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ÉGLISE NOTRE-DAME DE THINES

Sous la conduite du père Bernard Nougier, la visite de l'église Notre-Dame de Thines a été précédée par un cheminement d'environ trois kilomètres depuis le hameau de Tastevin, le long d'un itinéraire dit « messadier » (chemin que l'on empruntait pour aller à la messe, actuellement emprunté par le GR de Pays « Le Cévenol »).

Itinéraire messadier

Les croix ont eu et gardent de multiples fonctions. Elles marquent les étapes et les aboutissements de processions, elles annoncent l’entrée du chef-lieu, elles célèbrent l’accomplissement d’un ouvrage important, elles solidarisent les maisons d’un hameau, elles valorisent un lieu de passage ou de rencontre comme le pont ou la fontaine, elles font mémoire d’un événement familial ou communautaire, elles rappellent des limites de paroisses ou de domaines monastiques… Elles relèvent autant de l’histoire religieuse que de l’histoire sociale large. Des croix signalent aussi un chemin messadier, celui que l’on empruntait pour accomplir le geste dominical.

Sur l’ancienne paroisse, l’itinéraire qui relie le hameau de Tastevin à l’église peut prendre ce vocable car il oriente aussi sûrement les habitants de la haute vallée vers le prieuré que la rivière peut le faire de ses propres eaux qui, elles, vont se presser jusque vers le Chassezac. Ce chemin majeur, reliant Montselgues à Thines, côtoie en effet la rivière sur sa rive gauche, s’en éloignant seulement pour franchir plus aisément les modestes ruisseaux qui l’alimentent : le Coulet et l’Invernet. Ce chemin muletier qui conserve nombre de passages caladés était balisé par sept croix implantées à des endroits significatifs : rencontre de voies reliant les hameaux situés sur la rive droite, proximité d’un espace naturel permettant un rassemblement, lieu visuellement accessible au regard du clocheron, arrivée au chef-lieu, halte auprès de l’église. Il nous est possible d’imaginer les convois funèbres processionnant de croix en croix, déposant régulièrement le cercueil pour permettre aux porteurs de reprendre souffle ou à d’autres bras d’assurer la relève. Les croix prenaient alors le nom de croix de pause et servaient de lieux d’attente pour les personnes venant de divers mas et qui souhaitaient s’unir à la famille endeuillée.

Croix de la Boissière

Croix de la Boissière

La première croix rencontrée marque la jonction de la voie qui a quitté en amont la Boissière avec le chemin qui dessert l’ensemble des demeures de Tastevin. C’est la croix de ce hameau. Elle est monolithe, aux angles abattus. Une rainure médiane sur les chanfreins est de plus en plus creusée à mesure que l’on approche des branches de la croix où le ressaut est mieux marqué : la moulure veut honorer le croisillon. La pierre est un granite avec des granulations de quartz, difficile à tailler ; la présence de feldspath forme de minuscules tâches de rousseur sur l’épiderme de la roche. Les branches sont courtes, la hauteur approche les deux mètres. Dans un cartouche, la date qui griffe à peine la pierre mentionne soit 1671, soit 1871. Cette œuvre locale a été placée à un carrefour qui a été aménagé pour recevoir un chemin charretier. La colonne avait été fracturée et les éléments dispersés étaient restés longtemps dans les buissons et genêts. Une restauration a eu lieu en 2011, soulignée par une bénédiction.

La deuxième croix se situe un peu au-delà du hameau de Garidel, juste auprès d’un espace qui, unique sur l’itinéraire, ouvre le sentier sur une large esplanade rocheuse, comme pour permettre là, et seulement là, un rassemblement. La croix est en grès, monolithe, œuvre d’un tailleur de pierre qualifié. La coupe est octogonale, grâce à un chanfrein qui s’amortit près du socle sur un triangle incliné. À l’extrémité des bras émergent des demi-boules, souvenir des riches décorations du xve et du xvie siècles formées de fleurs ouvertes avec pistil central et dont les pétales parfois se retroussaient vigoureusement sur la traverse. L’iconographie est sobre. Le crucifié est placé à la croisée, de dimension très modeste, en faible relief, tête esquissée, jambes parallèles, le pied gauche en rotation sur le pied droit. Pas de traces de clous, de blessure au flanc, de perizonium, de titulus1. Au revers, sur la traverse, des lettres majuscules, sauf une, ont été gravées : JESU. MArIA. Au pied de la hampe, côté est, un cartouche mentionne la date de 1641.

Croix de Garidel Croix de Garidel

Croix de Garidel sur le chemin messadier, avec la naissance de l'espace plan 
(cliché B. Nougier)

Le chemin muletier se poursuit, toujours sur rive gauche du torrent. Au carrefour avec la calade qui donne accès au hameau du Roussel, une croix métallique était juchée sur une élévation de gros blocs de granite. Le haut socle demeure mais la croix est défunte. Si on suit sur cent mètres la calade acheminant vers Roussel, on découvre l’arche superbe d’un pont qui a conservé sa chaussée de galets et qui, défiant la rivière, se cambre et s’appuie directement sur les berges formant un à-pic impressionnant.

Chemin faisant, au pied des pentes de la Cham de Montselgues, défilent sur la rive droite la ferme de Lazones, le château de Longueville, les hameaux de Vallée, du Nogier, du Mourier, du Pialet. Un chevelu de sentiers reliait ces maisons et ils s’associaient avant de franchir la Thines sur un long plateau de planches, en amont du hameau du Moulin, pour rejoindre l’artère principale qui se maintenait résolument sur la rive gauche. La quatrième croix était placée à l’embranchement. Elle n’est plus, elle aussi. Elle était en bois, connue déjà en disgrâce par les anciens de la commune. Reste le socle en grès, de facture tronconique, évidé en son centre. Ce socle avait été transporté ailleurs pour recevoir une nouvelle destination. Un habitant du village s’est obligé à le remettre à sa place initiale.

Le sentier empierré atteint ensuite la ferme de Thérondel, puis la route qui, après avoir franchi la Thines sur un pont achevé vers 1924, efface le chemin muletier sur trois cents mètres. Nous arrivons auprès d’une cinquième croix, celle de Laviau, celle qui va essentiellement nous intéresser et qui justifiait la proposition d’un cheminement sur le thème des croix. La croix de Laviau n’est voisine que d’une maison. Pourtant ce lieu paraît être une référence pour le village. Les Estimes de 1464 ne l’ignorent pas et citent Lavio. De même la carte de Cassini s’oblige à le mentionner : Laviau. Il semblerait que le vocable révèle l’existence d’une voie ancienne, importante, auprès de laquelle se sont placés monument et demeure. De l’emplacement de cette croix le clocher de Thines est visible. Le clocheron sonnait pour alerter la population (alors en chemin, chez les amis ou à l’auberge) lorsque le cortège était aperçu, a visto d’ouel, pour reprendre la désignation même d’une croix éloignée du chef-lieu mais d’où était visible le cortège funéraire marquant une halte, à Saint-Symphorien de Mahun.

Croix de Laviau Croix de Laviau

Croix de Laviau

Il est possible de dater cette croix du xive siècle. Le monde chrétien dessinait alors en lignes gothiques : les lobes savaient construire une fleur ou une croix rayonnante, gravures et sculptures s’inscrivaient dans un quadrilobe, l’usage du chanfrein, qui apparaissait dans les églises romanes sur les tailloirs et les impostes, se généralisait au xive siècle et s’imposait sur les colonnes.

En cette période l’enseignement des théologiens était entendu et respecté. Les consignes concernant la représentation de l'homme Jésus sur la croix étaient désormais claires et générales. À la fin du xiiie siècle, l'évêque Durand de Mende, liturgiste reconnu et dont le diocèse avoisine celui de Viviers, donnait ses instructions : « Parce que Jean-Baptiste montra du doigt le Christ et dit : "Voici l'Agneau de Dieu", quelques uns peignaient le Christ sous l'apparence d'un agneau. Mais parce que le Christ est un être réel, le pape Adrien (Adrien IV, 1154-1159) déclare que nous devons peindre sous la forme humaine. Ce n'est pas l'Agneau en effet qui doit être peint sur la croix. Mais, après avoir figuré l'Homme, rien ne s'oppose à ce qu'on représente l'Agneau soit au bas, soit au revers de la croix. » C’est tout cela que révèle, à la fois en sa structure et en son message, la croix de Laviau.

Le crucifié a les bras horizontaux, placé au cœur d’un quadrilobe. Il porte une sorte de pagne, un perizonium qui correspond à une jupette. Ce n’est plus la longue robe royale de l’art roman, ce n’est pas encore un simple bandeau qui cache le sexe et dont les extrémités flotteront autour des jambes. Giotto, dans cette Italie qui oriente les arts, peint ainsi à Assise vers 1320 la crucifixion. Au revers, également au centre d’un quadrilobe, l’Agneau se présente en réserve. L’agneau est un symbole aux références vétérotestamentaires2 multiples. C’est le bélier immolé à la place d’Isaac, c’est l’agneau pascal devenu nourriture pour les familles juives qui vont émigrer hors d’Égypte et qui choisissent la liberté, c’est le sang de cet agneau qui, dessinant le tau sur les portes juives, a valeur protectrice, c’est l’agneau qui est figure dans le livre d’Isaïe du Serviteur de Dieu, humble et confiant, pourtant conduit à la mort. Le Livre de l’Apocalypse identifiera le Christ avec l’agneau égorgé, couché sur le livre aux sept sceaux mais présenté vivant, victorieux du mal et de la mort. On comprend que les premières communautés chrétiennes, qui cherchent des mots révélant et synthétisant les multiples facettes du message évangélique, mettent sur les lèvres de Jean le Baptiste, prophète sur les bords du Jourdain : Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.

Au xviiie et au xixe siècles, les ponts qui reliaient les flancs de la vallée, tel celui de la Dragonnière ou celui de Gournier, ont été construits par souscription des familles concernées. Au xxe siècle, le Génie rural intervint dans la réalisation des ouvrages routiers. Celui-ci chercha à mener à terme la création d’une nouvelle route pour franchir la Thines, à la hauteur de la ferme de Thérondel. Le pont, mis en chantier avant la guerre de 1914, ne put être achevé qu’au terme du conflit. Lorsque cette route fut élargie vers 1970 et que le virage de Lavio fut amorti, la croix fut hissée sur le haut talus qui désormais borde la voie. Toujours sûre et altière, son pied logé au centre d’une ancienne meule, on lui imposait pourtant la discrétion en la mettant ainsi en retrait du regard sur la route qui mène au chef-lieu. Lorsqu’on lui a donné ce nouvel emplacement, les organisateurs du chantier ont privilégié la face proposant l’Agneau pascal et donc ont mis en valeur le symbole plutôt que la représentation réaliste de la crucifixion.

Peu après Laviau, le chemin muletier réapparaît sur la droite. Il entre dans le val de Prévenchet.
Juste avant la première maison du village, s’élève une majestueuse croix en bois : la croix Rouge, désignant ainsi la teinte brune du châtaignier.
Une septième croix, aujourd’hui disparue, invitait à l’entrée de la rue principale à une ultime halte, là où le prêtre accueillait le cortège accompagnant le défunt.
L’église Sainte-Marie de Thines est proche. Nous entrons dans cette église qui fait toujours renaître un joyeux étonnement.

Notes

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Thines - L'église

Thines

L’audace des constructeurs romans qui ont lancé des ponts sur des torrents capricieux a donné naissance à de nombreuses légendes. L’église de Thines, placée entre des serres échevelés, bâtie là où s’achève un éperon, mêlant les couleurs parfois avec une attention calculée et parfois en s’égayant, enseignant ou bavardant par toutes ses sculptures, a eu ses conteurs et ses légendes. Ne disposant pas d’acte de naissance, elle a longtemps entretenu seulement les rêves. Et aujourd’hui encore il est difficile d’approcher de façon sûre les raisons qui ont motivé, sur un socle de schiste et en voisinage de quelques maisons qui semblent s’être égarées dans une vallée inhospitalière, la construction d’une église qui rit de toutes ses pierres de granite gris, de grès clair, de grès rouge, et offrant en calcaire blond ce qui fut un somptueux porche et de multiples chapiteaux. Plusieurs écrivains sont susceptibles de nous accompagner au cours de la visite, mais deux auteurs nous servent essentiellement de guide pour évoquer l’histoire de l’édifice et en faire une description : Raoul Bacconnier1 et Robert Saint-Jean2. Il suffit d’ouvrir leurs ouvrages, riches de renseignements et d’illustrations, pour apaiser nombre de nos interrogations.

Simplement, j’énonce quelques idées générales et je me permets d’apporter quelques notes complémentaires aux livres mentionnés.

abside

D’abord, à la suite de Raoul Bacconnier qui a cherché à déterminer les influences qui ont marqué l’église, il est important de redire que l’inspiration, concernant tant l’architecture que la décoration, est méridionale et non vellave ou auvergnate : la triple élévation intérieure de la voûte, l’emploi avec exubérance de l’ornementation par bandes lombardes et dents d’engrenage, l’installation dans l’ébrasement du portail d’un entourage de statues, la polychromie partout présente mais sans créer des motifs de marqueterie, tout nous oriente vers le Languedoc et la Provence, jusque vers l’Italie. Et l’église, avec intelligence et humour, semble l’attester, elle qui place son entrée en plein midi, invitant le visiteur à suivre du regard la rivière, la Thines, qui prend résolument la direction du sud.

Lorsqu’on cherche à discerner les personnes et les motivations qui sont à l’origine de ce projet fou d’élévation de l’église Notre-Dame de Thines, en la deuxième moitié du xiie siècle, il faut écarter l’argumentaire privilégiant l’existence d’un pèlerinage, car il faut attendre la fin du xixe siècle pour en entrapercevoir la mention. Il convient surtout de rappeler des conjonctions favorables : au xiie siècle, une vallée active, productrice de vin, de miel et de châtaignes, capable de payer des impositions étonnamment lourdes, la présence d’un site castral appartenant à la famille dominante des Châteauneuf de Randon qui a besoin de valoriser un édifice religieux près de la tour qui flatte son pouvoir, la dépendance à l’égard de l’abbaye Saint-Chaffre du Monastier et du prieuré conventuel de Langogne qui parsèment dans l’Ardèche des églises superbement construites. Mentionnons aussi la proximité d’un chemin de crête, axe important de communication entre la vallée du Rhône et le Massif Central, mentionnons des amitiés capables d’apporter quelques dons, comme celles des seigneurs d’Anduze et du comte de Toulouse apparentés aux Randon, mentionnons entre la Thines et le Chassezac la présence proche de mines exploitées, mentionnons le voisinage de prieurés chaffriens en des lieux d’où vont provenir les matériaux pour bâtir : Payzac, Faugères, Montselgues, Saint-Laurent-les-Bains.

porche
statue du porche statue du porche

Le porche, proposant dans les ressauts des statues et sur un linteau des scènes illustrant les derniers jours du Christ à Jérusalem, paraît grandiose pour cette église rurale. Les ouvrages cités s’arrêtent longuement sur cet ensemble. Soulignons simplement deux détails, entre autres.

Entre l’évocation de l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem et celle de l’ultime repas, figure la ville de Jérusalem matérialisée par des tours, portes et dôme. Un relief, en partie bûché, est là au centre de ce décor urbain. Il fut interprété comme révélant un feu et signalant ainsi les sacrifices accomplis au Temple. Raoul Bacconnier, avec raison, voit le buste d’un personnage, mutilé comme tous les personnages, tenant une bourse et, pour lui, signifiant les vendeurs et changeurs qui vont être chassés par Jésus hors de la Maison de Dieu. Il me semble plutôt, en raison de cette figuration unique, de la mention nominative de Judas dans le texte qui court sur le linteau et de la scène ultérieure de l’arrestation du Christ, que cette main serrant une bourse témoigne de l’initiative du grand-prêtre s’apprêtant à remettre à Judas le prix convenu de la trahison, à savoir 30 deniers.

Deux apôtres, partageant l’ultime repas, portent aux pieds et aux mains, les stigmates de la Passion : le trépan a imprimé la trace laissée par les clous. Ces marques infimes sont révélatrices de la pensée romane juxtaposant pour unir et instruisant que le présent est gros de ce qui va venir. Sur un linteau de l’abbatiale de Saint-Gilles du Gard, le Temple, dont Jésus en pleurs avait annoncé la déchéance et la destruction, s’écroule sur le passage de Jésus entrant à Jérusalem avec le cortège de ses disciples. À Chauvigny, l’ange Gabriel, invitant Marie à accueillir Dieu en elle, élève de la main droite une croix pour faire connaître l’achèvement d’une vie, alors que le récit évangélique ne parle que de naissance envisagée. À Thines, au cours du repas pascal, Jésus annonce le dénouement proche de sa vie, le piège tendu, la fuite des disciples, son départ vers le Père. Et le sculpteur a souhaité publier que, malgré les peurs et les reniements, ceux qui partagent un geste de communion avec le Christ sauront aller jusqu’où il est allé, à la mort, et parfois à la mort sur la croix. Accepter le pain et la coupe permet d’augurer le destin des apôtres qui acquiesceront à la proclamation de celui qui donne tout : la nouvelle alliance en mon sang versé pour la multitude.

Linteau du portail

Linteau du portail : l'entrée de Jésus à Jérusalem

Linteau du portail

Linteau du portail : la Cène - Remarquer le petit personnage de Judas agenouillé - À droite, l'arrestation de Jésus

chapiteau du joueur de viole

Chapiteau extérieur : le joueur de vièle

Faire le tour de l’église, c’est s’attarder sur les modillons et les éléments nombreux sculptés sur la corniche, commenter la nature, les objets utilitaires, les messages qui inévitablement sont antithétiques, car la vie voit sans cesse l’affrontement du bien et du mal. Deux chapiteaux, en particulier, développent ce dernier thème : sur l’un, un ange qui, au terme d’une psychomachie, enchaîne à la gorge un démon ailé déjà ligoté et, sur l’autre, un ange encore qui joue d'une vièle à archet3 auprès d’une femme dont le corps est tendu comme un arc qui va se rompre. La lecture de ce chapiteau est difficile, car sa face principale a été meurtrie par des jets de pierre alors que ses côtés sont intacts, et que toute photographie, souvent prise d’ailleurs au téléobjectif, écrase les plans. On a fait de ce chapiteau la représentation de la danse aux côté d’un ménestrel. Il faut pouvoir approcher l’œuvre le plus possible et noter les détails. La femme aux longs cheveux déployés et portant une robe constellée de ponctuations a le corps cassé en deux. Sa tête est plus basse que ses chaussures, ses deux mains plongeantes encadraient son visage, mais son avant-bras droit appuyé sur la base du chapiteau a disparu. Le joueur d’instrument n’empoigne donc pas la main de la femme, mais tient uniquement l’archet. Le musicien, magnifié par des ailes qui signalent sa puissance, a perdu des parties de son corps démembré sous les coups d’une lapidation. Il garde encore le pied gauche profondément ouvert comme le sabot d’un caprin et entrouvre la bouche proéminente cernée par une barbe et une moustache hirsutes : il porte les signes distinctifs d’un affilié à l’ordre démoniaque. Le chapiteau avertit donc sur les pouvoirs de tout séducteur maléfique et sur la chute toujours possible de l’homme.

église de Thines : intérieur

L’intérieur de la priorale a aussi ses richesses sculptées dans son écrin architectural. Les chapiteaux de l’arc triomphal couronnent les colonnes par les douze apôtres. Manque saint Pierre qui a dû subir plus sévèrement la censure de la troupe protestante envahissant le village et l’église en 1587. Curieusement, sur le bandeau du tailloir, se lit deux fois le prénom de Thomas, au risque de penser à l’homme qui oscille entre foi et dénégation ou à l’étymologie du nom signifiant Jumeau, mentionnée par saint Jean. Et se remarque l’attention des imagiers romans qui ont foré profondément les yeux des apôtres et qui ont empli de plomb les pupilles ainsi formées pour rendre leurs regards plus accusés et plus vifs. Ce soin a dû porter également sur les yeux largement ouverts des apôtres accueillant au porche de l’église.

Cette insistance d’ailleurs sur la présence des apôtres, debout sur le seuil, désignés plusieurs fois dans les récits transcrits sur le linteau, rassemblés encore à l’entrée du chœur, interroge dans cette prieurale bénédictine participant au vaste mouvement de soutien au pouvoir pontifical qui se veut dépositaire de l’autorité apostolique. Et cette interrogation ne se tait pas lorsque la fenêtre axiale livre le chiffre de douze et que s’énumèrent les blocs de feu qui rayonnent autour de la baie orientée.

Sainte-Marie de Thines n’a pas fini d’émouvoir et de susciter les plaisirs de la pensée et du cœur. Sa visite n’était pas prévue au programme de la journée, mais la Société de Sauvegarde n’a pas eu tort de nous attarder auprès d’elle.

Père Bernard Nougier

Chapiteau du choeur Chapiteau du choeur

Chapiteaux de l'arc triomphal

Notes

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