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Architecture rurale et archéologie agraire en Cévenne ardéchoise méridionale
Les Assions - Saint-Genest-de-Bauzon

Le thème qui avait, cette année, été proposé sur le plan national pour la Journée du Patrimoine de Pays était « La Pierre : Pierre brute, pierre taillée ».
Notre ami Michel Rouvière était particulièrement bien placé pour nous proposer un programme dans ce domaine et il choisit de nous emmener en Cévenne ardéchoise méridionale, dans un secteur qui a déjà fait l’objet de sa part de recherches approfondies.
La matinée fut consacrée au patrimoine bâti, dans deux hameaux des Assions et à Saint-Genest-de-Bauzon, tandis que l’après-midi nous permit de découvrir les étonnants aménagements en pierre sèche réalisés sur les Gras des Assions par les « paysans- bâtisseurs » du xixe siècle.

Quelques exemples d'architecture rurale

Le rendez-vous avait été fixé au hameau de La Ribeyre, sur la D 104A entre Lablachère et Les Vans. Nous observons d’abord, près de la route, une petite construction très simple dont le premier étage est constitué par une terrasse couverte, s’ouvrant par de larges arcades. C’est un fialage, rare témoin parfaitement conservé de l’âge d’or de la sériciculture en Ardèche. Il s’agit en fait d’une filature individuelle, où s’effectuait le dévidage des cocons. Il est rare de trouver un tel bâtiment séparé de l’habitation.

fialage, hameau de la Ribeyre aux Assions fialage, hameau de la Ribeyre aux Assions

Un fialage

Le propriétaire nous montre qu’il possède aussi, à proximité immédiate, un autre témoin du temps jadis. C’est un tout petit bâtiment, sur lequel est encore fixée une plaque émaillée portant en lettres blanches sur fond bleu le nom « LA RIBEYRE ». C’était une halte sur la ligne des tramways à vapeur de l’Ardèche qui reliait le Pouzin à Saint-Paul-le-Jeune par Privas, Aubenas, Joyeuse et Les Vans. Mais cette desserte fut très éphémère car, ouverte en 1910, cette ligne fut fermée dès 1914, comme d’ailleurs presque tout le réseau des Tramways de l’Ardèche. Rouverte après la Grande Guerre, elle ne fonctionna à nouveau que quelques années. (BRAUN Michel, Sur les rails d'Ardèche et du Vivarais, Les Éditions du Cabri, 06540 Breil-sur-Roya, 1999)

Nous nous dirigeons ensuite vers le hameau du Rey. La pente en face de nous est couverte de faïsses (terrasses) bien entretenues. Un chemin qui monte droit sur le plateau conduit aux gras des Assions dont nous découvrirons cet après-midi les aménagements en pierre sèche. Sur notre gauche, le long du ruisseau le Salindre que nous avons traversé sur un vieux pont, on voit l’emplacement d’anciens jardins, dans plusieurs desquels se trouve encore la manlève, sorte de balancier qui servait à puiser l’eau d’arrosage. M. Rouvière nous fait remarquer que du côté du chemin ces jardins étaient protégés par des murs dans lesquels ne s’ouvrait qu’une seule petite porte, ceci bien sûr pour les mettre à l’abri de l’appétit des animaux.
À l’angle d’une belle maison, bien bâtie, on observe la présence de « pierres d’accroche » dépassant du mur, destinées à faciliter une poursuite éventuelle de la construction.

manlève

Une manlève

rampe en fer forgé à motif de lyre

Un peu plus loin, dans le hameau, nous remarquons une première maison bien restaurée, puis une autre, très vaste, en cours de remise en état. Un énorme et très beau travail qu’ont entrepris là avec courage les propriétaires… Se rendant compte de l’intérêt que nous y portions, ainsi que des connaissances de Michel Rouvière en architecture rurale, ils nous invitèrent aimablement à visiter leur chantier. Nous avons remarqué notamment un ancien escalier formé de dalles de pierre fichées dans le mur, ainsi que, sous la terrasse, une belle voûte d’arêtes couvrant un abri qui était peut-être destiné aux charrettes ou aux bêtes de somme. La rampe en fer forgé de cette terrasse comporte un très beau décor en forme de lyre, motif autrefois courant en France, paraît-il.

monument st Genest

Monument à saint Genest

Nous nous dirigeons ensuite vers Saint-Genest-de-Bauzon. Cette commune comporte deux hameaux principaux, Le Suel et Le Cros, distants de plusieurs kilomètres. Au xixe siècle, lorsqu’il fut décidé de construire une nouvelle église, les habitants des deux villages ne purent se mettre d’accord sur son emplacement et l’on en entreprit donc deux, l’une au Suel et l’autre au Cros. Cette dernière fut plus rapidement terminée et celle du Suel fut en définitive abandonnée en cours de construction. C’est ainsi qu’à notre surprise, nous découvrons dans ce hameau un édifice de style roman, d’assez belle allure, mais auquel manque la couverture.

Poursuivant notre route à travers bois, nous remarquons au passage quelques faïsses bien entretenues plantées d’oliviers, puis à un carrefour une croix de pierre portant un Christ sculpté de style naïf et nous arrivons au Cros. L’église, de style néo-roman elle aussi, ne présente pas grand intérêt, en revanche nous nous attardons devant le curieux monument élevé en 1857 en l’honneur de saint Genest. Nous nous y intéressons d’autant plus qu’il fut restauré en 1995 grâce au concours de la Sauvegarde. Une petite affiche le rappelle d’ailleurs et reprend le texte d’une lettre que M. Rouvière avait adressée au maire de Saint-Genest pour lui confirmer tout l’intérêt que présentait cet édifice.

Saint Genest (Genesius ou Genès, devenu aussi Gineys) était un martyr arlésien du ve siècle (cf. Beaujard Brigitte, Le culte des Saints en Gaule, Les Éditions du Cerf, 2000). Comment son culte s'est-il étendu en Vivarais, où nous avons aussi les communes de Saint-Genest-Lachamp et Saint-Gineys-en-Coiron ?

 Voici le texte de cette lettre, ainsi qu'un dessin à la plume de ce monument, dû également à Michel Rouvière.

L'église inachevée du Suel

L'église inachevée du Suel

Faïsses entre le Suel et le Cros

Faïsses entre le Suel et le Cros

Archéologie agraire sur les grads des Assions

Le programme de l’après-midi était destiné à nous faire découvrir comment, au prix d'efforts incroyables, les paysans du XIXe et du début du XXe siècle ont pu tirer leur subsistance d'un terroir particulièrement ingrat.
  Revenant sur la D 104A que nous suivons en direction des Vans, nous prenons bientôt sur notre gauche la route de Casteljau (D 452) qui, rapidement, conduit sur le plateau. Une première halte au cours de la montée nous permet d’observer un vaste panorama dans lequel nous reconnaissons notamment le château et le pont de Chambonas, ainsi que la chapelle Sainte-Apollonie au sommet de sa colline. Nous nous arrêtons ensuite au niveau de la stèle à l'abbé Froment près de laquelle une cabane en pierre sèche a été parfaitement restaurée par les soins du Syndicat intercommunal de développement économique et touristique des Vans, dans le strict respect de la construction d’origine. Michel Rouvière nous fait remarquer que, pour une fois, la couverture de cette cabane n'est pas en encorbellement ; les lauzes de calcaire sont posées sur une charpente en bois de cade ; le linteau de la porte est aussi un tronc de cade, bois choisi pour sa résistance et surtout son imputrescibilité. Tout autour de la cabane, le rocher affleure, bien que d'énormes pierriers témoignent du travail de dérochement qui a été accompli. Mais il était impossible d'enlever toute la roche, il y en avait trop... On dégageait donc quelques bandes de terre dans les veines du rocher et on arrivait à y planter quelques pieds de vigne, peut-être un peu de céréales.
C’est en ce lieu paisible que nous choisissons de faire notre halte-repas.

cabane en pierre sèche

Cabane couverte de lauzes de calcaire

Stèle à l'abbé Froment

Stèle à l'abbé Froment sur laquelle est gravé un de ses poèmes en occitan

L'abbé Jules Froment (1918 - 1977)

Originaire des Assions, Jules Froment est ordonné prêtre en décembre 1944..Après l'obtention d'une licence de lettres classiques à Lyon, il refuse une chaire de grec aux facultés catholiques de cette ville, par attachement à son Ardèche natale, et vient enseigner au petit séminaire d'Annonay puis à celui d'Aubenas. En 1966, il devient professeur à l'Intercollège catholique d'Aubenas qui ouvre cette année-là où il enseigne le français, le latin, le grec et l'occitan. En 1970, il devient directeur des études dans cette même école.
Amoureux de la langue occitane, il fonde les Soirées occitanes des Vans. Membre de l'Institut des Études Occitanes, il écrit des poèmes et des nouvelles dans cette langue, publiés à titre posthume par la Faraça en 1980 sous le titre de Aigafòrt. Il décède le 26 août 1977 après une brève maladie. 

Puis nous nous rendons un peu plus loin, au départ du « circuit des capitelles », très bien indiqué et jalonné, toujours par les soins du Syndicat des Vans.
Nous observons d’abord un bel ensemble de faïsses. Michel Rouvière nous fait remarquer qu'ici ce n'est pas la pente, qui est très faible, qui a imposé leur construction, mais elles sont le résultat du dérochement et servent au stockage des pierres.

faïsses

Faïsses

mur d'épierrement

Mur d'épierrement

Puis voici d'immenses murs en pierre sèche parfaitement appareillés, de plusieurs dizaines de mètres de longueur sur au moins deux mètres de largeur, eux aussi destinés à stocker les blocs de rocher arrachés au sol, tout en occupant le moins de place possible. On remarque en particulier un mur à double parement, ainsi qu’une tour de stockage. M. Rouvière nous indique que des aménagements analogues existent en Inde, au Népal, en Italie…

mur d'épierrement

Mur d'épierrement

mur d'épierrement

Un mur d'épierrement particulièrement soigné, dit « casse-pattes »
(Les pierres placées de chant étaient destinées à empêcher les animaux de le franchir)

cabane

Cabane (ou capitelle) avec voûte en encorbellement

intérieur cabane

Voûte en encorbellement vue de l'intérieur

Intérieur d'une cabane avec ouverture de la citerne

Cette capitelle est bâtie au-dessus de sa citerne dont on voit l'ouverture

Nous voyons des capitelles, très soigneusement construites, avec la voûte en encorbellement classique. Il fallait disposer d'eau au voisinage de ces cabanes, en particulier pour le traitement de la vigne, d'où en général l'existence d'une citerne et l'aménagement d'un impluvium près d'elles. L'une de celles que nous avons vues présente la particularité d'être construite sur sa citerne ; l'ouverture pour le puisage de l'eau se trouve à l'intérieur et on y voit encore des traces de sulfate de cuivre.

Michel Rouvière considère que le terroir de Champaures (anciennement Champfouras) est un des sites les plus remarquables en ce qui concerne le travail de conquête des hommes sur le rocher. Il est très proche d’un autre, Champredon, qui a fait l’objet d’un travail similaire réalisé par le même paysan bâtisseur.
(ROUVIÈRE Michel, « L'enclos en pierre sèche d'Auguste Arnal sur le Gras des Assions », L'architecture vernaculaire, tome XXI (1997), p. 35-42).
Ce travail de mise en cultures est d'abord matérialisé par de nombreux ouvrages en pierre sèche, mais aussi par différentes espèces végétales qui perdurent tant bien que mal. Elles sont là pour confirmer les cultures pratiquées il y a seulement quelques décennies, c'est le cas pour quelques parcelles de vignes. On y trouve encore des mûriers, des amandiers et de rares oliviers.

capitelle et mur d'épierrement

Sur ce plateau, d’accès facile, la densité et la qualité des différents ouvrages et aménagements en pierre sèche mériteraient largement un classement d’ensemble, au titre du patrimoine rural. Le travail de restauration effectué récemment par le Syndicat intercommunal de développement économique et touristique des Vans doit être poursuivi dans la logique de ce qui a été réalisé sur la cabane située à l’entrée du circuit.

Visite organisée par la Sauvegarde à l'occasion de la Journée du Patrimoine de Pays, juin 2004