Depuis une semaine, la météo via Internet annonçait « fortes averses » pour ce samedi 17 mai ; une centaine de personnes, parapluie ouvert, étaient là cependant à 9h30, au rendez-vous à Saint-Symphorien-de-Mahun. Un rayon de soleil perçait de temps à autre et rendait le paysage « lavé » admirable par ses couleurs de dégradés de vert, parsemé des taches jaunes des genêts en fleurs, du rouge-beige des toits en tuiles romaines. S’imposaient les deux pôles qui nous intéressent ce matin, Saint-Symphorien-de-Mahun et Veyrines.
Cette commune d’une superficie de 1 932 ha en majorité boisés est à une altitude qui varie de 540 à 1 280 m ; elle est entourée du mont Chaix, de Rocheplate, du Chirat Blanc et de Rochedevent et traversée d’ouest en est par le Nant.
Le village de Saint-Symphorien-de-Mahun |
Son nom vient de Symphorien, soldat romain martyrisé puis canonisé et
de mahun, mot celtique qui signifie « grandeur » et dunos,
latinisé en dunum qui signifie « colline »,
puis « forteresse ». La contraction de ces mots a
donné Mahun au XIVe siècle et rappelle la grandeur
de la puissante famille des Pagan.
Le Chirat Blanc culmine à 1 146 mètres
d’altitude. (Un Chirat est un amas de pierres plus ou moins éboulé).
On y distingue une enceinte ovale mesurant environ 250 mètres de long
sur 120 mètres de large. Sur le côté ouest-sud-ouest, cette
enceinte est naturelle et constituée par un flanc à-pic de 12 mètres
de haut. Partout ailleurs elle est construite par la main de l’homme :
il s’agit des restes d’un mur de deux mètres d’épaisseur,
fait de pierres sèches. Le seul élément de datation, très
approximatif, entre les époques néolithique et gauloise, soit vers – 800
environ, réside dans l’existence sur la face est de deux voies d’accès
abordant l’enceinte par une rampe raide, encaissée entre deux murs.
Ces deux chemins obligeaient tout assaillant à présenter le côté droit
vulnérable, la lance étant tenue par la main droite et le bouclier
protecteur de la main gauche. À l’intérieur de l’enceinte,
on peut reconnaître des fonds de cabanes carrés ou ronds (3 à 4
mètres de diamètre).
Du château, situé à 800 m d’altitude, il ne reste que deux pans de murs. La puissante famille des Pagan s’éteindra en 1362 ayant donné Aymon Ier, fondateur du prieuré de Veyrines, un croisé en 1096 et peut-être le fondateur de l’ordre des Templiers en 1118 en la personne d’Hugues de Payns ou de Pagan, petit-fils d’Aymon Ier. Pierres et linteaux du château ont été réemployés dans le village, hélas une restauration même partielle paraît impossible.
L'église de Saint-Symphorien-de-Mahun
|
L’église dont l’origine remonte au
XIIe siècle dépendait du prieuré de Veyrines,
ce qui explique la grande ressemblance des deux édifices. De cette époque
il ne subsiste que l’abside semi-circulaire intérieurement, à trois
pans extérieurement, et quelques chapiteaux. Le transept, la nef,
le clocher datent du XIIIe siècle. La nef est voûtée
en plein cintre ; la croisée d'ogives qui couvre la croisée
du transept date du XIVe siècle. Peut-être a-t-elle
remplacé la coupole sur trompes habituelle.
C’est également
au XIVe siècle que s’ajoute
une chapelle gothique sur le côté sud de la nef. Aux XIXe et
XXe siècles se greffent deux appendices, la sacristie
et la chaufferie. Deux cloches sont classées, l’une date de
1649, l’autre de 1717.
La porte de l’église garde les traces de l’ouverture à coups
de hache lors des inventaires des biens de l’Église en 1906.
Pendant la Révolution, en 1794, prêtres, religieux et religieuses se réfugient sur cette commune, dont Mgr d’Aviau, archevêque de Vienne. Au lendemain du 18 brumaire 1799, l’école privée devient un embryon de petit séminaire. En 1802 Saint-Symphorien est abandonné au profit du couvent des Cordeliers à Annonay.
Chapiteau de l'église du XIIe s., déposé à l'extérieur. |
La guerre de 14-18 décime la population masculine, 30% des hommes sont tués. Cela accentue l’effet de l’exode rural commencé au XIXe siècle. De 978 habitants en 1861, elle n’en a plus que 131 en 1991, aujourd’hui 134. On observe une mutation avec l’arrivée de personnes qui rachètent les maisons à l’abandon et les transforment en résidences secondaires.
Veyrines, autrefois paroisse distincte de celle de Saint-Symphorien,
est aujourd’hui un hameau de cette dernière commune.
L’église actuelle de Veyrines est le seul monument restant de l’ensemble du prieuré de jadis,
une des plus anciennes fondations bénédictines du Haut-Vivarais.
C’est une simple église de montagne, de style roman très
pur, de proportions très justes. Saint-François Régis (1597-1640)
y passa souvent. Selon la tradition, c’est là que, se rendant à La
Louvesc pour prêcher une retraite, il contracta la veille de Noël
la pleurésie qui devait l’emporter.
L'église Sainte-Marie de Veyrines |
Plusieurs explications sont avancées sur l’origine du nom de Veyrines. Les premiers habitants étaient peut-être des ouvriers verriers d’où Vitrinis, Verrinae ; on trouve aussi dans le cartulaire de Saint-Chaffre du Monastier la mention Santa Maria de Uterinis, qui veut dire utérin, sein de la même mère, sein de la terre, en rapport avec les déesses mères adorées dans la période préchrétienne. Mais il semble plus juste de remonter au latin veterina, pluriel de veterinus signifiant « bêtes de somme » et désignant un élevage. Veyrines se trouvait d’ailleurs sur un chemin muletier allant de la vallée du Rhône au Puy-en-Velay.
Le hameau de Veyrines et son église dans leur environnement |
D’après le cartulaire de Saint-Chaffre1, à la fin du xie siècle, Aymon
Ier de Pagan, fait donation à l’abbaye de l’église
et des terres de Veyrines. Le texte dit ceci : « Nous
voulons faire savoir à tous les fidèles de la Sainte Église
de Dieu qu’un homme noble, Aymon, seigneur de Mahun, a donné à Dieu, à saint
Théofrède et à l’abbé, pour obtenir le
pardon de ses péchés, pour racheter son âme ainsi que
celle de ses parents, l'église Sainte-Marie de Veyrines, située dans
le diocèse de Vienne, et toutes les terres qu'il possède autour, à cette fin qu’on y construisît
un monastère et qu’on y consacrât des moines à Dieu ».
Son fils Foulques sera le premier prieur.
Le prieuré et ses possessions seront, jusqu'au xive siècle, sous la protection et la juridiction des seigneurs de Mahun. En 1326, Guigues V de Mahun s'éteint sans descendance. Les ravages liés à la guerre de Cent Ans s'abattent sur la région et le prieuré, trop isolé, est momentanément abandonné. En 1382, il est rattaché à celui de Macheville, à Lamastre.
L'établissement périclite ; à la fin du xvie siècle, il est devenu une simple cure, succursalle de Lalouvesc. Au début du xviie siècle, dans le cadre de la Contre-Réforme, il est confié aux jésuites du Puy. Après l'expulsion de ceux-ci à la Révolution, l'église de Veyrines devient une simple annexe de celle de Saint-Symphhorien de Mahun et périclite lentement. Abandonnée durant le xixe siècle et bien que classée Monument historique en 1939, elle commence à tomber en ruine, jusqu'à ce que l'association des Amis de Veyrines, créée en 1966, entreprenne le sauvetage du monument prêt à s'écrouler.
C'est un édifice de plan dit « bénédictin », donc en forme de croix latine, bâti en granit local. Sur le transept, largement débordant, se greffent une abside à trois pans renforcée par d'épais contreforts et deux absidioles semi-circulaires basses dépourvues de fenêtres.
On remarque le large transept débordant et le chevet à trois absides, disposition typique des églises en croix latine |
Le clocher rectangulaire s’élève sur la
croisée du transept. La partie supérieure, ajourée
sur chaque face de grandes ouvertures rectangulaires et sans ornements,
paraît d’une date bien postérieure à celle de
la construction de l’église. L’escalier de 53 marches
qui y conduit est pris dans l’épaisseur du mur occidental du
transept. Il aboutit à la coupole percée d’une
ouverture centrale.
Le cimetière au nord était clos de murs, une
croix du XVIe siècle s’y dresse encore. Elle est classée Monument historique depuis 1932.
Une analyse archéologique des murs de l'église, réalisée en 2010 par Anne Baud, avec des étudiants de l'université Lyon II2, a mis en évidence deux grandes phases de construction.
La première, au xie siècle, pourrait correspondre à l'église mentionnée dans l'acte de donation. Il en subsiste aujourd'hui les murs gouttereaux de la nef. Au siècle suivant (début xiie ?), la prieurale connaît d'importantes modifications. Les murs de la nef sont conservés, mais de nouvelles fenêtres se substituent aux baies primitives. Le chevet, que l'on peut supposer formé d'une abside unique, est remplacé par celui que nous connaissons, avec son transept débordant et ses trois absides. À l'ouest, une nouvelle façade est également construite, dotée d'un vaste et profond portail. En plein cintre, sans linteau ni tympan, celui-ci est orné de trois riches voussures de profil identique, deux tores encadrant un filet biseauté. Une mince archivolte décorée de petites boules l'enveloppe extérieurement. Les voussures reposent sur des colonnettes aux chapiteaux décorés de feuillages mais qui, taillés dans une pierre tendre pour permettre une sculpture fine, sont aujourd'hui très dégradés. Sur les tailloirs sont
gravés les six premiers mots de l’Ave Maria.
Au-dessus du portail s'ouvre une large et belle fenêtre en plein cintre, encadrée d’une archivolte reposant sur deux colonnettes, analogues à celles du portail. Le pignon est décoré d’une croix aux quatre branches égales sculptées en relief sur un disque de pierre.
À l'intérieur, on retrouve bien le plan en croix latine, avec sa nef unique, son large transept
sur lequel s'ouvrent trois absides et, sur la croisée, une coupole octogonale établie sur de petites trompes coniques.
Cette coupole est supportée par de puissants arcs qui prennent appui sur huit colonnes engagées massives aux chapiteaux sculptés.
La nef n'est pas voûtée, mais couverte d'une charpente ; l'étude archéologique conduite par Anne Baud a pu mettre en évidence les traces laissées par les charpentes qui se sont succédé au cours des siècles.
Sous l'impulsion de l'Association des Amis de Veyrines, la pose d'une nouvelle charpente et la rénovation de la couverture de la nef ont été réalisées en 2015.
Trois des chapiteaux de la croisée du transept sont remarquablement historiés. C'est d'abord le péché originel. Le serpent tient dans sa gueule une énorme pomme qu'Ève saisit de la main droite et qu'en même temps elle présente à Adam de l'autre main. Celui-ci saisit le bras d'Ève, peut-être pour repousser la tentation, mais en même temps on voit qu'il a déjà entamé le fruit défendu et, si l'on en juge par le geste de sa main gauche, celui-ci lui reste dans le gosier… Et le film se termine sur la troisième face du chapiteau par le châtiment, Dieu le Père chassant Adam avec un fouet en forme de palme.
La tentation d'Ève |
Sur le deuxième chapiteau, une scène rarement représentée, la
descente du Christ aux limbes. Le Christ barbu, tenant la croix, tire un homme de la gueule d'un dragon aux énormes dents
pointues, tandis que d'autres personnages, sortant également
d'une gueule du monstre, tendent vers lui des bras suppliants.
Enfin, le troisième chapiteau historié est d'une facture très
différente. La scène, traitée en méplat, représente le combat de
deux chevaliers. Beaucoup y voient l'évocation du combat des
vices et des vertus, mais on peut aussi penser au rappel d'un fait
historique local, concernant peut-être les Pagan de Mahun.
La descente aux Enfers |
Le combat des Vices et des Vertus ? |
En 1966, François Malartre, un notable lyonnais amoureux de Veyrines, ancien administrateur de la Société de Sauvegarde et co-auteur de l'ouvrage bien connu « Visites à travers le Patrimoine ardéchois » a créé l'association « Les Amis de Veyrines », réunissant autour de lui amis, personnalités politiques et religieuses, habitants, entrepreneurs... Ensemble, ils ont réussi à redonner à l'église la beauté de son état d'origine.
Depuis 2014, l'association a pris un nouveau départ sous la présidence de Mme Chantal Chiflet.
Outre les importants travaux de rénovation de la toiture que nous venons d'évoquer, elle s'est donné également pour but d'animer non seulement le lieu, mais aussi les alentours par l'organisation de concerts, d'expositions et autres manifestations culturelles.
Le 12 juin 2016, l'association a fêté son cinquantième anniversaire et a proposé à cette occasion tout un programme d'animations culturelles.
Par ailleurs, toujours à l’occasion du cinquantenaire de
l’association, Les Amis de Veyrines
ont fait paraître un ouvrage illustré : « L’église de Veyrines », premier titre de
la collection « Regards sur l’Ardèche
verte ».
En 2017, un nouveau projet de développement lié à la mise à disposition de l'association d'une maison voisine de l'église, la « Maison de Marcel », a été initié.
Au-dessous de Veyrines, un soir d'automne |