Lors de la visite du 19 octobre 1969, le château et son histoire firent l'objet d'un exposé détaillé de M. Robert Saint-Jean, que les participants écoutèrent groupés dans la salle des gardes.
Sis non loin de l'église de Saint-Basile, à 650 m d'altitude, sur une croupe dominant largement la vallée du Doux, le site a pu sans doute porter, dès l'époque romaine, un poste de vigie, puis une demeure primitive très isolée (domus sola), ruinée plusieurs fois au cours de guerres féodales et toujours reconstruite sur le même emplacement. Le vestige le plus ancien, dit « Donjon de Saint-Louis », remonterait au xiiie siècle. Il occupe l'angle nord-ouest de l'ensemble actuel. De forme rectangulaire (12,60 m sur 8,20 m), avec des murs épais de 1,50 m à la base et seulement 0,65 m au faîte. Les angles sont en grosses pierres de taille, tout le reste de la maçonnerie étant particulièrement soigné ; au rez-de-chaussée, une voûte en berceau, formant cave, occupe tout l'espace. Il n'y a pas d'escalier dans la maçonnerie ; on devait primitivement accéder aux étages par des échelles. L'étage supérieur était couronné d'une plateforme crénelée, avec chemin de ronde extérieur supporté par des corbeaux de pierre encore en place : les hourds en bois qui le constituaient étaient encore visibles après la seconde guerre mondiale. Ils furent enlevés en raison du danger qu'ils présentaient lorsque le château dût recevoir une colonie de vacances.
Le château de Maisonseule vu du sud-ouest. On reconnaît à gauche le "donjon de Saint-Louis", avec sa plateforme crénelée, maintenant recouverte d'une toiture, et les corbeaux qui supportaient les hourds en bois. On aperçoit aussi le culot restant d'une des quatre échauguettes et une archère. (à droite de la fenêtre supérieure.) |
Aux angles on aperçoit les culots des trois échauguettes ; la quatrième est intacte à l'angle sud-est du donjon, au-dessus de l'étroite cour intérieure. Dans le langage du xive siècle, on les appelait des « maisoncelles » ; une étymologie a été avancée selon laquelle le nom de la demeure ne serait qu'une altération du vocable désignant ce genre d'élément défensif. L'isolement de l'édifice justifierait tout autant ce nom sous sa forme actuelle.
Les étages primitifs sont encore indiqués intérieurement par les corbeaux destinés à soutenir les planchers et extérieurement par les latrines. Sur la façade ouest, des « archères », meurtrières verticales très allongées, diffèrent beaucoup de celles, plus récentes, des tours aménagées pour le tir à l'arquebuse. Des remaniements visibles ont modifié, aux xive et xve siècles, l'aspect de cette façade du donjon.
Des origines connues (xiiie siècle) à la
fin du xviiie siècle, quatre familles nobles se transmettront
par alliance la possession de Maisonseule : les Sahune, du xiiie au
xvie siècle, les Gruterie, du xvie au xviiie siècle, les Chevrier, puis les Grollier.
Les plus anciens seigneurs connus portaient le nom de Sahune (ou
Assahune), dérivant de celui du fief d'Asséné (près
de Saint-Agrève). Ils sont connus depuis Raymond d'Asséné,
lequel, en 1273, rend hommage au vicomte de Polignac et au seigneur de Lamastre ;
venus sans doute à Maisonseule par le mariage de Raymond avec l'héritière
de la famille de Presle, qui portait : d'azur au lévrier passant
d'argent, armes qu'ils adoptèrent en y adjoignant trois fleurs de
lys d'or.
Au début du xve siècle, un fait important
va sortir la famille de la médiocrité. En 1396, Louis de Joyeuse épouse
Tiburge de Saint-Didier, dame de Lamastre ; les Sahune, étant ses
vassaux, passent ainsi au service des Joyeuse, puissante maison dont le patronage
va aussi s'exercer en faveur des Sahune, qui vont alors bénéficier
d'alliances plus relevées. C'est ainsi qu'au début du xvie siècle
un Balthazard de Sahune épouse Françoise de Pierregourde, dont
les armes figurent, avec beaucoup d'autres, dans la grande salle du rez- de-chaussée.
Ils n'eurent qu'une seule fille, héritière du nom et des biens
des Sahune.
À cette époque leur château était réduit au seul donjon, qui ne comprenait que deux salles : en suivant attentivement les façades et les sous-sols, on découvre qu'il se raccorde avec des bâtiments formant l'aile nord, adossée au donjon, comprenant la vaste cuisine, une salle attenante et la tour nord-est, dite « tour des oubliettes » ; adjonction qui date du xive siècle ainsi que celle d'une autre aile en équerre, à l'est, terminée également par une haute tour d'angle, aux fenêtres et meurtrières étroites.
L'entrée primitive du château se trouvait ainsi à l'emplacement du fond du vestibule actuel, le linteau de cette porte montrant encore, quoique bien mutilé, le blason des Sahune. La cheminée de la cuisine présente des claveaux solidement imbriqués en « traits de Jupiter ».
Côté nord : À droite, l'angle nord-est du donjon, sur lequel on remarque les latrines. Adossée au donjon, l'aile nord construite au XIVe siècle, qui était également crénelée et pourvue de hourds. Noter un reste de mâchicoulis, contre le donjon, ainsi qu'une bretèche. |
Au xve siècle, la crainte des « routiers »,
lors des troubles consécutifs à la guerre de Cent Ans,
conduit à renforcer les défenses. On ferme le château
au sud et à l'ouest par de solides murailles, et sa masse imposante
prend la forme d'un quadrilatère irrégulier flanqué de
quatre tours, en sus du donjon qui forme un angle saillant. L'apparition
de l'artillerie oblige à concevoir des meurtrières permettant
le tir de l'arquebuse ou de la coulevrine.
Nous arrivons au xvie siècle. Phélise d'Asséné,
dame de Maisonseule, épouse en 1550 Guillaume de La Gruterie ; ainsi
les grands biens des Sahune passent dans une branche de la famille de La Gruterie
(qui possédait un fief près de Lamastre), issue au XVe siècle
d'un cadet de la famille de Montjeu, seigneur de Chassagne (près des Vans)
et bailli de la vicomté de Joyeuse. Leurs armes étaient : de
gueules au lion d'or. Du mariage de Guillaume et de Phélise naquit
Alexandre, lequel, à la mort de sa mère, prit le nom et les armes
des Maisonseule.
C'est à lui qu'on attribue les importantes
transformations, dans le goût de la Renaissance, du vieux manoir
féodal, par la création de fenêtres à meneaux
dans le donjon et la construction de belles cheminées en pierre
portant les armes des Maisonseule, écartelées de celles
de Margerite d'Altier du Champ. De la même époque date
le gracieux oratoire aménagé au premier étage
de la tour nord-est, avec sa jolie voûte et les jambages finement
ciselés de sa porte.
Au rez-de-chaussée, dans la vaste cuisine où se
trouvait déjà une cheminée adossée au donjon, on
en édifie une seconde dans le style nouveau du temps. Les portes de communication
intérieure des grandes salles du rez-de-chaussée et du premier étage
sont soignées comme le reste.
De son mariage avec Antoinette de La Motte-Brion, Alexandre de La
Gruterie de Maisonseule eut onze enfants, parmi lesquels nous ne retiendrons
que les noms de :
- Gaspard, reçu chevalier de Malte en 1614, commandeur
de Sainte-Anne, Celles et Salins, en 1640, puis de Montbrison en 1644. Son portrait
figure au château dans la partie encore habitée.
- Jean, l'aîné, qui lui succède, épouse
en 1620 Judith de La Tour-Gouvernet, fille de Paule de Chambaud, dame de Privas,
qui tenait pour le parti protestant. Une autre fille, Marie, morte jeune, avait épousé le
célèbre capitaine huguenot Brison. Devenue veuve, mais encore riche
et belle, Paule de Chambaud ne manquait pas de prétendants. Le plus audacieux,
Brison, ne prétendait rien moins qu'à épouser sa propre
belle-mère, mais celle-ci lui préféra le vicomte de Lestrange,
qui tenait pour le parti adverse, allumant ainsi en Vivarais une neuvième
guerre civile aux épisodes tragi-comiques qui lui firent donner le nom
de «guerre des Amoureux». On sait comment se termina la bagarre :
par le siège de Privas, mené par Richelieu et le roi, en personnes,
qui consacra la ruine du parti huguenot et fut suivi de la paix d'Alais. C'est
au cours de ces dernières guerres civiles que Jean de Maisonseule combattit
comme capitaine au régiment de Lestrange, son beau-père.
Échauguette sud-est du donjon, seule conservée intacte, vue de la petite cour intérieure. |
Petite fenêtre ouvrant sur cette même cour. |
En 1624, il fait à nouveau remanier de fond en comble le château. Les murailles du sud et du Levant furent éventrées pour édifier les hautes et larges baies à meneaux et doubles croisillons que l'on voit encore aujourd'hui. De cette époque datent encore la porte d'entrée actuelle et le très confortable escalier monumental à paliers, dont chaque marche est formée d'une seule dalle de granit longue de deux mètres. Les planchers et les plafonds sont refaits « à la française », avec des poutres de châtaignier longues de neuf mètres et de quarante centimètres d'équarissage ; des lambourdes, également de châtaignier, et deux épaisseurs de merrains constituent les planchers. Des artistes, présumés à tort Italiens, décorèrent les poutres, peintes en rouge de motifs au pochoir figurant en particulier des fleurs de lys associées en rosaces. Les armoiries de la famille et de ses alliances sont peintes sur le mur en une frise continue près du plafond, et se répètent sur le mur opposé. Les écus sont entourés de salades.
La façade orientale avec ses fenêtres à doubles croisillons, résultant des transformations réalisées par Jean de Maisonseule en 1624. |
Au premier étage, la grande salle occupe presque toute la façade
du Levant. La cheminée est Louis XIII, les baies sont beaucoup
plus grandes que celles des autres salles ; les poutres des plafonds
sont également ornées de motifs au pochoir. Les armoiries
diffèrent de celles d'en bas, chacune d'elles étant accompagnée
de celles de l'épouse, inscrites dans un losange. Les noms inscrits
facilitent leur identification.
Des cinq enfants de Jean et de Judith, nous retiendrons encore le nom
du plus célèbre : René, chevalier de Saint-Jean de
Jérusalem, commandeur de Lyon en 1676, grand maréchal de l'ordre
en 1677 (c'était la seconde dignité, immédiatement après
celle de grand-maftre), mort à Malte en 1679, où il fut inhumé dans
l'église Saint-Jean.
Un autre tableau le représente en pied,
vêtu d'un costume du temps de Louis XIII : culotte courte,
bas de soie, souliers carrés, pourpoint de velours noir et manteau
de l'ordre. La figure a un grand air de noblesse, il avait une
grande réputation de soldat et de marin. Ce tableau, ainsi que
celui de Gaspard de Maisonseule, ne sont que de bonnes copies
; les originaux, dont l'un est attribué à Philippe de
Champaigne, se trouvent chez Madame du Besset, au château du
Griotier, près
de Saint-Romain-d'Ay.
Le dernier des Gruterie, Antoine, comte de Maisonseule, baron de
Lamastre, seigneur de Retourtour et Désaignes, chevalier de Malte en 1663,
fut un personnage extravagant qui passa sa vie en procès contre ses voisins
et ses beaux-frères. Il alla en période de disette jusqu'à refuser
l'inventaire de ses réserves de blé. De la façon dont il
arrangea ses affaires résulta une cascade de procès à la
suite desquels Maisonseule revint aux Chevrier, puis en 1759 passa par alliance
aux Grollier. Le marquis de Grollier ayant été guillotiné à Lyon
en 1793, ses enfants émigrèrent. Maisonseule fut alors confisqué et
vendu à un commissaire des guerres.
En 1820, l'abbé Fustier acquit le château et y installa
le collège de Vernoux, auquel succéda un petit séminaire
dirigé par les prêtres de Saint-Basile, congrégation récemment
fondée à Annonay. L'isolement devait faire péricliter de
la même façon ces deux institutions. Le petit séminaire fut
transféré en 1825 au Bourg-Saint-Andéol, puis en 1828 à Privas
dans les locaux de l'ancien couvent des Récollets, où un collège
florissant fonctionna sous leur direction jusqu'en 1871.
Depuis 1828 le château est passé en plusieurs mains.
Inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques
depuis 1983, c'est en 1990 qu'il a été acquis par son propriétaire
actuel, l'artiste Yves Lecoq*, qui a accueilli lui-même le groupe de la Sauvegarde lors
de sa visite de 1996 et qui lui a fait les honneurs de sa demeure. Y. Lecoq a
entrepris depuis 1990 un très important travail de restauration de l'édifice
et l'a richement garni de meubles anciens.
(D'après les comptes rendus des visites de la Sauvegarde du 19 octobre 1969 et du 8 août 1996)
- *Le château a été vendu en 2022 à M. Aymar Hénin qui projette d'y créer un hôtel de luxe.