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Genestelle : Église Sainte-Marie - Moulin de Campustelle

L'église Sainte-Marie

L'église Sainte-Marie de Genestelle paraît sans intérêt majeur, proposant un clocher courtaud engoncé dans une triste maçonnerie de béton qui en chemise la souche, tandis que le mur visible du collatéral nord présente une surface lissée ordinaire. Seul l'entourage de la porte d'entrée se distingue en s'ornant de pierres disposées en bossage. Mais, à l'intérieur, le monument révèle un intérêt réel.
Cet édifice a été approché par André Rhein et Auguste Le Sourd en 1926, par Gaston Rey dans son livre sur Genestelle, paru en 1975, et par Marie Garnier dans un document non édité.

Église de Genestelle

Église de Genestelle

L'église au fil des siècles

Genestelle est entrée dans l'histoire par son église. Vers 950, la Charta vetus mentionne les chanoines de Viviers qui, au nom de l'évêque Thomas II, administrent les paroisses du diocèse et Aldebertus est désigné comme celui qui gère deux églises voisines, Sainte-Marie de Genestelle et Saint-Étienne de Conchis. En 1187, l'église Sainte-Marie est confiée aux chanoines augustins du monastère de Saint-Michel du Charay, situé entre le Rocher de Gourdon et Privas. Ce sont eux qui édifièrent l'église du xiie - début xiiie siècle, simple nef avec chœur à l'est. Un prieuré est implanté au midi de l'édifice. La paroisse est géographiquement importante et s'étend jusque vers le col de la Fayolle. En 1258, le pape Alexandre IV confirme cette possession.
Un don de cire, en 1427, permet d'assurer qu'une confrérie, sous le patronage de saint Jacques, est active et que, peut-être, une chapelle, attestée tardivement en 1676 et sans localisation précise, est mise à sa disposition au début du xve siècle.
Le 19 mai 1432, lors d'une assemblée réunissant à Antraigues « noble Louise Flandin, dame de Craux », veuve d'Hugues d'Ucel, et des paroissiens en présence du notaire Rochette, une décision est arrêtée : « sachant que leur église menace ruine, sont nommés des procureurs pour rebâtir l'église de N-D de Genestelle ».

Église de Genestelle, la coupole

Église de Genestelle. Trompe de la coupole dont la voussure en saillie reste partiellement en porte-à-faux

En 1570, des familles se tournent vers le protestantisme. Les guerres qui se succèdent favorisent le pillage de l'église et les dégradations. Les têtes bûchées des culots doivent garder le souvenir de cette époque. Mais une certaine tolérance a su éviter des troubles majeurs. Une date, 1623, écrite horizontalement et verticalement, paraît rappeler des travaux engagés après les guerres religieuses.
La révolte de Roure en 1670 touche Genestelle qui fournit des chefs aux attroupés. Ici et ailleurs, les curés, trop enclins à prêcher l'obéissance au roi et le retour au calme, reçoivent des menaces et leurs demeures l'exploration des pilleurs. Le prieuré de Genestelle est investi et dévalisé, mais l'église ne subit pas de destructions et les objets liturgiques volés seront rendus.
Le 21 octobre 1715, l' « Église sous le titre de N.-Dame de l'Assomption » est visitée par l'official diocésain. Des indications sont précieuses : pas de collatéral au nord, une tribune à l'ouest, une sacristie exiguë au nord du chœur, une chapelle appartenant au seigneur de Craux au nord de la nef, le cimetière enveloppant la nef au nord et le chœur et les habitants sont dits « anciens catholiques, excepté une maison ».
Au cours du xixe siècle, la paroisse assume un effort évident pour répondre au mieux à l'augmentation sensible de la population. En 1806, 1 691 habitants sont dénombrés, en 1846 ils sont 2 282. L'élargissement de l'église pour accueillir les fidèles s'impose : la sacristie est transférée au sud en annexant une pièce de l'ancien prieuré, après avoir déplacé le cimetière vers l'est un large collatéral est bâti au nord et on arrondit le chœur en le repoussant profondément vers l'est.
Mais, au plan communal et paroissial, des démarches de démembrement sont entreprises : en 1850, Saint-Joseph-des-Bancs est érigée en commune et en paroisse indépendantes, la vallée de Bise se constitue en paroisse sans obtenir son autonomie communale. La paroisse de Genestelle se trouve ainsi sévèrement réduite, mais elle continuera son chemin et, pour mentionner au mieux le nom de son église, placera sur son clocher une statue de Notre-Dame.

Entre histoire et légende, les écrits balancent souvent

L'église constitue un bâtiment complexe, dont l'architecture initiale a été bousculée par des destructions, par des restaurations, par des adjonctions successives. Le regard constate des dissymétries et des lignes biaises. Son étude est délicate et ne permet parfois que des hypothèses. Mais il est difficile de soutenir l'existence suggérée d'un transept et de collatéraux ainsi que les supputations fantaisistes d'une halte du futur roi Charles VII en l'église et du passage sur la paroisse d'un chemin majeur de Saint-Jacques de Compostelle.

Visite de l'église

Église de Genestelle, cul-de-lampe

Cul-de-lampe

L'église orientée dispose d'une nef et de collatéraux. Spontanément, le visiteur traverse le bas-côté nord édifié au xixe siècle et entre dans la nef principale. La nef s'allonge sur quatre travées terminées par un ample chœur.
La première travée est romane. La deuxième travée est couverte d'une élégante coupole hémisphérique. Cette coupole est soutenue aux angles par des trompes en cul-de-four dont les voussures extérieures en saillies restent partiellement en porte-à-faux. La travée suivante devait initialement engager dans le chœur de l'église qui a été repoussé plus à l'est. L'art roman apparaît encore mais manifestement des écarts se découvrent dans l'ornementation des corniches et les deux colonnes engagées qui ferment cette travée sont de section polygonale. On peut constater probablement un réaménagement inspiré d'un roman tardif au xive ou au xve siècle. En poursuivant le cheminement vers l'est, nous entrons dans une travée où l'influence gothique est nette : ogives et arcs formerets, clef de voûte rayonnant de quatre lobes où s'expose un agneau pascal, colonnes octogonales adossées. Cet espace devrait être une œuvre de la première moitié du xvie siècle. Le chœur actuel a été ouvert largement au xixe siècle et a mis les colonnes gothiques les plus proches en délit.

Église de Genestelle, bretèche sur le mur occidental

Église de Genestelle. Bretèche sur le mur occidental

Le collatéral sud a été construit par étapes. La chapelle de saint François Régis a dilaté au xixe siècle une chapelle étroite nommée dans le rapport de 1715. Puis, plus à l'ouest, est établie une chapelle des xve-xvie siècles, élégamment voûtée d'ogives toriques sur culots. Ceux-ci mettent en évidence le monogramme de Jésus IHS, l'Ave Maria, un visage humain, un signe indéchiffré surmonté d'une croix. La clé de voûte propose le thème royal des trois fleurs de lys. La baie, bien dessinée, se charge d'une accolade gothique.
Toujours vers l'ouest, mais en disposant d'un champ plus grand, s'alignent deux travées d'une chapelle également gothique. Les ogives s'entrecroisent, elles viennent mourir aux angles ou trouvent appui sur des culs-de-lampe montrant en haut-relief des visages, désormais mutilés.
Des détails dans l'église retiennent l'attention : le bénitier, la cuve baptismale, la statue d'une Vierge à l'Enfant, la statue de saint Jean-François Régis, un autel en bois, une litre funéraire. Dans la sacristie, un buste polychrome de Christ a une agréable plasticité et semble s'isoler dans un silence apaisé derrière ses yeux clos.
Mentionnons, même si l'accès en groupe est inenvisageable, qu'à l'intérieur de la souche du clocher, se découvrent des baies trilobées sur chaque face de ce qui devait être un gracieux campanile roman installé sur la coupole.
Un parcours autour de l'église et du prieuré est instructif, car une bretèche s'est greffée sur le mur occidental pour protéger l'entrée du prieuré et linteaux en accolade, moulurations, monogramme de Jésus relatent des constructions des xve et xvie siècles.

Père Bernard Nougier

Le moulin de Campustelle

La journée s'est terminée par la visite d'un moulin au lieu-dit Campustelle sur les berges du Sandron où nous avons été accueillis par les propriétaires Agnès et Claude Pierre Chavanon qui ont magnifiquement restauré les « presque ruines » qu'ils avaient achetées en 1993.
Il y a eu là jusqu'à trois moulins. La plus ancienne mention remonte à l'année 1407 où un échange porte sur un pré appartenant à Bartholomé de la Chastelière, au territoire du Soleyrol au lieu-dit al moli herm. Le moulin était donc en ruine, est-ce du fait des troubles liés à la guerre de Cent Ans et de la dépopulation qui a suivi ou conséquence d'une irruption de la rivière, la documentation ne le dit pas.

le moulin

En 1464, Étienne et Jean de Chalabreysse qui habitent le lieu de Chalabreysse, sur le haut du versant, déclarent détenir un moulin au Soleyrol1. Le moulin ne moud que par éclusée et est dit de peu de valeur. La famille Vedesche semble s'installer au moulin désormais dit de Campustelle à la fin du xvie siècle. Lui doit-on l'agrandissement du moulin ? On ne peut l'affirmer, mais en 1634 sur le compoix, Anthoine Vedesche « munier de campustelle » est imposé pour « maison cour jardin verger pré terre labourable bous chastagnet… tout piece tenant assis au dit lieu et mas de campustelle dans lequel sont ses moulins », puis pour « ses moulin à bled et à drap et l'autre à huile »2 . Un beau domaine s'est donc constitué, on ignore toutefois si les moulins (le mot désigne à l'époque tant les mécanismes que le bâtiment qui les abrite) sont inclus dans une même construction ou s'ils sont déjà répartis en plusieurs unités.
À partir de l'année 1655, l'ensemble appartient à la famille Tardieu. En 1680, Pierre et Louis Tardieu frères « du lieu du moulin de Campustelle »
arrentent « la cuisine de leur maison la crotte à plein pied de la basse cour, les estables et fenieres au dessus, le galabert au dessus le membre appelé la chambre, avec le sechoir, et tout le bien fonds et domaine que lesdits Tardieux ont scitué audit lieu et tenement de campustelle consistant en jardins chanabiers vigne bois chastagnets, terres laborives et autres sans aucune reservation que... le restant de lad maison, les moullins, un petit chanabier, et jardin au dessus de lestanche du moullin et un bois appelé le soleirol »3.
Le restant de la maison comprend peut-être alors la partie fortifiée bien visible encore aujourd'hui, les troubles religieux alors intenses peuvent en expliquer la construction… et sa transformation partielle en moulin avec mise à l'abri derrière ses murs des mécanismes découverts lors de la restauration. En 1687, Louis Tardieu est dit « charpantier du mollin de Campustelle », la documentation nous montre d'autres Tardieu charpentiers ou maçons remettant en état un moulin sur l'Oize et le toit de l'église de Genestelle. C'est à leurs compétences que l'on doit peut-être la qualité des bâtiments que l'on peut encore voir aujourd'hui.

roue

Il faut attendre le xixe siècle pour avoir des représentations graphiques de l'ensemble. En 1823 un plan réalisé à la suite d'un conflit représente les deux petits moulins sur les rives du Sandron, le cadastre napoléonien figure une maison d'habitation importante4.
Les moulins construits en bordure de la rivière étaient jusqu'à la fin du xixe siècle mus par des roues horizontales. L'un des moulins est alors agrandi pour recevoir une roue verticale et les rouages de fonte dits « à l'anglaise » permettant à une seule roue de mettre en jeu plusieurs mécanismes. Ici la nouvelle roue met en jeu deux couples de meules pour la farine, une blutterie, un système de courroies à godets et une vis sans fin qui assurent la remouture des grains après un premier passage sous la meule selon un procédé qui se répand au cours du siècle et permet une valorisation de la plus grande partie du grain.
C'est donc un ensemble de grande valeur patrimoniale qui a été restauré ici. Des interrogations subsistent : les moulins de Campustelle font-ils partie des deux moulins détenus dans le mandement d'Antraigues par les Templiers de Jalès et arrentés au xiiie siècle ? On s'interroge aussi sur la datation de la cheminée monumentale de plus de quatre mètres de hauteur, cylindrique, avec une base carrée ornée de masques et un faîte avec lanterne, cône, le tout surmonté d'une boule et construite sur un modèle assez rare en Vivarais.*

* Cette cheminée a récemment été restaurée avec l'aide de la Sauvegarde. Le détail de ces travaux est présenté dans notre rubrique « Aide aux travaux de restauration ».

Notes

Colette Véron