Notre première station, sur le quai du Rhône, nous amène sous le célèbre pont suspendu de la ville, le plus ancien d'Ardèche encore en service. Construit par Marc Seguin en 1827, suivant la technique du pont suspendu « en fil de fer », c'est-à-dire à câble, inventée par cet ingénieur, il suivit de deux ans celui de Tournon, premier grand ouvrage de ce type, qui fut démoli en 1966. Sa longueur totale est de 185 mètres pour deux travées. Son existence de près de deux siècles a été jalonnée d'événements majeurs : surélévation pour permettre le passage des bateaux à vapeur, destruction par les Allemands en retraite en 1944 et restauration en 1957. Il est toujours très utilisé aujourd'hui, comme en témoigne le tambourinement incessant des voitures sur les planches du tablier.
Avant sa construction, la traversée
du Rhône était assurée par un bac à
traille.
Dans le passé, Andance possédait
un port assez actif, qui servait
notamment à l'expédition du bois
provenant des forêts du plateau
vivaro-vellave. C'était aussi une
halte pour les mariniers à la « remonte », les auberges et les écuries pour les chevaux se trouvant
plutôt en face, à Andancette. Côté
loisirs, il y avait les joutes nautiques,
sport jadis populaire tout au long du
fleuve, aujourd'hui limité à sa partie
septentrionale et pratiqué lors de
certaines fêtes. On peut ainsi voir un
bassin de joutes encore actif à
Serrières, petite ville qui garde vive
la mémoire des mariniers et abrite, dans l'église romane
Saint-Sornin, un musée où l'on peut admirer
d'intéressants souvenirs de leur vie, notamment de beaux
spécimens de croix des équipages.
Au sud du pont, nous longeons les vestiges des
fortifications de la ville, dont une belle porte, et, par des
ruelles bordées de maisons pittoresques, atteignons
bientôt l'église Notre-Dame, point d'orgue de notre
journée.
Situé dans le diocèse de Vienne, le bourg d'Andance était le siège d'un prieuré bénédictin, dont on connaît l'existence depuis le xiie siècle, et qui dépendit de l'abbaye de La Chaise-Dieu jusqu'en 1544. D'une certaine importance, ce prieuré comprenait les paroisses de Saint- Désirat, Thorrenc, Talencieux et Saint-Étienne-de-Valoux.
Façade occidentale de l'église |
Mais, après la fondation en 1536 du collège de Tournon,
le prieuré d'Andance fut détaché de l'abbaye de La
Chaise-Dieu et uni à ce nouveau collège, à la suite d'un
accord intervenu entre le cardinal de Tournon, qui était
alors abbé commendataire de La Chaise-Dieu, et le prieur,
Charles de Tournon, son neveu. Une des conditions de
l'accord était que le collège entretiendrait
perpétuellement quatre novices de La Chaise-Dieu,
désignés tous les cinq ans par le chapitre abbatial pour
aller étudier à Tournon. Mais ce détachement n'alla pas
sans soulever de violentes protestations, de la part
d'abord de Christophe de Saint-Chamond, coseigneur
d'Andance, et des habitants du lieu, mais aussi du
chapitre abbatial, qui fit de la résistance pendant plus de
quinze ans... ne se résignant à accepter le fait accompli
qu'en 1560. Et ce n'est qu'en juillet 1561 que le
rattachement du prieuré d'Andance au collège de
Tournon fut définitivement confirmé par lettres patentes
du roi Charles IX.
Dans l'histoire religieuse d'Andance, il ne faut pas oublier
de mentionner le séjour qu'y fit saint
Jean-François Régis en 1624. Ce fut
là, en effet, qu'âgé seulement de 27
ans, il accomplit sa première
mission. La longue formation qu'il
suivait encore chez les jésuites à
Toulouse était en effet entrecoupée
de périodes - nous dirions
aujourd'hui de stages - dans d'autres
centres et c'est ainsi qu'il se retrouva
au collège de Tournon et que de là
il fut envoyé, avec un autre
religieux, pour seconder le curé
d'Andance. Un de ses premiers
biographes, au début du xviiie siècle, décrit ainsi son action auprès
de la population d'Andance : « […] il entreprit la sanctification du
bourg d'Andance, où il fut reçu
comme un envoyé du Ciel : Dieu
bénit tellement son zèle que les
vices qui y régnaient le plus,
l'ivrognerie, le jurement, l'impureté
furent bannis et le fréquent usage
des sacrements rétabli ; l'odeur de
sainteté qu'il y laissa subsiste encore
aujourd'hui. »
(Daubenton (R.P.), La vie du bienheureux Jean François Régis, Paris, 1716)
L'édifice construit dans la deuxième moitié du xiie siècle était formé d'une vaste nef de grande hauteur, sans transept, divisée en trois travées par des pilastres cannelés. Mais il n'en reste que les murs latéraux et une partie de la façade occidentale ; la voûte en berceau brisé s'écroula en 1568 lors de la prise d'Andance par les protestants.
Le mur nord de la nef romane, renforcé par des arcs de décharge profonds... |
Dans le mur méridional s'ouvrent de grandes baies en plein cintre. |
Nous pénétrons dans l'église par le portail occidental,
devant lequel s'élève le porche à quatre colonnes élevé
au xixe siècle par la confrérie du Saint-Sacrement en
l'honneur de saint Jean-François Régis. Nous retrouvons
donc les murs de la nef romane, construits en bel appareil
de grès fin, renforcés par des arcs de décharge profonds,
légèrement brisés, séparés par des pilastres cannelés
flanqués de contre-pilastres à double ressaut. Le mur nord
est traditionnellement aveugle, mais au sud, sous les arcs
de décharge, ainsi que sur la façade occidentale,
s'ouvrent de grandes baies en plein cintre dont
l'archivolte retombe sur des colonnettes reposant sur un
socle élevé.
La nef romane se termine à l'est par un grand arc en tiers-point
qui s'appuie sur des pilastres cannelés, surmontés
de très beaux chapiteaux corinthiens provenant
probablement des ateliers viennois du xiie siècle.
D'ailleurs, tant l'architecture que la décoration de Notre-Dame d'Andance sont très proches de celles de l'abbatiale
de Saint-André-le-Bas de Vienne et la rattachent donc au
célèbre groupe roman viennois.
Malheureusement la nef, qui était de grande élévation, a perdu une partie de sa hauteur lorsque, au xviie siècle, elle fut couverte de voûtes d'arêtes lancées très au-dessous du départ de l'ancienne voûte romane effondrée. Celles-ci reposent sur des impostes modernes qui coupent fâcheusement les pilastres cannelés romans, dont on retrouve le prolongement dans les combles, avec les superbes chapiteaux corinthiens qui les couronnent et une frise décorative qui soulignait le départ de la voûte romane. On retrouve une portion de cette frise de style antiquisant, formée de carrés sculptés de rosaces, fleurons et masques, placée en remploi au-dessus du portail occidental.
La nef romane se prolonge à l'est par une travée de chœur voûtée d'une croisée d'ogives, élevée à la fin du xiiie siècle par le prieur Bertrand (ou Pierre ?) du Colombier dont les armes figurent à la clef de voûte. L'abside polygonale est une construction du xixe siècle.
Portail occidental - Remarquer la frise en remploi |
Avant de sortir par le portail méridional, nous ne manquons pas d'admirer la très belle croix de mariniers conservée dans l'église, dont Michel Faure nous présente en détail le décor. (Voir ci-après)
Portail méridional |
Dans le mur sud s'ouvre donc le portail roman,
malheureusement très dégradé. Au-dessus du linteau
simplement orné d'une croix pattée cerclée, on peut
encore distinguer sur le tympan l'agneau pascal crucifère
et, à sa droite, la silhouette d'un personnage, le bras
tendu vers lui, peut-être saint Jean-Baptiste.
Les deux piédroits sont surmontés de bas-reliefs
pratiquement illisibles. Néanmoins, Robert Saint-Jean a
cru y discerner, à gauche, l'adoration des Mages et, à
droite, leur chevauchée.
On remarque sur ce mur méridional des arases de briques
et de mortier au tuileau ; traces d'une construction
antique ?
Notons pour terminer que l'église d'Andance est inscrite
sur la liste supplémentaire des monuments historiques
depuis 1927.
Les croix de mariniers, ou croix des équipages, sont liées au trafic fluvial sur le Rhône moyen, entre Lyon et Arles, célébré par Mistral, qui connut son apogée avant l'arrivée de la navigation à vapeur, du milieu du xviiie siècle au milieu du xixe siècle.
Les grandes croix, hautes d'environ 1,50 m, étaient fichées sur la cabine du patron d'équipage.
Les petites, dont la hauteur ne dépassait pas 50 cm, étaient laissées dans les maisons des mariniers.
Elles étaient bénies par le prêtre avant le départ pour la « décize » (descente) ou la « remonte ».
Taillées dans du bois flotté, parfois achetées à la foire de
Beaucaire, elles portent le Christ au centre et sont
décorées de façon à peu près invariable de
représentations des instruments de la passion du Christ et
de symboles de la vie des mariniers.
Dans la première catégorie, on peut citer la lance,
l'échelle, le marteau, les clous et les tenailles, les trois dés
à jouer et la robe, les fouets, l'inscription INRI.
Dans la seconde catégorie, on trouve la lune et le soleil,
le pichet de vin, la tête de mort et les tibias.
Certains symboles sont ambivalents : la main (le Christ
giflé et les travaux manuels), la bourse (la trahison de
Judas et le commerce), la lanterne (l'arrestation de Jésus
et la lanterne du bateau), le coq (le reniement de Pierre
et le lever du jour).
La croix de l'église d'Andance, de grandes dimensions, est
un don de la famille Marthouret. Elle porte un bateau à
son sommet.
A côté d'elle, protégée par la même vitre de sécurité, se trouve la Vierge noire venant de la chapelle Saint-Bosc et récemment restaurée.
Voilà un nom familier aux adhérents de la Sauvegarde. De 1978 à 2008, notre association a participé à cinq reprises à des travaux de confortement ou de restauration de ce vénérable monument. Mais combien d'entre nous avaient pu le visiter ?
Chapelle Saint-Bosc |
Nous avons donc rendez-vous, ce matin du 14 novembre,
sous un ciel chargé de nuages, au hameau de Saint-Bosc, à une grande demi-lieue au sud d'Andance, d'où un
chemin dans les vergers nous conduit à la chapelle éponyme. Nous y sommes attendus par Michel Faure,
président honoraire de la Sauvegarde, organisateur
efficace de cette journée, qui va se montrer aussi un
guide érudit. Pour nous accueillir, Mme Irène Fourel,
maire d'Andance, a fait le déplacement, ainsi que
M. Pierre Biennier, ancien maire, et M. Louis Lambert,
amoureux du patrimoine.
La chapelle Saint-Bosc, ou Saint-Barral, protégée par un
petit enclos, nous montre d'abord son abside arrondie au
crépi blanc immaculé et sa toiture de tuiles refaite à neuf
qui lui donnent un air pimpant et ne laissent pas deviner
son ancienneté. Selon la tradition, son origine remonterait
pourtant au ve siècle et elle serait construite sur les
vestiges d'un lieu de culte païen. Nous n'avons en fait que
peu d'éléments sur son histoire. Albin Mazon mentionne
une restauration au xve siècle, sa vente comme bien
national à la Révolution et son rachat par la fabrique de
la paroisse d'Andance en 1826.
Contournant l'abside, nous entrons par une porte située
au midi dans cet édifice à nef unique voûtée en berceau.
Plus question ici d'allure pimpante ; les infiltrations d'eau,
avant la réfection de la toiture, ont fortement
endommagé enduits, peintures et mobilier, ce dernier au
demeurant très modeste. Nos hôtes attirent notre
attention sur le vitrail qui orne l'oculus de la façade
occidentale, refait il y a cinq ans par Jean-Pierre Terrasse, à l'identique sauf l'ajout d'une colombe. Une statue en
bois peint de saint Barral, ou Barulas, est posée sur
l'autel. Datée du xixe siècle, elle a été inscrite à
l'inventaire en 1986.
La chapelle renfermait une autre statue inscrite à
l'inventaire à la même date, une Vierge noire en bois
peint et doré, qui a été restaurée et transportée à l'église
d'Andance il y a trois ans.
Pierre Court
et Paul Bousquet pour l'église d'Andance