Le 6 août 1944 - c'était un dimanche - des bombes
meurtrières larguées par des avions démolissaient le pays, y
compris son église, qui, construite en 1867, était d'un style
néo-gothique.
L'église actuelle, conçue par Maurice Biny, architecte
valentinois, est reconstruite sensiblement au même
emplacement que l'église détruite. Cette décision a été prise
après de nombreuses études, tenant compte de la
disposition des lieux et du site et, surtout, du plan général
des reconstructions après
remembrement.
La construction de cette église s'inscrit donc dans
un plan de masse
d'ensemble, qui a permis
de ménager la place
publique nécessaire entre
la route nationale et
l'église et de créer des
espaces verts réservés au
sud et un square public
au nord, vers la terrasse
qui domine l'Ouvèze.
Pour les dispositions
générales de l'édifice,
l'architecte a dû tenir
compte de l'orientation
choisie (façade latérale au
nord), des conditions
d'accès, du cadre presque
méditerranéen et enfin
de la prédominance de
certaines caractéristiques
de l'architecture locale.
On pénètre dans l'église par un porche fermé précédé d'un
péristyle.
Le baptistère est placé au fond de la nef latérale sud. Il est
bâti sur le plan carré et on y accède en descendant trois
marches.
Les confessionnaux sont groupés dans le fond de la grande
nef sous la tribune. Ils sont situés dans un endroit dégagé et
isolé des fidèles. Cet isolement est complété par un écran à
claire-voie, constitué par des voiles verticaux.
Le chœur est éclairé par une baie verticale, invisible des
fidèles. Il ressort comme un lieu très éclairé par rapport à la
pénombre relative de la nef. Un ambon permet au prêtre de
s'adresser aux fidèles. L'autel en pierre de Chomérac est
détaché du mur. Deux autels secondaires, l'autel du Saint-Sacrement dans la nef latérale et l'autel de la Vierge dont le
sculpteur est Philippe Kaeppelin.
Le campanile isolé se dresse à côté de l'église au sud. Il a
trente mètres de hauteur.
Sur le parvis on trouve un bas-relief sculpté avec infiniment
de souplesse par André Deluol né à Valence. C'est la
rencontre de sainte Marie-Madeleine, patronne de l'église,
avec le Christ. Deluol a su donner avec son ciseau à cette
pierre de Chomérac des accents émouvants auxquels il est
impossible de rester insensible.
Quand on pénètre dans la nef, on remarque inévitablement
cette galerie de dalles de verre, de trois centimètres
d'épaisseur, vitrail moderne, dont les éléments sont scellés
au ciment. Elle donne à cette partie du sanctuaire une allure
de cloître. En effet derrière deux piliers majestueux, ce mur
en dalles de verre, exposé au midi, laisse filtrer une lumière
d'une incroyable richesse de couleurs. Œuvre du peintre
verrier Chapuis, cette dalle a été exécutée par la maison
Balayn-Ghelfy de Loriol.
À signaler la colombe qui symbolise les mystères joyeux, les
instruments de la Passion au centre (croix, glaive, dés,
fouets, éponge, couronne d'épines) symbolisant les mystères
douloureux ; vers l'autel du Saint-Sacrement, le soleil
symbolisant les mystères glorieux.
Vitrail |
Vierge de Kaeppelin |
En face, dans le mur septentrional, exposé aux vents froids
et violents se trouvent sept dalles encastrées au fond de
meurtrières évasées. Le chemin de croix est limité à sa plus
simple expression : une croix suivie d'un chiffre romain, le
tout en métal et rigoureusement dépouillé.
Coût de l'église, inaugurée le 15/10/55 : 48 millions
d'anciens francs, financés au titre des dommages de guerre.
Christian Caillet
d'après un texte de Mme M.C. Pandrau de la paroisse du Pouzin
Le pont romain du Pouzin installé sur la rivière Ouvèze et, sur la même commune, le prieuré clunisien Saint-Pierre de Rompon, plus connu sous le nom de « couvent des chèvres », constituent deux monuments de qualité exceptionnelle, mais fort mal connus, que nous fait découvrir ici Joëlle Dupraz, archéologue, présidente de l'association « Avenir du prieuré clunisien Saint-Pierre de Rompon, Le Pouzin ».
Localisation des sites |
En aval de la confluence de la rivière Drôme avec le Rhône et à moins de 300 mètres à l'ouest de la confluence du fleuve avec son affluent de la rive droite, le pont du Pouzin permet le franchissement de la rivière Ouvèze (Ovidis dans l'Antiquité ?, Ovitia, Oueza et Oueda au Moyen Âge). La rivière qui prend sa source dans le bassin de Privas, s'est ouvert un passage à travers les chaînons calcaires qui bordent le Rhône. L'ouvrage d'art est installé sur un verrou naturel, au niveau d'une résurgence située en rive droite. Il marque la limite occidentale de l'agglomération actuelle du Pouzin. Jusqu'au milieu du xxe siècle, la rivière, de faible débit, mais qui peut connaître des crues torrentielles, présente un étiage très bas. Depuis les années 1950, les travaux d'aménagement du cours du Rhône ont provoqué une remontée des eaux et l'immersion permanente des bases en grand appareil des culées nord et sud du pont, un sondage aurait révélé une profondeur de 9 mètres sous le niveau actuel de l'eau.
Le pont vu de l'est (côté aval) |
Dans l'Antiquité, l'ouvrage se trouve en limite des cités d'Alba et de Valence, sur le prolongement nord de la voie dite d'Antonin le Pieux qui, venant d'Alba, se dirige vers Valence, Vienne, puis Lyon en longeant la rive droite du Rhône. La voie est jalonnée de bornes milliaires au milieu du iie siècle. Venant du sud, la voie fait un détour en remontant le long d'une barre rocheuse sur 150 mètres, la rive droite de l'Ouvèze pour atteindre le passage le plus étroit de la vallée. Après le franchissement de la rivière, la voie se subdivise en deux branches. Une voie occidentale remonte la vallée de l'Ouvèze en direction du Massif Central, tandis que la voie principale suit la rive droite du Rhône vers le nord. Les tronçons de voie situés de part et d'autre du pont sont probablement rupestres. Les données archéologiques anciennes permettent de restituer une agglomération antique (probablement un port) à l'embouchure de la rivière en rive droite. Le pont se situerait donc à la sortie septentrionale de cette agglomération.
Ce secteur géographique, caractérisé par la double confluence du Rhône avec la Drôme au nord, puis l'Ouvèze au sud et où fut construit le pont, semble de tout temps avoir constitué un point stratégique : limite des peuples cavares et helviens à l'époque gauloise, puis de cités dans l'Antiquité, des diocèses de Valence et de Viviers, et de comtés au Moyen Âge. La découverte en 2003 d'un site de hauteur fortifié du vie siècle au sommet du plateau de Rompon, à proximité du prieuré clunisien de Saint-Pierre, confirme cette hypothèse.
Le pont, ouvert à la circulation, sans
discontinuité jusqu'en 1999 et en
usage piétonnier désormais, a
traversé quinze siècles. Il figure au
xviie siècle sur la gravure du siège du Pouzin par Abraham
Boss. Des traces limitées de rehaussement de l'ouvrage, avec
comme matériau du tout venant et un bandeau de béton
servant à la fixation d'une barrière métallique, témoignent
d'interventions à diverses époques, dont la datation est
difficile à établir faute d'une recherche précise aux archives
communales et départementales. La façade orientale de
l'ouvrage (aval) est relativement bien conservée. Au-dessus
du petit appareil antique, fait de moellons de calcaire gris,
seules quatre assises de galets jaunes matérialisent une
réfection moderne qui provoque sur le tablier un pendage
du nord vers le sud. La rampe méridionale a été reconstruite
très tardivement en incorporant une arcade permettant le
passage d'une canalisation d'eau venant alimenter une
minoterie détruite en 1999. Sur la façade occidentale
(amont), plus soumise aux aléas des crues, quatre phases de
construction sont visibles. Au-dessus du petit appareil
antique en calcaire gris, on observe un petit appareil en
moellons de calcaire jaune et blanc. Le mur est ensuite
surélevé en galets de basalte. Cette restauration a en partie
remplacé la seconde ligne de voussures en grès de l'arche.
Enfin, deux assises de moellons de calcaire gris-blanc
grossièrement équarris, placées sur le sommet de l'ouvrage,
couronnent la rampe nord, symétriquement à la restauration
visible sur la façade est. À la base de la culée nord, le
parement originel a été
arraché suivant une forme
géométrique laissant
penser qu'un
aménagement maçonné a été détruit. Il pourrait
s'agir de la trace d'un mur
bajoyer (mur de
soutènement). Les
derniers aménagements
des abords de l'ouvrage - construction d'un escalier
en rive gauche et réfection
de la chaussée (non suivie archéologiquement) - datent de
2001.
En 1999, la sécurisation des berges de l'Ouvèze a abouti à la
destruction par la CNR des immeubles accolés à la façade
aval du pont, en rive droite et en rive gauche, et a de ce fait
permis son dégagement et son étude. Ce projet a tout
d'abord donné lieu à deux opérations de reconnaissance et
de couverture photographique, effectuées en 1995 et en
1998 par G. Barruol (CNRS) et J. Dupraz (SRA Rhône-Alpes),
qui ont débouché sur la protection du site en 1998. Par la
suite, les démolitions ont entraîné deux opérations de suivi
de travaux (décembre 1999 et juin 2000) prescrites par le
Service Régional de l'Archéologie, coordonnées par
J. Dupraz, ingénieure alors responsable du département, et
effectuées sous la responsabilité d'E. Ferber, les relevés étant
réalisés par P. Rigaud et J.-C. Mège (AFAN). C'est au cours de
cette opération que la rampe nord-est et la moitié nord de la
façade orientale de l'ouvrage ont fait l'objet d'un relevé
pierre à pierre.
Façade orientale. Arc fait de claveaux de grès et mur en petit appareil calcaire |
L'arche et ses culées, ainsi que les murs de soutènement des
rampes de la rive gauche sont antiques. Deux départs de voie
matérialisés chacun par un mur de soutènement lié au pont
sont encore conservés sur cette rive. Sur les 43 mètres de
longueur totale de l'ouvrage, 38 mètres sont antiques. La rampe
sud a été détruite et remplacée par une arcade moderne. Sur
la rive gauche, deux murs de soutènement (rampes)
construits suivant le même modus operandi que le pont lui-même,
l'un en amont l'autre en aval, matérialisent
l'existence des deux voies, l'une remontant la vallée de
l'Ouvèze, l'autre poursuivant son tracé le long de la vallée du
Rhône en traversant les quartiers nord du bourg du Pouzin.
L'ouvrage comporte une seule arche, de 14,60 mètres
d'ouverture en amont et de 13,90 mètres en aval (flèche : 7,40
m). La rampe d'accès septentrionale, les culées et les façades
sont antiques. La hauteur sur culées avoisine 8,50 mètres. Sa
largeur au niveau de la culée méridionale atteint 6,45 mètres. Le
tablier et les parapets sont modernes.
La base des deux culées, assise sur la roche, est construite en
grand appareil. Avec la remontée des eaux due aux barrages
modernes sur le Rhône, cette partie est désormais le plus
souvent immergée. Plusieurs photographies prises après
l’inondation d’octobre 1907 permettent de constater que la
culée sud comporte au moins cinq assises de grand appareil,
dont la supérieure sert d'imposte à l'arche ; elle se prolonge
en amont, sur la rive droite, par un mur bajoyer disposé en
biais, également en grand
appareil et encore bien visible
bien que dégradé sur ces vues
photographiques anciennes.
L'essentiel du parement de
l'ouvrage est en opus vittatum,
petit appareil régulier de
moellons de calcaire gris compact
liés à la chaux et joints tirés au
fer.
Base en grand appareil calcaire de la culée nord vue en 1907 |
En façade, les arcs de têtes de
l'arche présentent un double
bandeau (entièrement conservé
en aval) formé de fins claveaux de grès appareillés (0,45 m
de long pour une épaisseur de 0,09 mètre à l'intrados et 0,11 mètre à l'extrados). Un double chaînage de moellons en grès très
réguliers (0,15 x 0,09 m) renforce la structure : une rangée
est placée entre les deux lignes de voussoirs, l'autre est
située entre le bandeau supérieur et le nu du mur en petit
appareil. L'intrados de la voûte de l'arche laisse voir un petit
appareil constitué de moellons relativement fins disposés de
chant.
Sur la façade orientale, la culée nord du pont mesure 4 mètres ;
elle est liée, à l'est, à une rampe de 30 m de long et 6,50 mètres
d'élévation avec laquelle elle forme un angle de 14 degrés.
Soixante assises horizontales en opus vittatum sont visibles
pour 6,50 mètres d'élévation. Les moellons mesurent en moyenne
0,25 mètre de long pour 0,09 mètre de haut. Quatre lignes de trous
de boulins, disposés à des hauteurs variables, scandent cette
façade. L'essentiel de la
construction est réalisé en
calcaire gris, mais quelques éléments de grès sont utilisés
et forment des lignes
discontinues dans la façade. Il
s'agit du même matériau que
celui ayant servi à la réalisation
des claveaux de l'arche, peut-être
taillés dans les déchets de
taille des dits claveaux.
Au nord, le rocher a été
aménagé pour accueillir la
rampe. Des gradins, pouvant
atteindre 0,65 m de
profondeur ont été taillés afin de mieux épouser les lignes
d'assises du mur. À l'extrémité nord-est, la culée est liée au
mur de soutènement de la voie, dont il ne reste que six
assises sur une hauteur maximale de 1,90 mètre. La jonction
entre la rampe, la façade du pont et le commencement de la
voie présente un angle de 104 degrés (on remarque que ce
muret forme alors un angle droit avec l'axe du pont). Le
sommet de ce muret a été arasé pour le passage de
canalisations d'eau, puis pour la construction de la route
moderne. Contrairement à ce qu'on peut observer au niveau
de la rampe, le rocher n'a pas été entaillé pour la pose de ce
mur : les trois premières assises sont adaptées pour épouser la forme du rocher, jusqu'à obtenir un lit horizontal. Par
contre, le rocher a été redressé dans le prolongement du
parement du mur, de sorte qu'il fait partie intégrante de
l'ouvrage. À l'est, le
rocher affleure à des
altitudes supérieures
au mur de
soutènement romain.
Ces observations
concourent à mettre
en évidence le
caractère rupestre
d'une partie de cette
voie. À une époque
récente, l'accès au
pont a été adouci par
l'adjonction d'un
encorbellement
formant une arche au-dessus
du chaînage
antique.
Vue côté amont (façade occidentale) |
Sur la façade
occidentale, la culée
nord se prolonge par
un mur disposé en biais, soutenant la voie remontant le long
de la rive gauche de la rivière : bien que dégradé et réparé
dans ses parties hautes, il est conservé et visible sur une
longueur de 8,60 mètres. La façade amont de la culée sud est très
largement masquée par une habitation d'époque moderne.
Comme sur la façade orientale de l'ouvrage, la façade
occidentale est ponctuée de trous de boulins.
Les matériaux utilisés proviennent des carrières proches. Le
petit appareil est
essentiellement composé de
petits moellons de calcaire
compact gris du Jurassique
(Kimmeridgien ou Oxfordien)
liés au mortier. Le grand
appareil est taillé dans le même
matériau. Deux carrières de
cette roche, situées de part et
d'autre de l'Ouvèze, encadrent
l'ouvrage antique.
Les claveaux des arcs de têtes
de l'arche ainsi que quelques
moellons de l'opus vittatum sont en grès fins du Trias. Ce
matériau est présent dans les environs, soit dans la haute
vallée de l'Ouvèze, près de Coux, soit dans la vallée du
Rhône, à Saint-Georges-les-Bains.
Plusieurs observations permettent de suivre la mise en
œuvre de la construction. Les impostes chanfreinées en
grand appareil faisant saillie aux naissances de l'arche - celle
de la culée sud étant bien visible sur les photographies de
1907 - ont dû manifestement servir d'appui au cintre de
construction. Dans l'angle formé par la façade orientale de la
culée antique et le mur de soutènement de la voie, la roche
a été taillée en formant trois marches disposées
grossièrement en colimaçon (la distance entre les différents
girons est de 0,38 cm). Celles-ci ont été réalisées avant la
pose des lits de moellons antiques. Une partie de la marche
supérieure a été taillée verticalement pour s'aligner avec le
mur de soutènement construit au-dessus. Près de cet
escalier, les fourreaux des trous de boulins de la quatrième
ligne ne sont pas perpendiculaires au mur, mais placés de
biais, reprenant l'orientation des marches. La mise en place
de ces marches est donc entièrement liée à la réalisation du
pont antique : elles permettaient l'accès des matériaux, en
aval du pont, par la rive gauche de l'Ouvèze directement sur
le platelage le plus élevé de l'échafaudage. De nombreuses
traces d'outils sont visibles sur la roche. Elles forment des
lignes espacées et longues, provenant probablement d'un
même type d'outil à une seule pointe. La longueur des traces rappelle plus le travail
d'une broche que d'un pic, même si, selon la dextérité de l'opérateur, les traces des deux outils peuvent être très ressemblantes.
Quatre lignes de trous de boulins ont été observées sur la
façade orientale de la culée septentrionale (11 trous sur la
première ligne, 5 sur la deuxième, 7 sur la troisième, 9 sur la
dernière). La distance entre deux lignes de boulins n'est pas
constante et il est de ce fait difficile de reconstituer
l'échafaudage ayant servi à la réalisation du pont : entre la
première ligne de boulins et la deuxième, la distance est de
0,85 m ; entre la deuxième et la troisième ligne, de 1,05 m ;
entre la troisième et la quatrième ligne, de 1,50 mètre. Les trous
n'étant pas systématiquement alignés sur des axes verticaux,
l'usage d'un échafaudage en bascule maintenu sur la
muraille par un système d'équerres peut être exclu. Si les
trous de boulins à l'ouverture sont carrés, toutes les
empreintes moulées dans le mortier révèlent des boulins de
section circulaire ou semi-circulaire dont le diamètre varie
entre 0,05 et 0,12 m. Des linteaux en grès placés sur les
trous de boulins caractérisent la deuxième ligne. Le choix
d'un matériau plus tendre pour cet emplacement pourrait être un choix technique facilitant les derniers ajustements
des boulins. Un seul trou de boulin a été observé sur la
façade aval de la culée méridionale.
Les opérations de suivi de travaux n'ont apporté aucun élément tangible permettant de dater cet ouvrage d'art, dont
la construction présente une très grande homogénéité.
Cependant ce type de pont, dont les piédroits de culées sont
en grand appareil et les élévations parementées en petit
appareil, est généralement daté du IIe siècle. On en trouve
de comparables dans le sud de la France, à Viviers (Ardèche), à Montbrison et à Villeperdrix (Drôme), à Ganagobie (Alpes-de-
Haute-Provence), et aussi en Ligurie ( Val Ponci et Val
Quazzola).
Le territoire du département de l'Ardèche a conservé deux
ouvrages d'art antiques remarquables, deux ponts routiers
du Haut-Empire au Pouzin et à Viviers, alors qu'il n'en
demeure qu'un très petit nombre sur l'ensemble du
territoire national. Malgré sa protection au titre des Monuments Historiques en 1998, sa
valorisation scientifique grâce à une communication au
colloque national tenu au Pont du Gard en 2008 et à la
publication de celui-ci en 2011, le pont n'a pas fait l'objet de
travaux d'entretien et de restauration depuis très longtemps,
hormis une présentation tout à fait correcte du monument
dans son site en 2001 et sa chaussée refaite au même
moment mais sans surveillance archéologique. Les murs
sont colonisés par la végétation et la maçonnerie se dégrade.
Une restauration des
parements de petit appareil,
en particulier sur la façade
occidentale serait souhaitable.
Vue aérienne du site |
Le prieuré clunisien Saint-Pierre de Rompon, cité par Albin Mazon dans son ouvrage « Origine des églises du Vivarais » en 1888 et inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1927, est décrit par l'historien d'art et archéologue Robert Saint-Jean en 1971 qui en fait la première étude de référence. Ce monument longtemps livré à l'épreuve du temps par ses propriétaires successifs et impécunieux et abandonné par l'impéritie des institutions, (l'effondrement de la voûte en cul-de-four de l'abside n'est intervenu qu'en 1998), a surtout suscité l'intérêt des pilleurs, récupérateurs de matériaux et adeptes de détecteurs de métaux, sans parler du vandalisme du dernier propriétaire, avant que la société Lafarge-Granulats France, reprenant l'exploitation de la carrière voisine, ne se porte acquéreur. Seules, les associations du Patrimoine (Association pour la Recherche du Patrimoine du Pouzin, Mémoire d'Ouvèze, CARTA) et les archéologues par leurs travaux de prospection à l'origine des découvertes de l'occupation néolithique du plateau, d'une enceinte autour du site du prieuré que l'on pensait protohistorique et par leurs actions de sensibilisation (conférences publiques, exposé devant le conseil municipal du Pouzin, réunions sur le terrain, réponse aux enquêtes publiques) veillaient depuis plusieurs décennies sur le site, alertant à plusieurs reprises les institutions et les élus, en vain, sur la fragilité de la propriété et la vulnérabilité du monument. Les années 2000 sont un tournant, la décennie démarre avec l'approbation de l'extension de la carrière voisine et cela malgré le périmètre de protection MH (500m autour du monument). Mais depuis 2001 la France s'est dotée d'une loi sur l'archéologie préventive et l'emprise de la future carrière fait alors l'objet d'une opération préalable diagnostic/fouille qui aboutit à la découverte de l'enceinte de l'Antiquité tardive (fin IVe-VIe siècles). Cette découverte qui ne fait que confirmer l'intérêt majeur du site souligné depuis plusieurs décennies comme nous l'avons vu plus haut aura pour conséquence une prise de conscience progressive des acteurs politiques et économiques locaux.
Vue aérienne du prieuré roman |
Avenir du Prieuré Clunisien Saint-Pierre de Rompon, Le Pouzin, c'est sous cette bannière commune qu'en mai 2014 nous nous sommes regroupés, personnes morales et physiques, afin de sauver de l'oubli et de la destruction le premier prieuré clunisien du Vivarais. En 2013, la Société Lafarge-Granulats France, propriétaire du site et la commune du Pouzin ont souhaité aller de l'avant et se rapprocher de ceux qui se battaient depuis des années. Des signes avantcoureurs d'un changement de mentalité avaient vu le jour avec l'adhésion de la commune du Pouzin depuis 2003 à la Fédération Européenne des Sites Clunisiens (versement d'une cotisation pour que le site paraisse dans le livret de la fédération) qui aboutit le 29 juin 2013 à la pose sur le monument de la rosace symbole de reconnaissance des sites clunisiens. En 2006 Lafarge- Granulats France commande et finance une étude de faisabilité pour la Mise en sécurité et mise en valeur culturelle et environnementale - Prieuré Saint-Pierre de Rompon. Celle-ci est réalisée par Delphine Faure, étudiante à l'École Nationale supérieure d'Arts et Métiers de Cluny (thèse professionnelle, Mastère Spécialité Technologie, Culture et Patrimoine). Enfin en 2012, Natacha Barré, étudiante en Master 2 à l'université de Lyon II, obtient du propriétaire et de la DRAC l'autorisation de procéder à une étude archéologique du bâti des vestiges du prieuré roman : Prieuré Saint-Pierre de Rompon au Pouzin - architecture/archéologie sous la direction de Anne Baud-Chemin, professeur à l'université de Lyon II.
Plan général du site |
L'association compte une soixantaine
d'adhérents, 21 membres au conseil
d'administration et un bureau de quatre
personnes : présidente, Joëlle
Dupraz, vice-présidente : Martine
Soler, trésorière : Yvette Proud, secrétaire : Guillaume Issartel. Nous avons
rassemblé au sein de nos deux commissions : Travaux/suivi scientifique et
Communication/ animations des compétences
en archéologie, en architecture,
taille de pierre, en histoire et en
littérature, des spécialistes de l'environnement, élus et professionnels des
carrières. La Société de Sauvegarde
des Monuments anciens de l'Ardèche
figure parmi les huit membres de droit.
Nos objectifs visent la sauvegarde du
monument par sa sécurisation et celle
de son environnement immédiat, sa
restauration et sa valorisation. Nous
voulons mettre en œuvre un projet
patrimonial exemplaire, en harmonie
avec son environnement naturel et économique dans le respect des prérogatives de son
propriétaire. Pour atteindre ces objectifs des outils sont
nécessaires que l'association et ses partenaires se doivent de
fabriquer : conventions de partenariat, programmation de
travaux sur plusieurs années, programmation d'actions de
mise en valeur par la communication et des animations à
vocation scientifique et culturelle. Toute intervention de
notre association sur le monument inscrit en 1927 à
l'Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques se
fera sous couvert de l'obtention des autorisations
nécessaires auprès des services de la Direction Régionale
des Affaires Culturelles (DRAC Rhône-Alpes, Service
territorial de l’Architecture et du Patrimoine et Service
Régional de l’Archéologie).
Au cours de six mois d'existence, l'association a procédé à la
collecte d'une importante documentation scientifique, technique,
administrative et économique existante, produit des études faites sur le site du prieuré et le plateau de Rompon.
Plan du prieuré - En gris, les vestiges en élévation |
Les mémoires déjà signalés de D. Faure et de N. Barré nous
servent de base de réflexion et fournissent des documents
techniques pour l'élaboration d'un programme de travaux
sur cinq ans de consolidations et restaurations. Deux réunions
techniques ont eu lieu sur site avec l'Architecte des
Bâtiments de France et les services régionaux des
Monuments Historiques et de l'Archéologie le 25 juillet et le
4 septembre 2014 afin de recueillir les conseils et le mode
opératoire administratif et technique pour la mise en œuvre
des futurs travaux de consolidation et de restauration. Une
séance de travail de la commission Travaux sur le terrain, le
7 décembre, a établi un état sanitaire des maçonneries (relevés
photographiques, comparaison et compléments avec les
relevés archéologiques de 2012) pour faire la programmation
des travaux sur 5 ans et préparer les devis d'entreprises.
Nous participons au groupe de travail du site Natura 2000
B25 dont une séance s'est tenue le 2 décembre 2014 et à la
commission locale de concertation
et de suivi de la carrière Chambenier
exploitée par Lafarge-Granulats
France, voisine du site. Notre
connaissance de l'environnement
naturel et économique du site est
ainsi alimentée par les échanges d'informations
avec nos partenaires
impliqués dans les programmes environnementaux
(Natura 2000 : rendu
du Cabinet d'étude Bio top et de la
chargée de mission pour la commune
du Pouzin, rendu de l'étude de la
FRAPNA pour Lafarge-Granulats
France). Le 2 décembre 2014, nous
avons signé avec la Société Lafarge-
Granulats France, propriétaire du
monument, une convention de prêt
à usage de terrain ou commodat mettant à disposition de l'association le
monument et son environnement
immédiat. La convention d'objectifs
entre notre association et nos partenaires : le propriétaire, Lafarge
Granulats France, les communes du
Pouzin et de Rompon, la Fédération Européenne des Sites
Clunisiens, est l'outil incontournable de notre projet dans
lequel sont définies les participations de chacun, elle est en
cours de navette et a été signée le 22 février 2015, lors de la
fête de la chaire de saint Pierre à Antioche, au terme de
notre assemblée générale.
Escalier en vis d'accès au clocher ? |
Saint Pierre, vocable du prieuré, est célébré trois fois au cours de l'année : le 22 février, le 29 juin saints Pierre et Paul et le 1er août, saint Pierre aux liens. Nous avons choisi deux de ces dates, le 22/02 et le 29/06 en nous réservant éventuellement la troisième laissée comme support calendaire de nos deux manifestations principales de l'année : en février, l'assemblée générale de l'association, plutôt en salle au Pouzin, et en juin un pique-nique sur le site. Le pique-nique du 29 juin 2014, perturbé par la pluie, s'est fait à l'abri mais le beau temps revenu l'après-midi a permis à une centaine de personnes de découvrir avec l'aide de spécialistes (N. Barré, archéologue, J.-P. Ziolkowski, tailleur de pierre, Lionel Jacob environnementaliste, Eric Moitié ingénieur chez Lafarge-Granulats) les dimensions archéologique, architecturale, économique et naturelle du lieu. La valorisation s'appuie ainsi sur des dates fixes où nous nous efforcerons de restituer les résultats des travaux de l'association et de proposer des manifestations en faveur des publics divers, touristes, randonneurs, scolaires, population locale. En 2014, l’association a participé à l'élaboration de l'exposition de l'association CARTA sur « Patrimoine de la vallée de l'Ouvèze en danger » en contribuant à la réalisation d'un panneau spécifique sur le site du prieuré Saint-Pierre de Rompon.
…ecclesiam sancti petri in rumpone monte… l'église de
Saint-Pierre sur la montagne de Rompon, c'est ainsi
qu'apparaît pour la première fois dans les textes à la fin du viie siècle - début du viiie siècle (de dotatione ecclesiae
Vivarensis) au sein de ce document composite appelé par les
historiens « Charte vieille ». Ce lieu de culte chrétien fondé
avant la dite donation est présenté dans son écrin naturel, la
montagne de Rompon qui domine la vallée du Rhône et les
confluences du fleuve avec la Drôme et l'Ouvèze.
Les archéologues ont détecté une occupation néolithique sur
l'ensemble de la hauteur, la protohistoire quant à elle (âge
du bronze et âge du fer) n'est pas présente sur le plateau
mais dans son voisinage nord aux Cinq Ponts (sites détruits
par la carrière). Au Haut Empire, peu de traces gallo-romaines,
mais au pied de son versant sud, sur le site de la
confluence Ouvèze/Rhône, on trouve la petite agglomération
portuaire du Pouzin, vicus probable de la cité d'Alba
installée sur un carrefour routier au débouché de la vallée de
l'Ouvèze en rive droite de celle-ci. On situe à cette époque
une importante exploitation minière de plomb argentifère à
Flaviac. La montagne de Rompon comme le vicus du Pouzin
sont alors aux confins des cités d'Alba et de Valence. À la fin
du ive siècle, alors que la pax romana n'est plus qu'un
souvenir et que la christianisation du territoire s'impose avec
l'apparition de l'évêché d'Alba, une forteresse rurale est édifiée au sommet de la montagne qui domine le vicus dont
l'activité a sans doute disparu avec le commerce, la sécurité
des axes de transport n'étant plus assurée. On change de
société. Sa durée d'occupation est établie jusqu'au vie siècle.
Le transept sud |
Au viie siècle, on ignore tout de ce site perché, les
fortifications sont-elles encore en état, qui habite le lieu ? En
tout cas, une communauté est fixée puisqu'une église Saint-Pierre est mentionnée comme déjà existante, avant sa
donation à l'église de Viviers par Rodolphe. C'est d'ailleurs la
plus ancienne église du secteur puisque, toujours dans le
même texte, on voit édifier les églises de Saint-Alban, Saint-Étienne
du Lac (à Privas) et Saint-Priest. On ne sait rien du
site pendant la période carolingienne, il faut attendre le xe siècle et l'époque féodale pour le voir reparaître.
Néanmoins, les choses peuvent se lire en creux, on apprend
en effet que le castrum de Saint Alban à l'époque féodale est
chef-lieu de mandement et le siège d'une vicairie ou viguerie
(héritage de l'organisation impériale carolingienne). Le site
de la forteresse du vie siècle et la communauté qui lui a
succédé autour de l'église Saint-Pierre ne semblent pas avoir
eu d'avenir politique et paraissent avoir été évincés par le
castrum de Saint-Alban, situé en rive droite de l'Ouvèze face
au vieux Rompon (église Saint-Martin). On ne connaît pas le
processus qui a abouti à cette situation de fait (déplacement
progressif vers le sud-ouest du pouvoir, importance de la
villa de Creyssac dans la vallée du Chambaud dans ce
processus). Par contre au moment de la fondation du prieuré
clunisien en 977, l'église de Saint-Pierre est dans la main
d'une famille seigneuriale locale, celle de Silvius. Celui-ci
avec sa femme et son fils donnent entre autres biens cette église et ses revenus afin d'assurer le devenir de leurs âmes
dans l'au-delà. Cet acte appartient au mouvement de
restitutions des biens d'églises, confisqués au siècle
précédent par des particuliers qui touche tout l'Occident.
Cette donation à l'abbaye de Cluny a pour contrepartie la
fondation d'un prieuré de l'ordre avec sa communauté
religieuse. Cluny est alors le phare de la chrétienté et le
choix de Rompon n'est peut-être pas le fruit du hasard. La
construction de l'église dont nous avons les vestiges sous les
yeux date du xiie siècle. Après un siècle de fortune et de
rayonnement (xiiie siècle), le lieu s'enfonce dans les
difficultés récurrentes liées à l'histoire des ordres
monastiques et du royaume. La République lui a donné le
statut de patrimoine national en l'inscrivant en 1927 sur la
liste de l'ISMH, à nous aujourd'hui de nous inscrire dans
cette longue mémoire en préservant un jalon majeur pour
l'histoire de notre pays et un site naturel toujours aussi
magique.
Joëlle Dupraz,
présidente de l'association « Avenir du prieuré clunisien Saint-Pierre de Rompon, Le Pouzin »
https://prieuresaintpierre.fr/
(Visite de la Sté de Sauvegarde octobre 2014)
Archives Départementales de l'Ardèche, Archéologie du Midi Médiéval, Barré N., Barruol G., de Brion D., Dupraz J., Ferber E., Lafarge-Granulats-France.