La journée champêtre du Chaussadis, amicale rencontre
généreusement organisée chaque mois de juillet par nos
amis Marie et Paul Bousquet, comporte
traditionnellement un volet
patrimonial qui réservait cette
année une place à la
découverte de deux toitures
de genêt à la restauration
desquelles la Sauvegarde
accorde son aide.
Ce choix témoigne de l'implication
accrue de notre association
dans la sauvegarde et la
valorisation de l'architecture
traditionnelle de la Montagne,
qui nous a conduits, depuis
plusieurs années, à soutenir
concrètement l'action dynamique
de l'association Liger
dans ce domaine et, plus
récemment, à participer à un
groupe de travail, autour du
PNR des Monts d'Ardèche,
pour l'inventaire des toitures traditionnelles de la région en
vue de leur protection.
Cet inventaire, réalisé sur 21 communes autour du Mézenc et
du Gerbier de Jonc, a dénombré une centaine de toits de
lauze et une quinzaine de toits de genêt. Cette architecture
rurale de caractère, dont font aussi partie les maisons
couvertes en chaume de seigle de la Haute-Loire voisine,
confère à toute la région une forte personnalité et un attrait
indéniable qu'il est capital de préserver.
Les toits de genêt, qui sont certainement les plus spécifiques
de ce haut pays, sont devenus les plus rares et les plus
menacés de disparition ; il y en avait encore une centaine
dans les années 1980, sept fois plus qu'aujourd'hui. Leur
durée de vie est de 25 à 30 ans, mais ils nécessitent une
révision annuelle et sont vulnérables à l'incendie. Il était
donc logique, sans négliger les autres, de donner la priorité
à leur sauvetage.
C'est le but de la restauration des deux bâtiments décrits ci-après.
Moulin de la Cassonié (Cliché Colette Véron) |
Le petit moulin de La Cassonié campe son élégante silhouette
en haut d'une prairie en pente douce, en rive gauche de la
Loire, en amont de La Palisse, commune du Cros-de-
Géorand. Un grand châtaignier le surplombe, dont la
présence étonne dans cet environnement, à 1 100 m
d'altitude.
Michel Volle, propriétaire des lieux, qui nous accompagne
pour la visite, est né dans la maison voisine, où il a passé son
enfance. Cette grande bâtisse, construite en bel appareil, était alors couverte de genêt,
mais la perte de son toit l'a
réduite à l'état de noble
ruine enfouie dans la
végétation.
Quel âge a le moulin ? Il
n'apparaissait pas sur le
cadastre napoléonien, mais il
est mentionné sur la matrice
du cadastre de 1882. C'était
un moulin à céréales, blé,
orge, seigle, qui aurait
fonctionné jusqu'en 1953 ou
1954. Il comporte deux
niveaux : en bas, les meules
et tout l'équipement sont
encore en place ; au-dessus,
un espace de rangement est
aménagé sous le toit.
Moulin de la Cassonié (Cliché Olivier Bousquet) |
Le moulin fonctionnait avec
l'eau d'une écluse de grande capacité dont les murs sont
assez bien conservés, alimentée par une source voisine. L'eau
n'est pas rare dans ces parages ; une autre source proche a été aménagée en « serve », petit bassin couvert, à demi
enterré, dont l'eau conservait au frais les produits de la
ferme.
Le canal de fuite, en partie souterrain, débouche dans un
abreuvoir et désaltère encore les animaux au pâturage.
Le toit de genêt avait été réparé dans l'urgence à l'automne
2014, avant les neiges de l'hiver, avec l'aide de la Sauvegarde
et de Liger. Un faîtage (« sarrade ») en mélèze avait alors été
posé et a déjà pris une belle patine. Après notre visite, le toit
a été entièrement repris dans le cadre d'un stage de piquage
de genêt organisé par Liger.
Ce petit moulin, vous l'avez compris, est un trésor du
patrimoine et, comme les trésors des contes de notre
enfance, on ne peut y accéder qu'après avoir triomphé de
quelques épreuves. La première est la présence d'un
troupeau de vaches de race Aubrac sur lesquelles veille un
taureau jaloux, raison pour laquelle notre accompagnateur
s'était muni d'un solide gourdin. La seconde est une énigme
botanique : la haute plante aux grandes feuilles ovales qui
parsème une partie de la prairie évoque la grande gentiane
jaune, celle dont la racine, la plus amère connue sous nos
cieux, est utilisée depuis l'Antiquité pour ses vertus
digestives et sert aujourd'hui à la préparation d'un apéritif
très répandu. Mais attention ! Il s'agit ici du vérâtre blanc,
dont le rhizome contient un poison très violent, utilisé dans
l'Antiquité pour enduire les pointes de flèches. Il avait aussi
un usage thérapeutique et serait encore prescrit pour des
affections musculaires.
Chaumière de Teste Partide (Cliché Laurent Haond) |
Chaumière de Teste Partide (Cliché Olivier Bousquet) |
Quittant sains et saufs le moulin de La Cassonié, nous
franchissons la Loire et nous nous élevons en rive droite, en
direction de la chaumière de Teste Partide, située en bordure
du petit village d'Usclades, à moins de 500 mètres de l'église.
Cette belle bâtisse au toit de genêt à quatre pentes est la
résidence d'été de la famille Maucci qui l'a acquise dans les
années 1950 et lui est très attachée.
Nous avons vu lors de notre visite la toiture fatiguée,
localement envahie de mousse, qui nécessitait une réfection
totale. Pour des raisons d'économie, il avait d'abord été
envisagé de la remplacer par une couverture en bac acier,
selon une pratique devenue très courante. L'alerte a été
chaude, mais les aides accordées par plusieurs organismes,
dont la Sauvegarde et Liger, ont heureusement écarté cette
menace en permettant de redonner à cette belle bâtisse le
toit en genêt qu'elle mérite. Les travaux ont commencé cet
automne, après notre passage, leur achèvement, cette année
ou l'année prochaine, étant fonction des conditions
météorologiques.
Notre visite fut l'occasion de rappeler qu'au-dessous de cette
chaumière se trouve la maison natale de l'écrivain Régis
Sahuc (1920 - 2009) dont l'œuvre, fortement inspirée par son
terroir, le « pays de la burle », en a largement franchi les
frontières.
Il est intéressant de noter au passage que, lorsque cet enfant
d'Usclades est venu au monde, au début du xxe siècle, la
majorité des fermes de la Montagne étaient couvertes de
genêt ou de lauzes. Quel changement en un siècle !
En restaurant quelques-unes de ces toitures traditionnelles,
nous voulons souligner la valeur de ce patrimoine
exceptionnel et préserver, autant que possible, le beau pays
des sources de la Loire de la banalisation galopante véhiculée
par des constructions sans caractère et l'aider à conserver la
forte personnalité qui lui donne un si puissant attrait.
Pierre Court
Sur le même sujet, voir aussi : En Montagne ardéchoise : Sagnes et Goudoulet, Péreyres, Sainte-Eulalie.