. Ce nom curieux, que l’on retrouve par ailleurs à Ruoms, trouve probablement son origine dans le mot pomoerium (espace consacré autour des remparts sur lequel il était interdit de bâtir), le mur ouest de l’église étant en effet partie de l’ancien rempart, dont une tour se dresse encore à son angle. Mais une légende attribue ce nom au champ de pommiers (pomarium, verger) qui se trouvait là autrefois, où les ouvriers mandés pour construire l’église dans un lieu différent retrouvaient chaque matin les outils qu’ils avaient laissés la veille au lieu désigné, marquant ainsi la volonté de la Vierge de voir son sanctuaire érigé à l’emplacement du champ de pommiers…
L’église est dans son ensemble d’architecture gothique, ce style pénétrant le Vivarais parallèlement à l’influence grandissante des rois de France. Son ancienneté parmi les édifices gothiques vivarois est attestée par le premier document qui la mentionne, une transaction de 1214 à laquelle prend part l‘évêque Nicolas. On retrouve par ailleurs des éléments susceptibles de dater sa construction : la croix toulousaine figure ainsi à la clé de voûte de la croisée du transept et à celle de la travée nord, alors que le traité de Paris mettait fin en 1229 aux droits des comtes de Toulouse sur les mines de Largentière. Mais figure aussi à la clé de voûte du transept nord l’écu à six fleurs de lys de saint Louis, a priori postérieur à 1244, date à laquelle l’évêque Arnaud de Vogüé a rejeté la suzeraineté impériale. Si les voûtes des trois nefs reposent sur croisées d’ogive, leur hauteur (14 mètres) reste modeste, l’influence romane demeurant sensible au niveau des piliers, massifs pour une telle hauteur, ou de la fenêtre en plein cintre qui éclaire l’abside centrale.

Portail méridional

Portail méridional

Sculptures à la base des voussures du portail
Sculptures à la base des voussures du portail

Le porche primitif ogival de l’église s’ouvre au midi, le mur ouest étant alors pris dans le rempart. Il est orné de trois voussures reposant sur autant de colonnettes, le linteau renforcé par un trumeau médian ne portant pas (plus ?) d’ornement. Seuls les chapiteaux des colonnes et la frise latérale sont sculptés ; malgré l’usure on reconnaît encore la scène de l’Annonciation, l’agneau de Dieu, des sirènes… L’abri sommaire de ce porche était utilisé au Moyen Âge par les consuls pour réunir l’assemblée des habitants que l’on souhaitait consulter.
Entrant dans l’église, on en découvre la relative obscurité, mais aussi les dimensions, importantes compte tenu de la taille de la communauté : 42 mètres de longueur pour un peu moins de 30 mètres de largeur. Les voûtes des nefs et du transept culminent à une hauteur homogène. Des modillons de facture romane sont implantés sur les premiers piliers.

Façade occidentale

Façade occidentale

Un second porche d’accès a été créé à l’ouest au xixe siècle par le curé Léorat, auteur durant les 30 ans de son ministère de nombreuses modifications, parfois financées à ses frais, les plus importantes visibles de l’extérieur étant la flèche du clocher, sculptée et montée en s’inspirant de celle de l’église Saint-Nizier à Lyon, et ce porche dont les sculptures sont dues au maçon Victor Perbost, tandis que les splendides ferrures du portail étaient réalisées par le serrurier Monteil-Cadet. C’est encore le curé Léorat qui fit reconstruire la tribune pour la confrérie des Pénitents, avec sa balustrade réalisée par le serrurier Serre, lui encore qui fit reconstruire au fond de l’église les fonts baptismaux, au nord, et la chapelle du Saint-Sépulcre, à gauche de l’entrée avec sa grille réalisée par le ferronnier Paillasse.

Devant cette chapelle git un sarcophage en grès, sculpté sur deux faces : sur la plus petite une rosace et une croix ancrée, avec un visage centré, sur la plus grande quatre rosaces tangentes. Ce sarcophage a été découvert en 1953 à l’occasion de travaux dans une partie du cimetière à l’emplacement de l’ancien couvent des Cordeliers et serait du xiiie siècle. Il est aujourd’hui intégré au classement de l’église comme monument historique.

sarcophage sarcophage

Le sarcophage découvert en 1953

Deux chapelles, celle de Saint-Louis de Gonzague, et celle de Saint-Joseph s’ouvrent après les fonts baptismaux, et précèdent la sacristie, sur le côté nord. Celle de la Vierge, de style gothique flamboyant, avec une voûte et une fenêtre remarquables, leur fait face au sud, à droite de l‘entrée. Elle a été fondée en 1519 par Pierre Allamel et son épouse Anne de Malet : c’est dans cette chapelle que se trouve la statue de Notre-Dame des Pommiers, d’un style plutôt rustique mais probablement aussi du xvie siècle.
Les chapelles de Saint-Régis et celle du Sacré-Cœur se trouvent en extrémité des nefs latérales nord et sud.

Chaire de 1490

Chaire de 1490

Le chœur est décoré de peintures murales, récemment restaurées, figurant notamment les évangélistes. La chaire est en pierre, ses parois sont constituées de cinq panneaux finement sculptés, réassemblés par le même maçon Perbost, qui a aussi sculpté l’escalier et la tête, à la demande du même Léorat. Trois de ses panneaux proviennent de la chaire du couvent détruit des Cordeliers. Il en manque un qui n’a pas été retrouvé. On peut y lire une inscription, incomplète, en langue d’oc :
« L’an mil quatre cent quatre vingt dix et le VII d’octobre hieu Pierre Guarnier de Colens ay donnat aquesta chadiere al convent eque… »
Dernier aspect singulier : un crâne se trouve posé sur le chapiteau du premier pilier au nord. La tradition dit qu’il s’agit de celui du comte de Saillans, l’un des chefs du troisième rassemblement de Jalès en 1792, capturé après la dispersion des conjurés, ramené aux Vans où il a été tué, et dont la tête aurait été rapportée au bout d’une pique par un révolutionnaire largentièrois, le dénommé Lapaille, de son état cabaretier ; cette tête aurait été ensuite enterrée dans un champ. Le crâne, retrouvé dans ce champ en 1894, a alors été déposé en l’église, lieu consacré.

Le château

Nous nous y rendons en passant par la rue de France, pour arriver à son entrée basse, les premiers escaliers et l’allée montante pavée qui nous mène à la terrasse inférieure et ses platanes, devant le châtelet médiéval à droite, le grand escalier devant nous. Nous gagnons par le grand escalier xviiie à double volée la terrasse haute et la façade sud, puis la terrasse circulaire à l’angle, où nous sont rapidement présentés le château et son histoire.

le chateau

Le château après les travaux de restauration de 2014
(cliché Jean-François Cuttier)

« Ce que nous voyons est le résultat des modifications effectuées sur la forteresse médiévale, d’abord au xviiie siècle par le marquis de Brison (descendant du chef protestant dit « le brave Brison » à l’origine de la guerre ayant abouti au siège et à la destruction de Privas par Louis XIII et héritier de Combas, seigneur de Versas, qui avait pris Largentière et détruit le couvent en 1562) pour en faire une résidence au goût du jour, puis de celles réalisées vers 1850 pour en faire un hôpital.
À l’origine, un simple donjon carré, large de 10 mètres et haut de 30, typique des forteresses du xiie siècle avec ses murs épais et son ouverture en hauteur, construit par l’évêque de Viviers pour défendre la ville et ses mines, et mettre en lieu sûr l’argent extrait des mines. Autour du donjon, à quelque distance, une muraille épaisse, la « chemise », en protège la base. Le comte de Toulouse, revendiquant sa part du produit des mines, construit une autre tour ; la tradition dit qu’elle correspond à la terrasse circulaire sur laquelle nous nous trouvons, base d’une tour ancienne accolée à cette enceinte, démolie en 1816. Aucun document n’atteste que cette tour détruite était bien la tour comtale, sa base circulaire évoquant plus un édifice xive… 

le chateau

Les évêques de Viviers renforcent la forteresse au xve siècle, construisant un châtelet pour en protèger l’entrée, reliée au donjon par une aile fortifiée, tandis que des étages sont bâtis entre donjon et rempart, et que s’élève une haute tour logeant l’escalier à vis. Subsiste aussi de cette période faste la trace d’une fenêtre de style gothique flamboyant, encore visible sous la façade sud. Mais l’évêque de Viviers est loin, s’intéresse d’autant moins au château de Largentière qu’il cesse à partir du xivsiècle de battre monnaie au profit du roi de France, les améliorations ne compensent pas la faiblesse d’une forteresse mal entretenue et dépourvue de garnison.
Les protestants l’occupent brièvement à deux reprises, avant que Montréal et les seigneurs catholiques n’y réinstallent une garnison.
Les Brison, revenus en cour à l’issue des guerres de Religion, avaient construit sur les hauts de Sanilhac un château aujourd’hui ruiné proche de la tour du même nom. En 1716, le marquis de Brison achète à l’évêque Martin de Ratabon pour 45 000 livres le château, celui-ci dans un état fortement dégradé, et la baronnie de Largentière, celle-ci permettant au marquis de siéger aux États du Vivarais et, à tour de rôle, aux États du Languedoc. Pour cette somme l’évêque, qui la met à profit pour construire à Viviers son nouveau palais épiscopal (aujourd’hui mairie de Viviers), cède aussi quelques droits de justice, les archives et les droits sur les mines. Brison entreprend de grands travaux pour transformer la vieille forteresse en une résidence moderne : percement de grandes ouvertures, agrandissement en façade nord, salles de réception et nombreuses pièces sur deux étages, grand escalier, terrasses et jardins, création de la route de Tauriers permettant d’atteindre la cour haute du château en carrosse.

Largentière : le château Largentière : le château, escalier extérieur

Le château est occupé à partir de 1723, chaque année, par le marquis puis ses descendants, apportant une grande animation dans la ville… ceci jusqu’à la Révolution.
Brison émigré, le château est mis sous séquestre, quelque peu pillé avant d’être occupé par la commune. Les archives concernant les mines médiévales sont brûlées avec tous les papiers sur le pont des Récollets. La salle des États devient salle du tribunal, des gendarmes sont logés, des prisons installées, notamment à la base de cette tour ronde aujourd’hui démolie.
La propriété du château est restituée en 1802 aux Beauvoir du Roure, marquis de Brison, qui le louent à la commune pour le même usage, jusqu’en 1845.
Après de longues négociations, la commune achète à cette date le château, tribunal et prisons étant transférés dans le nouveau palais de justice, pour en faire un hôpital. Celui-ci, confié aux sœurs de la Charité, fonctionne à partir de 1850. La salle du tribunal devient chapelle, un troisième étage est construit en 1858 pour agrandir l’hôpital, avant qu’un quatrième étage ne vienne en 1890 couvrir château et donjon d’une vaste « toiture-parapluie », ce dernier étage étant heureusement démoli en 2014.
Le château, aujourd’hui désaffecté et inoccupé, sauf pour des animations médiévales, a été utilisé comme hôpital jusqu’en 1995. Il est toujours propriété communale, une grande partie des façades a été restaurée en 2014, la toiture entièrement reprise ».
Après cet historique nous accédons par l’escalier à vis à la galerie de réception située au premier étage puis, par une porte percée au même étage, à l’intérieur du donjon, l’occasion de découvrir que l’ouverture médiévale qui donnait accès au donjon se trouvait encore cinq mètres plus haut. Les étages inférieurs, alors pourvus de planchers, n’étaient accessibles depuis cette ouverture que par des échelles… l’occasion aussi de vérifier qu’avec des murs de trois mètres d’épaisseur on maintient certes une température constante, mais on ne dispose pas de grandes pièces.
Nous regrettons que les impératifs de sécurité ne nous aient pas permis d’accéder aux anciennes grandes salles de l’hôpital situées au troisième étage, non plus qu’au sommet du donjon, d’où l’on doit avoir une belle perspective sur Largentière et le tribunal situé en face…

Le moulinage de Sigalière

Revenant en aval le long de la Ligne par l’avenue de la République, autrefois le « Chemin Neuf », auquel succédait le faubourg de Sigalière, nous accédons au grand bâtiment occupé à l’entrée sud de Largentière par le SEBA (Syndicat des Eaux du Bassin de l’Ardèche, qui distribue l’eau dans 44 communes, et en approvisionne autant qui assurent ensuite elles-mêmes leur distribution), où son directeur général Daniel Suszwalak nous accueille, avant que le président Jean Pascal ne vienne aussi nous saluer.
Si le bâtiment a été modernisé pour l’adapter à sa nouvelle fonction, l’exécutif du syndicat s’est efforcé de conserver certains aspects caractéristiques de sa vocation première de « fabrique à soie », notamment l’essentiel de la grande salle du moulinage, qui sert à présent de salle de réunion, pouvant accueillir dans de bonnes conditions la centaine de personnes (délégués et public) participant ou assistant au conseil syndical.
Là encore une brève présentation nous est faite de l’histoire du bâtiment :
« À l’origine, une source pérenne au débit important, en rive gauche de la Ligne, cinq cents mètres en aval de la porte de « Sigalière » ouverte dans le rempart sud de Largentière.
Au xviisiècle un moulin est là, qui en utilise l’eau pour mouvoir roue et mécanisme.
Au xviiie, peu avant la Révolution, une première fabrique à soie, la « Fabriquette », est construite dans ce faubourg de Sigalière.
Le moulin est à son tour transformé en une petite « usine à soie », appartenant à un M. Bouffonier.
Guillaume Perbost a obtenu pendant la Révolution le fermage de l’octroi prélevé sur les marchandises entrant en ville, il est dans le même temps greffier, puis juge de paix de Largentière.
Enrichi, devenu négociant, il rachète les deux moulinages de soie, la « Fabriquette » et celui de Bouffonier, ainsi que les terrains qui les séparent au long de la Ligne. Avec les pierres de la haute tour ronde du château, démolie en 1816, il fait bâtir il y a tout juste 200 ans « ce bel établissement qui couvre aujourd'hui avec ses dépendances tout l'espace compris entre la rivière et la grand-route » (A.Mazon).
La grande usine de Sigalière entre donc en production après 1820, sous la Restauration. Elle intègre filature de soie en étages et moulinage dans la grande salle voûtée du rez-dechaussée, emploie plus de 200 personnes, surtout femmes et enfants. Le dernier étage a été prévu pour permettre de loger les ouvrières qui n’habitent pas à proximité.
Le moulinage nécessite une force motrice importante, obtenue par une roue hydraulique ; pour atteindre une puissance suffisante Perbost amène à la roue de sa fabrique, en plus des eaux de la source, une partie de celles de la Ligne dérivée par un béal vers la Fabriquette, puis vers la nouvelle usine.
Guillaume Perbost, devenu entre temps propriétaire du moulinage du Reclus, plus en aval en rive droite, construit encore en amont de Largentière l’usine du Moulinet. À sa mort en 1842, son fils Arsène hérite de la Sigalière et du Reclus. Arsène Perbost développe d’abord négoce et entreprise ; la Fabriquette devient une « coconnière » vouée au stockage des cocons avant filature, l’usine de Sigalière est agrandie par des annexes : la partie la plus ancienne, longeant la rivière, est rehaussée d’un étage pour le logement des ouvrières. Le dernier étage du bâtiment principal est à présent réservé à l’étendage des écheveaux de soie. On installe vers 1840 une première chaudière à vapeur pour chauffer les bassines de la filature. Une seconde machine à vapeur permet à partir de 1861 de faire tourner le moulinage même en période de sécheresse.
Mais des crises successives (dont la pébrine, qui décime les vers à soie après 1850) ont dégradé l’économie de la soie, diminuant l’autonomie des mouliniers. Perbost est financièrement de plus en plus dépendant de ses donneurs d’ordres lyonnais, négociants en soies et banquiers. Il disperse aussi son activité : candidat à plusieurs élections, il prend aussi la direction de la mine de plomb argentifère ouverte à Largentière en 1875, pour laquelle il installe un atelier de lavage du minerai en rive droite, face à la Sigalière ; il emploie jusqu’à 350 personnes entre mine et fabrique à soie.
La crue de la Ligne survenue en 1878, n’arrange rien : la Fabriquette et la grande usine de Sigalière subissent dégâts et inondation, les ateliers de la mine et les stocks de minerai sont emportés.
La mine, très déficitaire, doit fermer en 1882, l’endettement s’alourdit. Arsène Perbost meurt en février 1885 ; la direction est reprise par son fils Albert. À peine quelques mois plus tard, un important éboulement de la falaise se produit en rive droite, encombrant la rivière, coupant le béal qui conduit l’eau au Reclus. Albert Perbost, menacé de ruine, renonce.
La Sigalière est rachetée en 1887 par la société Palluat & Testenoire, négociants en soie lyonnais déjà propriétaires en amont de Largentière, de la « grande usine Palluat ».
En 1893 la Sigalière et le Reclus emploient 65 ouvriers (30 femmes et 35 enfants) pour la filature et 94 (dont 38 femmes et 52 enfants) au moulinage. Les horaires sont conséquents : 6 heures du matin à 7 heures du soir [mais on commençait à 4 heures en 1862 !]. La production est de 4 000 kg « de soie grège de qualité extra » par an. Une turbine a été installée à l’usine du Reclus pour produire de l’électricité, qu’une ligne aérienne amène à la Sigalière ; l’énergie électrique va progressivement suppléer la force hydraulique.
L’usine de Sigalière est remise à neuf en 1910, le moulinage produit toujours un fil d’organsin apprécié, la filature est rééquipée, une nouvelle machine à vapeur est installée. Un peu plus tard une turbine remplace là aussi l’ancienne roue hydraulique.
L’industrie de la soie est en difficulté après la première guerre mondiale ; Palluat & Testenoire cessent leur activité en 1930. Les différentes usines de Largentière sont rachetées en 1935 par les Établissements Briand Frères de Saint-Pierre-sous-Aubenas, qui travaillent la soie, mais aussi des fils artificiels. En 1938, seuls deux moulinages (dont celui de Sigalière) sont encore en activité, employant 19 ouvriers.
Cette activité de moulinage se poursuit après la seconde guerre mondiale à la Sigalière ; on y travaille à présent le nylon, pour lequel Briand a développé la technique dite de la « fausse torsion ». L’usine emploie encore plusieurs dizaines de personnes, au moins jusque dans les années 1970, avant de cesser toute activité.
Ces bâtiments sont plusieurs fois réaménagés pour accueillir différentes activités, avant leur rachat par le SEBA qui en assure la réhabilitation, et s’y installe en 2012. »
Nous sortons de la grande salle pour apprécier avec un peu de recul l’ordonnancement de la façade et ses différents étages : les fenêtres à ras de terre de la salle du moulinage, les deux étages de grandes fenêtres donnant autrefois la lumière aux filatures, les petites fenêtres du troisième étage autrefois dortoir des ouvrières puis étendoir pour sécher les soies.
Trop nombreux pour rechercher en sous-sol les traces du moulin ou la turbine, nous terminons notre visite par la petite salle voûtée, ancienne, qui date probablement de la fabrique Bouffonnier.

Le tribunal et les prisons

le tribunal

Le tribunal
(crédit : Mossot - licence :  Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0)

De retour à la place des Récollets, nous gravissons péniblement les plus de cent marches qui donnent accès à l’imposant tribunal dominant en rive gauche la ville, le temps d’imaginer l’angoisse qui pouvait s’appesantir au fur et à mesure de leur ascension sur la nuque des accusés… Mais ce tribunal n’a en fait jamais connu de procès criminels, dédié à l’origine aux instances civiles ou correctionnelles et au tribunal de commerce. Il a rapidement perdu cette dernière activité au profit d’Aubenas, perdu en 1928, puis retrouvé quelques années avant de la perdre définitivement après-guerre, sa chambre correc-tionnelle. Il a conservé jusqu’en 2009 son activité de tribunal d’instance, avant de fermer ses portes avec la « réforme Dati » en janvier 2010.

Sa vaste salle des pas perdus accueille aujourd’hui l’exposition « Mille ans d’histoire » mise en place par l’Association du patrimoine largentiérois, qui nous permet de découvrir d’autres aspects de l’histoire et du patrimoine local que ceux déjà abordés, tandis que la salle d’audience est occupée par une seconde exposition, consacrée à différents regards sur la guerre de 14-18 à Largentière.

 

 

Largentière : le château - exposition 'mille ans d'histoire'

Exposition « 1 000 ans d'histoire »
(Cliché J.-F. Cuttier)

Largentière : le château - exposition 'mille ans d'histoire'

Bref retour historique

La Révolution a mis hors jeu le tribunal royal de Villeneuve-de-Berg. Le pouvoir révolutionnaire installe, à l’initiative de la commune qui profite de la disponibilité du château, un tribunal et des prisons à Largentière. Ce tribunal a compétence sur le district du Tanargue.
Les bâtiments du château, plus ou moins adaptés à cet usage, mal entretenus, appartiennent toujours aux Beauvoir du Roure et sont seulement loués. Les Largentiérois craignent que l’autorité royale, rétablie à la Restauration, ne choisisse de ramener le tribunal à Villeneuve-de-Berg ou ne le transfère ailleurs, pourquoi pas à Joyeuse… Cherchant à acquérir le château pour le transformer en hôpital, la commune projette à partir de 1822 la construction d’un nouveau tribunal sur les terrains ayant appartenu aux Récollets. Différents projets sont soumis, notamment celui de Louis Baltard, constructeur du palais de justice de Lyon et père du concepteur des halles de Paris, écartés parce que trop coûteux. Le projet retenu est celui de l’architecte Weil, avec son péristyle de six colonnes et son allure de temple dorique, rendue plus imposante par le site dominant la ville. Une souscription a permis de réunir 42 000 francs, mais le devis, accepté en 1840 s’élève à 126 000 francs. Des subventions sont obtenues du département, mais la commune doit s’endetter lourdement pour réaliser la construction, qui s’étale de 1840 à 1847, le grès utilisé étant extrait des carrières du Mas du Bosc et de la Côte de Chassiers. L’inauguration le 1er juillet 1847 réunit le préfet Barante et l’évêque. Peu de temps avant, la ville a acquis le château pour la somme de 21 000 francs, réunis aussi par souscription.
Le tribunal de Largentière est depuis 2018, comme l’était déjà le château, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques.
Nous terminons notre visite par le premier étage de la prison, dont les cellules, reliées par une coursive qu’une lentille permettait de surveiller depuis la salle de garde, n’ont que peu changé depuis 150 ans. Ces cellules n’ont pas accueilli de prisonnier célèbre : les aubergistes de Peyrebeille en route pour le tribunal de Privas ont été logés dans les prisons du château, en service alors, et l’anarchiste Laffon, emprisonné en 1907, n’a pas la même notoriété. Le peintre Max Ernst, de nationalité allemande, réfugié en France et résidant à Saint-Martin-d’Ardèche, y a par contre été interné quelques mois en 1940, avant son transfert au camp des Milles, puis son départ pour les États-Unis avec Peggy Guggenheim, mécène américaine et collectionneuse d’art moderne qu’il épousera l’année suivante.

Jean-François Cuttier
(Visite de la Sauvegarde du 14 mars 2019)

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