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Église Notre-Dame de Nieigles

Église de Nieigles

Succédant heureusement aux violents orages de la veille, un soleil splendide a favorisé la visite de la centaine de membres de la Sauvegarde qui se sont retrouvés à Nieigles au matin du 15 octobre.

Souhaitant la bienvenue à tous les participants, le Général de Pampelonne présente Mme Popon, présidente de l'Association des Amis de Nieigles, Mme Desormeaux, trésorière, M. l'Abbé Extra, curé de Pont-de-Labeaume et animateur de l'association, les remerciant de bien vouloir accueillir la Sauvegarde dans cette église romane heureusement sauvée de la destruction et dont la restauration est en très bonne voie. Mme Popon trace un rapide historique de l'association créée en 1956 et des travaux réalisés à ce jour, rappelant que la Sauvegarde a, la première, accordé une subvention qui permit la restauration de la toiture et la mise hors d'eau du clocher, sauvant ainsi l'édifice et amorçant les travaux réalisés de 1978 à 1983.

Pour 1984, 190 000 F de travaux sont prévus : reconstitution du porche d'entrée et de la porte en bois avec l'aigle sculpté. Mme Popon termine en espérant que les efforts de tous permettront la restauration complète de l'édifice afin qu'un jour, la Vierge Noire, actuellement conservée dans l'église de Pont-de-Labeaume, puisse retrouver sa place dans l'antique sanctuaire. Après avoir félicité Mme Popon et la dynamique association qu’elle préside, le président de Pampelonne cède la parole à M. Robert Saint-Jean dont l'érudition et l'art d'exposer l'histoire et l'architecture des monuments anciens sont pour ses auditeurs un régal d'une très rare qualité. De son exposé que nous regrettons de devoir résumer, retenons ce qui suit.

L'église de Nieigles apparaît comme une construction hétérogène dont le déchiffrement n'est pas aisé, aussi faut-il d'abord exposer l'histoire du prieuré afin de mieux comprendre le monument
Nieigles vient de deux mots latins : nidus aquilinus ou « nid d'aigle ». À l'époque romaine, une voie empruntait la vallée de l'Ardèche et devint plus tard le chemin de N.-D. du Puy. La première mention de Nieigles remonte à l'an 993, date à laquelle un document fait état d'une donation par Guy d'Anjou, évêque du Puy, à N.-D. du Puy d'une vigne située dans la villa de  Nido Aquilino, vigne achetée dix sols à un certain Ebrard. Il faut attendre le xiie siècle pour que des documents attestent de l'existence de l'église Sainte-Marie de Nieigles : en 1134 un texte signale que le prieuré de Beata Mariae Nidde Aquilina appartient au chapitre du Puy.

En 1164 cette possession est confirmée par une bulle du Pape Alexandre III ; à nouveau, en 1267, le pape Clément IV en confirme la possession au dit chapitre, auquel appartiendra le prieuré jusqu'à la Révolution, avec droit de nomination des prieurs de Nieigles. Ceci pour la juridiction religieuse. Mais si l’évêque du Puy est suzerain, les seigneurs de Meyras (aujourd'hui Ventadour) en sont les vasseaux et rendent hommage à l'évêque pour les terres de Nieigles apportées en dot par Jamage, de Jaujac, à Guigue IV, seigneur de Meyras. De plus, l'évêque de Viviers, comte du Vivarais, possède aussi des droits sur ce prieuré : situation ambiguë, fréquente aux xiie et xiiie siècles.
En 1308, des tractations ont lieu entre les évêques du Puy et de Viviers ; Louis de Poitiers, évêque de Viviers, cède à celui du Puy la seigneurie et ses droits sur le prieuré de Nieigles en échange de ceux que l'évêque du Puy détient sur la mouvance de la ville de Largentière, droits très anciens qui permettront ainsi à l'évêque de Viviers d'être le seul possesseur des mines de Largentière. Notons en passant que les revenus du prieuré de Nieigles et de la seigneurie n'étaient pas si médiocres pour faire l'objet d'un tel échange.
    En 1345 le pape d'Avignon, Clément VI, donnera son accord à ces échanges. Le prieur de Nieigles devra des redevances annuelles à l'évêque du Puy, lesquelles, en 1572, s'élèvent à 18 muids de vin, soit environ 87 hectolitres.

église de Nieigles : Statue de N.-D. de Nieigles

La statue de N.-D. de Nieigles est une reproduction de celle de N.-D. du Puy. La statue primitive a disparu au cours des troubles religieux du xvie siècle, l'actuelle, conservée dans l'église de Pont-de-Labeaume, est de la fin du xviie ou du début du xviiie siècle. Elle est en bois, partiellement dorée, au visage noir, peint à l'origine au naturel, ayant noirci sous la fumée des cierges ; on lui attribue une phrase du livre de la Sagesse : « ...Je suis noire mais belle...». Elle repose sur un socle dont le panneau avant représente un aigle aux ailes déployées, armes parlantes du prieuré de Sancta Maria Nidia Aquilinis. La statue primitive était certainement une Vierge de Majesté romane, que l’on revêtait d’un manteau brodé, mais à la statue actuelle, l’artiste a sculpté ensemble le corps et le manteau de la Vierge, ce qui lui confère cette curieuse forme de cloche, souvenir de la « majesté » romane.

Nous n'avons aucun texte faisant état de la destruction totale ou partielle de l'église. Cependant, dès le xviesiècle, nous savons qu'elle a été profondément remaniée et surtout agrandie. Selon la coutume du temps, les familles notables du lieu veulent y avoir une chapelle avec banc et droit de sépulture ; la construction de ces chapelles transformera profondément l’église primitive qui n'avait qu'une seule nef et un petit transept. Après les guerres de Religion, d'autres transformations furent faites, notamment la construction du clocher et l'agrandissement du chevet ; ainsi, l'oculus et les deux fenêtres ne sont pas romanes, mais du xviie siècle.

Nous avons sur cette période d'autres renseignements grâce aux notes laissées par deux prieurs : le premier, Jacques Lanal, prieur de 1590 à 1629, nous apprend qu'on a agrandi l'église par la construction de chapelles. Le second, Jean Malosse, prieur de Nieigles de 1729 à 1782 mentionne la construction du « caveau des prieurs » sous la chapelle Sainte-Anne et la bénédiction de la grande cloche de l'église le 19 Août 1745. Il décrit avec force détails la profanation de l'église le 30 Juillet 1746 par trois huguenots : Louis Mazet, de Burzet, Mathieu et Jacques Brittes, de Saint-Vincent-de-Durfort : porte forcée, vases sacrés volés, hosties vidées sur l'autel. Ceux-ci prirent à la sacristie la « ceinture de la Vierge », objet d’un culte particulier car elle était imposée aux femmes enceintes pour leur accorder une heureuse délivrance. Ils prirent encore divers objets : calices, habits, voiles, surplis, etc. Louis Mazet, arrêté au Puy le 17 août 1746 portait comme chemise le surplis du prieur ; il fut condamné à être pendu à Villeneuve-de-Berg le 24 octobre. Le prieur note encore que la croix du cimetière fut placée le 10 janvier 1762, que la foudre frappa l'église le 12 juillet 1765 et que Mgr de Savine ordonna prêtre le 23 septembre 1781, dans l'église de Nieigles, Antoine Rochier, de Largentière.

église de Nieigles : Façade nord et clocher église de Nieigles : portail

L'année suivante, Jean Malosse cède à son neveu Jean-Antoine Malosse, professeur de rhétorique au collège du Puy, admirateur des philosophes et gallican passionné. Dans la préparation des États Généraux, il va s'opposer à l'évêque de Viviers car il est à la tête de ceux qui veulent écarter le haut-clergé (évêques et chanoines) de la représentation aux États Généraux. Malgré des rivalités de personnes, Jean Malosse n'est battu que de quatre voix (116 contre 112) au second tour des élections le 24 mars 1789 par Charles de la Font de Savines, évêque de Viviers. En 1790, il est élu président de l'Assemblée municipale de Nieigles, mais en 1793, il est obligé de se cacher.

Telle est l'histoire du dernier prieur de Nieigles qui serait mort au Puy en 1812.   

L'étude du monument lui-même n'est pas simple, car il a été très remanié depuis le xiie siècle. De la première église romane, il reste certainement (excepté les voûtes remaniées) les murs et les arcs, les piliers romans et toutes les parties soulignées d'une corniche moulurée. Il existait vraisemblablement une petite abside semi-circulaire ou polygonale détruite peut-être au xvie siècle et qui sera de toute façon remplacée par cette profonde travée que la visite canonique de 1715 appelle le "Presbytère", c'est-à-dire le chœur avec le mur du fond, mur droit avec fenêtres cintrées mais qui ne sont pas romanes et l'oculus tout à fait classique de cette fin du xvie siècle. Dès le début du xve siècle, cette église se révélait trop petite et son agrandissement se fera latéralement par l'adjonction de chapelles : du côté de l'évangile (le nord) les chapelles des Cinq plaies (1527) et de Saint-Antoine (1509) ; du côté de l'épître (le sud) les chapelles de Sainte-Anne (1520) et de Saint-Blaise (date de fondation incertaine). Ces constructions sont d'un gothique archaïsant, avec des particularités telles que les retombées de l'arc doubleau reposant sur deux personnages en buste.

La nef

Il est vraisemblable que la voûte centrale a été affaiblie par la construction des chapelles, ce qui obligea d’entreprendre une réfection complète à la fin du xvie siècle. La dernière étape de la réfection de l'église fut l'édification d'une tribune et celle du clocher qui n'est pas une tour romane : la forme des pierres à bossages suggère plutôt l'époque Louis XIII. La récente découverte par Robert Saint-Jean d’une pierre d’angle dans le coin nord-est du clocher et portant l’inscription : « MESSIRE DUTHOR P. 1678 I.D. » conduit à l'interprétation : « DUTHOR BATISSEUR » et I.D étant les initiales du maçon, hypothèse confirmée par la découverte d'une mention dans un procès de 1678 selon laquelle Messire Mathieu DUTHOR était à cette date prêtre et prieur de Nieigles, ce qui lève totalement le doute sur la date du clocher.

L'abside

Le mur du fond de l'abside, avec ses deux fenêtres cintrées et son oculus, date sans doute de la fin du XVIe siècle

La coupole

La croisée du transept est couverte d'une petite coupole

Dans ce clocher, on note la présence d'une salle avec une cheminée et un petit four à pain : c'était simplement le logement du prieur. Cette construction du clocher en forme de tour est luxe que le prieur n'a pu s'offrir qu'au xviie siècle, car, jamais au Moyen-Âge le seigneur de Ventadour (dont le château était ruiné dès le xvie siècle) n'aurait toléré une telle construction en face de sa demeure. La petite sacristie a été datée par les textes de 1697, ce qui correspond bien à la période d'agrandissement de l'église ; la grande sacristie est postérieure : fin xviiie siècle ou peut-être même xixe.

Robert Saint-Jean termine ce substantiel exposé en félicitant les « Amis de Nieigles » des travaux déjà effectués et évoque la dernière phase prévue de la restauration : celle de l'intérieur de l'édifice. Doit-on décaper et rejointoyer toutes ces pierres disparates qui primitivement étaient enduites ? Il ne le pense pas : seules les parties en pierres de taille bien appareillées comme les piliers, les colonnes, les arcs peuvent être décapées et rejointoyées ; le reste ne se justifie pas, d'ailleurs cela aurait profondément choqué les gens du Moyen-Âge comme ceux des xvie et xviie siècles ; ils auraient dit : « ...la Maison de Dieu n'est pas une écurie... ». Pour eux, qui n'avaient pas la manie actuelle de la pierre apparente, seules les pierres taillées devaient être visibles.

Visite de la Sauvegarde octobre 1983

Bibliographie

On trouvera également une présentation de l'église de Nieigles dans le DVD « Églises romanes en Ardèche » édité par la Sauvegarde.