Église Saint-Martin de Montselgues |
Le petit village de Montselgues est situé à 1 000 mètres
d’altitude, sur un plateau couvert de bruyères et de
genêts, non loin de l’auberge de Peyre, aujourd’hui
bien isolée, mais qui était autrefois un important relais
muletier, au carrefour du chemin montant des Vans et de
la très ancienne voie courant sur le plateau, fréquentée
notamment par de nombreux pèlerins se rendant à N.-D.
du Puy.
La route semble achever sur la place de Montselgues
son service de liaison en atteignant le cœur du
village, là où font cercle la fontaine, une croix
monumentale, la mairie,
l’église, l’entrée du
cimetière.
L’accueil est
assuré tout naturellement
sur cet espace par Pierre
Court, notre président, et
par Joël Fournier, maire de
la commune. La visite de
l’église Saint-Martin peut
dès lors commencer.
Le portail s'ouvre dans le mur méridional |
Chapiteaux du porche |
Nous sommes devant le
porche qui offre une
protection contre la pluie et
la neige. Ce n'est pas une
ouverture qui s'ébrase
largement comme à Thines, Saint-Julien-du-Serre ou
Veyrines, mais elle souhaite proposer avec obligeance un
abri en invitant sous un avant-corps comme à Brahic ou à
Chambonas. Trois voussures, soulignées par un tore,
décorent l'entrée ; elles s'appuient, par l'intermédiaire
d'une imposte présentant aussi des lignes courbes et se
prolongeant en façade, sur quatre colonnes logées dans
les angles des piédroits. Ces colonnes font alterner des fûts cylindriques et octogonaux. Leurs chapiteaux
s'enveloppent de formes végétales, parfois de palmettes, et
mettent en saillie sur la partie médiane de la corbeille une
tête ou un fleuron. La base des colonnes est de figuration
classique, mais il est à noter que l'astragale, marquant
l'amorce du chapiteau, fait partie tantôt de la colonne,
tantôt du chapiteau. Le fronton de cette construction a dû
être remodelé au xixe siècle lorsqu'on abattit le clocher à
arcades hissé sur le mur occidental. En effet, les lits de
moellons gardent des cicatrices, la clé du cintre où
s'inscrit un écu en relief interroge, un bandeau long et
étroit inséré dans la maçonnerie intrigue surtout, portant
gravés les premiers mots latins d'un verset de l'Évangile de
Matthieu 16/18 : Tu es Petrus et super... (« Tu es Pierre et
sur cette pierre je bâtirai mon église »). Une date, 1760, en
chiffres arabes, ouvre l'inscription ; curieusement, ces
chiffres furent
interprétés par des
historiens comme
cautionnant
l'édification de l'église
au xiie siècle, en 1160,
attentifs évidemment à
les retranscrire en
chiffres romains, MCLX,
pour leur conférer toute
légitimité, puisque les
chiffres arabes sont
ignorés en Occident à
cette époque.
En entrant dans le
cimetière, l'ensemble du bâtiment se découvre : murs de
granite et de grès, modillons aux volumes réduits portant
un décor discret, floral ou géométrique, toit en lauzes de
schiste. La construction forme une masse rustique, un peu
sévère, imposant l'impression de solidité. Mais l'agrément
est là : un lignolet aux ailes de papillons déroule sa
broderie sur la ligne faîtière et l'unique baie de la nef
déplie un insolite et impressionnant arc torique détaché
de la voussure. Cet arc, trapu, se suffisant à lui-même,
bandé dans le retrait de la voussure, s'appuie sur de
modestes chapiteaux et semble se prolonger par des
colonnes rondes encadrant l'ouverture. Ce mode
d'ornement est à rapprocher des fenêtres romanes
limousines qui ont eu la faveur des architectes en Haute-
Vienne, Corrèze et Creuse.
Le clocher se dresse, tel un campanile détaché de
l'édifice. Le clocher-mur originel, ajouré de quatre
fenêtres, s'élevait sur la façade occidentale de l'église ; il
dut être démoli en 1842. Vingt ans plus tard, le nouveau
clocher fut construit prudemment hors d’œuvre et reçut
une toiture pyramidale seulement en 1865, puis la statue
de Notre-Dame. Deux cloches furent installées en 1923.
En contournant le clocher, le chœur de l'église apparaît,
fermé par un mur plat couronné d'une corniche portée par
des modillons rappelant ceux du mur méridional.
L'absence de baies révèle des altérations notables du
chevet originel.
Le vocable Saint-Martin est un marqueur d'ancienneté et la mention de In Monte Selgo ecclesiam Sancti Martini quam Nicetius tenet apparaît dans le Bref d'Obédience des chanoines de Viviers, vers 950, citant le chanoine administrateur, Nicetius. La paroisse sera confiée, sûrement dès le xie siècle, à l'abbaye vellave de Monastier-sur-Gazeille et relevant plus directement du prieuré conventuel de Langogne. En tout cas, elle est mentionnée dans le cartulaire rédigé sous l'abbatiat de Guillaume IV (1083-1135), puis dans la bulle du pape Alexandre III en 1179, enfin dans la bulle du pape Clément IV en 1267. Ces mentions successives et celles postérieures font apparaître deux choses : Montselgues s'intègre dans un cortège d’églises priorales allant de Concoules jusqu'à Saint-Genest-de-Beauzon, et Thines, la merveille inégalée des Cévennes, sera toujours considérée comme annexe de Montselgues.
Le chœur |
Le chapiteau aux basilics |
L'église fut sous la surveillance épiscopale et trois visites
d'official, en 1501, en 1675 et en 1714, renseignent sur la
santé du bâtiment et les aménagements successifs. À partir
du xviie siècle, les sensibilités nouvelles se révèlent : la
chapelle sud, dédiée à saint Blaise, est vouée à N-D. du
Rosaire et accueille une confrérie mariale ; des ouvertures
sont demandées et réalisées dans le mur fermant à l'orient
le sanctuaire ; une sacristie, itinérante dans le chœur, est
jugée nécessaire ; une crédence murale est souhaitée. Et
toujours se renouvelle la même injonction : supprimer le
long du clocher-mur les infiltrations d'eau pluviale qui
agressent le bâti en bois de la tribune.
Le xixe siècle fut témoin tragiquement des effets d'une trop
longue négligence. En 1841, lors de la messe pascale, la
tribune mise à l'épreuve par l'affluence s'écroula,
occasionnant blessures et infirmités définitives. Cet
épisode dramatique suscita des réponses opportunes :
établissement d'une nouvelle tribune, démolition du
clocher-mur et projet d'élever un clocher indépendant,
création d'une chapelle au nord en face de la chapelle du
Rosaire pour mieux accueillir la communauté paroissiale
se développant ici comme ailleurs et pour équilibrer les
volumes de l'édifice.
L'église, inscrite en 1935 comme œuvre romane de valeur,
fut, en 1979, le lieu de chantiers : les boiseries furent
enlevées, les murs mis à nu, un autel en pierre installé.
Elle reste simple de structure : nef de deux travées avec
voûte en berceau brisé, deux chapelles à la voûte cintrée
et formant croix avec la nef, un chœur repris au xive ou
xve siècle avec une voûte d'arêtes renforcées par des
nervures. Mais les chapiteaux coiffant des colonnes
jumelles placées à l'ouverture du chœur retiennent
l'attention, surtout celui qui présente deux animaux
fabuleux, non des griffons comme cela a été dit, mais des
basilics. Ces êtres hybrides au corps de coq exhibant une
tête ostensiblement crêtée et étrécissant une queue de
vipère sont dangereusement maléfiques. Leur regard est
mortel et la seule parade connue est l'usage d'un miroir,
arme dérisoire mais qui a la faculté de réfléchir le trait
agressif et, en le renvoyant, de foudroyer le monstre lui-même.
Autant dire que toute précaution avait été prise et
la visite de l'église de Saint-Martin de Montselgues a pu se
dérouler sereinement.
Père Bernard Nougier
(Visite de la Sauvegarde juin 2017)