Le site de San Samonta |
À l’ouest du village actuel se trouve une gorge sauvage avec
la présence de sources : un endroit idéal pour un anachorète
ou solitaire. La tradition veut qu’au Ve siècle, un pieux
personnage nommé Montanus se soit retiré en ces lieux dans
la prière et la contemplation ; il serait venu du nord de la
Gaule après avoir prédit la naissance de Remi, futur évêque
de Reims.
En Gaule, la première vague importante d’érémitisme eut
lieu aux IVe et Ve siècles ; ces ermites cultivés, issus de familles
nobles, fuyaient un monde corrompu pour suivre la trace des« Pères du désert ». Les distances n’étaient pas un obstacle
et beaucoup de ces pieux personnages venaient de la Gaule
du nord, fuyant ou accompagnant les invasions ; citons en
exemples saint Salvien de Marseille originaire de Trèves, saint
Cassien fondateur de l’abbaye Saint-Victor de Marseille et
saint Honorat fondateur du monastère de Lérins.
Toujours d’après la tradition, Montanus, après être resté
quelques années en ce lieu, aurait rejoint La Fère en Picardie
où il mourut. Y a-t-il eu plusieurs Montan ou bien les pieux
personnages de Picardie, de la région rémoise et du Vivarais
sont-ils une seule et même personne ? La question n’est
toujours pas résolue ; sans preuve incontestable d’une même identité entre le prophète annonciateur de la naissance du
futur évêque de Reims et l’ermite du Vivarais, quelques éléments sont à prendre en considération : la rareté du nom
de Montan (rappelons que c’est la seule commune de France à porter ce nom), la proximité du village de Saint-Remèze,
nommé ainsi en raison de la présence de Montanus dans son
voisinage et de la visite que lui aurait rendu saint Remi
(reconnaissance de l’église de Saint-Remèze, propriété de
l’évêché de Viviers, dans une charte de Charles le Chauve
datée de 877), le sanctuaire et son importance avec la
naissance du village et le pèlerinage qui y sont rattachés.
Montan ne fut pas le seul ermite à venir se retirer et prier sur ce petit territoire ; au xviie siècle, le frère Jean Bruzeau, originaire de Tours, fonda une petite communauté d’ermites sur la montagne de Brieux (aujourd’hui appelée l’ermitage, propriété privée) qui perdura jusqu’à la Révolution ; la communauté compta jusqu’à 21 ermites. Au milieu du xixe siècle, trois ermites logèrent dans le passage situé entre les deux édifices de San Samonta, assurant le service religieux ; en 1841, ils participèrent à l’érection d’un chemin de croix.
La grotte du saint, appelée la Sainte Baume, est située dans la falaise. Dans le bas, le ruisseau du Val Chaud (du latin vallis calida) est également appelé ruisseau de la Sainte-Baume ; l’endroit où sont les constructions se nomme San Samonta. Le toponyme San Samonta provient de l’occitan (dialecte local) et signifie textuellement : « le saint de Saint-Montan » ; Samonta est la contraction de San-Montan (le n s’effaçant devant le m). Les habitants ont toujours fait la différence entre le village (Samonta) et le lieu de vie du saint ermite (lou san) ; ils ont fait de cet endroit leur premier lieu de culte. L’augmentation de la population et la structuration du village ont contribué à faire d’un simple sanctuaire, par constructions successives, le bel édifice roman que nous pouvons admirer encore aujourd’hui, l’église de San Samonta.
Nous sommes en présence d'un édifice au plan complexe, du fait de la succession de plusieurs campagnes de construction et peut-être de changements de projets.
La partie la plus ancienne date très probablement du xie siècle ; c'est une petite chapelle orientée formée d'une très courte nef d'une seule travée voûtée en berceau, terminée par une abside semi-circulaire couverte d'un cul-de-four. Elle était dédiée à saint Jean-Baptiste.
Plan de l'église (R. Saint-Jean, Vivarais roman) |
Façade méridionale |
Au nord de ce premier édifice, on en a ajouté au xiie siècle un second formé également d'une nef unique orientée, mais de dimensions plus importantes. Ces deux constructions parallèles ne sont pas jointives, mais séparées de quelques mètres et reliées par un court espace rectangulaire.
Cadran solaire de chantier |
On remarque les imposants contreforts qui épaulent le mur
méridional de cette deuxième nef, ainsi que la trace de l'ancienne
porte, remplacée dès la deuxième partie du xiie siècle
par une entrée plus monumentale formée d'un élégant portail
protégé par un porche. À
côté de l'entrée de ce dernier, dont l'arc en plein cintre s'orne d'une
double voussure, s'ouvre une petite baie romane. Au-dessous,
on voit, en remploi, deux cadrans solaires de chantier. Ce porche
est voûté en berceau, disposition unique dans la région ;
il
abrite un petit autel votif et l’épitaphe de Willelma, c’est-à-dire Guilhemme, « qui mourut le 3 des nones d’octobre, le jour de saint Apollinaire. »
L'arc du portail, orné d'une
rangée de billettes, s'appuie sur deux pilastres profondément
cannelés dont les tailloirs portent un rinceau de palmettes à gauche, des perles et des oves à droite.
Le portail |
Le porche est voûté en berceau |
Intérieur de la chapelle primitive |
Comme la chapelle primitive, ainsi d'ailleurs que l'espace
intermédiaire, la grande nef est voûtée en berceau ; longue
de trois travées séparées par des arcs doubleaux, elle se
termine à l'est par un mur plat, sans abside, disposition très
rare, certainement dictée ici par l'exiguïté du site.
Celle-ci explique aussi, en partie du moins, la complexité et
la dissymétrie de l'architecture intérieure de cet édifice, mais
on peut penser qu'il y eut aussi des hésitations et des
repentirs dans la tenue du chantier. En effet, les murs nord et sud présentent une structure très différente, de même
d'ailleurs que les pignons est et ouest.
Au nord, de très profonds arcs de décharge établis dans l'épaisseur du mur reposent sur de massifs piliers rectangulaires qui jouent le rôle de contreforts intérieurs, remplaçant les soutènements extérieurs que l'on n'a pas pu élever du fait de la proximité du rocher. Il faut aussi
remarquer que la structure
de ce mur n'est pas la
même pour les trois
travées, avec un arc de
décharge unique pour les
deuxième et troisième
travées, tandis que le mur
de la première travée est
divisé en deux par un
pilastre carré qui reçoit les
retombées de deux arcs.
Le mur sud qui a pu être
pourvu de contreforts
extérieurs présente une structure beaucoup plus légère, élégante et originale, formée d'arcs de décharge jumelés
surmontés d'arcatures triples prenant appui sur des consoles
moulurées.
Le mur du chevet est traité de manière très classique, avec
un unique arc de décharge, mais à l'opposé le pignon
occidental présente deux arcs de décharge inégaux
retombant sur un volumineux pilier à triple ressaut dont on
ne s'explique pas le rôle.
La grande nef - Vue du chevet et du mur méridional |
La grande nef - Vue du mur nord |
On remarquera la sobriété de cette architecture qui ne
comporte aucune sculpture, à l'exception d'un décor de
palmettes sur les impostes de l'arc d'entrée de l'espace
intermédiaire.
Sur la façade occidentale, attenant à l’église, se trouvait le
prieuré primitif dont il reste encore les traces du niveau de
sol de deux portes et du départ de la toiture en lauzes de
pays.
Épitaphe sous le porche |
Trois inscriptions dignes d’intérêt sont gravées dans la pierre.
La première, sous le porche, est une épitaphe2 datée du xiie siècle en l’honneur d’une Guillemette qui pourrait bien être
la donatrice du porche ou de la partie la plus récente ; les
deux autres sont dans le passage,
la première concerne
une donation d’une maison
en 1273 et la seconde fait
référence à la destruction
partielle de l’église Sainte-Marie-Madeleine par la main
des hérétiques sacramentaires
en l’an 1568.
À noter encore, à l’intérieur,
sur la paroi de la grande nef,
côté levant, l’inscription « montanus » et, face au porche
d’entrée, les traces d’un
autel à saint Sébastien et
saint Roch, vœu des habitants
en 1630, conséquence de
l’épidémie de peste qui avait
miraculeusement épargné
Saint-Montan.
Avant de pénétrer dans le
bourg castral, en contrebas
de l’église, se trouve un lieu de culte aménagé dans le
rocher, en bordure d’une source : c’est la grotte de Lourdes
qui rappelle « si bien celle de Massabielle », œuvre du curé
Marqueyrol en 1905, destinée à éviter aux paroissiens le
long et coûteux pèlerinage à Lourdes.
Dès la porte féodale franchie, appuyée au rempart, se situait
la maison claustrale qui fut la seconde habitation des
desservants ; ces derniers relevaient du clergé régulier de
l’ordre de Saint-Ruf, justifiant le nom de maison claustrale
ou « clastre ». Elle fut détruite pendant les guerres de
Religion, les consuls déclarant en 1623 qu’elle est en totale
ruine ; jamais reconstruite, il n’en reste aujourd’hui que
l’emplacement.
En suivant cette « rue de clastre » nous arrivons devant un édifice sans toiture où ne subsistent que trois pans de murs
dans lesquels ont disparu toutes les pierres d’encadrement
des ouvertures ; entre 1610 et 1615, l’édifice a été
transformé en chapelle par la confrérie des Pénitents
blancs de Saint-Montan qui venait d’être fondée. En 1621,
une cloche est fondue sur place avant d’être installée dans
le clocher3.
Grâce aux statuts de la confrérie et aux registres de ses
réunions4 tenus jusqu’à la Révolution, beaucoup
d’informations sont fournies sur la chapelle et la vie de la
confrérie (membres actifs, offices religieux, processions,
etc.).
Édifice des Pénitents blancs et donjon |
Saint-Montan, au xviie siècle, a connu un dynamisme
religieux catholique sans précédent ; pas
moins de quatre confréries furent
fondées : celles du Saint-Sacrement, de
Saint-Blaise, de Saint-Fortunat s’ajoutant à
celle des Pénitents blancs. La population
majoritairement catholique (un peu moins
de mille habitants), repliée sur elle-même,
vivait au rythme des offices, des fêtes et
des processions.
Pendant la Révolution de 1789, tous les
cultes et les confréries furent supprimés
dont celle des Pénitents blancs ; la chapelle,
non déclarée bien national, fut reprise par
les consuls qui y organisèrent les élections
municipales (élection de Jean-Louis
Devez, premier maire en février 1790) ;
par la suite, les Pénitents blancs s’installeront
dans l’église Sainte-Marie-Madeleine.
Il semble bien que cet édifice fut toujours
propriété communale car, avant de devenir « chapelle » des Pénitents blancs, il servait
de maison commune (compoix de
1594 aux archives de l’Ardèche) ; au xixe
siècle, abandonné,
il
tomba peu à
peu en ruine
mais il reste,
depuis ce
temps-là et
encore aujourd’hui,
propriété
de la commune.
Une restauration
dans le
respect de l’édifice
et du
site, sous l’autorité
de l’architecte
des
Bâtiments de
France, devrait commencer prochainement, suite à une
convention établie entre l’association des Amis de Saint-Montan et la mairie.
Cette grande église, au cœur du village, date du xixe siècle
(travaux de 1856 à 1858, inaugurée en 1865 en présence de
Mgr Delcuzy, évêque de Viviers) et succède à une première église romane construite sur le même emplacement.
L’église romane a toujours été considérée comme la seconde église paroissiale après celle de San Samonta ; en 1171, une
donation de l’église Saint-Montan avec la chapelle Sainte-Marie du château est faite par l’évêque de Viviers en faveur du
prieur de Saint-Médard (diocèse de Die). Il est probable que
cette chapelle soit devenue l’église paroissiale au vocable de
Sainte-Marie-Madeleine – c’est l’avis de Pierre-Yves Laffont5 –
pour laquelle son existence est attestée en 1250 par un acte
notarié important signé dans l’église Sainte-Marie-Madeleine
au château de Saint-Montan entre dame Vierne de Balazuc,
son fils Guillaume et les consuls de Saint-Marcel-d’Ardèche.
Elle fut en grande partie reconstruite après 1568 (une pierre
gravée à San Samonta témoigne des dégâts causés par les
guerres de Religion) mais son état s’est dégradé au fil du
temps, si bien qu'en 1854 l’architecte Baussan la qualifie de
toute délabrée et propose sa reconstruction.
Le village de Saint-Montan avec, en bas à droite, l'église Sainte-Marie-Madeleine |
Sa construction, comme bien d’autres en Ardèche, date du
milieu du xixe siècle, au moment de la forte croissance
démographique. La précédente ne pouvait plus réunir tous
les fidèles, celle-ci peut en accueillir entre 680 et 700 au lieu de 400.
Nos connaissances sur le bâtiment s’appuient sur le dossier
de l’architecte conservé aux Archives Départementales à
Privas. Il s’agit de l’architecte bourguésan Auguste Siméon
Baussan, fils de Jean-Pierre et père de Joseph, né en 1833 et
décédé en 1908. Au moment où il dresse les plans en 1854, il
est très jeune, 21 ans ! Il s’agit donc d’une de ses premières
œuvres après sa formation à l’École Nationale des Beaux Arts
de Paris. Par la suite, architecte diocésain, il construira
d’autres édifices religieux comme l’église du Teil centre, la
chapelle du Sacré-Cœur de Privas, le couvent des Récollets de
Bourg-Saint-Andéol, aujourd’hui la Cascade. Il dirigea aussi le
chantier de l’église Saint-Thomas de Privas. Ici, il ne semble
pas l’avoir suivi entièrement, on voit intervenir un autre
architecte, prêtre, l’abbé Treillat. Ce sont deux maçons
bourguésans, Guilhermon et Jauras qui construisirent le
bâtiment.
L’architecte a dû s’adapter au manque d’argent de la
communauté de Saint-Montan. Le financement a été difficile,
provenant de la Fabrique, de la souscription de 23 familles et
d’un don important du curé. Comme ce n’était pas suffisant,
un secours du gouvernement a été nécessaire et il a fallu
aussi que la commune organise une coupe exceptionnelle de
bois. Afin de limiter la dépense, les habitants ont réalisé eux-mêmes
le début du chantier : destruction de l’église
précédente, enlèvement des déblais et creusement des
fondations. On a, bien sûr, réutilisé les matériaux récupérés.
Baussan a choisi le style néo-roman parce qu’il estimait que
l’édifice antérieur datait des xe et xie siècles. Le nouveau
bâtiment présente un plan classique avec une nef centrale,
deux nefs latérales et un chœur à chevet plat en raison de
l’exigüité du terrain. La forme du voûtement est originale, il
s’agit d’une voûte sphérique en pendentif sur plan carré au-dessus
de chaque travée. Auguste Siméon Baussan s’en
justifie ainsi : « Nous (l’) avons adopté comme étant plus
solide, agissant avec la moindre poussée et étant le mieux en
harmonie au style d’architecture romano-byzantine de notre
projet tant pour la beauté que pour mille autres avantages. »
Les voûtes sont en briques et mortier fin ainsi que les arcs
doubleaux. Les arcs reposent sur des piliers massifs
circulaires ou carrés et surmontés d’imposants chapiteaux.
Les pierres de taille proviennent des carrières de Saint-
Montan et les pierres sculptées de celles de Sainte-Juste à
Saint-Restitut. Aujourd’hui, l’église est éclairée par des
vitraux qui semblent du xixe siècle, mais postérieurs au
chantier de construction sans que l’on dispose d’information à leur sujet.
Saint-Montan recèle un patrimoine religieux important pour une petite commune rurale (1 000 habitants en 1791), riche de ses deux paroisses, deux prieurés, un édifice pour les Pénitents blancs et pas moins de trois églises ; là se retrouvent l’histoire de sa population et ses racines : un patrimoine à préserver et à faire connaître.
Alain Fambon, ainsi que :
- Paul Bousquet pour la description de l'église San Samonta
- Marie-Solange Serre pour celle de l'église Sainte-Marie-Madeleine