Sur une petite éminence, un peu à l’écart de la route d’Aubenas à Joyeuse, à la limite entre le Bas-Vivarais calcaire et la Cévenne, le village de Vinezac, au riche passé, domine un terroir de très ancienne tradition viticole, mais où l’olivier a aussi sa place.
Vinezac, vu de l'ouest |
Par ce beau matin d’été, nous nous retrouvons au nombre d’une centaine sur la place de la mairie, groupés autour de notre ami Michel Rouvière qui va, tout au long de la matinée, nous faire partager ses immenses connaissances à la découverte de son village natal.
Vinezac peut s'enorgueillir de trois châteaux, qui ont connu bien
des vicissitudes au cours des siècles, mais qui existent encore,
ainsi que d’une très belle église romane. C’est à la
découverte de tout ce patrimoine que nous allons suivre notre guide,
qui commence par nous conduire à l’emplacement d’une des
anciennes portes du village médiéval. Nous sommes face au château
nord, à l’extrémité du village. (5)*
*Les nombres entre parenthèses se rapportent au plan ci-dessous
À partir des archives et de son analyse architecturale,
on peut l’attribuer aux de la Motte, coseigneurs de Chassiers et
Vinezac (xiie –xve siècles).
La tour carrée figurant sur un document de 1789 est maintenant
incluse dans un ensemble de maisons très remaniées, avec
remploi d’éléments anciens. Nous remarquons les pierres
bien taillées de couleurs variées (gris ou jaune du grès,
brun-rouge dit « robe de capucin » du calcaire),
ainsi que quelques éléments sculptés dans le grès
qui subsistent, un petit corbeau par exemple.
Les maisons du village ont subi de nombreuses modifications ; quelques-unes
sont pourtant encore homogènes, dont une en grès taillé située
derrière l’église, où l’on remarque des moellons à bossage
en remploi ; elle est agrémentée d’une terrasse, de
colonnettes… Nous en verrons d’autres intéressantes. Nous
suivons la rue du Chantou, occasion d’apprendre que ce mot qui signifie « chantier » vient
de chanterius, désignant un espace vide entouré de murs.
Nous faisons maintenant un arrêt à l’emplacement de la tour ouest de l’enceinte d’où partait la route de Largentière (7). Un vaste panorama s’offre à nos yeux avec, en fond de décor, le massif du Tanargue, la Cham du Cros et, plus proches, les villages entourant Largentière : Chassiers, que l’on repère par son clocher, Tauriers, Montréal avec ses tours, et naturellement la tour de Brison qui domine tout le Bas-Vivarais. C’était là au Moyen-Âge la ceinture de défense des mines d’argent de Largentière, lors des grands affrontements entre les évêques de Viviers et les comtes de Toulouse. Michel Rouvière pense que, grâce à leur position élevée, tous ces châteaux devaient pouvoir communiquer entre eux, de jour comme de nuit, par signaux optiques, feux ou fumées. Quant à la ville de Largentière, elle est facile à situer dans le paysage grâce à l’énorme donjon moderne que constitue la tour en béton des anciennes mines de la Pennaroya…
Le château des Charbonnel |
Nous arrivons maintenant sur une grande place, surprenante au cœur
d’un village ancien. Elle n’existe en fait que depuis 1960,
les maisons qui occupaient cet emplacement ayant été détruites
car elles menaçaient de tomber en ruines. « Lorsque j’étais
gamin, j’ai connu ici un quartier paysan avec des chèvres,
des cochons… » nous dit Michel Rouvière. Effectivement,
dans une ruelle proche, on voit encore les petites portes d’anciennes étables.
Ces destructions ont eu l’avantage de dégager quelques
belles constructions, dont en particulier le château central ou château
Charbonnel, bâtiment homogène de la fin du xviie siècle (14).
C’était le château de Charbonnel de Chauzon, coseigneur de
Vinezac, allié aux autres familles seigneuriales locales. La commune a
acquis cet édifice alors qu’il menaçait de s’effondrer,
l’a restauré au prix de travaux très importants pour en faire
un hôtel-restaurant de prestige.
On remarque près de l’entrée les armes des Charbonnel
associées à celles des de La Motte, ainsi que le cerf des
Servissas, autres coseigneurs.
Façade occidentale du donjon du château Jullien |
Poursuivant notre parcours par des ruelles sinueuses,
parfois voûtées, nous atteignons l’ensemble appelé château
sud ou château Jullien(10 à 13),
du nom d’une des dernières familles qui l’ont possédé.
Il s’étire le long de la rue du Puits. Très complexe,
car édifié à différentes époques entre
le xiie et le xviie siècles,
il a été la
propriété successive des familles seigneuriales locales de
Joannas, de Chalendar, de Servissas, de Jullien. En partie racheté par
la commune en 1998 dans le but de disposer d’un espace à vocation
culturelle pluridisciplinaire, il a été réhabilité tout
en lui conservant son aspect extérieur.
Il reste du château féodal un important donjon carré (10)
en partie caché par les bâtiments ultérieurs ;
on le date généralement de la fin du xiie ou
du début du xiiie siècle. Sa face occidentale, qui
de nos jours donne sur une cour, a été très modifiée :
une porte a été percée, un escalier à vis construit,
une belle fenêtre Renaissance ouverte. Il conserve cependant quelques éléments
de son appareil défensif, une bretèche et une meurtrière.
Ce donjon appartient actuellement à un couple d’antiquaires
qui en a très aimablement ouvert les portes à notre groupe.
De la rue du Puits, on peut voir la partie supérieure
de sa face nord qui apparaît au-dessus d’une terrasse. Bâtie
en gros appareil régulier de calcaire gris granuleux, son bossage rustique
est conservé sur les assises supérieures.
Dans la rue du Puits, subsiste aussi une petite tour circulaire,
qui appartenait sans doute à des bâtiments du xve siècle,
aujourd’hui disparus. On remarque des bouches à feu à sa
partie inférieure, qui se trouvent presque au ras du sol actuel, celui-ci
ayant été surélevé de 1,50 à 2 mètres
par rapport à son niveau ancien.
Dans la rue du Puits, à l'écoute des explications données par Michel Rouvière. |
Enfin, au xviie siècle, fut construit un vaste corps de logis résidentiel (12), contemporain donc et de même style que le château Charbonnel, avec notamment ses fenêtres à meneaux formés de simples blocs de grès soigneusement taillés. Un escalier monumental en pierre de quatre volées, orné d’une rampe à balustres, dessert les deux étages du bâtiment. Nous avons aussi pu admirer la façade méridionale, très bien ordonnée, donnant sur ce qui était la cour d’honneur. Nous pénétrons ensuite dans une salle qui était le salon du seigneur (13), décorée de quatre cariatides à gaine, imageant les quatre saisons, travail de gypserie, probablement du xviiie siècle. Des peintures représentent des guirlandes et des danseurs avec tambourin.
Michel Rouvière nous parle maintenant du rempart oriental ; il existe toujours, mais il est curieusement inclus dans des maisons : les plus anciennes s’appuient sur lui à l’intérieur, les plus récentes (xviiie–xixe siècles) également, mais à l’extérieur. En perçant la muraille, on a fait communiquer ces bâtiments, accroissant ainsi les surfaces habitables.
En longeant ces constructions, nous remarquons l’encadrement d’une porte en grès de Vinezac, décoré de deux spirales et d’autres motifs et, un peu plus loin, le porche barbacane (8) dont l’avancée est enserrée entre les maisons modernes. C’était l’entrée principale du village. Les traces de la herse et des canonnières sont encore visibles. À notre droite, la petite rue couverte, rue Noire, dont la voûte basse est formée de gros blocs de grès rustiques, nous persuade que nous sommes vraiment dans le rempart, ou barry (6) . Quelques mètres encore à parcourir et nous nous trouvons sur la place de l’église.
D’après la charta vetus, l’existence d’une église à Vinezac serait attestée dès le viiie siècle. Reconstruite à l’époque romane, elle nous est parvenue pratiquement intacte et forme la partie centrale de l’édifice actuel, classé monument historique depuis 1905. (1)
L'église vue de l'est |
Les baies de l'abside avec leurs colonnettes aux chapiteaux délicatement sculptés |
L’abside à cinq pans, de près de dix mètres
de hauteur, est en grès local très soigneusement appareillé.
Ensuite, nous voyons la nef, dont le pignon dépasse un peu la toiture
du chevet. Enfin le clocher, haut et massif, repose sur la première
travée de la nef, mais il n’a pas toujours occupé cet
emplacement.
Les baies qui s’ouvrent dans chaque pan du chevet sont bien romanes,
avec leurs arcs en plein cintre doublés d’un gros tore et leurs
fines colonnettes aux chapiteaux délicatement sculptés.
L'église au XVIIe siècle |
L’église romane était formée d’une unique nef de trois travées mais, comme bien souvent, on lui a ajouté au xviie siècle des chapelles latérales, dont une très longue destinée à la confrérie des Pénitents (2). Au xixe siècle, pour agrandir l’église, on transforma ces chapelles en deux collatéraux et celui de droite, prolongé jusqu’au mur occidental, engloba l’ancien porche qui se retrouve maintenant à l’intérieur de l’église.
Chapiteaux du portail roman |
Pénétrons dans celle-ci. Nous franchissons cet ancien porche,
dont on a conservé l’archivolte et deux colonnettes coiffées
de chapiteaux délicatement ciselés et nous nous trouvons dans
la première travée de la nef romane.
De là nous voyons la voûte de la deuxième
travée qui bénéficie d’un décor polychrome
formé par l’alternance de grès local gris et de calcaire
rougeâtre. Elle est supportée par de robustes arcs doubleaux dont
l’un est renforcé d’un gros tore. Ces arcs sont reçus
par des colonnes engagées coiffées de volumineux chapiteaux sculptés.
La nef romane. On remarque la polychromie de la voûte de la deuxième travée. |
Cinq de ces chapiteaux présentent des décors de feuillage de style antiquisant, de facture très soignée. Un seul est historié : deux de ses faces sont occupées par deux animaux, des lions peut-être, qui se rejoignent à l’angle de la corbeille en une seule tête au faciès humain, à la langue pendante. Sur la troisième face, un animal aux yeux globuleux et aux oreilles pointues en tient un autre dans sa gueule, un âne peut-être.
La dernière travée supporte une coupole ornée, sans doute
depuis le xviiie siècle, d’un très beau décor
peint de style italianisant, qui peut surprendre dans une petite église
rurale. Les panneaux triangulaires, à la base de la coupole, représentent
les quatre évangélistes : saint Marc avec un lion, saint
Luc et un taureau, saint Jean et un aigle, enfin saint Mathieu montrant le
Livre à un ange. Il est bien possible que ces quatre panneaux, en forme
de pendentifs, recouvrent en fait des trompes, par analogie avec de nombreuses
autres églises de la région. Le tambour porte ensuite des peintures
décoratives, pots à feu et fausses fenêtres en « grisaille »,
enfin le registre supérieur est divisé en huit parties dont quatre
représentent des scènes religieuses.
Jusque vers la fin du xviie siècle, cette
coupole supportait le clocher. Il s’y trouve maintenant un petit clocheton
couvert de tuiles vernissées datant du xviiie siècle,
le clocher proprement dit ayant été déplacé sur
la première travée.
L’abside, pentagonale à l’extérieur, est ici semi-circulaire
et décorée d’arcatures, avec des colonnes ornées
de chapiteaux sculptés.
Daniel dans la fosse aux lions |
Et avant de quitter cette église de Vinezac, qui ne manque pas de richesses, il nous faut encore voir un bas-relief bien connu et figurant parmi les objets d’art classés, que l’on s’accorde à considérer comme représentant Daniel dans la fosse aux lions. Retrouvé lors de la réfection du pavage de l’église, on ignore tout de son emplacement initial. Son style est archaïque, sa facture fruste et le petit personnage central n’est pas sans rappeler l’orant de la crypte de Cruas.
Pour finir, derrière l’église, à l’emplacement de l’ancien cimetière, Michel Rouvière nous montre une croix en céramique à personnages, datant de 1827, qui est la copie exacte d’une croix du xve siècle (4).
Vinezac au Moyen-Âge vu par Michel Rouvière |
Après l’apéritif offert à Vinezac par la municipalité et le repas pris dans la salle polyvalente de Lachapelle-sous-Aubenas, nous allons à pied jusquà ce village par un chemin qui court entre les vignes et les haies.
Notre guide, Mme Michelle Pouzache, nous attend devant une des portes de l’enceinte. Elle nous parle d’abord du plus ancien habitant de Lachapelle, puisqu’il date de l’ère secondaire... C’est un metriorhynchus superciliosus, spécimen extrêmement rare issu du groupe des Crocodiliens en cours d'évolution, très adapté à la vie aquatique, découvert en 1986 par Suzy et Roger Meucci. Ses membres sont transformés en nageoires et il porte une nageoire caudale semblable à celle des requins. La presse nationale s’était fait l’écho de cette découverte qui a suscité l’intérêt des plus grands spécialistes internationaux.
Place Anthoine du Roure |
Pour en revenir au village, sur l’histoire duquel on manque de documents, Mme Pouzache nous présente quelques maisons anciennes, avec fenêtres à meneaux, en nous indiquant quels étaient leurs propriétaires : maison du bailli, qui en 1614 se nommait Jean Tardieu et représentait M. de Rochecolombe, le seigneur du moment. Les descendants de J. Tardieu occupèrent la même fonction et ont laissé la réputation de personnages durs et cruels avec la population. On voit aussi la maison de la famille du Roure, alliée aux Tardieu.
Nous nous trouvons maintenant sur une grande et belle place qui, comme à Vinezac,
occupe l’emplacement d’une partie du vieux village dont les maisons
tombaient en ruines lorsqu’elles furent rachetées et détruites
par la municipalité.
Elle porte depuis 1997 le nom de « Place Anthoine du Roure, défenseur
des paysans » pour rappeler la mémoire de cet enfant de Lachapelle
qui prit la tête de la rébellion de la population du Bas-Vivarais
contre l’administration de Louis XIV en 1670. Sur cette place s’ouvre
notamment une belle maison Renaissance, actuellement hôtel de ville, qui était
la maison des de Balazuc. Mme Pouzache nous indique
qu’un Balazuc a épousé la
fille d’Anthoine du Roure.
Lachapelle-sous-Aubenas (Gravure de Jean Chièze) |
Lachapelle-sous-Aubenas (Dessin de M. Rouvière, d'après une vue aérienne) |
L’église a été agrandie au xixe siècle. Le clocher, pour sa part, a été écimé par ordre du roi, à la suite de la révolte de Roure, révolte dont Mme Pouzache, par un exposé très documenté, nous rappelle le déroulement, ainsi que la terrible répression qui suivit.
Marie et Paul Bousquet
À l’aide de documents fournis par Michel Rouvière
(Visite-conférence du 10 août
2006
en commun avec l'Amicale des Ardéchois à Paris)
Nous remercions Michelle Pouzache d'avoir bien voulu nous autoriser à publier le texte de son exposé sur la révolte de Roure.
Et si vous souhaitez refaire une visite détaillée de Vinezac... suivez le guide ! .