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Visite de Lavilledieu

Partant d’Aubenas pour aller à Lavilledieu, on traverse l’Ardèche à Saint-Didier-sous-Aubenas. À la sortie du pont, on gravit par une côte en virage, la côte de Ville, le bord occidental du plateau des Gras. L’élargissement de la route nationale 102 a dégagé la succession des bancs de marne et de calcaire qui retracent une partie de l’histoire sédimentaire de l’Ardèche. En guère plus d’un kilomètre et en s’élevant de moins de deux cents mètres, on parcourt les trente millions d’années que compte le Jurassique supérieur.
Arrivé sur ce plateau calcaire à la végétation rare, après quelques kilomètres, le clocher élevé de Lavilledieu, entouré des maisons du vieux village, surgit brusquement.

Dans le cloître de Lavilledieu

Gérard Saucles, maire de Lavilledieu présente sa commune.
À son côté, Pierre Court, président de la Sauvegarde

Le lieu de rendez-vous est le parking des écoles au tout début de la route de Lussas. Bien que le froid soit vif et le vent assez violent, une cinquantaine de personnes sont déjà arrivées. Après les salutations d’usage, le président nous invite à rejoindre la mairie où nous sommes accueillis par Gérard Saucles, le maire de Lavilledieu. Il nous souhaite la bienvenue, se déclare très honoré de la visite de la Sauvegarde et nous remercie de l’intérêt que nous portons à sa commune. En raison des conditions atmosphériques peu favorables, il nous propose de rejoindre le cloître où nous serons relativement à l’abri du vent pour qu’il nous présente sa commune. Il nous accompagnera ensuite pour un tour du vieux village.

La commune de Lavilledieu est relativement importante, située entre la vallée du Rhône et le bassin d’emploi d’Aubenas, elle attire une population jeune qui recherche du travail et un logement d’un prix abordable. Elle compte actuellement plus de deux mille habitants et ses écoles maternelle et primaire totalisent deux cent vingt élèves. Le terrain, peu propice à l’agriculture donc peu cher, a permis le développement d’une zone industrielle qui compte soixante-dix entreprises et emploie trois cents personnes. La municipalité s’efforce de concilier ce développement avec la mise en valeur de son riche patrimoine historique et architectural.

Dans le village Dans le village
Dans le village

En parcourant le vieux village restauré

Ainsi le cloître dans lequel nous sommes a été aménagé pour accueillir les différentes manifestations communales, mais aussi les pièces de théâtre créées par l’association villadéenne « coté cour », en liaison avec le centre Le Bournot d’Aubenas. Nous visitons ensuite une salle de spectacle pouvant accueillir une cinquantaine de personnes, ce sera l’occasion d’évoquer à l’abri les temps forts de l’histoire de Lavilledieu.
Quittant cette salle, nous visitons l’église actuelle qui date de 1828. Elle est bâtie en partie sur l’emplacement de l’ancienne église du monastère dont il reste quelques ruines. Elle n’a qu’une seule nef à quatre travées, deux chapelles latérales à voûtes d’arêtes et un chœur à six voûtains ; une peinture représentant saint Martin est actuellement en cours de restauration.
(NDLR : Ce tableau a retrouvé sa place depuis le 14 mai 2013.)

Nous cheminons ensuite dans les vieilles rues restaurées avec des pavés et du béton lavé. Les façades des maisons sont constituées de matériaux locaux, basaltes du Coiron et calcaires extraits sur place, seuls les encadrements et linteaux, d’un beau calcaire, ont été taillés avec soin. Après avoir constaté l’importance des vestiges des fortifications nous terminons notre promenade au pied d’une tour et du beau porche de la rue Sarrasine.

Dans le cloître de Lavilledieu

Dans le cloître

Une brève histoire du prieuré de Lavilledieu

La région est habitée depuis des temps très anciens, mais cet habitat ne s’est développé qu’à l’époque gallo-romaine ; Lussas et Baissac désignent les lieux où étaient implantées des villæ, riches domaines ruraux. Au ve siècle, l’église Saint-Martin est signalée dans la charta vetus, mais ce n’est qu’au xie siècle que l’abbaye Saint- André-le-Haut de Vienne décide d’installer un prieuré de bénédictines. L’acte de fondation est signé par Bertrand de Vogüé en 1020. Jusqu’au milieu du xivsiècle, le prieuré qui reçoit de nombreux dons est extrêmement florissant, mais avec la guerre de Cent Ans la situation devient catastrophique, un acte de 1378, (voir Revue du Vivarais N°691) fait état de la triste situation où se trouve la région : « depuis 16 à 18 années que les Anglais ou Ennemis du Royaume ont attaqué les lieux circonvoisins… plusieurs fois les dits ennemis compagnons et voleurs ont demeuré au dit monastère plusieurs jours et nuits pour y manger et détruire les biens et vivres qui s’y trouvaient, allant jusqu’à profaner et violer les lieux sacrés et causant des dommages infinis… ». C’est pourquoi le seigneur des lieux, Guidon de Montlaur, donne l’autorisation à la prieure d’élever des remparts. Un mur d’une hauteur d’environ six mètres délimitant un quadrilatère de 120 sur 150 mètres protégé par huit tours de défense est érigé et fait du village une véritable citadelle. Deux siècles plus tard, pendant les guerres de Religion, le monastère est à nouveau pillé et brûlé ; la paix retrouvée avec l’avènement de Henri IV, la prieure, Suzanne de Molène, en entreprend la restauration. À la mort de Henri IV les troubles reprennent et les bénédictines et leur nouvelle prieure, Marie d’Ornano, quittent définitivement Lavilledieu pour s’installer à Aubenas au Dôme Saint-Benoît et être directement rattachées à l’abbaye de Cluny.
À la Révolution, le prieuré, racheté par des particuliers, est désaffecté et transformé en habitations privées, mais à partir du xixe siècle la commune reprend progressivement possession des lieux pour y développer à la fin du xxe siècle une intense vie associative et culturelle.

Deux événements tragiques qui ont marqué l’histoire de Lavilledieu ont été évoqués et méritent que l’on s’y attarde.

La révolte de Roure

Cette histoire a été racontée par de nombreux historiens ardéchois. (NDLR : On trouvera ici un article plus détaillé sur le sujet.)
Elle a démarré sur une fausse rumeur : « une taxe aussi absurde qu’inique frapperait les familles nombreuses. La crédulité populaire accueillit ces rumeurs avec son exagération coutumière. Elle était préparée par de réelles souffrances, un fisc exigeant et vexatoire… », c’est ainsi que le marquis de Vogüé présente les faits dans « Une famille vivaroise » (page 397). Tout se passe de mai à juillet 1670, cinq à six mille paysans sont mobilisés aux cris de « Haro sur les élus ! Plus d’impôts ! Mort aux sangsues du peuple ! ». Il fallait un chef, ce fut Antoine du Roure, un ancien officier des troupes royales. Aubenas occupée par surprise fut livrée au pillage. La révolte s’étend, puis s’essouffle, Roure essaie d’éviter les meurtres et les exactions, il croit en la clémence royale. Les négociations échouent, la cour envoie trois régiments et les mousquetaires de la maison du roi. Roure qui ne dispose plus que de 1 200 hommes mal armés est surpris alors qu’il campe en avant de Lavilledieu sur les pentes qui descendent à l’Auzon. Les troupes royales, plus de quatre mille hommes, ne font qu’une bouchée de ces malheureux paysans. Le lendemain, 26 juillet, les meneurs sont exécutés, l’ordre est donné d’écimer les clochers de Vogüé, Ailhon, La Chapelle et Lavilledieu. Roure, arrêté à Saint-Jean-Pied-de-Port, est roué vif à Montpellier.

Lavilledieu 25 et 29 août 1944

Le 15 août 1944 les alliés débarquent en Provence. Dès le 18 août, Hitler donne l’ordre de se replier à toutes les troupes allemandes stationnées dans le sud de la France. Une partie de ces troupes va retraiter par la rive droite de la vallée du Rhône.
Le 25 août, un premier accrochage a lieu, une section de FTP ouvre le feu sur un détachement allemand qui réplique avec des armes lourdes et les oblige à se replier. La moitié du hameau de Baissac est brûlé, huit civils et un maquisard sont tués. Dans l’attaque de Lavilledieu, le clocher est transpercé, les Allemands investissent le village, rassemblent la population femmes, enfants, vieillards dans une cour de ferme, mais n’ayant trouvé aucun résistant dans Lavilledieu, dans la soirée, ils relâchent tout le monde et continuent leur route.
Dans la journée du 29 août, en fin d’après-midi, un groupe de la compagnie 7108 des FTP, dont la mission était d’interdire le passage du pont de Saint-Didier, remonte sur Lavilledieu dans un vieux car aménagé pour porter une mitrailleuse, précédé d’une traction ; arrivé au village il est pris sous le feu d’un détachement allemand encore présent. Cinq FTP âgés de 17 à 19 ans sont tués. Au total, le bilan est lourd, quatorze morts, trois blessés, neuf orphelins, vingt maisons brûlées et de nombreux dégâts matériels.

Le trésor de Lavilledieu

Pour terminer sur une note moins tragique, quelques mots sur le trésor de Lavilledieu, la trouvaille fut faite dans le quartier de Costeraste, il s’agit de pièces de monnaie à l’effigie d’empereurs romains du iiie siècle. Un compte rendu minutieux de la composition du trésor a paru dans la Revue du Vivarais N° 629, 1972, sous la plume du baron Chaurand.

Jacques Dugrenot
(
Visite de la Sté de Sauvegarde mars 2013)
Crédits photo : D. de Brion, S. Delubac, M. Rouvière