À 2 km environ au nord du village de Saint-Cirgues, le site castral des Éperviers domine de 200 mètres le confluent des vallées de la Loire et du Vernason, occupé de nos jours par l’extrémité du lac de barrage de Lapalisse. Un autre site castral se trouve à environ 2 km au nord-ouest de celui-ci, celui de Châteauvieux. Pierre-Yves Laffont nous indique que les ruines d'une construction y étaient encore visibles avant 1920, date où fut édifiée la chapelle qui occupe actuellement l'extrémité nord du site. Bien que la documentation médiévale soit muette sur le sujet, il estime que la toponymie ainsi que la topographie des lieux invitent à voir là un château fondé au xe ou xie siècle et abandonné peu après, sans doute au profit de celui des Éperviers.
Vestiges de l'abside de la chapelle Saint-Jean-Baptiste des Éperviers |
Selon Laurent Haond (« Chemins et lieux fortifiés de la Montagne ardéchoise au Moyen Âge », Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, Cahier 50, 1996), la famille des Éperviers ne semble
apparaître que tardivement dans les actes, en 1164
précisément, dans une charte par laquelle le vicomte de
Polignac donne à l'abbé de Mazan ses possessions
d'Issanlas. P.-Y. Laffont (cf. sources) cite quelques autres documents
s'échelonnant entre 1210 et 1382.
Le château des Éperviers était chef-lieu de mandement et
son domaine était étendu, formé de terres et surtout de
forêts ; il comprenait notamment la presque totalité de la
forêt de Bauzon. Mais il était entouré de fiefs beaucoup
plus importants, ceux des Polignac-Montlaur d'une part,
des Géorand de l'autre.
Il s'agissait en fait d'un petit lignage mais qui, au milieu du
xiiie siècle, réussit un beau mariage avec une héritière de
la puissante famille des Balazuc.
Certains auteurs parlent d'un incendie qui, en 1223, aurait
détruit le château, épargnant seulement la chapelle. Mais
il semble que cet évènement ne soit pas avéré et reste
hypothétique.
Le château ne fut pratiquement plus habité à partir de
1314, date de la mort de Guillaume des Éperviers. Ses
successeurs laissèrent à des régisseurs l'administration de
leur domaine. Et dès lors le château commença à tomber
en ruines.
Au xvie siècle, l'une des descendantes de la famille des
Éperviers, Jacqueline du Mas, veuve de Gilbert de Lévis,
comte de Ventadour, s'était éprise du fief de ses ancêtres et
aimait venir y passer l'été, non dans la vieille forteresse,
mais à Saint-Cirgues même où elle fit édifier, sur le Breuil,
son très confortable hôtel « du château », avec vastes salles
de réception et écurie.
Il ne reste de nos jours aucune trace du château. Une
ferme fut construite ultérieurement sur le site. Elle fut
pillée en 1944 par une troupe allemande qui était montée
aux Éperviers en pensant y trouver des maquisards. À l’état
de ruine, elle a cédé la place récemment à un gîte
d’étape.
Mais il subsiste le mur semi-circulaire de l’abside de la
chapelle castrale percé de deux fenêtres à large
ébrasement intérieur, typiquement romanes.
Contrairement à ce qui a été souvent écrit, l'église de
Saint-Cirgues-en-Montagne n'était pas une possession de
l'abbaye Saint-Chaffre du Monastier, mais du monastère de
Goudet, qui était lui-même un prieuré de l'abbaye
bénédictine Saint-Philibert de Tournus.
En effet, un acte du pape Calixte II de 1119 confirme
plusieurs possessions du monastère de Goudet, dont trois
en Vivarais1 :
- Saint-Martin de Coucouron
- Chapelle Saint-Philibert (commune de Lanarce, disparue)
- Saint-Cirgues.
Pour Saint-Cirgues, la confusion entre Saint-Chaffre du
Monastier et Goudet vient du fait que dans la bulle du pape
Alexandre III de 1179 qui confirme les possessions de Saint-
Chaffre, figure aussi une église Saint-Cirgues. Mais il est
maintenant bien établi qu'il s'agit de l’église de Saint-Cirgues
de Prades et non de celle de Saint-Cirgues-en-Montagne.
1- Cartron (Isabelle), Les pérégrinations de Saint-Phlibert, Presses universitaires de Rennes, 2009.
L'abside à base semi-circulaire est la seule partie romane de l'édifice visible de l'extérieur. C'est une large et belle construction en pierres volcaniques rouge sombre bien appareillées dont la corniche est ornée d'un ensemble de modillons sculptés de motifs divers : un masque humain qui semble féminin, peut-être la Vierge, deux têtes accolées, à la manière du Janus latin, des têtes d’animaux (veau, bélier...), un « dévorant », un personnage accroupi...
Quelques-uns des modillons de l'abside |
Cette abside est percée dans l'axe d'une fenêtre très
étroite, en forme de meurtrière. Une deuxième au sud-est,
qui devait être identique, a été éventrée pour y placer
un vitrail.
Les murs latéraux, correspondant
aux bas-côtés ajoutés au XIXe
siècle, n’ont aucun caractère. La
façade occidentale se présente
comme un mur nu qui se
prolonge par le clocher percé de
trois arcades, pourvues chacune
d’une cloche. Sur cette façade
s’ouvre un portail de style ogival.
Un décapage effectué en 1966 a
révélé le bel appareil de gros
granit dans lequel sont
construites la nef et l'abside. La
nef comporte trois travées
couvertes d'un berceau très
légèrement brisé, plus une courte
travée de chœur en plein cintre.
L'abside, dont on a vu le
parement extérieur en pierre
volcanique, apparaît à l'intérieur
formée du même appareil de granit que la nef.
Elle est voûtée en cul-de-four. La fenêtre axiale, très
étroite à l'extérieur, est ici très largement ébrasée.
Pratiquement aussi large que haute, nous sommes en présence d'une construction massive, trapue, bien
caractéristique des églises du Plateau, telle que nous en
avons déjà vues, par exemple à Lachapelle-Graillouse.
À cette construction primitive se sont d'abord ajoutées,
vers le xve ou le xvie siècle, deux chapelles voûtées
d'ogives. La première, du côté nord, s'ouvre sur le
chœur ; ses belle nervures reposent sur des culs-de-lampe
en forme d'écusson, tandis qu'à la clef de voûte, un autre écu porte une marque dont on ignore la signification.
Cette chapelle est dédiée à saint Jean-Baptiste, comme
l'était celle du château des Éperviers. Sans doute a-t-elle
remplacé celle-ci lors de l'abandon du château par ses
habitants.
Une deuxième chapelle de même style et sans doute à peu
près de la même époque s'ouvre au sud sur la nef.
Vitrail représentant |
Mais c'est au xixe siècle que l'église a connu ses plus
importantes transformations car, sa capacité d'accueil
s'avérant alors insuffisante, on l'a agrandie par adjonction
de deux bas-côtés et on fit communiquer ceux-ci avec la
nef en éventrant les murs latéraux sous les arcs de
décharge. Mais, alors que cette opération dont nous
connaissons bien d’autres exemples fut généralement
sans conséquence sur la solidité de l’édifice, on dut ici
doubler les arcs d’origine par d’autres en béton. Du point
de vue esthétique, le résultat est assez désastreux.
L'agrandissement a porté aussi sur la longueur de
l'édifice, puisque le père Jouffre, qui fut longtemps curé
de Saint-Cirgues et de Mazan et qui a étudié l'histoire de
cette église, nous indique que la façade occidentale a été
repoussée en 1847.
Côté nord, les fenêtres, placées en contre-bas de la route,
sont garnies, non pas de vitraux classiques, mais de dalles
de verre noyées dans du béton afin de résister aux
trépidations. Un seul, celui de la fenêtre sud-orientale de
l'abside, est figuratif ; il représente saint Benoît, pour
rappeler que l'église dépendait autrefois d'un prieuré
bénédictin. L’ensemble est l’œuvre de Louis-René Petit,
artiste qui créa aussi ceux de l’église de Mazan ; comme
ces derniers, ils ont été réalisés par l'atelier de l'abbaye de
Saint-Benoît-sur-Loire.
On peut encore admirer dans l'église un très beau Christ
en bois, œuvre d'un artiste anonyme du xixe siècle.
P.Bousquet
Sur une maison, en face de l’église de Saint-Cirgues, est apposée une plaque portant l’inscription :
« L’abbé J.-B. A. Tauleigne est né dans cette maison en 1870, est mort à Pontigny (Yonne) en 1926 »
C’est succinct...
Nous avons choisi l’occasion de notre visite à Saint-Cirgues pour évoquer plus en détail la vie et l’œuvre de cet Ardéchois trop peu connu.
Jean-Baptiste Auguste Tauleigne naît le 7 avril 1870 au sein d'une famille modeste de Saint-Cirgues-en-Montagne puisque c'est le fils d'un tisserand dont il sera le quatrième des sept enfants. C'est une famille pieuse, puisque deux de ses sœurs entreront aussi en religion.
Distingué par le vicaire de Saint-Cirgues pour sa vivacité
d'esprit, il est dirigé vers le petit séminaire d'Aubenas, puis
est admis en 1889 au grand séminaire de Viviers.
Durant son séjour au séminaire, il est appelé sous les
drapeaux en 1891, mais réformé cinq mois plus tard pour
déficience visuelle.
Pensant tout naturellement réintégrer le séminaire, il a la
désagréable surprise de se voir invité par le Supérieur à
aller poursuivre ses études ailleurs... L'indépendance
d'esprit dont il a fait preuve durant son séjour n'ont en
effet pas été du goût de tout le monde.
Désemparé, il revient à Saint-Cirgues, puis se trouve
quelques emplois précaires de répétiteur et de surveillant,
notamment dans un collège de Nîmes dont le supérieur,
remarquant son intérêt et son aptitude pour la physique,
lui confie un enseignement de sciences.
Dès cette époque, il publie plusieurs articles sur les
phénomènes électriques et magnétiques dans une revue
scientifique éditée par la Bonne Presse de l'abbé Moigno et
c'est sa chance de se faire ainsi remarquer par le cardinal
Bourret, évêque de Rodez, originaire de Saint-Étienne-de-Lugdarès. Celui-ci intervient pour lui permettre de
reprendre ses études théologiques et c'est ainsi qu'il
intègre en 1896 le grand séminaire de Sens, dans l'Yonne.
Deux ans plus tard, il y termine ses études et, pour son
plus grand bonheur, on lui confie l'enseignement des
sciences au petit séminaire de Joigny et on lui octroie
même un peu d'argent pour y installer un laboratoire. Mais
en 1905 le séminaire est fermé et l'abbé Tauleigne est
nommé curé de Pontigny, charge qu'il conservera jusqu'à
sa mort en 1926. Il repose au chevet de l'abbatiale, sa
tombe, dit-on, selon son vœu, tournée vers son Ardèche
natale qu'il n'a jamais oubliée, bien qu'il ne pût jamais la revoir.
On reste confondu devant le nombre et la diversité des
domaines qu'il a abordés. Son œuvre est celle d'un
physicien expérimentateur doté d'une imagination
féconde, doublé d'un technicien d'une extraordinaire
habileté. Et aussi, il a su intéresser à ses inventions des
firmes industrielles qui se chargèrent de la réalisation des
appareillages correspondants sous une forme pratique et
quelquefois commercialisable. Ses découvertes firent par
ailleurs l'objet de très nombreux brevets, pris par les
firmes en question.
Il faudrait au moins une heure de conférence pour entrer
un peu dans le détail de ses travaux, que l'on pourra
trouver dans un article très documenté publié dans le
Cahier 95 (15 août 2007) de Mémoire d’Ardèche et Temps
Présent « Savants et Ingénieurs d'Ardèche », sous la
signature de Bernard Quinnez.
(Quinnez (Bernard), « L’abbé Tauleigne (1870-1926) - Curé de Pontigny au service de la science... et de ses ouailles », Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, Cahier 95, 2007.)
Il perfectionne le procédé de photo en couleurs,
découvert en 1869 indépendamment par Louis Ducos de
Hauron et Charles Cros, dit « trichromie par éléments
superposés ». Il s'associe pour cela avec une petite
entreprise parisienne de construction
d'appareils photographiques qui se
réserve la propriété complète du
procédé breveté et en assure la
commercialisation. Avec le propriétaire
de cette entreprise, l'abbé Tauleigne
s'est également intéressé à la projection
stéréoscopique.
Mais le procédé de photographie en
couleurs par éléments superposés est
resté compliqué et onéreux. Le procédé
autochrome mis au point par les frères
Lumière, à la fois simple et bon marché,
commercialisé en 1907, l'a définitivement
supplanté.
En 1913, l'abbé Tauleigne met au point
un dispositif d'enregistrement des
signaux radiotélégraphiques beaucoup
plus performant que tout ce qui existait jusqu'alors,
dispositif qui fut présenté en 1914 à l'Académie des
sciences et aussitôt réalisé industriellement par la société
Ducretet.
Sans entrer dans les détails, signalons que dans les
années 1920, il s'intéresse aussi aux récepteurs de
radiodiffusion.
C'est certainement le domaine dans lequel les réalisations
de l'abbé Tauleigne eurent les applications les plus
importantes.
Réformé lors de son service militaire, il fut déclaré bon
pour le service à la fin de l'année 1914 et affecté comme
infirmier à l'hôpital de Menton où on lui confie le service
de radiographie. C'est là qu'il met au point sans doute
son invention majeure, un dispositif de radiographie
stéréoscopique qui permet de localiser avec précision la
position d'un corps étranger, balle ou éclat d'obus, dans
le corps d'un blessé, facilitant ainsi considérablement le
travail du chirurgien, au plus grand bénéfice du blessé
lui-même.
Une autre réalisation d'importance dans
le même domaine est celle d'une grille
antidiffusante qui, éliminant les rayons X
parasites diffusés par la matière,
améliore considérablement la qualité des
images.
Mais ces travaux sur les rayon X se firent
au détriment de la santé de leur auteur
qui négligeait plus ou moins sciemment
les plus élémentaires mesures de
protection. Il dut être réformé dès 1916
pour dépérissement général,
radiodermite des mains et paralysie d'un
bras. Il reprit sa charge de curé de
Pontigny où il vécut encore dix ans dans
des souffrances de plus en plus épouvantables.
En signe de reconnaissance pour avoir
sacrifié sa vie au service des blessés, l'armée française le
nomma... caporal, mais il n'eut jamais droit à la moindre
décoration. Bernard Quinnez pense « qu'il était peut-être
incongru dans le département de l'Yonne, à cette époque-là, d'agrafer un ruban rouge sur une soutane. »
Mais le plus surprenant, alors que les travaux de l'abbé Tauleigne étaient restés largement méconnus en France, ce fut que les honneurs lui vinrent d'outre-Atlantique puisque en 1923, la prestigieuse fondation Carnegie de Chicago lui attribua une médaille d'argent et un prix de 5 000 francs en tant que bienfaiteur de l'humanité pour ses travaux de radiographie. C'est à ce moment là que la France découvrit l'abbé Tauleigne et que l'on vit, paraît-il, les journalistes se précipiter à Pontigny...
P.Bousquet