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Vallées et villages de la Cévenne septentrionale (I)
THUEYTS

Thueyts - Le pont du Diable

Thueyts - Le pont du Diable  (Cliché Simone Delubac)

L’extrémité septentrionale des Cévennes ardéchoises est constituée par le haut bassin de l’Ardèche et ceux de ses affluents. Ces vallées, séparées par des serres1 allongés et escarpés, convergent vers Aubenas, ce qui lui donne l’aspect d’un éventail dont la pointe serait cette ville. Les six principales rivières sont, d’ouest en est, le Lignon, l’Ardèche, la Fontaulière, la Bourges, la Besorgue et la Volane. D’un pays cévenol, cette région a toutes les caractéristiques. Les cours d’eau dégringolent en quelques kilomètres des hauteurs du Plateau ardéchois, qui culmine à plus de 1 000 m, jusqu’à la plaine d’Aubenas. Ils ont, sur presque tout leur parcours, un aspect torrentiel. Les vallées sont étroites, encaissées, avec des berges abruptes, rocailleuses, qui ont été aménagées en terrasses pour faciliter la culture. La châtaigneraie est omniprésente. Le régime des pluies cévenoles, brutales et abondantes, venant après des étés secs et chauds, entraîne souvent des crues catastrophiques. Aussi les villages, d’établissement généralement très ancien, se sont-ils installés sur les hauteurs, à l’abri de ces débordements saisonniers. La communication entre villages, de vallée à vallée, est difficile.
Deux différences, liées à la géologie, apparaissent cependant par rapport aux Cévennes méridionales. Le substratum rocheux n’est pas schisteux, mais granitique, ce qui donne des reliefs un peu plus adoucis. Tout est relatif ! D’autre part, toute la région a été le site de manifestations volcaniques récentes (moins de 130 000 ans). Le paysage est ainsi marqué par les cônes égueulés des anciens volcans, par des dépressions correspondant à des cratères d’explosion (maars) et par de nombreuses coulées basaltiques qui ont envahi les fonds de vallées, y créant de vastes espaces plats propices à l’agriculture. Les rivières ont dû s’y frayer un nouveau cours, laissant souvent apparaître de très belles orgues et des chaussées de géants (chaussades)

C’est dans cette Cévenne du Nord que nous avions organisé en association avec le Sithere une sortie pour la Journée du Patrimoine de pays, avec la visite des villages caractéristiques de Thueyts dans la vallée de l’Ardèche et de Burzet dans celle de la Bourges. Accueillis à Thueyts le matin par Mme Cluzel qui nous y a guidés avec beaucoup de compétence, nous avons été en fin de matinée les hôtes de MM. Chapuis, adjoint au maire et André Moulin, président de l’office de tourisme, pour le verre de l’amitié. Après le casse croûte pris dans une belle salle voûtée du château, nous nous sommes dirigés vers Burzet où nous attendait notre guide, Jean Laurent. Sur le parcours, nous avons fait une halte sur le site admirable du Pont du Diable.

THUEYTS

Thueyts - Peinture : le marché aux cerises

Le marché aux cerises (détail)

Le village est bâti sur un plateau basaltique qui domine la gorge où coule l’Ardèche, ce qui lui offre un vaste espace plan sur lequel il a pu se développer. Pendant des siècles, il a été à l’écart des principales voies qui, par Aubenas, joignaient la vallée du Rhône à l’Auvergne en remontant la vallée de la Fontaulière. Au xviiie siècle, les États du Languedoc décident de construire une route moderne, devenue la N102, qui suivra la vallée de l’Ardèche jusqu’au col de la Chavade, près des sources de la rivière. Ceci contribuera à un rapide développement de Thueyts, au détriment de sa voisine Montpezat. Cette route, une déviation avant l’heure, contournait largement l’agglomération existante, ce qui a permis de préserver le vieux village, alors que d’autres ont été partiellement défigurés pour faciliter la circulation.
Au fil du temps, des constructions plus récentes se sont alignées le long de la route. C’est là que se situe maintenant le centre d’activité. Nous nous retrouvons sur la place du Champ de Mars où se regroupent mairie, restaurants et hôtels. Le monument aux morts y est encadré par deux obusiers allemands, prises de guerre du conflit de 1914-1918. De là, nous gagnons le château par un passage voûté orné d’une belle peinture murale qui rappelle les marchés aux cerises d’antan. Le commerce des cerises fut en effet, jusqu’à une époque récente, un élément majeur de l’économie de toute la région.

Le château

Thueyts - Château de Blou

Château de Blou

Bâti au bord d’un parc de plus d’un hectare, il est communément connu sous l’appellation de château de Blou, du nom de la famille qui le posséda pendant de nombreux siècles. On connaît mal ses origines. Il s’agissait vraisemblablement d’un petit château féodal. Au xie siècle, il était la propriété de la famille des Pressis et le resta jusqu’au xvsiècle. La dernière descendante de la famille, Clémence des Pressis, épousa alors un Bernard de Blou, originaire de Toulaud. Leur fille Alazie, veuve d’Armand de Montlaur, vicomte de Polignac, devenue usufruitière de la seigneurie de Mayres, favorisa le mariage en 1461 de ses deux cousins germains, François de Blou et Marguerite des Pressis, d’où est issue la lignée des Blou des Pressis. Elle s’éteint à la fin du xixe siècle avec la mort du comte Oscar de Blou en 1886. Le château passe alors à son héritier, Pierre de Cassin. Très vite, il sera vendu (en 1902) à la famille de Montravel. Acquis en 1926 par une famille de mouliniers, les Plantevin, qui installent une filature sur le domaine, il deviendra leur résidence jusqu’à la revente à la commune en 1986.
Détruit partiellement au xvie siècle pendant les guerres de Religion, il sera reconstruit par les Blou. Il subira de nouvelles dégradations à la Révolution. En particulier, les tours d’angle sont abattues. C’est lors de la restauration qui suivit que fut ajouté l’escalier principal et que le château prit son aspect actuel. De l’ancien édifice restent au niveau du parc de belles salles voûtées datées du xve siècle.

Le vieux village

Thueyts - Maison Pichot de Lespinasse
Thueyts - Maison Pichot de Lespinasse

Maison Pichot de Lespinasse

Au xe siècle, un seigneur local nommé Géraud fait don d’une manse au monastère Saint-Chaffre du Monastier qui y installe un prieuré. À partir de là, Thueyts va se développer comme dépendance, non seulement spirituelle, mais également temporelle, du monastère. L’abbé de Saint-Chaffre en est le seigneur et cette situation perdurera jusqu’à la Révolution. Du vieux village, restent quelques belles demeures, des xve ou xvie siècles pour la plupart.
Du château, nous gagnons la rue de la Fontaine qui fut au xviie siècle la rue où se retrouvaient commerces et artisans. Sur notre gauche, se trouve l’ancien prieuré. Mais sa façade a malheureusement été dénaturée à plusieurs reprises par modification ou ajout d’ouvertures. Il conserve une très belle cheminée en anse de panier. Sur le linteau de la porte, encadrée d’une moulure, se voit une inscription « A IHS M V », pour laquelle les interprétations diffèrent. 
Plus loin, la maison Michel Pichot de Lespinasse se distingue par une tourelle en saillie sur la façade, ornée de motifs en forme de fleurs de style Renaissance. Cette famille fut une des plus éminentes de Thueyts qu’elle quitta à la fin du xviie siècle.
Nous arrivons ainsi place Pouget sur laquelle se dresse la tour Gaschet, dite aussi tour Pouget. Dans cette très belle bâtisse Renaissance du xve siècle, on accède à une plateforme sommitale par un escalier à vis avec une voûte en croisée d’ogives. Elle est surmontée d’une gargouille et d’un modillon orné d’une coquille Saint-Jacques. Au xviie siècle, elle fut la résidence d’un autre Pichot de Lespinasse, le sieur François.
Elle fait l’angle de la rue Gaschet qui conduit à l’une des deux anciennes portes du village. On y trouve une maison intéressante. Deux têtes sculptées, celle d’un homme et celle d’une femme, qui ornent sa façade, lui ont valu l’appellation de « maison des têtes ».

Thueyts - Tour Gaschet

Tour Gaschet (Cliché Simone Delubac)

Nous nous engageons dans la rue Mercière, anciennement des Goys. Il s’agit d’une vieille famille dont la branche aînée s’éteignit au milieu du xve siècle, alors que l’on connaissait encore des représentants de la branche mineure à la fin du xixe siècle. Leur demeure était située un peu plus loin au sortir d’un passage dit du sieur de Vallon. A l’orée de la rue, se trouve la maison dite du notaire Eschalier, qui y résidait en 1640. On y admire une très belle fenêtre d’angle à meneaux moulurés. La rue Mercière nous conduit à la rue Haute à l’extrémité de laquelle, au pied de la chapelle Saint-Roch, une superbe maison Renaissance a des fenêtres à meneaux, un escalier de pierre à l’intérieur et des plafonds à la française. Construite en 1532 par Pierre d’Arlempde dit de Goys, protonotaire apostolique et prieur de Saint-André de Burzet2, elle était au xviie siècle la demeure du sieur Antoine Flandin, apparenté aux Flandin de Pourcheyrolles propriétaires du château du même nom à Montpezat

Tour Gaschet

Porte de la tour Gaschet

Maison du notaire Eschalier

Maison du notaire Eschalier

C’est dans cette partie de la cité que se développa la congrégation des sœurs de la Présentation de Marie, fondée par la bienheureuse Marie Rivier. Cette dernière, née à Montpezat, avait voué une particulière dévotion à la Vierge Marie qui lui avait permis de remarcher après un grave accident qu’elle avait eu toute enfant. Restée néanmoins infirme, elle décida de se consacrer à l’éducation des jeunes filles. Après une première expérience à Montpezat, elle ouvrit en 1794 une école dans une maison appartenant aux sœurs Dominicaines, connue aujourd’hui sous le nom de Fabricou, et que l’on peut encore voir au-delà d’un passage voûté. Cette initiative souleva une forte opposition menée par M. de Blou, mais, soutenue par le Comité de salut Public, elle eut gain de cause. À vrai dire, son frère était bien introduit dans les milieux révolutionnaires de Montpezat. Deux ans après, en 1796, elle fonde sa congrégation et s’installe en 1797 dans une grande maison qui fut la demeure de Louise de Blou des Pressis, veuve Blanc de Molines, avant d’être vendue par Jean Luzy, seigneur des Bordes, puis cédée aux sœurs. Bien que la maison mère ait été déplacée au Bourg-Saint-Andéol 3, puis à Castel Gandolfo, le couvent de Thueyts est toujours actif.

Thueyts - Maison Flandin

Entrée de la maison Flandin

L’église Saint-Jean-Baptiste se trouve au cœur du village, sur la place du Terras. Romane à l’origine, elle aurait été construite au xe siècle, en remplacement d’une chapelle primitive. Au xviiie siècle, à partir d’une nef unique, elle comportait sept chapelles latérales qui étaient, comme c’est généralement le cas, les chapelles funéraires des familles nobles. Au début du xixe siècle, « elle menaçait ruine, tant à l’occasion de sa vétusté, qu’à l’occasion de réparations hasardeuses qu’on avait fait(es) … », écrit le curé Enjolras en 1836. En conséquence, une partie de l’édifice s’effondre en 1834, en particulier la voûte de la nef. Reconstruite avant la fin de l’année, elle prend alors son aspect actuel. Le clocher, lui, de style italien, fut édifié en 1691.

 

Thueyts - Peinture murale : Marché aux cocons

Marché aux cocons

La chapelle Saint-Roch domine le village au-dessus de la maison d’Antoine Flandin. Sur ce site, s’élevait, dès le viie siècle, une chapelle dont on pense qu’elle fut construite à l’emplacement d’un oratoire gaulois. Sous le nom de chapelle Saint Bauzille, elle a été l’église de Thueyts jusqu’à la construction de l’église romane. Laissée à l’abandon ensuite, elle tomba en ruine et une nouvelle chapelle, construite par Pierre de Goys, fut élevée à sa place. Cette dernière fut, elle aussi, complètement détruite pendant les guerres de Religion et ce n’est qu’au xviiie siècle qu’elle fut reconstruite et qu’elle prit alors son nom de Saint-Roch. Son clocher, qui portait une cloche aujourd’hui installée sur l’église, fut ultérieurement fermé et surmonté d’une grande croix de pierre. Une restauration, bien nécessaire, a été faite en 1960.

 

Thueyts - Pont de l'Apic

Pont de l'Apic (Cliché Simone Delubac)

Le pont du Diable

Le plateau basaltique sur lequel le village de Thueyts s’est établi et développé est issu du volcan du Prat, aujourd’hui improprement appelé Gravenne de Thueyts, par analogie avec le volcan voisin de La Gravenne qui sépare les vallées de Thueyts et de Montpezat et que l’on qualifie maintenant du nom de Gravenne de Montpezat.

Les basaltes sont des laves fluides qui, de ce fait, s’écoulent habituellement en descendant les vallées. Au contraire et de façon tout à fait inhabituelle, la coulée de Thueyts, bloquée dans sa progression vers l’aval, remonta la vallée de l’Ardèche vers l’amont ce qui lui donna une épaisseur considérable. L’Ardèche dut se frayer à nouveau un lit, creusé à la limite entre le basalte et les roches granitiques antérieures à la coulée. C’est, sur presque tout son parcours, une gorge étroite surmontée par une impressionnante falaise d’orgues basaltiques d’une hauteur pouvant atteindre 80 m. Deux chemins en escalier permettent d’y descendre et d’en remonter, l’Échelle du Roi et l’Échelle de la Reine, qui constituent un circuit pédestre plein d’intérêt. Le ruisseau du Merdaric, après avoir traversé le village, s’y précipite par une impressionnante cascade, dont le nom, la Gueule d’Enfer, dit bien tout l’effroi qu’elle inspirait et que la N102 franchit sur un spectaculaire ouvrage d’art du xviiie siècle, le bien nommé Pont de l’Apic.
Au fond de la gorge, un pont en dos d’âne permet d’accéder aux hameaux de la rive droite. Sa construction, probablement médiévale, a fait l’objet de nombreuses légendes qui expliquent son appellation de « Pont du Diable ». À ses pieds, deux gours4 assez profonds permettent la baignade, ce qui en fait un lieu très recherché par les beaux jours d’été, les plaisirs de l’eau se conjuguant à la beauté du site.

Guy Delubac

Bibliographie

Dans Vallées de la Cévenne ardéchoise du Nord, Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, Privas, 2000 :

Autres références :

Notes

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cerises
gargouille

Gargouille de la tour Gaschet

obusier
cerises
Maison des têtes Maison des têtes

Maison des têtes