Pressoir entièrement en bois photographié en fonctionnement à Gluiras en 1935. |
La journée du 12 juin pouvait évoquer les titres de
certains ouvrages du Dr Francus proposant un « voyage à pied, à bateau, en voiture et à cheval ». Ne
souhaitant pas rivaliser avec celui qui reste l'historien par
excellence de l'Ardèche, nous
nous sommes contentés de
mettre à profit une matinée en
voiture et un après-midi à pied.
Château de Versas |
Four à pain à Rochepierre (Cliché B. Nougier) |
Ainsi défilèrent, à une allure raisonnable, des hameaux, des monuments isolés, des espaces paysagers, donnant l'occasion de quelques informations : les moulins et moulinages accédant à un nouveau destin, la confluence de la Ligne et du Roubreau créant une croisée de communication, l'histoire abrégée de la commune de Montréal et de ses châteaux, les étendues sévèrement dépouillées de pins, les rochers altérés de Peyrepouride, la sculpture démoniaque qui veut conter la légende de la tour de Brison, l'entrée sur la commune de Sanilhac dont le nom rappellerait le domaine du gaulois romanisé Senilios, la vision enchanteresse du hameau du Fayet, la halte auprès d'un premier fouloir rupestre (cf. « Fouloir et pressoir »), l'approche de Rochepierre présentant ses fours à pain et ses fontaines joliment bâtis, aussi ses aménagements pour un tourisme diffus, une autre station auprès d'un plioir rupestre que la langue occitane nomme pléjador et prononce « plédjadou » (cf. « Plioir »), toujours plus loin sur les routes humbles et sinueuses l'apparition de la demeure somptueuse du château de Versas et de son colombier, une salutation hâtive à l'ancienne école de Plan-la-Tour et à la maison du maréchal-ferrant, une pensée à l'égard de Léo Ferré qui chercha un hébergement discret à Cubagnac, un arrêt obligé devant le monument des fusillés (cf. « Monument des fusillés »), la découverte au pas du géologue et de l'archéologue du site des Baumasses (cf. « Les Baumasses »), enfin, bifurquant à la hauteur de la Chapelette, l'arrêt définitif des voitures au village de Sanilhac.
Après le repas dans la salle polyvalente qui témoignait de l'accueil de la municipalité représentée parmi nous par Mme Marie-Hélène Balazuc, a été organisée la visite des édifices ecclésiaux qui se sont superposés au même lieu (cf. « Église »). Puis la marche pédestre a emprunté d'anciennes calades, remplacées parfois par des chemins goudronnés et des chemins de terre qui allaient déboucher sur le domaine de l'Eau Vive, notre point de départ. Le trajet de 3 km nous a permis de saluer de loin la maison seigneuriale du Haut-Laval, de traverser le hameau du Fez, surtout d'accoster sportivement, à Féreyre, le rocher gravé nommant l'implacable phylloxéra (cf. « Adrien Vaschalde ») et d'approcher sans difficulté cinq autres fouloirs rupestres. En résumé, une promenade placée sous le signe du vernaculaire mais désignant aussi les aspects variés d'une commune.
Le circuit effectué sur les hauteurs de Largentière et sur la
commune de Sanilhac a permis aux participants
d'observer dans des bancs de rocher en place des bassins
et des traces de taille. À partir de l'observation et des
recherches effectuées on peut définir une typologie :
ouvrages rupestres à fonctions agricoles. Pour la plupart
ils sont incomplets, les parties en bois ayant disparu.
À partir des convergences techniques et des pratiques
connues par ailleurs dans des pays divers, des fonctions
liées à la viticulture sont à prendre en compte.
Les différents bassins sont taillés dans le grès sur
l'ensemble des sites visités, c'est d'ailleurs une remarque
générale dans la région. Le premier observé est à
proximité du hameau du Fayet.
Maies à Féreyres et aux Baumasses - Remarquer l'inclinaison de la première (Clichés B. Nougier)
Il s'agit d'un bassin de faible profondeur, ce qui est
habituel et permet d'office d'éliminer une fonction
possible de cuve à vinifier. Par contre, la fonction de maie
de fouloir est probable.
La majorité des maies inventoriées dans la région sont de
formes similaires et pour la majorité de faibles
profondeurs. Ces maies sont parfois fort inclinées de
manière à conduire le liquide vers un bec verseur. Sur le
fond de la première maie observée, à proximité du hameau
du Fayet, on note la présence d'une marelle gravée (quand
j'étais enfant c'était le jeu de « teyre », il s'agit là d'un motif
universel !).
Marelle gravée dans une maie (Cliché M. Rouvière) |
Dessin M. Rouvière |
La maie peut servir de fouloir, avec foulage des raisins avec
les pieds, cette pratique était encore en usage vers 1945,
mais le foulage se faisait directement dans une cuve
verticale ; à la même époque pour les petites quantités, on écrasait les raisins dans une « cornue » ou « comporte »
avec des pilons de bois : les « pestels ». Provenant de
l'antiquité et du Moyen-Âge, de nombreuses
représentations permettent de s'y référer. Une gravure
médiévale nous donne une preuve de double fonction
possible dans une seule maie, on y voit deux vignerons
foulant avec les pieds et activant un pressoir à vis.
D'autre part, dans une maie de pierre il est possible de
poser un pressoir de bois, ces pressoirs sont soit à vis
simple ou double, nous prendrons comme preuve celui
que j'ai photographié en Grèce et celui sur une photo, en
Turquie, dans la revue « Ça m'intéresse ». Pour affirmer ces
pratiques en Ardèche, une photo prise à Gluiras en 1935.
Autre pratique, ces pressoirs à vis connus depuis
l'Antiquité sont démontables et peuvent être déplacés
d'une maie à l'autre. On peut les rapprocher de pressoirs
modernes à roues qui servaient à plusieurs vignerons.
Un autre type de pressoir a été inventorié, de type antique,
dit de Caton, des traces d'encastrements contigus à une
maie à Lachapelle-sous-Aubenas et d'autres aux Baumasses à Sanilhac, nous permettent d'avancer cette typologie.
Nous avons des informations qui prouvent l'expansion de
ce type dès l'Antiquité. Concernant l'Ardèche, reste à
prouver la présence de pressoirs dans les sites où l'on a
trouvé des contrepoids dits de pressoirs ou pierres
quadrilobées.
Si l'on considère l'usage de maie et d'autres parties en bois
périssable, la seule présence de contrepoids de pierre
s'explique.
En prolongeant le circuit, après le hameau de Rochepierre,
une halte à Fontaines nous permet d'admirer, outre une
croix, une aire dallée naturelle et un bloc de pierre
vertical qui porte une entaille, à première vue énigmatique, mais qui correspond à une fonction qui
consistait à donner la forme aux cercles en bois destinés
aux tonneaux : il s'agit, localement des pléjador de pléja :
plier, prononcer : « plédjadou ». Pour faire ces cercles étaient utilisés principalement les rejets de châtaignier ou
de micocoulier en zone calcaire.
Suite à ses prospections dans l'Ardèche méridionale, Roger
Meucci a dénombré sur 15 communes 30 plioirs, dont 6
sur la seule commune de Payzac.
Pléjador (Plioir lithique) (Cliché M. Rouvière) |
Dessin Roger Meucci |
L'utilisation d'éléments lithiques de formes similaires est
courante dans les pratiques traditionnelles. C'est le cas de
pieux pour la vigne, les pierres limites et autres bornes.
Il s'agit bien là d'ouvrages simples, solides qui témoignent
de pratiques rurales basées sur la fonction et l'économie
de moyens, une constante dans le cadre de
l'archéologie agraire.
On ne peut qu'encourager à
respecter et à protéger tous ces
ouvrages, tout en éliminant les
interprétations fantaisistes.
Nous avions entrepris ces
inventaires en commun avec
Roger Meucci, il est juste de
rappeler le souvenir de ce
naturaliste remarquable.
comme celle gravée dans le fond
de la maie au Fayet, à Sanilhac, « Petite marelle » ou « marelle simple ».
Au xiiie siècle, « merelle » ou « tremerel », à deux ou trois
joueurs.
Marelle présente sur le toit du temple de Kuma, à Thèbes,
1 400 ans avant J.-C.
Dans la vallée des Merveilles, et en Haute-Maurienne
parmi une multitude de gravures, plus de 100 représentent
une marelle ! Dans les rochers de Fontainebleau, 106 !
Dans le monde on connait plus de 40 noms pour les
désigner !
Dix noms s'inscrivent sur le monument qui fait mémoire
des représailles nazies cherchant à juguler les mouvements
de Résistance. Parmi ces noms, celui d'une femme,
Albertine Maurin, brodeuse-modiste à Bourg-Saint-Andéol,
qui effectuait des liaisons au profit de réseaux clandestins.
Ils ont été assassinés au lieu même, le 21 avril 1944, en fin
de matinée. Le dimanche précédent, exactement le 16
avril, des soldats allemands et des miliciens avaient
cherché à assaillir un groupe de résistants de l'Armée
secrète installés au château Renaissance de Brison, mais
ces derniers avaient précautionneusement évacué ces
lieux ; ils surprirent un détachement des Francs-tireurs et
partisans français, installés la veille, mais qui sut s'extraire
de l'encerclement programmé et qui forma aussitôt le
dessein d'une embuscade. La troupe allemande, repartant
avec un prisonnier, cultivateur propriétaire du château, fut
attaquée et perdit cinq hommes. La riposte fut rapidement
organisée : le vendredi suivant, dix
otages emprisonnés à Viviers et à Bourg-Saint-Andéol étaient
rassemblés, conduits à Sanilhac
et exécutés. Cette tragédie,
amplifiée par les incendies de
maisons et les menaces de
mort sur la population locale,
a extrêmement marqué la
mémoire villageoise. Sylvain
Villard rapporte ces évènements avec détails dans
son ouvrage paru en 2013 : « En
Ardèche sous l'Occupation », livre 2, p.
55- 96.
Le nom occitan avec son suffixe augmentatif dit l'étonnement que le lieu provoque : grottes monumentales, du moins impressionnantes. Le site a reçu d'autres noms, localement celui de Baumes des Fachineyres, fées maléfiques, ou celui de Temple du Soleil donné par Jean de Laurencie, prospecteur infatigable de sites qu'il suppose celtiques. Le lieu, en effet, est insolite et peut interroger les géologues et les historiens attentifs aux modes d'habitat et aux monuments révélateurs d'une économie rurale. Le lieu est formé d'un ample plateau gréseux d'où émergent des protubérances étranges mettant l'esprit en goguette et qui s'achève par un abrupt dessinant un large fer à cheval. En fréquentant le bas de la falaise, trois grottes se découvrent, d'ampleur différente, toutes aménagées. Des ouvertures de défense, des trous de boulin, des feuillures, des évidements pour le rangement rappellent des longs temps de résidence. Et, à proximité, se remarquent un pressoir rupestre, également un fouloir rupestre ou du moins un lieu aménagé pour le stockage et d'autres rochers creusés pour servir de réceptacles de liquides. Roger Meucci avait remarqué aussi un ensemble de trous sur une surface tabulaire pouvant suggérer l'installation d'un bâti en bois. Tout invite, ici, à des recherches patientes et tout suscite aussi l'effervescence de l'imagination.
Les Baumasses (Clichés M. Rouvière)
Plan de l'église |
Il faudrait dire : les églises, car trois édifices se sont
succédé sur le même emplacement. Au Moyen-Âge, deux
lieux de culte existaient sur l'étendue de Sanilhac : celui
de Saint-Pierre de Malet dans la vallée de la Beaume, à mi-pente
sous le château de Brison, et, à l'est, sur des
déclivités moins fortes, celui de Saint-Bardulphe, dont le
vocable en occitan est Saint-Bardoux et en langue
populaire Saint-Bourdon. Cette église-ci, primitive, se
découvre amoindrie, car elle n'a conservé qu'une partie de
ses murs goutterots avec des arcades en plein cintre
décorant et confortant les surfaces murales ; tout reste étroit, trapu, sans grande élévation, mais un fragment
d'imposte demeure, formé d'un bandeau simple encadré
de moulures toriques, telles qu'on peut en voir dans des
cryptes du centre de la France pour former des cartouches.
Cette première église va recevoir sur ses voûtes une
construction des xiie-xiiie siècles. Il est possible encore de
voir le mur sud de cette deuxième église dont on a
conservé les élégants voussoirs de la porte romane
enveloppés d'une archivolte. C'est cette église, désormais
officiellement église de Sanilhac, qui est visitée en 1501
par Jean Bertrand, mandaté par le curé de Largentière ; il
dénombre cinq autels dont l'un dédié à saint Bardulphe.
Les guerres religieuses vont ruiner l'édifice en 1565. Il
sera reconstruit vers 1625, surélevé sur les ruines
accumulées, mais toujours en disposant le chœur sur
l'église originelle. Ce troisième édifice voué au culte
catholique souffrira lors de la période révolutionnaire,
puis sera agrandi en 1824 pour former le transept et le
chœur actuels et pour y adjoindre une sacristie. L'église de
Sanilhac recevra encore, au xixe et début xxe siècle, une
façade embellie, une tribune, un clocher
avec sa flèche. Elle est gardienne d'un lieu
choisi, il y a dix siècles, pour célébrer
l'espérance chrétienne. (cf. le plan des
trois constructions réalisé par J. Pical).
Adrien Vaschalde a gravé ses initiales et
l'intégralité de son nom sur le pan d'une
paroi de grès protégée par un auvent naturel. Trois mentions chronologiques,
de 10 ans en 10 ans, confèrent à ce lieu le
caractère d'un refuge, voire d'un ermitage,
là où la roche accueille les confidences.
L'auteur, Jean Adrien Vaschalde, est né en
1839 au Bas-Laval. Sa signature sur les
registres paroissiaux est toujours assurée
et élude le prénom de Jean. Brièvement,
mentionnons son mariage en 1880, la
naissance de deux filles, Adrienne Marie
morte à un an, et Marie Adrienne qui ne laissera pas de
descendance. Lui-même décède en 1913. Comme la
plupart des habitants de Sanilhac, il est cultivateur et éleveur. Son travail a de multiples facettes : il est berger,
viticulteur, éducateur de vers à soie, arboriculteur
disposant surtout de châtaigniers. Le rocher qui portera
son témoignage s'inclut sur une surface de 7 000 mètres
carrés dont il est propriétaire. À 26 ans, il grave, comme
des écoliers pouvaient le faire sur un coin de leur cahier
de classe : 1865 J M J. La mention de Jésus, Marie, Joseph
est sommée par une croix latine ancrée dans un socle. Plus
tard, ses initiales apparaissent au bas de la falaise : A. Vde
1875. Enfin un ample texte va recouvrir plus de la moitié
de ce tableau mural :
« de 1875 à 1885 destruction totale
de nos vignes par le philoxaera. on plante des ceps
américains. Adr. Vaschalde. 1885 »
Texte gravé par Adrien Vaschalde (Cliché B. Nougier) |
La signature est
soulignée par un double trait qui se déploie largement.
L'intimité de l'espace, les signes d'une fréquentation
coutumière, la mention d'un désastre viticole alors que
l'on sait qu'en la même période les châtaigniers sont
victimes de l'encre, que
les vers à soie sont
atteints par la pébrine,
que les porcs sont
décimés par une fièvre
maligne, tout donne de la
gravité à ce lieu qui
témoigne du désarroi de
l'agriculteur cévenol. Et
pourtant le message
s'achève par un cri
d'espoir, clamant que le
malheur aura une fin : des
plants étrangers résistent
au phylloxéra. Au cœur de
la tourmente, la confiance
du paysan tient aussi
ferme que le minéral qu'il
burine.
À 50 mètres environ de ce mémorial, l'inattendu est là
encore : une maison, totalement isolée, est plantée au
flanc de la colline, trouvant une assise sur le roc et
présentant des murs et une voûte savamment construits en
pierres de taille. Aux abords, il y a un abri pour les
animaux, il y a un vaste bassin soigneusement ciselé pour
recueillir l'eau et la restituer, il y a des faysses établies
alentour. Ce qui déconcerte encore ce sont les noms et les
dates placées sur les linteaux de deux portes :
1685 .
FRANCOIS . ANDRÉ . ME . FIT. BASTIR et . FRANCOI? .
ANDRE . (sur une ligne inférieure) . 1685 .
Dates et noms
interrogent. On ne peut s'empêcher de se rappeler que
Sanilhac fut au xvie siècle un village protestant sous
l'autorité de trois lignées seigneuriales protestantes. Est-ce
qu'une famille André, qui marqua son lien avec la
communauté réformée jusqu'au xixe siècle, ne chercha-telle
pas à disposer d'une habitation, volontairement à
l'écart, pour organiser d'éventuels rassemblements
clandestins, alors que Louis XIV, en 1685, interdisait
désormais toute réunion publique de membres de la
R.P.R., la Religion Prétendument Réformée. Mais une
enquête généalogique déroute. Celle-ci connaît un
François André, vivant à
cette époque avec des
alliances notariales et
chef de famille
nombreuse : marié peu
avant 1653 et décédé
après 1698, il est le
père de six enfants dont
le dernier, baptisé le 25
décembre 1663, reçoit
le prénom de Noël.
Noël André deviendra
prêtre en 1688, recevra
le surnom de Blachère
en souvenir de la
branche paternelle
attachée au mas de
Blachère, et laissera à
Saint-Andéol-de-Fourchades, dont il fut curé de 1695 à
1741, un renom de sainteté qui perdure ; il est possible
encore, en effet, dans le sous-sol du presbytère, de boire
ou de se laver les yeux à la source du curé Noël André
Blachère qui savait reconnaître les vertus des plantes et
des eaux. Ainsi des inscriptions sur une bâtisse égarée
dans le fouillis des rochers et des arbres deviennent des
questions qui n'obtiennent pas d'emblée des réponses
certaines ; elles invitent sûrement à un défrichement
d'archives plus long et plus patient que celui qui a été
effectué, pourtant exigeant, pour rendre accessibles des
fouloirs et des messages gravés hors des taillis et des
ronciers.
Père Bernard Nougier
Michel Rouvière pour « Fouloirs et pressoirs » et pour « Plioir »