[...] La journée va se poursuivre
par une visite à la vieille église de Meysse, perdue dans
le dédale des ruelles du vieux village en contrebas de la digue qui
contient les débordements du Lavezon.
Cette église, fort dégradée, récemment
classée monument historique, est en instance
de restauration ; c'est M. Robert Saint-Jean qui veut bien nous la présenter :
Le territoire de Meysse était, aux premiers siècles de notre ère, traversé par la voie d’Antonin-le-Pieux, sans toutefois que l’on puisse affirmer qu'il y ait eu ici un établissement dès l'époque Gallo-Romaine. La voie romaine passait non loin de la vieille église, ainsi qu’en témoignait un milliaire d'Antonin qui se trouvait jusqu’en 1910 près de l’ancien cimetière au centre du vieux village. Ce milliaire marquait le XIIe mille depuis Alba (il est aujourd'hui conservé dans la collection Vallentin du Cheylard, à Montélimar).
Ancienne église de Meysse - L'abside |
Meysse apparaît dans l'histoire
sous le nom de Mixano dès le viie siècle.
La charta vetus nous apprend que l’évêque de
Viviers Ardulphe donna à la mense épiscopale les lieux de
Meysse, de Licau, de Chenavari et de Lafare, ce dernier avec l’église
Saint-Laurent. Il ne semble pas, d'après ce texte, qu’il y
eût
alors une église à Meysse ; la seule église de
tout le territoire concédé était celle de Saint-Laurent
de Lafare (près de Rochemaure). La fondation de Saint-Jean de Meysse
dut se situer entre le viie et le xe siècle.
Mais les textes sont rares et leur interprétation aléatoire.
Au xe siècle, l’église et ses
revenus furent - comme bien d’autres - usurpés par une famille
féodale
et, vers 1020, un certain Géraud, père d’Armand, évêque
de Viviers, en fit restitution sous forme d’une donation à l'abbaye
de Cluny en réservant la moitié de l’usufruit à son épouse
et à leur fils Armand leur vie durant, le tout devant revenir aux moines
de Cluny après leur mort « . . .si personne ne s’y
oppose »(sic). Mais si, ajoute prudemment la donation, comme
quelques-uns l'affirment, elle est de l'alleu (propriété) de Saint-Vincent
(Évêché de Viviers), que les moines de Cluny reçoivent
en échange l'église de Saint-Vincent qui est sur le territoire
de la Villa Artenica (c’est-à-dire Saint-Vincent-de-Barrès).
Les chanoines de Viviers ne manquèrent pas de protester et
firent valoir la donation d'Ardulphe : Saint-Jean de Meysse revint à l’évêché de
Viviers et les moines de Cluny reçurent en compensation Saint-Vincent-de-Barrès.
Peu de temps après, à la fin du xie siècle,
l’évêque de Viviers donna Meysse à l’abbaye
de Cruas qui y établit un prieuré de quelque importance dont le
titulaire était le camérier de l’abbaye, percevant les dîmes.
La cure était administrée par un curé à portion congrue
qui touchait, au xvie siècle, 20 livres tournois
et 14 cestiers de grain, moitié froment, moitié seigle, plus quatre
mesures sur la dîme du vin.
L’église, bâtie par les moines de Cruas, eut à souffrir
des premières guerres civiles ; en 1583, le visiteur épiscopal
Nicolas de Vesc la trouve « rompue et sans porte » ; elle sera une première
fois restaurée au début du xviie siècle.
Devenue insuffisante au xviiie siècle, elle sera alors pourvue
d'une lourde et disgracieuse tribune établie sur voûtes d’arêtes,
qui la coupera fâcheusement en deux : c’est cette tribune qui
a été récemment supprimée, restituant ainsi aux trois
nefs romanes leur volume initial.
À l'exception de l'abside dont le petit appareil
est grossier (mélange de basalte et de calcaire), la construction est
soignée : au xie siècle, elle mêle habilement
la pierre de Cruas et une scorie volcanique de teinte rouge, réservée
aux arcs et aux piliers. Au xiie siècle, l'appareil régulier, à joints
minces, est exclusivement composé de pierre de Cruas.
Une étude attentive du monument, de son appareil et de ses voûtes, permet de distinguer trois phases dans sa construction, sans exclure l’hypothèse de l’existence de bases plus anciennes, ce qui reste à vérifier. [...]
Ancienne église de Meysse - Façade occidentale |
Après l'assemblée générale, les participants se retrouvent à Meysse devant l'abside de l'ancienne église que M. Robert Saint-Jean va longuement présenter. Il s'agit d'un édifice important, bien maltraité par le temps et par les hommes, mais qui va bientôt se révéler d'un intérêt majeur pour l'histoire religieuse du Vivarais : de récentes découvertes ont permis en effet de mettre au jour les vestiges d'un baptistère du Haut Moyen-Âge.
Mentionnée vers 680 dans une donation faite par Ardulphe, évêque de Viviers, l'église Saint-Jean-Baptiste de Meysse fut attribuée au début du xie siècle à l'abbaye de Cluny, puis à l'abbaye de Cruas dont elle dépendit jusqu'à la Révolution. Dévastée pendant les guerres de Religion, restaurée au début du xviie siècle, elle demeura église paroissiale jusqu'au milieu du xixe siècle, époque où elle fut abandonnée au profit de la nouvelle église édifiée hors du village médiéval, en bordure de la route nationale.
En 1969, M. et Mme Latarche, originaires de Meysse, fondent une association, « Les Amis de Meysse », afin de sauver le monument abandonné, envahi par la végétation et transformé en dépotoir. Sur les indications fournies par M. Saint-Jean, un dossier de protection est alors établi, il aboutit en 1971 à une mesure de classement « Monument historique ». De 1972 à 1976, le déblaiement de l'église est réalisé par les Amis de Meysse, aidés par de jeunes volontaires. En 1975, les premiers travaux de consolidation sont entrepris par le service des Monuments historiques : couverture refaite, restauration du clocher et de sa petite chapelle suspendue, reprise des parements de l'abside et démolition des constructions parasites qui la masquaient. C'est alors qu'apparurent d'intéressants indices archéologiques qui témoignaient de la grande ancienneté du monument.
L'église romane du xie siècle, avec son abside d'un diamètre inhabituel, avait été construite en utilisant en partie les murs en petit appareil d'un édifice beaucoup plus ancien, remontant probablement au vie ou viie siècle. On pouvait alors observer dans l'abside les vestiges de larges fenêtres en plein cintre, à clavage alterné de briques et de pierres, dispositif qu'une restauration radicale a, depuis, fait disparaître. Il apparaissait désormais clairement que l'abside primitive avait été doublée intérieurement à l'époque romane d'un mur épais creusé de niches, tandis que la large nef, unique à l'origine, était divisée en trois vaisseaux afin de permettre son voûtement.
Quelle était la
destination primitive de ce vénérable monument ? Ce sont,
en 1976, des travaux de consolidation intérieure qui, éventrant
quelques sépultures médiévales, allaient provoquer
une recherche plus poussée et conduire à une fouille systématique.
Après un sondage de reconnaissance, dirigé en
1978, par M. Jean-François Reynaud, de l'université de Lyon, on
découvrit, au centre de l'abside, une piscine baptismale de forme octogonale.
La primitive église de Meysse était en réalité un
baptistère remontant au Haut Moyen-Âge. En 1988, les fouilles ont
repris et se sont étendues à la nef, dans le sol de laquelle de
nombreuses tombes médiévales ont été mises au jour,
certaines très anciennes puisque constituées de tegulae romaines.
En revanche, aucune sépulture n'avait été établie à proximité de
la piscine baptismale, ce qui confirme bien la destination première de
l'édifice. Notons en outre que l'abside primitive présente un plan
semi-circulaire légèrement outrepassé, indice de son ancienneté.
M. Saint-Jean fait part, pour terminer, des hypothèses émises par les archéologues au sujet de cette « église baptismale » située hors d'une cité épiscopale : sa datation précise, son plan exact, etc..., notions que la poursuite des fouilles dans les prochaines années permettra certainement de préciser. Il insiste enfin sur l'intérêt archéologique de l'édifice ainsi révélé, car il constitue un précieux jalon pour l'histoire des débuts du christianisme dans notre région.
Nous sommes accueillis à Meysse par Bruno Brian, président de l’association Meysse au fil du temps, ainsi que par Valérie Salvador, archéologue-médiéviste, qui, avec beaucoup de compétence, va nous présenter cette église et retracer pour nous les transformations successives qu’elle a connues au fil des siècles. Elle a également bien voulu relire le présent texte et nous faire un certain nombre de remarques pertinentes.
On ne peut atteindre la vieille église Saint-Jean-Baptiste qu’à pied, car elle se trouve au cœur de l’ancien village, avec ses ruelles étroites, sinueuses et ses passages voûtés. Cette difficulté d’accès a conduit à son abandon au milieu du xixe siècle au profit d’un nouvel édifice, construit en bordure de la route nationale. Définitivement désaffectée en 1940, elle fut classée monument historique en 1971.
Piscine baptismale |
Depuis les premiers travaux de déblaiement réalisés de 1972 à 1976 par une équipe locale sous la direction de Robert Saint-Jean, plusieurs campagnes de fouilles et d’étude approfondie du bâti, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monument, se sont succédé jusqu’en 2000. Ce sont, en 1976, des travaux de consolidation intérieure qui, éventrant quelques sépultures médiévales, allaient provoquer une recherche plus poussée et conduire à une fouille systématique. Après un sondage de reconnaissance, dirigé en 1978 par M. Jean-François Reynaud de l'université de Lyon, on découvrit, au centre de l'abside, une piscine baptismale de forme octogonale. La primitive église de Meysse était donc en réalité une église baptismale qui pourrait remonter au ve ou vie siècle. À cette abside était accolée une nef servant d’Assemblée, ou synaxe, c’est-à-dire de lieu où les premiers chrétiens se rassemblaient pour célébrer l’Eucharistie. C’est une disposition extrêmement rare, certainement unique dans notre région, puisque P. A. Février a pu écrire : « il existe quelques cas en Gaule où un baptistère a été trouvé associé à une église qui peut être une simple paroisse de campagne, ainsi […] au Brusc près d’Antibes, à Meysse en Ardèche. » (Février P.-A. in Naissance des Arts chrétiens, p. 63)
À l’extérieur,
on découvre un imposant chevet comportant une immense abside,
en partie restaurée en 1980, construite en petit appareil peu
régulier, à gros joints de mortier, surmontée
de deux pignons superposés ; elle est couverte de dalles
calcaires. Un élégant petit clocher à deux étages,
dont le premier seul est roman, est établi sur la nef, au sud-est ; à sa
base se trouve une minuscule chapelle suspendue, d’époque
romane.
La façade occidentale, plate, datant de la fin du xiie siècle,
est très sobre. Elle est percée d’une simple porte centrale à archivolte
en plein cintre et d’une baie cintrée à l’étage,
entourée de deux ouvertures rectangulaires.
Abside creusée de sept niches décoratives |
En pénétrant dans l’église,
on est surpris par son état de délabrement ; le sol ayant été défoncé lors
des fouilles, des passerelles en bois permettent de parcourir la nef centrale
et d’atteindre le chœur, en attendant que les travaux de restauration
prévus soient réalisés.
L’édifice est vaste, constitué d’une abside
et d’une nef principale flanquée de deux collatéraux, l’ensemble étant à peu
près de plan carré. L’abside de grande dimension (11 à 12
mètres de diamètre), voûtée en cul de four, est de
plan semi-circulaire légèrement outrepassé, indice de son
ancienneté. La cuve baptismale, située en son centre, est de forme
octogonale, terminée du côté ouest par un appendice
en queue d’aronde ; elle est enduite intérieurement de béton
de tuileau. Le niveau du sol primitif, formé de mortier de tuileau sur
radier de galets de basalte, a été retrouvé sur une petite
surface au sud-ouest de l’abside.
L’intérieur de l’abside paléochrétienne
a été transformé à plusieurs reprises. Une première
campagne, à l’époque carolingienne, a consisté à en
doubler le mur, de 90 cm d’épaisseur seulement, par une arcature
en tuf formée de cinq arcs sur mur bahut qui a obstrué les trois
anciennes fenêtres de grande taille. On a mis au jour les bases en basalte
des colonnes qui soutenaient ces arcs. La deuxième campagne de travaux
a eu lieu dans la première moitié du xiesiècle ;
on a alors plaqué à nouveau à l’intérieur de
l’abside un mur de 2,50 ou 3 mètres d’épaisseur, creusé de
sept niches décoratives d’exécution rustique, typiques du
premier art roman. Hautes et étroites, toutes différentes, elles
sont percées de trois baies romanes très étroites à large ébrasement
extérieur ; l’une d’elles a été reconstituée.
On pense que c’est à cette époque que la cuve baptismale,
devenue inutile depuis l’interdiction du baptême par immersion, a
disparu sous une épaisse couche d’argile. Elle n’en sera dégagée
que huit siècles plus tard…
Aux xie et xiie siècles, l’église est remaniée, la nef unique étant divisée en une nef principale et deux collatéraux. Les murs gouttereaux, dont seulement quelques assises au-dessus des fondations, reconnaissables à leur petit appareil semblable à celui de l’extérieur de l’abside, appartiennent à l’église primitive, ont été doublés intérieurement par des arcs de décharge latéraux. D’énormes piliers permirent de diviser la nef initiale en trois vaisseaux. Ils soutiennent les voûtes en berceau plein cintre de la première travée orientale de la nef et des deux bas-côtés. Les puissants arcs doubleaux ainsi que les arcs de décharge sont en tuf volcanique rouge. On doit noter également à cette époque la construction du clocher et de la petite chapelle haute sur l’extrémité orientale du collatéral sud. La deuxième travée fut voûtée plus tard (xiie siècle), en berceau brisé pour la nef centrale et en demi-berceau pour les nefs latérales, le tout en calcaire dur de Cruas.
Un dernier coup d’œil nous permet de remarquer la polychromie qui atténue la rudesse de cette construction : alternance du tuf volcanique rouge et marron des arcs des niches, rouge des puissants arcs doubleaux et des arcs entre la nef et les collatéraux, blanc de la pierre de Cruas…