Thorrenc - Vue de l'église et du château |
Samedi 18 novembre 2017, c’est en empruntant
une route étroite et sinueuse qui mène au
pittoresque village de Thorrenc que se
retrouvent devant la mairie une cinquantaine de
personnes, la plupart membres de la Société de
Sauvegarde auxquels se sont joints une dizaine de
membres de l’atelier Histoire locale et généalogie
de l’ARAM de Roiffieux.
Nous sommes accueillis par Mme Christiane Clément,
conseillère municipale, responsable de la
commission culture et loisirs, puis par M. Christian
Forel, maire, dans la salle du conseil municipal,
avec café, thé, croissants et brioches à foison.
M. Christian Forel nous souhaite la bienvenue et
présente sa commune.
Thorrenc est une petite commune rurale de
3,67 km², les habitants au nombre de 236 sont
répartis entre le chef-lieu, situé dans les gorges du
ruisseau du Torrenson, et divers hameaux situés sur
le plateau, Solore, Ozas, Revelardon, et dans des
habitations dispersées. C ’est sur le plateau que
l’agriculture s’est développée et que les hameaux
accueillent de nouvelles constructions, amenant la
population à doubler depuis les années 1980. Le
chef-lieu a par contre perdu des habitants, passant
de 46 en 1911 à 14 en 2013.
Le village, dominé par un viaduc, concentre un
château, une chapelle, la mairie, le cimetière et une
auberge réputée.
Sur la façade de la mairie le monument aux morts,
une simple plaque, commémore Paul Clerc, sergent
au 75e d’infanterie, tombé au champ d’honneur à la
forêt de Pinon (Aisne) le 26 octobre 1917 (100 ans,
il y a eu quelques jours) à l'âge de 21 ans.
Puis nous nous rendons dans l’église où
Mme Clément nous présente l’intérieur de l’édifice
et son histoire. Nous avons ensuite la chance de
pouvoir visiter le château, en partie restauré, dont
le propriétaire n’a pu se libérer, mais les portes de
la cour nous sont ouvertes, grâce à une de ses
amies, propriétaire d’un autre château dans une
commune voisine.
Remontons le temps à partir d’une exposition due à
Mme Clément et d’ouvrages cités en référence.
Vue de l'église et du château |
La construction du château paraît liée à la conquête
de nouvelles terres ; il est implanté en périphérie
des terroirs antiques et altimédiévaux, dans la gorge
d’une étroite vallée qui entaille le piémont
annonéen1. Ce site donne naissance à une nouvelle
paroisse, très exiguë, créée au détriment des
paroisses primitives. Il se situe sur un lieu
stratégique qui contrôlait le passage entre la vallée
du Rhône et le plateau d’Annonay.
Le castrum de Thorrenc forme un îlot isolé au sein
de l'importante forêt recouvrant les flancs de la
vallée très encaissée du Torrenson. L'ensemble
castral a été bâti sur un petit éperon dominant un
des méandres de ce ruisseau. L'élément central du
château est un haut donjon rectangulaire. L'accès se
fait au premier étage et seules quelques rares et
étroites ouvertures éclairent l'intérieur du bâtiment,
dont les étages étaient entièrement planchéiés.
Cette tour semble datable du xiie ou du début du xiiie siècle. Un vaste bâtiment en L, flanqué d’une
tour ronde et d’une tourelle, a été construit au
nord-est du donjon à la fin du Moyen-Âge et un
corps de logis occupe l’espace existant entre le
donjon et les constructions du bas Moyen-Âge. Sur
les pentes que domine le château s’est développé un
petit bourg castral2. »
C’est en 1025, d’après le Docteur Francus3, qu’est
mentionnée pour la première fois la seigneurie de
Thorrenc et d’Andance, lors d’une donation au profit
de l’abbaye de
Cluny.
Pour Pierre-Yves Laffont, le mandement
de Thorrenc
apparaît dans les textes
en 1088-1119 ;
Armand Rotholdus
donne à l’abbaye de
Romans les dîmes
qu’il possède dans le
mandement de
Thorrenc et dans la
villa de Volosio
(Saint-Étienne-de-Valoux).
Vers 11414, Guigo
Griota, miles de
Torenco, donne au prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue
la quatrième part de l’église de Vanosc ainsi qu’une
maison pour le salut de son âme et de celle de ses
parents. D’autres personnages du nom de Thorrenc
sont cités tout au long du xiie siècle.
- 1158 : Aymon de Thorrenc est chanoine du
chapitre cathédral de Valence.
- 1170 : Guigue de Thorrenc et Arnaud de Thorrenc
sont témoins de la remise de l’église de Vocance au
prieuré de Saint-Sauveur-en-Rue par Guillaume,
archevêque de Vienne.
Du xiiie au xve siècle, le castrum et le mandement de
Thorrenc sont propriétés de coseigneurs5, d’abord
Aymar, seigneur d’Annonay, et Falcon de Thollas, et
bien d’autres ensuite. Pierre-Yves Laffont cite les
sources écrites suivantes :
- 1271 : testament d’Aymar, seigneur d’Annonay, qui
donne 30 sous aux curés d’Annonay, Thorrenc, Ay,
Champagne et Peyraud pour un service annuel.
Aymar laisse à sa femme Philippa la jouissance
viagère de sa domus de Thorrenc et de tout ce qu’il
possède dans le castrum et le mandement de
Thorrenc ainsi qu’à Champagne. À Philippa, il
substitue Artaud de Lavieu, frère de sa première
femme Artaude ; mais le fief de Thorrenc devra
rester dans la mouvance de la seigneurie d’Annonay.
- 1274 : Philippa, domina de Thorenco, veuve
d’Aymar, seigneur d’Annonay.
Le donjon et la tour ronde |
- 1282 : Briand de Lavieu, sacristain de l’Église de
Lyon, est seigneur du château de Thorrenc.
- 1284 : transaction entre Jacquemet Gilbert et
Briand de Lavieu, chanoine de Lyon, seigneur du
château de Thorrenc. Jacquemet Gilbert réclame la
propriété et la juridiction
indivise du quart
du château de
Thorrenc. Les parties
transigent sur l’arbitrage
de Raymond de
Thorrenc, de Jocerand
d’Ay et d’Hugues
Gotechaux. Jacquemet
Gilbert renonce finalement
à son quart de
justice contre
30 livres.
- 1295 : transaction
entre Briand de Lavieu
et les autres coseigneurs
de Thorrenc,
dont Jacques de Lavieu et Pierre Flote, d’une part, et les vavasseurs du castrum de Thorrenc d'autre part,
parmi lesquels Jocerand d’Ay, chevalier, Gilet
Roland, domicellus, etc.
- 1296 : contrat de mariage d’Alice, fille du dauphin
de Viennois Humbert, avec Jean, comte de Forez. Le
dauphin Humbert donne notamment pour la dot de
sa fille : feudum medietatis castri de Torent quam
tenent domini Petrus Flote et Jacobus Alamandi,
milites.
- 1316 : hommage de Guillaume Flote, fils de Pierre,
seigneur de Revel, au comte de Forez pour le château
de Thorrenc, le château de Nervieu et sa maison
noble de Fauris près de Montbrison.
- 1318 : hommage rendu par Pons Mayfred, de
Thorrenc, à noble et puissant Bertrand de Lavieu, condominum de Thorenco, pour sa part de la dîme
de Saint-Cyr et pour un cens d’une carte et demie de
froment.
- 1332 : transaction entre Briand de Lavieu,
chevalier, coseigneur de Thorrenc, et les habitants
de Thorrenc confirmant les privilèges que leur avait
accordés Aymar de Roussillon, seigneur d’Annonay
et coseigneur de Thorrenc.
Le cardinal de Colombier entre en possession des
terres de Peyraud en 1354 et de Thorrenc en 1356.
En 1361, il confie la terre de Thorrenc à son neveu
Pierre de Monestier.
Parallèlement à la nouvelle politique de mise en
défense du royaume initiée par le roi Charles V, dès
son avènement en 1364, certains châteaux
connaissent des travaux de réfection, c’est le cas de
celui de Thorrenc qui est refortifié cette même
année.
La tour ronde au sud-est, avec ses meurtrières
horizontales, daterait du xve siècle. La troisième,
plus récente, daterait du début du xvie siècle. Des
bâtiments adossés au donjon forment un corps de
logis Renaissance. Un autre bâtiment aurait été
ajouté ou réparé au xviie ou xviiie siècle.
Au xvie siècle, un des seigneurs de Thorrenc est Jean
de Saint-Chamond. Sa fille, Gabrielle de Saint-Chamond, pour lui succéder, doit quitter sa charge
d’abbesse de Clavas et en 1577, elle épouse le
capitaine Jacques Mitte de Chevrières. Leur petit-fils
est obligé de vendre la terre de Thorrenc.
Just de Serres, conseiller du roi et lieutenant-général
du bailliage d’Annonay, l’acquiert en 1654.
Son petit-fils la vend à son tour à Hugues des Mazels
de Monteilles, ancien capitaine d’infanterie,
résidant à Paris. La terre est ensuite acquise par les
Guignard de Saint-Priest, marquis de Peyraud. En
1745 Jeanne Marie de Fay-Peyraud, veuve de messire
Denis Emmanuel de Guignard, vicomte de Saint-
Priest, vend Thorrenc et Andance à Jean-Marie
Desfrançais de Lolme (1758-1834) qui deviendra
ainsi baron de Thorrenc et Andance, sieur de Lolme,
Font-Achard, les Guillots, Saint-Désirat, Saint-Étienne-de-Valoux, Talencieux, Saint-Cyr et Vernosc.
Il sera lieutenant-général du bailliage d’Annonay,
président du tribunal du
district du Mézenc, maire
d’Annonay de 1795 à
1797 et de 1802 à 1815,
chevalier d’empire.
À l'arrière plan, le viaduc, il y a environ un siècle |
Après son décès, le
château appartient à sa
fille, Sophie, épouse de
Louis Béchetoille,
négociant, puis à sa
petite-fille, Félicie Sophie
Béchetoille, épouse de
Pierre Marthoret, juge au
tribunal de Commerce et
maire de Talencieux.
Aux xixe et xxe siècles, différentes familles
bourgeoises annonéennes vont se succéder pour la
possession du château : Charles-Émile Mignot,
ingénieur des Arts et Manufactures, propriétaire en
1893, Lapize de Sallée...
L’actuel propriétaire du château, Mark Dixon, est
arrivé en 2009.
Les vestiges sont inscrits à l’inventaire
supplémentaire des Monuments historiques depuis
1950.
De la cour du château, nous apercevons le viaduc7 qui domine le village de Thorrenc. Il s’agit d’un des vestiges de l’ancienne ligne de chemin de fer reliant Firminy à Saint-Rambert-d’Albon. La partie Peyraud-Annonay est mise en service en 1869 pour relier la ville des mégissiers et des papetiers à la vallée du Rhône. La ligne connaît son apogée vers 1920 avec 14 passages quotidiens. Elle est fermée depuis 1987. Le tracé devrait faire partie de la Via Fluvia, projet de piste cyclable et piétonne de 120 kilomètres entre les deux plus grands fleuves de France.
Intérieur de l'église |
La chapelle du château de Thorrenc fait partie des
rares chapelles en Vivarais devenues aux xiie et
xiiie siècles de vraies églises paroissiales, desservies
par un curé et avec l’ensemble des droits
paroissiaux6.
Au xiie siècle, la paroisse de Thorrenc dépend du
prieuré d’Andance, lui-même
rattaché à
l’abbaye de la Chaise-Dieu. En 1536, le
prieuré d’Andance est
rattaché au collège de
Tournon créé par le
cardinal François de
Tournon, le « Richelieu
de François Ier ». En
1561, ce collège ainsi
que toutes les paroisses
qui lui sont attachées
passent sous l'autorité
des jésuites pour lutter
contre les idées luthériennes. Ils y resteront jusqu'à
la dissolution de l'ordre au xviiie siècle.
L’église était dédiée à saint Georges, après sa
reconstruction au xixe siècle, elle l’est à saint Clair.
Elle est composée d’un clocher-mur sur la façade
principale surmontant le portail d’entrée, d’une
seule nef voûtée sur croisée d’ogives. Son plan
rappelle une croix latine avec deux petites
chapelles. La cure de Thorrenc est vacante depuis
1914. Aujourd’hui la chapelle accueille quelquefois
des expositions artistiques.
Des réparations ont eu lieu en 1875 et en 1980 ;
aujourd’hui les peintures se dégradent et l’église
mériterait une restauration.
Philippe Duclaux