JALONS D’HISTOIRE
Au commencement était, peut-être, l’abbaye de Saint- Chaffre, située aujourd’hui au Monastier-sur-Gazeille. Le cartulaire, dont une transcription a été conservée et publiée par le chanoine Ulysse Chevalier, mentionne une soixantaine de possessions de l’abbaye dans ce qui fut le Vivarais, mais l’église de Lubilhac n’y est mentionnée que comme ecclesiam de Cous sans autre précision. Côtoyant Coux dans le texte du cartulaire, il est fait également mention de Sancti Martini de Valle, autre église dont la situation doit être précisée, car elle n’a laissé aucune trace connue. Ailleurs, on trouve également mentionnée une chapelle dédiée à saint Antoine. Hélas, les documents sont confus et ne permettent pas de définir une genèse précise de ces lieux1. Considérons toutefois que le quartier de Lubilhac – aujourd’hui la Charrière – est situé sur une hauteur quasiment défensive. Passant par le bois de Saint-Peyre, on se rappelle que les grottes troglodytiques de la Jobernie – ou Jaubernie, selon les graphies anciennes – non loin de la Charrière, furent lieu de refuge, à l’époque troublée du sac de Privas. Le lieu était ainsi tout indiqué pour que, dans un haut Moyen-Âge qui n’a pas laissé beaucoup de traces, une installation humaine se soit développée. Le nom de Lubilhac interroge : une fois élucidée son origine d’un nom de domaine gaulois dont le maître est un surnom (lupilius « petit loup », donnant en occitan relatinisé lupilhacum fundum), rien ne permet de savoir si ce Lubilhac est un nom d’origine ou bien celui d’une reprise du Lubilhac du Brivadois, déjà possession de l’abbaye de Saint-Chaffre.
Extrait du terrier de Rompon |
Ainsi, l’église Saint-Pierre de Lubilhac est-elle une fondation de
Saint-Chaffre ou une donation en possession à Saint-Chaffre ? La
question vaut d’être posée : s’agit-il d’un investissement de
l’abbaye dans le développement de la vallée ou l’église et ses
dépendances ne sont-elles qu’un domaine parmi d’autres dont
l’abbaye tire profit ? L’interrogation reste toutefois sans réponse.
On notera seulement que le Terrier du prieuré de Rompon2,
situé non loin de Lubilhac, mentionne les propriétés de la
paroisse de Lubilhac et de Saint-Alban qui sont arrentées.
Rompon exerce ainsi une place majeure, côtoyant l’abbaye de
Saint-Chaffre dans la vallée de l’Ouvèze.
Une autre mention médiévale, plus tardive, est celle que font
les Estimes de 1464, publiées dans la synthèse rédigée par Jean
Régné, ancien Archiviste de l’Ardèche3. Son travail permet de
distinguer les désignations d’installations sans quoi une
grande confusion risquerait de s’établir. Lubilhac, ancien
domaine d’époque gallo-romaine, est le nom de la paroisse, et
son appellation englobe les domaines qui dépendent d’elle :
des manses4, devenus des mas. Jean Régné mentionne le mas
de la Charrière, le mas des Salières, le mas de la Jaubernie et
le mas de la Baume. Lubilhac fait alors partie des six paroisses
du mandement de Saint-Alban. Jean Régné précise qu’il existe
un tinal5 à la Charrière, et qu’une vigne confronte le cimetière
de Lubilhac. Ainsi, Lubilhac assume pleinement son rôle de
centre paroissial malgré la présence d’un prieuré à Coux et
reçoit la localisation du cimetière.
Attardons-nous toutefois un instant sur le vocable de saint
Pierre : il s’agit évidemment du premier disciple du Christ,
celui sur lequel se fonde l’ecclesia. Dès lors point de surprise
que ce nom soit largement répandu dès les premiers siècles de
l’installation du christianisme et lors de l’expansion religieuse
des xie et xiie siècles au travers des nouvelles constructions qui
s’établissent dans les communautés de population constituant également l’expansion démographique de cette période. Dans
un périmètre qui se définit autour de l’axe du Rhône et de la
vallée de l’Ouvèze, les établissements chrétiens sont un
maillage régulier, depuis Rompon, qui dépend très tôt de
Cluny (977)6 où déjà le vocable de saint Pierre est attribué,
jusqu’à la communauté monastique de Saint-Chaffre, d’abord
consacrée au premier apôtre du Christ. Ainsi, il n’est pas étonnant que saint Pierre ait été choisi comme vocable pour la
communauté de Lubilhac-Coux, laissant supposer qu’un lieu
de culte primitif a pu exister avant la construction du xie siècle.
Partant de Rompon, il faut considérer également l’actuelle
chapelle de Chaliac7, elle-même sans doute consacrée à saint
Julien8, seul bâtiment alors à même de recevoir les offices et
sacrements de la communauté, enfin l’ancienne église de
Saint-Pierre de Lubilhac ; sur quelques kilomètres, en hauteur
défensive, trois lieux de culte sont disposés en rive gauche de
l’Ouvèze, répondant ainsi à la volonté de poser la marque du
christianisme sur le territoire de ces différentes communautés
de la vallée. Les trois constructions concernées sont
reconstruites aux xie et xiie siècles ainsi qu’en témoignent les éléments d’architecture encore présents.
Revue du Vivarais 1908 |
Toutefois, si les recherches sur Saint-Pierre de Rompon sont
aujourd’hui mieux documentées, celles concernant Chaliac et
Lubilhac semblent plus restreintes. En 1908, dans la Revue
historique, archéologique, littéraire et pittoresque du Vivarais illustrée, sous la signature de « Fortuné de Privas9 » paraissent
quelques pages sur Coux et Lubilhac, imagées d’un plan et de
quelques figures. Il s’agit sans doute de la première
description de la chapelle romane de Lubilhac dans son état
d’alors, abandonnée pour le culte, et réaffectée à un usage
agricole depuis de nombreuses décennies, sans doute depuis
le passage de la région à la Réforme ; la restitution forcée au
catholicisme au xviie siècle ramène le lieu de culte à Coux, en
rive droite de l’Ouvèze. La description que fait « Fortuné de
Privas » ne lève pas les interrogations quant au rôle et à la
présentation formelle de l’église de Lubilhac. Il la voit flanquée
d’échauguettes, justifiant cet avis par la présence de
contreforts aux angles de la chapelle, et dans ce tournant du
xxe siècle qui suit la période où Eugène Viollet-le-Duc s’est
permis nombre d’inventions de sorte à satisfaire son
imagination romantique d’un Moyen-Âge incertain, « F. de P. »
à son tour invente nombre de détails à défaut d’établir un
relevé et une description précis de l’église de Lubilhac. Voici ce qu’il en dit :
« L’intérieur de l’église, aujourd’hui transformée en étable à
bœufs, est d’une architecture simple mais non dépourvue
d’élégance. La voûte est en plein cintre. Les deux piliers
battants de la grande nef se noient dans les murs des chapelles
latérales, autre indice de l’antiquité de l’édifice.
La chapelle nord a disparu. La chapelle sud est intacte ; sa
voûte est soutenue par deux arcs doubleaux croisés en plein
cintre portant, à leur clef, un écusson pourvu d’initiales. »
L'intérieur de la chapelle avant restauration
Les vues et le plan établis par Fortuné de Privas donnent une
idée un peu imprécise de ce qu’était la chapelle au début du
xxe siècle. Il conclut
son texte, devant
l’absence
d’informations
documentées, par cette
phrase : « Lubilhac n’en
demeure pas moins, au
point de vue historique
et archéologique, une énigme qu’il serait
intéressant de résoudre
par des fouilles. » En
tout cas parmi les
interrogations que
suscite l’église de
Lubilhac figure ce
blason, dessiné par
Fortuné de Privas, situé
dans la chapelle sud, de
période gothique, à la
croisée d’ogives : un
bourdon croisé d’un
croissant de lune, bordé de dextre et senestre de deux étoiles
surmontées au chef de deux signes qui ne paraissent pas être
des initiales, mais appartiennent sans doute à une codification
difficile à interpréter aujourd’hui10.
Pourra-t-on vraiment résoudre la difficulté de compréhension
de l’architecture de l’église de Lubilhac et de ses chapelles ?
Deux problèmes se posent : les dédicaces à saint Martin et
saint Antoine tout d’abord, la réalité de la construction de ces
chapelles ensuite. Sur le relevé établi par Fortuné de Privas, on
voit une nef simple avec un chevet arrondi, ainsi que deux
petites chapelles symétriques ; mais ce relevé n’est pas
conforme avec ce qui devait exister au début du xxe siècle. Par
ailleurs, cet auteur évoque deux chapelles, extérieures à
l’église ; or il reconnaît qu’il n’en reste aujourd’hui aucune
trace. Que peut-on en penser ?
L'abside avant restauration |
Par ailleurs, la chartiste Katarina de Vaucorbeil, auteur d’une
intéressante monographie familiale des Lacharrière11 évoque
le testament de Vincent de Lacharrière, établi en 1361.
« […] il meurt avant 1373, date à laquelle sa soeur Catherine
se préoccupe de faire exécuter l’une des principales clauses de
son testament, la fondation d’une chapelle en l’église Saint-Martin de Lubilhac. […] Dès 1373, Catherine s’acquitte
scrupuleusement de la mission qui lui est impartie dans le
testament de son frère, fonder une chapelle en l’église de
Lubilhac12. »
Le testament (la source détaillée aurait été utile) éclaire sur
deux points : le nom de Lubilhac oscille entre deux vocables :
saint Pierre, en référence sans doute à l’abbaye de Saint-
Chaffre, et saint Martin
dont il est possible qu’il
procède d’une dédicace
paléochrétienne antérieure à la reprise par Saint-
Chaffre13 ; la chapelle
méridionale portant blason
reste vraisemblablement
par sa facture
gothique la fondation dont
parle le testament, et ne
serait donc pas datable
d’un gothique tardif évoqué
par Fortuné de Privas.
Il reste alors à considérer
que la mention de saint
Martin se rapporte bien à
l’église de Lubilhac, et
celle de saint Antoine à la chapelle méridionale, construction
réalisant le vœu de Vincent de Lacharrière par sa sœur
Catherine, marquant alors le blason des Lacharrière en clé de
la croisée de voûte.
ADA Fonds Oisel 1936 |
Si les informations apportées par Fortuné de Privas se révèlent plutôt succinctes, son vœu de fouilles se trouve exaucé en 1980, mais ne donne pas d’indication sur une période paléochrétienne à Lubilhac14 ; seules des traces de murs à petit appareil sont observées en 1997 à proximité de l’église.
Les plus anciennes réalisations iconographiques de Lubilhac
qui succèdent aux croquis de Fortuné de Privas semblent être
les photographies de Jean Oisel15. On voit sur les images
datées de 1936 une église aux murs fatigués mais dont le toit
reste entretenu. Vingt ans plus tard, c’est le photographe
Bourbon qui effectue une série de photographies de
Lubilhac16. On y voit notamment l’intérieur de l’église dont
l’usage est affecté au bétail. Les détails qui y sont visibles
montrent des éléments d’architecture remarquables : chevet
semi-circulaire en cul-de-four, arcade supportant un mur
diaphragme, arcs doubleaux aux arêtes en bon état et arcatures
relativement bien conservées. L’appareillage est fait de pierres
régulières, montées par lits jusqu’à la naissance de la voûte qui
est remplacée par une charpente supportant le toit dans la
seconde travée. La voûte a-t-elle été détruite afin d’en
récupérer les pierres ? C’est vraisemblable. En tout cas les
murs portent les traces des remaniements au xive siècle,
notamment sur l’extérieur dont l’appareillage a été très
fortement perturbé. Les contreforts sont très abîmés et des éléments sont absents.
Ne servant plus au culte religieux au xvie siècle, l’église
appartient au prieur de Rompon qui la loue comme écurie et
grenier à foin. À la Révolution, le bâtiment est vendu au titre de
bien national et est qualifié à l’inventaire de « masure ». En
1815, la famille Ladreit de Lacharrière rachète l’église qui
conserve son statut d’étable et de grange.
LE PROJET
Au cours des années 1990, Marc Ladreit de Lacharrière,
propriétaire du lieu, décide de redonner vie à la chapelle de
Lubilhac en retrouvant ses attributs romans, tels qu’il est
possible de les comparer à ceux des églises de Pranles et de
Pourchères. Il confie à son frère Gérard
le soin d’être le maître d’œuvre du chantier. Les fouilles
archéologiques menées par Joëlle Dupraz et Martine Moron
pour l’Unité départementale architecture et patrimoine ont
montré qu’il s’agissait bien d’un bâtiment construit dans un
appareil de grès provenant probablement de la proche carrière
de la Jaubernie, dont la découpe des blocs – dits blocs layés –
a conservé par endroits les traces d’une taille spécifique de
l’époque romane. Le plan en croix latine est simple : une nef de deux travées, couverte d’un berceau brisé scandé par des
arcs doubleaux menant à un chœur au transept un peu
saillant, ainsi qu’à une abside ronde voûtée en cul-de-four.
Avant sa restauration, la chapelle comporte deux étages : un
niveau inférieur, réservé aux bêtes (ovins et bovins), desservi
par la porte d’entrée et un niveau supérieur servant de fenil.
L’abside avait été ouverte pour permettre aux bêtes de circuler.
L’ensemble était délabré : plus de toit si ce n’est sur la travée
occidentale, murs rongés par les infiltrations, contreforts en
partie éboulés.
LA RESTAURATION
La chapelle restaurée |
Agissant au nom de son frère Marc, Gérard Ladreit de Lacharrière choisit l’architecte privadoise Sophie Montmard pour mener à bien la restauration, sous la supervision de l’Architecte des bâtiments de France, Étienne During. Le projet était une gageure : comment retrouver, au travers de la technique des bâtisseurs contemporains, l’esprit d’un lieu autrefois investi dans le vaste mouvement que le moine Raoul le Glabre qualifiait de vêture « d’un blanc manteau d’églises » ? La technique induit-elle l’esprit lui-même ? L’architecte Fernand Pouillon en donna quelques linéaments dans son roman Les pierres sauvages. Mais dans ce cas, il s’agit non de la fondation d’une abbaye, mais de la rénovation d’une église. Si l’enjeu est de moindre taille du point de vue de la construction, la difficulté liée au différentiel d’une démarche qui peut paraître anachronique aujourd’hui est immense ; elle relève, de manière générale, des problématiques de restauration qui affrontent la superposition de plusieurs périodes, du choix d’une cohérence d’éléments d’architecture dans laquelle il faut s’inscrire. Dans le cas de Saint-Pierre de Lubilhac, les éléments qui restaient montraient un grand dépouillement de l’ensemble, non dû à la perte d’éléments tels que chapiteaux ou autres décors qui n’ont pas dû exister, mais plutôt au choix de ne proposer dans ce vaisseau de pierre que la modestie d’un art roman en harmonie avec les textes et les symboles du christianisme.
Figure du porche |
Après le déblaiement du terrain et du cimetière attenant au sud de la chapelle, Sophie Montmard fit appel aux corps de métiers disponibles pour assurer le travail d’ouvrage : si les grès initiaux provenaient sans doute de la carrière de la Jaubernie, ceux-ci ne sont plus disponibles aujourd’hui. C’est donc la carrière de Lyas qui a été choisie, dont les teintes sont en accord avec les couleurs initiales de la pierre. Louis-Pierre et Justin André fournirent ainsi les pierres ; Franck Cibert, de la Société Cordabat, les tailla. Ainsi furent reconstitués les voûtes, les chaînages d’angles, les fenêtres. Le premier travail fut de reformer les contreforts et de remonter les murs jusqu'au niveau de la corniche qui marquait le départ des voûtes. Pas de construction en art roman sans intervention de menuisiers et charpentiers. Ce sont Philippe Serre à Coux, Yves Bouzol à Chomérac et Mickaël Vallon à Lyas qui apportèrent leur part à l’ouvrage. Il fallut tenir compte des lits de pierres existants pour définir les dimensions des pierres de parement afin que les zones restaurées soient identiques à celles d’origine. Dans un second temps, on passa aux travaux de la toiture. On dut pour reconstituer le berceau de la nef, construire des armatures semi-circulaires en bois pour soutenir les blocs de pierre jusqu’à la pose de la clef de voûte. On eut recours au même dispositif pour la coupole.
La nef et la coupole |
Regardant aujourd’hui la coupole, le visiteur habitué aux églises romanes est frappé d’une singularité : l’art roman
traditionnel, à la croisée du transept, est habitué à voir s’élever
la coupole qui passe d’un plan carré à une forme ronde ou
octogonale par une élévation sur trompes ; ici le choix a été
différent et c’est une pénétration d’arcades qui a permis
l’élévation de la coupole. Ce choix ne diminue en rien la
qualité esthétique de cette partie de l’église : la lumière y
pénètre avec bonheur et joue avec les couleurs de la pierre.
À la croisée des voûtes de la nef le blason des armoiries des
Ladreit de Lacharrière est installé : d’azur, au pal d'argent
chargé d'un faisceau
de licteur au naturel
et cantonné de quatre
molettes d’éperon
d'argent.
Sur l’extérieur, une
série de modillons
qui soutiennent les éléments de la
corniche est venue
poser l’ancien regard
des images du Moyen-Âge sur le monde : à
la croisée entre art
profane et message
sacré, la philosophie
des imagiers continue à apporter sa présence interrogatrice, continuant le lien
antique du rapport entre l’humanité et le sens du sacré. Sirènes, feuilles de figuiers, dragons, atlantes, etc. sont ces éléments de l’imaginaire qui aident à penser le monde et la vie.
La lune |
Le soleil |
L’aspect épuré de la nef appelait la présence d’une collection
d’œuvres d’art sacré faisant se rencontrer les périodes du
christianisme, jusqu’aux œuvres d’art contemporain exprimant
les mêmes émotions et interrogations.
Il n’est pas sûr que les ouvertures anciennes de l’église de
Lubilhac aient été dotées de vitraux. S’il ne s’agit pas aujourd’hui
d’imiter l’art médiéval du vitrail, le travail d’artistes
contemporains se révèle souvent très heureux dans leur intégration à un bâtiment roman. Citons, à titre d’exemple, le travail
mené par le peintre Yankel pour l’église romane Sainte-
Marie-Madeleine de Balazuc : sans difficulté, l’art contemporain,
quand il ne délivrerait que la lumière de l’abstraction, sait
parfaitement rencontrer
l’art roman.
Marc Ladreit de
Lacharrière a ainsi
confié à Gérard
Garouste la réalisation
des vitraux de Saint-
Pierre de Lubilhac.
Artiste reconnu, Gérard
Garouste (né en 1946),
habité par les mythes,
les allégories et des textes
fondateurs comme
La Bible, La divine
comédie de Dante, Don
Quichotte de Cervantès,
Gargantua de Rabelais
ou Faust de Goethe, a
conçu les six vitraux de la chapelle. Désireux de privilégier la
couleur au dessin et de faire revivre les techniques du Moyen-Âge, il les a fait réaliser par l’Atelier Parot. Le verre a ainsi été
réalisé selon le procédé de la cive qui consiste à souffler une
bulle de verre qu’on ouvre à une extrémité pour obtenir, par
des mouvements rotatifs très
rapides, une surface plane
(un plateau). Pour faire
jouer des effets de couleur,
le verrier utilise plusieurs épaisseurs de verre soufflé
composé de teintes différentes.
Les vitraux de Lubilhac,
autant qu’il soit possible de
les interpréter, laissent le
visiteur surpris, voire
dérouté, s’il veut saisir à tout
prix leur portée symbolique.
S’il est vrai que leurs
thèmes, comme leur facture
renvoient à un univers singulier, hétérogène, difficile – et sans
doute à dessein – à définir, on ne peut qu’être séduit par leur
texture et leurs couleurs tant ils diffusent une atmosphère qui
contribue à donner, incontestablement, à la chapelle son
caractère sacré.
Quelques éléments descriptifs des six vitraux :
L'échelle de Jacob |
Le cerf et la source |
Les forces complémentaires |
Hormis les vitraux, la chapelle donne à voir d’autres œuvres de grande valeur. Il est ainsi possible d’admirer, au gré de la déambulation :
Triptyque de Jan Van Dornicke |
Peu de chapelles
romanes renferment
autant d’œuvres aussi
remarquables. La chapelle
Saint-Pierre de
Lubilhac doit à Marc
Ladreit de Lacharrière
d’avoir su non seulement
la réhabiliter,
mais aussi de l’avoir
pourvue d’éléments
immobiliers et mobiliers
qui lui confèrent
un cachet exceptionnel.
Il invite le visiteur à plonger dans l’architecture
et les œuvres
d’art du Moyen-Âge et
de la Renaissance,
tout en lui rappelant
qu’il est un homo
sapiens du xxie siècle. Ce magnifique effet de patrimonialisation était un pari. Il semble bien avoir été gagné.
Aujourd’hui l’église est entièrement restaurée. Le plan d’origine
de l’église, en croix latine, a été conservé. La voûte a été reconstruite. À l’extérieur, l’habillage de grès, qui avait disparu, a été
restitué et une nouvelle baie aménagée. Un couvrement neuf et
une coupole reposent sur un tambour octogonal. La chapelle
septentrionale a été reconstruite restaurant la symétrie à partir
de l’axe de la nef, et le portail
d'entrée a été rebâti. En 2012,
Saint-Pierre de Lubilhac est
inscrit à l’inventaire des
Monuments historiques.
L’esprit qui a présidé, au
Moyen-Âge, à l’élan bâtisseur
est difficile aujourd’hui à
appréhender. Intuitivement,
le visiteur pressent les deux
axes qui ont présidé à la
création de l’œuvre : un
sens esthé-tique, héritage de
la culture religieuse grécogallo-
romaine, fait du choix
de l’Orientation17 et de la
disposition spatiale, qui reste fondamental comme lieu de
médiation entre le monde terrestre et le monde céleste ; et un
sens du sacré, dont la situation du lieu qui établit la sacralité,
c’est-à-dire une mise à l’écart pour démarquer le lieu des
pratiques banales du quotidien. Ces deux axes, esthétique et
spirituel se sont associés pour créer un enjeu de sens.
Sainte Face (G. Rouault) |
La problématique de la seule restauration d’un bâtiment
intègre sans doute de savoir combiner ces deux axes, sachant
que si l’on connaît les grands principes de l’imaginaire – plus
que des dogmes – religieux, il est parfois difficile aujourd’hui
d’en appréhender le sens médiéval. Il s’agit là d’une réflexion
d’autant plus délicate que la notion de patrimoine qui s’est
forgée tout au long du grand xixe siècle définit des critères
complexes, notamment celui de l’« authenticité » qui
s’attache aussi bien au respect du travail des constructeurs
médiévaux qu’à leur intention, dans la relation de l’usage
consacré, en dernière analyse, à ce bâtiment qui rassemble
autant d’enjeux symboliques. Aujourd’hui restituer un
patrimoine consisterait donc à investir dans le lieu, à partir
des éléments reconstitués, une démarche fédérant les émotions,
les intérêts et la réflexion autour de la notion de permanence
entre un passé dont on connaît grossièrement les linéaments et
un futur qui demeure une projection encore inconnue. En
dernier lieu ce patrimoine a ainsi pour fonction, dans ce regard
au temps, de poser une interrogation qui en reste la principale
vertu.
La restauration et la reconstruction ont duré plus d’une dizaine
d’années, « de 1995 à 2011 » dit la pierre d’inauguration scellée
à l’intérieur du mur occidental. Convient-il de dire que cette
aventure en fait un objet patrimonial ? Est-ce que sa réfection
voulue à « l’identique » relève du patrimoine ? Aurait-elle, en
quelque sorte, fabriqué du patrimoine ? Force est de constater
que son état avant travaux dépasse le cadre de la seule
sauvegarde d’un monument ancien. La décision de la réhabiliter,
de la faire renaître de ses ruines, voire de vouloir retrouver son
architecture initiale, a infléchi considérablement la notion de
patrimoine. Subventionnée par la Fondation du patrimoine,
cette rénovation reste peut-être un hapax, mais un hapax qui
entérine sa patrimonialisation permettant de faire connaître une
œuvre architecturale remarquable dont le département de
l’Ardèche peut s’enorgueillir.
Bernard Salques et Nathalie Viet-Depaule
Les auteurs de l’article témoignent leur profonde
reconnaissance à Annick et Gérard Ladreit de
Lacharrière pour leur accueil chaleureux qui leur a
permis d’accéder à l’histoire de cette ancienne église,
devenue chapelle, et de sa restauration avec la présence
précieuse de l’architecte Sophie Montmard.
Ce magnifique bâtiment a été inscrit à l’inventaire des
Monuments historiques le 15 mai 2012, reconnaissance
de la qualité architecturale dont a fait preuve sa
restauration.
Les visites ont lieu durant les journées annuelles du
patrimoine.
Parc de Lacharrière |