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CHÂTEAU DE SAINT-ROMAIN DE VALMORDANE
(Cne de SAINT-BARTHÉLEMY-LE-PLAIN)

S’il est un site ardèchois qui a payé un lourd tribut à la modernité, il s’agit bien du château de Saint-Romain de Valmordane, à 6 km à l’ouest de Tournon, sur la commune de Saint-Barthélémy-le-Plain.
Au xie siècle, il s’agissait d’un castrum (désignant à l'époque un château fort), plus tard mandement, qui faisait partie du diocèse de Valence. Son territoire couvrait approximativement les communes actuelles de Saint-Barthélémy-le-Plain, Boucieu-le-Roi et une partie de Colombier-le-Jeune. Sa situation stratégique dans un lieu splendide et sauvage lui permettait de surveiller et commander la vallée du Doux. On peut supposer qu’un tel site a connu des occupations antérieures.
Endommagé pendant la guerre de Cent Ans, ses défenses rendues obsolètes par l’invention de l’artillerie, détruit pendant les guerres de Religion au xvie siècle, ce sont cependant les deux tracés successifs de la route menant à Lamastre qui ont eu raison des ruines vénérables (photo 1).

Photo 1

Photo 1

Quelques pauvres vestiges (photo 2) subsistent sur un piton rocheux (photo 1) et une petite tour isolée par le premier tracé de la route (photo 3).
En 1904 un relevé des ruines effectué par M. Mounier les montrait encore assez imposantes. Elles comportaient sans doute plusieurs périodes de construction. Le donjon carré de 4 à 5 m de côté datait du xe siècle ou tout début du xie. Situé sur la partie la plus élévée du rocher, il avait une épaisseur de mur de 2,10 m à la base et un bel appareillage. Selon la coutume vivaroise, il devait être une tour d’un étage surmontée d’une plate forme. Un bâtiment accoté à la tour servait d’habitation où vécurent les premiers seigneurs. Une autre enceinte et un bourg catral s’y ajoutèrent plus tard. Cet ensemble ne semble pas avoir eu de lieu de culte. Cela est sans doute dû à l’existence d'une église proche, celle de Saint-Romain, citée dans une liste dressée en 1038, dépendance outre-Rhône de l’abbaye Saint-Barnard de Romans.

Si j’évoque ce lieu, c’est qu’il y naquit en 1083, Guigues de Saint-Romain, qui, sous le nom de Guigues Ier, restera dans l’histoire pour son rôle dans le développement de l’ordre cartusien et par ses écrits publiés à nouveau dix siècles plus tard. Cet homme décrit par les premiers prieurs de la Chatreuse comme étant d’une grande acuité d’intelligence, doté d’une excellente mémoire, d’une parole admirable, d’un don d’exhortation très efficace, avisé et prudent, s’attira de grandes amitiés :

Photo 2

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Après différentes recherches, il a donc été établi que le château précité était bien le lieu de naissance de Guigues. Sa famille était une branche cadette issue des Saint Romain de Baix, puissants seigneurs apparentés au comte de Valentinois. Mais les Saint Romain de Valmordane furent de petits seigneurs féodaux, dont le domaine était aussi pauvre que possible et qui vivotèrent jusqu’à leur extinction.

Le premier seigneur connu est Messire Gérenton ou Jarenton de Saint Romain qui parut comme témoin dans un acte de donation le 19 janvier 1083, année de naissance de Guigues. Il pouvait être son père ou son grand-père.
De sa famille on ne possède qu’une information sûre : sa mère vécut fort âgée (voir : « la vie de saint Hugues de Grenoble »). On peut cependant être certain qu’il avait au moins un frère, son ainé sans doute, car sinon il n’aurait pû entrer en religion, devant assumer la charge de la seigneurie à la mort de son père.
C’est au milieu de la deuxième moitié du xive siècle que s’éteignit la branche de la famille de Saint Romain de Valmordane, avec Garine de Saint Romain qui mourut sans descendance.

Photo 3

Photo 3

Guiges, après sa petite enfance passée au château, semble avoir fait de solides études ;  son érudition apparaît dans ses ouvrages. Parmi les hypothèses envisagées, celle retenue serait qu’il fît ses études à la collégiale Saint-Barnard de Romans à 25 km, qui avait été fondée en 840 et était très prospère à l’époque de la jeunesse de Guigues, où elle reçut en août 1095, la visite du pape Urbain II, ami de saint Bruno, premier pape qui ait approuvé et encouragé la vie cartusienne.
En 1106 après ses études, il est ordonné prêtre à la cathédrale de Grenoble et entre à 23 ans au monastère de la Grande Chartreuse fondé en 1084 par saint Bruno. Il en devient le cinquième prieur en 1109 et le restera jusqu’à sa mort le 27 juillet 1136. Ses vingt-sept ans de priorat furent déterminants pour le développement de l’ordre cartusien. Son priorat vit naître les premières fondations de l’ordre cartusien à partir de 1115. Il lui fut demandé par les prieurs et l’évêque saint Hugues de Grenoble de rédiger les règles de l’ordre, qui le régissent toujours pour l’essentiel. Il préféra les appeller « les coutumes » et y travailla de 1121 à 1127.

Le 30 janvier 1132 une avalanche détruisit le premier site de la Chartreuse après 48 ans d’existence. Guiges quitta ce lieu avec les survivants et fit reconstruire l’ermitage à l’endroit qu’il occupe encore aujourd’hui, à l’abri des avalanches, avec un grand sens pratique qui marqua son priorat tout autant que ses aptitudes aux travaux de l’esprit.
Il enrichit considérablement la bibliothèque de la Grande Chartreuse qui fit en son siècle l’admiration des connaisseurs.
Accablé de bonne heure de graves infirmités, il mourut à l’âge de 53 ans. Un peu plus tard un chroniqueur a noté le souvenir que la tradition primitive gardait de ce grand prieur : « Guigues fut prieur de Chartreuse, digne d’une mémoire éternelle ».

Christiane Bernard

Les œuvres de Guigues Ier le chartreux :

Les postes 1 à 3 sont publiés aux éditions du Cerf dans la collection "Sources chrétiennes" vol.88-308-313.

Bibliographie