Quand on emprunte la
D 104 du Pouzin à
Privas, en arrivant à
Coux on remarque, sur une
grande place à gauche, ce
double bâtiment long
construit de différentes
pierres et galets de rivière
volcaniques et granitiques. Il
ne manque pas d'allure avec
son entrée voûtée,
monumentale, une cour
intérieure pour l'habitation
du maître de maison flanquée
d'un escalier à double
révolution et, lui faisant face,
des arcades ouvrant sur les
communs.
Situé au bord de la rivière Ouvèze, ce bâtiment fut
construit aux environs de 1740, par un dénommé Jacques
Belin qui y installa un moulinage de soie dans une belle
salle voûtée qui subsiste de nos jours. Aux Archives
départementales nous avons retrouvé un document de
1742 attestant des difficultés rencontrées par M. Belin
pour installer sa béalière. Nous avons retrouvé également
des actes de vente de terrains attenants et des contrats
d'apprentissage des années 1748 à 1752.
L'équipe des « meuniers du mardi » |
Après le moulinage une filature fut installée. En 1811, à la mise en place du cadastre napoléonien, cet ensemble appartient à M. Auguste Roure. En 1885, le propriétaire d'alors, M. Hilaire, loue le moulinage à soie à un Privadois, M. Marchier, pour la fabrication du « coco, une boisson hygiénique ». En 1889, M. Hilaire installe un moulin à farine dans le bâtiment situé au fond de la cour et une machine à vapeur qui sert lorsque l'eau est insuffisante dans la rivière. Cet ensemble est loué en 1899 à M. Émile Reymond avec promesse de vente, qui sera consentie pour tout l'ensemble immobilier en 1908. À son décès, en 1939, son fils Georges fera fonctionner le moulin jusqu'en 1956. Outre les activités liées à la soie, ces bâtiments ont eu une vocation commerciale : fabrication du coco, entrepôt et commerce du charbon, tissage de tapis de 1923 à 1932 et pour terminer le moulin à farine servira, dans les années 50, pour l'alimentation des animaux.
Les meules en pierre protégées par des coffrages en bois surmontées de trémies pour le grain à moudre. À droite, potence pour soulever les meules. |
L'ensemble immobilier sera
racheté par la commune de Coux en 1975. Un camping,
des gîtes seront installés dans le bâtiment « moulinage »,
puis une auberge rurale dans celui du haut, et les services
techniques de la municipalité. Seul le bâtiment du moulin à farine est laissé à l'abandon…
L'association « Arts et Mémoires » créée en 1994, réactivée
par notre équipe en 2005, s'intéresse au patrimoine. Ainsi,
dès 2006, nous décidons de sauver le lavoir de Masneuf,
encouragés par la municipalité d'alors et la Société de
Sauvegarde qui nous allouera une aide sur ses fonds
propres. Le 9 février 2008 nous inaugurons le lavoir
restauré, remis en eau, avec tous nos partenaires, amis et
habitants du quartier, dans une ambiance amicale et très
conviviale.
Nous décidons alors, en accord avec la nouvelle
municipalité, encouragés par la Société de Sauvegarde, de
nous intéresser au moulin de la Pataudée.
L'inventaire que nous en faisons au printemps 2008 n'est
guère encourageant :
- la végétation a tout envahi, cours, fosse de la roue, le
canal…
- une partie de la toiture et des planchers sont effondrés,
une voûte a même cédé,
- la bluterie et d'autres machines en bois ont pourri et
toute la machinerie est sous les gravats, la roue extérieure
rouillée, amputée, inutilisable, disparaît sous les ronces,
etc.
Malgré ce bilan, après discussion – parfois animée – en
concertation avec la municipalité et la Société de
Sauvegarde, nous décidons de nous lancer dans
l'aventure. Le plus urgent est de mettre le bâtiment hors
d'eau et de sauver tout le mécanisme. Il faut donc dégager
les ruines, recenser et mettre à l'abri toutes les pièces de
la machinerie, mais aussi trouver les finances nécessaires.
La roue motrice actionnée par l'eau du canal |
Dès août 2008, une équipe de dix volontaires s'est formée autour de Roger Sartre, notre président, avec des compétences aussi variées que professionnelles. Ils vont devenir les « Meuniers du mardi », se retrouvant tous les mardis sur le chantier. Parallèlement, des dossiers sont montés, des subventions sollicitées et, dès fin 2008, le bâtiment est hors d'eau. Les travaux confiés à une entreprise locale ont été possibles grâce au don important d'un mécène et à une subvention du Conseil général obtenue par l'intermédiaire de la Société de Sauvegarde. Par ailleurs, le chantier a été fermé et sécurisé avec des matériaux de récupération, les abords nettoyés. Dans le moulin, machineries et mécanismes ont été recensés, photographiés, pour les restaurations futures. Tout ce qui pouvait être déplacé a été mis à l'abri. Dans un même temps, trois locaux annexes ont été récupérés pour organiser un atelier, des sanitaires et une « salle à manger » (dans le local à charbon). Car, le mardi, c'est journée continue et, à tour de rôle, épouses des Meuniers, amis, entreprises, fournissent, à leur frais, un repas aux travailleurs et à leurs invités occasionnels. Rencontres amicales et conviviales autour de ce projet commun. Échanges d'idées, richesse des discussions en font des moments privilégiés très appréciés. Un vaste local, proche du moulin, mis à notre disposition par la municipalité, est aménagé en atelier servant pour le stockage des matériaux et des machines à restaurer.
Après ces travaux préliminaires et indispensables, de 2009 à 2013 le chantier avance au rythme des aides obtenues,
des dons et des possibilités de chacun.
- la voûte a été refaite, ainsi que le plancher du dernier étage,
- les façades sud et est ont été confiées à l'entreprise
Génovèse de Privas,
- les menuiseries refaites et posées par la menuiserie Serre
de Coux,
- la roue a été usinée par Giraud Delay de Privas et
remontée par nos Meuniers qui ont aussi confectionné
goulotte, vannes et pièces annexes,
- le canal de fuite a été entièrement nettoyé ainsi que le
puits de la roue qui a été rénové,
- toutes les rambardes, barrières de sécurité, rampes,
portillons ont été faits sur place, posés, peints par l'équipe
des « métallos » qui ont sécurisé les engrenages et poulies
du beffroi au rez- de-chaussée,
- les maçons ont eu fort à faire : réfection des dalles,
enduits des murs des salles des étages, réfection des
plafonds, etc.
- l'équipe des menuisiers s'est activée ; chapeaux des
meules, remontoirs à farine, planchers, plafonds avec les
maçons, revêtement bois d'un mur, restauration des
machineries en bois, vibreur, bluterie en cours, etc.
Machine pour nettoyer les grains de blé |
Au point de vue administratif, la gestion du moulin a été
désolidarisée de l'association Arts et Mémoires. Un compte
spécial a été créé au Crédit Mutuel et une commission « Moulin » mise en place. Elle comprend des Meuniers, le
président, la trésorière et se réunit si nécessaire avec les
représentants de la municipalité. Une convention a été
signée avec la municipalité, valable
jusqu'au 31.12.2014 pour officialiser
notre partenariat.
Au fil des mois et des ans qui passent,
de plus en plus de personnes, de
collectivités locales s'intéressent à
notre chantier : le Conseil général, le
PNR , le syndicat Ouvèze Vive, par
l'intermédiaire de notre maire, Jean-
Pierre Jeanne. Ainsi, le droit d'eau –
indispensable pour faire tourner la
roue – est retrouvé aux Archives et
réactivé par l'Administration. Grâce à
Ouvèze Vive, la béalière est remise en état en même temps que les travaux de
la passe à poisson qui a été réalisée.
C'est ainsi que le 21 novembre 2012 le
canal est mis en eau et c'est avec
beaucoup d'émotion que Meuniers, élus, amis, partenaires purent voir
tourner la roue et entendre la chanson
de l'eau. Ce fut un grand moment pour
chacun d'entre nous.
Depuis, le chantier et les travaux ont continué, en 2012 et
2013 les Journées du Patrimoine ont connu un réel succès.
Les visiteurs nombreux ont apprécié le travail réalisé et les
visites guidées par nos Meuniers, heureux de faire
découvrir ce patrimoine qui leur tient tant à cœur.
En ce début d'année 2014, le moulin est vraiment sauvé.
Certes le chantier n'est pas terminé, mais on s'achemine
vers la fin des gros travaux. Après l'installation de la « bluterie » confectionnée par nos menuisiers, les finitions
au 3ème étage et les aménagements pour accéder à cette
partie du moulin, le circuit de la farine transportée par les
courroies à godets pourra être envisagé. Nous aurons alors
atteint notre but.
Reste encore un gros chantier avec la réfection et la
couverture de la terrasse ouest telle qu'elle était.
Nous pourrons alors installer un four à pain qui mettra un
terme à ce chantier.
Depuis le début, nous avons pu compter sur le soutien de
la Société de Sauvegarde pour obtenir les subventions du
Conseil général ; le Crédit Mutuel, la Banque Populaire, le
Crédit Agricole, Axa nous ont aussi aidés. Des dons en tout
genre : bétonnière, chaux, ciment, gravier, sable, prêt de
matériel, de machines, mise à disposition de bennes
enlevées gratuitement, etc. nous ont été consentis ainsi
que des dons en espèces.
Chaque année nous imprimons un calendrier dont la vente
est réservée au moulin. Arts et Mémoires reverse la moitié
des bénéfices des animations à la caisse du moulin. Au 31
décembre 2013, nous aurons investi la somme totale de
38 315,57 €, dont 30 044,52 € sur nos fonds propres,
5 000 € des banques et 3 271,05 € de dons. Et nous ne
comptons pas les heures passées par notre équipe de
Meuniers le mardi, mais aussi beaucoup de préparations
faites chez eux. Au-delà du travail considérable accompli,
le plus important, le plus précieux est cette formidable
aventure humaine. Cette équipe constituée de personnes
différentes, certaines ne se connaissaient pas, cette mise
en commun de compétences complémentaires, cette
volonté d'avancer ensemble pour un projet commun, sans
rien attendre en retour si ce n'est la satisfaction d'un
travail accompli dans l'amitié, le partage, est un vrai
challenge qui pouvait paraître utopique au départ. Et
pourtant, malgré les doutes, les imprévus ou contretemps,
cette aventure se continue avec son lot de rencontres
inattendues de personnes passionnées, qui apportent à
chacun d'entre nous une richesse insoupçonnée. Le
patrimoine favoriserait-il le lien social ? Pour le moulin de
la Pataudée c'est incontestable*.
Janine Jail
Membre du bureau de l’association Arts et Mémoires
* NDLR - Cet aspect de l’action de l’association Arts et Mémoires a été officiellement reconnu et mis en exergue lors de la journée d’études « Patrimoine et lien social » organisée à Lyon en janvier 2013 par la fédération Patrimoine Rhônalpin. Pour davantage de détails à ce sujet, on pourra se reporter à l’article paru dans le N ° 26 (avril 2013) de Patrimoine d’Ardèche, sous la plume de Pierre Court.