C’est Désaignes (qu’il est plus local de prononcer « Désagne ») qui avait été choisi pour la sortie de printemps.
Situé à 500 m d’altitude, au nord du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, ce « village de caractère » de 1 150 habitants montre, depuis plusieurs décennies, une grande volonté de protection de son patrimoine architectural médiéval.
La première forteresse d'après un dessin de la fin du XVIIIe siècle |
M. Jean Bernard, homme passionné, en est le plus fervent initiateur. C’est lui qui nous a très chaleureusement accueillis et qui avait organisé cette journée de visite pour laquelle nous étions plus d’une cinquantaine.
Secondé par Mme Geneviève Champeley, enseignante durant de nombreuses années dans la commune, il nous a guidés dans le dédale des jolies ruelles à l’intérieur de l’enceinte médiévale dont subsistent encore trois portes d’accès. Nous avons goûté l’eau, réputée très pure, qui coule aux nombreuses fontaines, publiques ou privées, du village. Nous avons admiré les efforts de restauration entrepris par cette petite commune pour l’entretien et la sauvegarde de son patrimoine, avec le soutien de notre Société de Sauvegarde. Afin de sensibiliser la population, les enseignants avaient commencé par l’initiation de leurs petits élèves en leur faisant découvrir leur environnement architectural
et historique. Les enfants pouvaient ainsi faire visiter
leur village avec des commentaires appropriés et datés. Puis
des fêtes en costumes médiévaux, scrupuleusement documentés,
ont ensuite été organisées. Le deuxième week-end
d’août est régulièrement animé par une
journée médiévale qui remporte toujours un franc succès.
Le château a été partiellement aménagé en
musée local grâce à l’opiniâtreté et
au dévouement de Jean Bernard, mais aussi par la volonté de la municipalité et l’intértêt
qu’elle porte à son patrimoine. Au dernier étage du château, une exposition
particulièrement détaillée relate la résistance
du village durant la dernière guerre.
Tout au long de son histoire, de grandes familles : Retourtour, Tournon, Ventadour, et, au xixe siècle, de grands hommes tels que Marie Rémy Chazallon, spécialiste de l’hydrographie et inventeur du calendrier mondial
des marées, et Conrad Kilian, spécialiste visionnaire de la géologie saharienne,
petit fils de François comte de Boissy d’Anglas, ont laissé des empreintes très fortes
dans le caractère de ce village.
Après un apéritif offert par la municipalité dans la salle polyvalente du château, chacun a sorti du sac son casse-croûte avant de repartir à la découverte du temple, de son histoire et de ses deux orgues fréquemment utilisés pour des concerts.
L’après-midi s’est poursuivi par la visite de l’église de Désaignes, puis du hameau de Labatie d’Andaure, pour laquelle Mme Popon nous a lu un article de Jean-Claude Bouvier que vous allez découvrir ci-après, ainsi qu’un texte reprenant des écrits de Jean-Claude Bouvier et de Jean Bernard concernant Désaignes.
L’existence de Désaignes est attestée dès le xiie siècle par la présence d’un premier château et celle d’un prieuré. Elle avait au Moyen-Âge entre 2 000 et 3 000 habitants et fut, avec Annonay et Tournon, l’une des trois villes closes du Haut Vivarais.
Désaignes : le château-musée |
Leur construction daterait de la guerre de Cent Ans, période troublée où les Grandes Compagnies parcouraient la campagne et la dévastaient. Leur tracé est connu dans sa presque totalité. Sur une partie de leur parcours, des maisons s’y sont appuyées, soit intra muros, soit extra muros. Ailleurs, on n’en trouve que les fondations. L’accès à la ville se faisait par quatre portes, et peut-être une cinquième, plein sud, près de la forteresse des Retourtour. Trois sont bien conservées. Une seule a gardé quelques mètres de mâchicoulis et sa tourelle de surveillance. La quatrième, la porte du Four, ou du Doux, a été détruite en 1841 lors de la construction de la route D533 qui contourne les fortifications par l’est. Mais Désaignes fut bien avant cela, un site de forteresse.
Le plus ancien, que la tradition locale avait baptisé « Temple de Diane », fut bâti par les Retourtour, famille connue depuis le xie siècle (1085) et dont le premier établissement, aujourd’hui en ruine, se trouve sur une éminence au-dessus du Doux à mi-chemin entre Lamastre et Désaignes1 ; au xiie siècle, Armand Ier est qualifié de seigneur de Retourtour, Desaignes, Beauchastel, Dunières et Montfaucon. Il est dit couramment que sa construction remonterait au xiie siècle, mais Pierre-Yves Laffont la daterait au plus tôt du xiiie 2.
Désaignes : cuisine du château |
Le second château, dénommé château des Meyres, aurait été construit, dit-on généralement, au xive siècle par Odon V. Là aussi, Pierre-Yves Laffont propose une datation plus tardive, xve et xvie siècles. Les aménagements faits comportent une tour (sur laquelle les remparts ont ultérieurement pris appui), à laquelle est accolé un escalier à vis, et un grand bâtiment rectangulaire au nord-est. En 1431, le château est habité par les Meyres qui auraient été des serviteurs fidèles des Retourtour dès 1352. Pierre de Meyres, damoiseau, châtelain et officier de Désaignes, n’a que des filles. L’aînée, Marguerite, épouse en 1494 Alexandre de Tournon, fils naturel légitimé de Jacques de Tournon, donnant naissance à la branche des Tournon de Meyres devenue par la suite Tournon Simiane et, actuellement, Chabane la Palice de Tournon.
Le château est actuellement propriété municipale. Il a été progressivement restauré dans ces dernières années avec l’aide de la Sauvegarde. Il est remarquable par ses immenses cheminées, dont l’une porte, mutilés, les trois blasons des Tournon, des Meyres et des Tournon de Meyres, par son escalier de 72 marches de pierre, par une grille en fer forgé du xve siècle, et autres.
La possession du prieuré Saint-Martin de Désaignes est
confirmée aux Bénédictins de Saint-Martin d’Ainay
de Lyon par une bulle du pape Eugène III du 26 février 1153.
Désaignes, dès le xiie siècle,
fait donc partie des quelques
possessions que cette abbaye avait en Vivarais : Cheminas,
Etables, Iserand et Vion.
La première église de Désaignes ne semble pas avoir
suivi le
plan bénédictin classique en forme de croix latine, avec une
nef unique terminée par une abside semi-circulaire et un
transept sur chacun des bras duquel s’ouvre une absidiole,
contrairement aux autres prieurés vivarois (Vion) ou dauphinois
(Allan) de l’abbaye d’Ainay. Pourtant Désaignes, bien
que « prieuré de campagne », devait être
important comme
le montrent les dimensions exceptionnelles du chœur dont le
plan initial, avec son chevet à pans coupés de bel appareil,
paraît avoir été conservé (mais peut-être
le chœur tel qu’il est
aujourd’hui englobait-il alors une partie de la nef ?).
Cette église primitive était composée, comme la plupart
des églises de l’époque, d’une simple nef sur
laquelle sont venues
se greffer, au cours des siècles, cinq chapelles :
Plan de l'église de Désaignes selon Jean-Claude Bouvier |
Ces cinq chapelles pourraient nous laisser penser que la nef de la première église comportait trois travées. En fait, et pour une question de place, les deux chapelles sainte Madeleine et sainte Croix devaient s’ouvrir au même niveau de la nef dans la partie la plus ancienne de l’église. La nef de l’église primitive n’aurait donc eu que deux travées avec un portail que l’on peut situer au droit des pierres de soubassement encore visibles côté nord.
Il est curieux de constater que, s’il y avait des chapiteaux dans l’église primitive, comme le laisserait prévoir la tradition des moines d’Ainay, aucun n’a été réemployé au cours des reconstructions du XVIIe siècle, contrairement à ce qui a eu lieu au prieuré de Macheville. Nous ne retrouvons aucune pierre sculptée (à part éventuellement une) ou même correctement dressée utilisée comme moellon dans la maçonnerie. Il est pourtant intéressant de rapprocher les chapiteaux des trois fenêtres du donjon des Retourtour avec ceux exécutés pour l’église de Vion à la même époque. Bien que les motifs décoratifs soient différents, la facture de ces chapiteaux est proche et on pourrait supposer que les sculpteurs d’Ainay aient pu travailler aussi pour les Retourtour en même temps que pour l’église de Désaignes.
Pendant les guerres de Religion, cette première église a
souffert d’attaques. Sa destruction à la fin du xvie siècle
est
confirmée par un acte de fondation de chapelles, établi en
1657 par le curé Joachim Boissié qui rappelle que l’église « fut
entièrement ruinée et abattue […] aux premiers
troubles
arrivés à cause du parti de la RPR […] et, peu de temps
après,
rebâtie sur quatre piliers, lesquels portaient la nef et formaient
quatre chapelles où le service fut fait ». La nouvelle église,
dans cette première phase de reconstruction, se présente
alors avec une nef à deux travées et un portail de la même
hauteur que celui de l’église primitive.
Mais peut-être ce portail avait-il été sauvegardé ?
Deux des
cinq chapelles primitives (sainte Madeleine et sainte Croix)
auraient été, on l’a vu, préservées de
la ruine. En 1636,
François-Christophe de Tournon de Meyres commande la
réfection des deux chapelles qui lui appartiennent (sainte
Catherine et Notre-Dame du Rosaire), pour « élever les
murs, faire deux voûtes de quatre pointes ».
Le curé Robert Varchier (ou Valachier ?) demande en 1646 « être
bâti et édifié un clocher en tour
carrée ». Ce clocher
sera d’ailleurs construit en 1657, à l’emplacement d’un
très
ancien bâtiment dont on peut voir l’amorce de murs côté
nord. Le curé propose en outre de « refaire et rehausser
le chœur ».
Un acte de 1657 précise qu’en 1656 a été réalisé « l’augmentation
de la moitié de l’église » dont la nef est
donc maintenant
composée de quatre travées. Cette date de 1656 est
inscrite sur deux pierres, l’une récupérée de
la façade précédente
et insérée dans la nouvelle façade au xixe siècle,
l’autre à l’intersection des deux arêtes de la
voûte de
la seconde chapelle
sur la droite. C’est probablement au moment de cette
construction que les deux premières travées de la nef,
reconstruites avant 1636, ont été surélevées
en même temps
que le chœur avec la mise en place de l’arc triomphal destiné
à bien délimiter la nef et le chœur.
En 1668, le clocher est surélevé d’une toise et demie
(environ 2,90 m). Tout au long du xvie siècle, d’autres
chapelles sont construites le long de la nef.
Jusqu’en 1875, l’église était en contrebas par
rapport à la place. Cette place était l’ancien cimetière et il est
normal qu’avec le temps son niveau se soit élevé. Il est donc
décidé d’abaisser le niveau de la place, mais également de rehausser
celui de l’église. C’est à cette époque
que toutes les fenêtres du côté nord ont été reconstruites et que les
murs de séparation entre les différentes chapelles ontété démolis de façon à créer deux
bas-côtés afin d’accueillir plus de paroissiens. Toute la décoration
intérieure est reprise et l’affectation des différentes chapelles modifiée. Enfin, avec les changements
de niveau, il a été nécessaire de reprendre le portail ainsi que l’ensemble de la façade sur
la place, à l’exception du clocher.
Nous n’avons pas de trace des bâtiments du prieuré qui devaient normalement se situer au nord de l’église. Une ancienne et belle porte au fond de la cave de l’actuel presbytère, et au droit du mur de la rue, nous conduit à penser que le prieuré était contigu à l’église, à un niveau assez bas, et qu’il n’y avait donc pas initialement de
rue le long du mur nord de l’église. Les bâtiments du prieuré, probablement démolis en même temps
que l’église, ne semblent pas avoir été reconstruits au xviie siècle comme le montrent les difficultés qu’ont eues les curés successifs à trouver un logement proche. Les prieurs commendataires, eux, n’habitaient plus Désaignes.
Désaignes : le temple |
Au xvie siècle,
les habitants de Désaignes adhèrent
massivement à la Réforme. L’Édit de Nantes
(1598) autorisant les Réformés à construire leurs
lieux de culte, ils édifient leur temple en 1608. Il
sera détruit en 1684 à la veille de la Révocation.
Daniel de Cosnac, évêque de Valence, écrit à ce
propos le 7 mars 1684 : « Le dernier temple dans le lieu le plus considérable
de la Religion est tombé et l’exercice de la RPR est
interdit ».
La pierre gravée de la façade a été conservée
dans l’église et réinstallée sur celle du temple construit en 1822, 138 ans
plus tard. En effet, la paix entre l’État et les religions ayant été
rétablie par Napoléon en 1801 avec le Concordat et en 1802
avec les articles organiques des religions réformée et juive,
les protestants, dont l’existence est devenue légale, le reconstruisent
alors, en application de cette législation concordataire,
autorisés et subventionnés par le ministère des Cultes.
Le temple a été adossé à la forteresse des Retourtour
qui, d'après Pierre-Yves Laffont, aurait été pour l'essentiel
détruite
en 1822. Mais il n’occupe pas tout l’espace de l’ancienne
forteresse. Une partie, de 4 à 5 m
de large, a été conservée et reste un lieu de découverte
pour des chercheurs futurs.
Après un incendie en 1963, l’intérieur du temple a été restauré.
À partir de 1967, une intense activité musicale s’y
est développée. Deux orgues y sont installés, l’un
de 1930, pneumatique, du facteur suisse Kuhn, l’autre de 1900, mécanique,
du facteur français Cavaillé-Col. Ce dernier, de grande qualité,
restauré avec l’aide de la Sauvegarde, est le plus utilisé lors
des concerts d’été (43e édition en 2010).
La Bâtie d’Andaure (La Bastie ou La Bastide) était une importante et très ancienne forteresse qui occupait toute la surface du vieux bourg actuel. Elle était construite sur un éperon « barré » par un fossé qui la défendait côté montagne. Ce fossé, aujourd’hui emprunté par la route départementale, est traversé par un pont de pierre à l’endroit de l’ancien accès à la forteresse. Il ne subsiste rien du château primitif. Le donjon et la cour haute devaient se situer à l’extrémité de la croupe, à l’emplacement de l’église actuelle et de la petite maison forte du xvie siècle. Il est possible que certains murs et les restes d’échauguettes encore visibles aient fait partie de l’enceinte fortifiée.
La forteresse était utilisée au moment des guerres de Religion de la fin du xvie siècle. En effet, dans une réclamation présentée aux États du Vivarais en 1623, il est indiqué que « ce lieu, qui est un fort important et ayant d’ordinaire une garnison de 80 à 100 hommes, avait été pris l’année précédente par les sieurs de Gonfreville, de Tagenac et de Romanet sur l’ordre du comte de Tournon », qui en était le coseigneur, mais aussi le chef du parti catholique de la région. Elle a dû être progressivement démantelée et ses pierres utilisées pour construire les maisons du village actuel. On peut y voir d’ailleurs, ici et là, de belles pierres sculptées de réemploi. La petite maison forte a dû être aménagée pour le châtelain au début du xviie siècle.
La Bâtie d’Andaure était sous la suzeraineté de l’évêque du Puy qui a confié la seigneurie successivement à différents seigneurs. En 1309, c’est noble Pierre de Mastre qui reconnaît la tenir de messire Bernard de Castanet, évêque du Puy, avec tout le mandement et juridiction, justice haute et basse…
De semblables hommages sont faits, en 1347 par noble
Jausserand de la Mastre, en 1348 par Philippe Bertrande de
Colombier, fille majeure, en 1362 par noble Pierre de Saint-
Didier, en 1378 par Hugon de Chateauneuf de Rosières, en
1446 par Jean de Saint-Geoire (ou Jeure), chevalier, en 1490
par noble Arthaud Allier de Saint-Jeure. En 1500, la coseigneurie
est partagée entre trois familles, les Rosières, les
Allier de Saint-Jeure et les Fay Saint-Romain de Valmordane.
En 1573, pendant les guerres de Religion, le château de La
Bâtie est mentionné comme appartenant à la duchesse
d’Uzès « sous la garde du sieur Rebolet ».
En 1591, le capitaine
châtelain, ou bailli, est un sieur Bergeron, de Désaignes, écuyer,
qui fait hommage de sa charge à noble Jehan de
Rochain, sieur de Ruissas.
Bien avant la fin du xvie siècle,
la part des Valmordane, et probablement aussi celle des Saint-Jeure, était
passée dans
la
maison de Tournon. Mais le château demeurait toujours un
fief de l’évêque du Puy. En 1640, celui-ci donne l’investiture
du château à messire Jean de Verjac.
En 1691, les Lévis-Ventadour, successeurs des Tournon,
vendent leur part aux du Faure de Satilieu. L’autre partie alla
des Rosières aux Reboulet, de ceux-ci à François
Christophe
de Lestrange à qui Marie-Claudine de Reboulet l’avait apportée
en dot, et enfin aux Romanet.
La paroisse de La Bâtie, sous le vocable de saint Georges,
formait une commanderie de l’ordre de saint Augustin. Elle
relevait des chanoines de saint Michel de Charay qui géraient
les possessions du chapitre du Puy en Vivarais. Le prévôt
de
Charay y nommait le prieur et celui-ci y nommait le curé qui,
outre La Bâtie, desservait Saint-Jeure d’Andaure et recevait
pour cela une double portion congrue.
L’église, récemment restaurée, a été construite à la
fin du xixe siècle « sur
le mode gothique avec trois nefs ».
Le clocher, dont le curieux couronnement n’est pas sans intérêt, a été élevé au début du xxe siècle.
Les fonts baptismaux, ainsi que le bénitier qui serait un ancien socle de croix, proviennent probablement de la première église.
Notes
1- Cf. Visite de Lamastre
2- Laffont, Pierre-Yves :
- Atlas des châteaux du Vivarais (Xe-XIIIe siècles),
Documents d’archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne (DARA),
Châtillon-sur-Chalaronne, 2005.
- Châteaux du Vivarais - Pouvoirs et peuplement en France méridionale
du haut Moyen-Âge au XIIIe siècle, PU de Rennes éd., 2010.
D’après des textes de Jean Bernard, responsable du musée de Desaignes, et de Jean-Claude Bouvier.
Visite du 27 mai 2010