Le village de Saint-Maurice-d'Ardèche (cliché Michel Rouvière) |
Groupé sur un promontoire autour de son église, le
village de Saint-Maurice-d’Ardèche, autrefois Saint-Maurice-Terlin, bien situé sur les premières pentes au-dessus
de la rivière, domine les terres fertiles où autrefois était cultivé le lin.
Nous sommes accueillis dans l’église par MM. Jean-Claude Bacconnier, maire de la commune, Marc Reynier,
président de
l’association « Route des églises
romanes du
bassin de
l’Ardèche » et
Jean-Pierre
Auzas.
Ce dernier nous
rappelle d’abord
que saint
Maurice était,
selon la tradition,
un militaire
romain qui
fut martyrisé
vers la fin du iiie siècle à Agaune, aujourd’hui Saint-Maurice, dans le Valais, pour avoir refusé de participer à
un sacrifice offert aux dieux païens.
Cette église présente beaucoup d’analogies avec celle de
Sauveplantade que nous venons de visiter.
Dans la Charta vetus, plus précisément dans le Pouillé des donations de l’Église de
Viviers,1 figure la donation faite
par un certain Marius qui dit
avoir construit une église en
l’honneur de saint Maurice, « super Heuticam flumen » (c'est-à-dire au-dessus
de la rivière Ardèche),
l’avoir dotée de 30 colonies et,
suivant la formule habituelle,
l’avoir donnée « à Dieu et à saint
Vincent ».
Restée, comme celle de Sauveplantade, sous l’autorité
directe de l’évêque de Viviers jusque dans le courant du
xie siècle, l’église de Saint-Maurice fut alors confiée,
comme celle de Lavilledieu, à l’abbaye de moniales de
Saint-André-le-Haut de Vienne. D’après le chanoine
Rouchier, ceci se serait passé en 1044 et un prieuré
conventuel fut également installé à Saint-Maurice. En 1154, Guillaume, évêque de Viviers, confirme à Elisabeth, abbesse de Saint-André de Vienne, « tous les bénéfices que ladite abbaye de Saint-André possède ou pourra posséder et qui sont soumis à notre juridiction épiscopale, à savoir : l'église de Saint-Martin de Lavilledieu avec ses dépendances, l'église de Saint-Maurice de Terlin avec ses dépendances, [suivent six autres églises], avec tous les biens, revenus et profits qui en dépendent. »
Plan de l'église et des anciens bâtiments monastiques, dont, de nos jours, il ne reste que la tour d'angle. |
Au xiiie siècle, un long conflit de juridiction éclate entre la prieure de Lavilledieu et l'abbesse de Saint-André de Vienne, la première, Marie de Vogüé, cherchant à se libérer de la tutelle de son abbaye-mère et, en même temps, à réunir Saint-Maurice à son propre monastère. Mais ce n'est qu'en 1640 que la prieure de Lavilledieu, Marie d'Ornano, nièce de la maréchale, obtiendra du pape Urbain VIII le rattachement du couvent de Saint-Maurice à Lavilledieu.
C'est vers ces années là que les religieuses de Saint-Maurice et de Lavilledieu quittèrent leurs couvents respectifs, jugés trop exposés aux troubles des guerres de Religion, et se réfugièrent à Aubenas. C'est aussi à ce moment là qu'elles se séparèrent de l'abbaye Saint-André de Vienne pour s'unir à l'ordre de Cluny.
Nous nous trouvons à nouveau devant une église en
croix latine, mais qui a été en partie reconstruite au xixe siècle. Le chevet et le transept roman conservés sont bâtis
en petit appareil de pierres plates disposées en assises
régulières. Contrairement à ce que nous avons vu à
Sauveplantade, les absides latérales sont ici beaucoup
plus petites que l’abside centrale. De petits contreforts
peu saillants épaulent
les murs à l’angle des
croisillons.
La nef, à l’exception de
son mur méridional, a été reconstruite au xixe siècle. Le clocher carré,
coiffé de tuiles
vernissées, qui s’élève
sur la croisée du
transept date de la
même époque.
Selon Robert Saint-Jean, l’édifice roman remonterait à
une époque assez reculée qu’il situe à la fin du xie ou au
début du xiie siècle.
Il ne reste quasiment rien des bâtiments monastiques,
sinon une tour ronde qui en flanquait l’entrée. Pourtant
au début du xxe siècle, le marquis de Vogüé put encore
en voir des vestiges.2
Les trois absides semi-circulaires, voûtées en cul-de-four,
sont éclairées par des baies étroites, trois au centre et une
pour chacune des absidioles. L’abside centrale a reçu un
décor d’arcatures et de colonnettes reposant sur un mur
bahut. Deux de ces colonnettes sont coiffées de
chapiteaux historiés, aux sculptures très primitives. Le
personnage est sans doute saint Maurice. On y voit aussi
des animaux qui s’entre-dévorent et le père Bernard
Nougier nous signale la représentation d’une scène
classique, celle du « tireur d’épine ».
Les voûtes en plein cintre des croisillons sont renforcées
par des arcs doubleaux qui retombent sur des pilastres
aux impostes très simples.
Trois absides semi-circulaires voûtées en cul-de-four |
Vue sur le croisillon sud |
Chapiteaux des colonnettes de l'abside
Coupole sur la croisée du transept |
La coupole qui coiffe la croisée du transept pose question. Vaguement hémisphérique, présente-t-elle là sa forme d’origine ou plutôt n’a-t-elle pas été, elle aussi, modifiée au xixe siècle, lorsqu’on a édifié le clocher qu’elle supporte ? On peut le penser, quand on sait que toutes les églises de la région sans exception construites, comme Saint-Maurice, suivant le plan bénédictin, ont été dotées d’une coupole octogonale sur trompes. C’était en tous cas l’avis de Robert Saint-Jean, qui pensait que les trompes avaient été recouvertes de plâtre pour les transformer maladroitement en pendentifs.
Pendant plusieurs siècles, un sarcophage trouvé au xvie siècle au quartier des Salles a servi d’autel à l’église de
Saint-Maurice. Il n’en reste plus qu’une grande
photographie…
Ce sarcophage de marbre blanc a tout d’abord été
considéré comme d’origine païenne, ce qui, selon certains, lui aurait valu
d’être mutilé en 1793 par le curé de l’époque3, mais ces mutilations, si elles ont été volontaires, peuvent aussi dater des guerres de Religion. Il fut
vendu en 1851 au musée Saint-Pierre de Lyon et se
trouve actuellement au musée de la civilisation gallo-romaine
de cette même ville.
Le hameau des Salles appartenant à la commune de
Balazuc, la municipalité de ce village en a fait réaliser un
très beau moulage que l’on peut librement admirer dans
les soubassements de la mairie.
En fait, il ne s’agit nullement d’un objet païen, mais bel
et bien d’un chef d’œuvre d’origine chrétienne, de l’école
d’Arles, daté du ive siècle. Il présente surtout des scènes
de la vie de saint Pierre qui ont été notamment détaillées
par Roger Lauxerois.4
Pour une présentation plus détaillée du sarcophage, cliquer ici.
Paul Bousquet
(Visite de la Sauvegarde mars 2013)